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critique, amorcée en juillet 1926, sur les travaux d’Erwin Schrödinger, auteur un an plus tôt
de l’équation fondamentale de la physique quantique décrivant l’évolution temporelle d’une
particule massive qui porte son nom. Comme il le souligne dans un commentaire rédigé
quarante ans après la rédaction de son article, Heisenberg était à l’époque persuadé, sans
rencontrer beaucoup d’adhésion de la part de ses pairs, « qu’on ne pouvait absolument pas
comprendre la loi de Planck à partir de l’interprétation de Schrödinger »
3
. Heisenberg
continue néanmoins de réfléchir sur l’interprétation différentielle de Schrödinger du
formalisme mathématique de la théorie quantique et la confronte à la sienne, qui prend forme,
sur les traces des formalisations de Paul Dirac et de Pascual Jordan, à partir d’une
interprétation matricielle. Or, cette réflexion va mûrir dans le cadre de l’Institut de Physique
Théorique de l’Université de Copenhague, du fait d’un dialogue fécond avec Niels Bohr.
Celui-ci invite en effet Schrödinger à Copenhague, selon les souvenirs d’Heisenberg, courant
septembre 1926
4
. Or, la discussion entre Bohr et Schrödinger est âpre et sans concessions,
Bohr se distinguant selon Heisenberg par son « insistance fanatique et son opiniâtreté presque
terrifiante lorsqu’il s’agissait de parvenir à une clarté complète de tous les arguments. »
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C’est
donc affaibli et découragé que Schrödinger quitte Copenhague. La mise en échec apparente de
l’interprétation différentielle de Schrödinger de la théorie quantique, que Heisenberg
considérait comme « étant trop rapidement venue à prendre les théories ondulatoires
classiques pour modèles »
6
, va pourtant amener Heisenberg et les collègues de Bohr à
Copenhague à poser le problème épistémologique suivant, capital à leurs yeux pour la
physique quantique : « comment le formalisme mathématique peut-il être appliqué à chaque
problème pris individuellement, et, de là, comment les paradoxes fréquemment discutés, tels
que par exemple la contradiction apparente entres les modèles ondulatoire et corpusculaire,
peuvent-il être résolus ? »
7
C’est alors que Heisenberg, à la faveur d’un séjour de Bohr en
Norvège en février 1927, se concentre plus particulièrement sur le problème de
l’indétermination. Heisenberg part non seulement des données expérimentales principalement
fournies par l’expérience de Stern et Gerlach (qui date de 1920) et de la diffusion Compton
3
“My argument that one could not even understand Planck’s radiation law on the basis of Schrödinger’s
interpretation convinced no one” in WHEELER, John Archibald, ZUREK, Wojciech Hubert (ed.), Quantum
Theory and Measurement, p. 56. (C’est nous qui traduisons.)
4
Ibid.
5
“he was able…to insist fanatically and with almost terrifying relentlessness on complete clarity in all
arguments.” Ibid. (C’est nous qui traduisons.)
6
Ibid.
7
“How the mathematical formalism was to be applied to each individual problem, and thus how the frequently
discussed paradoxes, such as e.g. the apparent contradiction between the wave and particle models, could be
cleared up.” Ibid. p.57. (C’est nous qui traduisons.)