Il appartient à des instances intermédiaires d’établir le lien entre l’éthique qui légitime et la
pratique qui met en œuvre. C’est le rôle régulateur des codes de déontologie et des conseils de
la presse. C’est pourquoi les formulations déontologiques, malgré des différences et des
nuances, s’attachent principalement aux trois valeurs fondatrices du journalisme
d’information : la liberté, la vérité et le respect de la personne. De la circulation permanente
entre les trois niveaux de l’analyse éthique (valeurs, normes, savoir-faire) découlent les
conditions d’une bonne information. Ces trois niveaux correspondent à des fonctions
spécifiques : légitimation (éthique), régulation (déontologie), réalisation (pratique).
Un changement de paradigme du journalisme ?
Jean Charron et Jean de Bonville partent de l’hypothèse que les grandes mutations du
journalisme sont le produit de facteurs économiques et sociaux. Ainsi, le journalisme
d’information a succédé dès la fin du 19ème siècle au journalisme d’opinion. Un changement
de paradigme analogue serait en train de se produire conduisant à un journalisme de
communication.
La notion de paradigme est empruntée à Thomas Kuhn : un ensemble de généralisations
symboliques, de croyances collectives, de renvois à des modèles, de partage de valeurs, de
références à des réussites exemplaires. Cet ensemble constitue une « matrice disciplinaire » à
laquelle se rallie une communauté de chercheurs… tant qu’elle n’est pas remplacée par une
autre sous l’effet de nouvelles découvertes.
Les changements économiques, sociaux ou techniques provoquent le processus, suscitant une
nouvelle réflexion éthique et une formulation normative adaptée aux conditions nouvelles. Ce
ne sont donc pas les normes qui dictent la pratique, les normes constituent plutôt la réponse
éthique aux modifications de la pratique, selon un rapport dialectique. La notion de paradigme
s’accorde sur ce point avec le programme philosophique de Ricœur.
L’application du paradigme scientifique au journalisme a rencontré un grand intérêt parmi les
observateurs et les professionnels des médias. Elle a suscité aussi des critiques (Michel
Mathien). Elle conserve toutefois une certaine valeur heuristique concernant les
développements du journalisme sur l’Internet.
Bibliographie réduite
Jean CHARRON et Jean de BONVILLE, « Présentation du journalisme en mutation.
Perspectives de recherche et orientations méthodologiques » et « Le paradigme du
journalisme de communication : essai de définition », Communication vol 17/2, Université
Laval, Québec, 1997.
Daniel CORNU, Journalisme et vérité. L’éthique de l’information au défi du changement
médiatique, Genève, Labor et Fides, 2009 (2ème édition).
Thomas KUHN, La structure des révolutions scientifiques (1962), Paris, Flammarion
(« Champs »), 1983.
Michel MATHIEN, « Le journalisme de communication : critique d’un paradigme spéculatif
de la représentation du journalisme professionnel », Quaderni no 45, automne 2001.
Paul RICŒUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
Daniel Cornu, mars 2014