Atelier Enseignement contextualisé Journée de pédagogie universitaire – 13 Décembre 2001 Animateur : André Quinton Intervenants : Cécile LEGUY-DIARRA, Pierre VAÏDA ___ Cet atelier est présenté en trois parties : - le concept d'enseignement contextualisé - les différents aspects de l'enseignement contextualisé, - une illustration par l'expérience de terrain donnant lieu au mémoire de licence en anthropologie présentée par Mme Cécile LEGUY-DIARRA 1 - Le concept d'enseignement contextualisé – A. Quinton L'expression "enseignement contextualisé" désigne tout enseignement où les notions théoriques sont apprises dans le contexte d'une activité professionnelle ou dans une situation l'évoquant, partiellement ou totalement, de façon plus ou moins réaliste. Le concept s'appuie sur : - trois principes de psychologie cognitive - l'appropriation de connaissances se fait plus sûrement par recherche personnelle que par transfert passif, - la situation professionnelle motive plus que la théorie, - l'intégration de notions connexes dans les différentes mémoires en réseau renforce l'acquisition de chacune. - et l'incitation à comprendre une situation concrète en cherchant les bases théoriques qui l'expliquent. L'appropriation de connaissances se fait plus sûrement par recherche personnelle que par transfert passif, Ce principe conduit à organiser l'enseignement en sorte que l'étudiant - s'investisse activement pour construire ses connaissances théoriques nécessaires tout au long de sa carrière professionnelle - identifie ses besoins et ses objectifs d'apprentissage. - recourt aux activités d'apprentissage les plus efficaces - évalue régulièrement ses acquis. La situation professionnelle motive plus que la théorie, L'enseignement contextualisé propose l'acquisition et l'organisation des connaissances dans un schéma cognitif semblable à celui du contexte d'une situation concrète. Les différentes mémoires à long terme 1 Le rattachement de connaissances aux différentes mémoires en réseau, mémoire déclarative, "savoir que…" (mémoires sémantique et épisodique) et mémoire non déclarative procédurale, "savoir comment…", renforcent leur acquisition. L'incitation à comprendre une situation concrète en cherchant les bases théoriques qui l'expliquent, consiste à utiliser la curiosité suscitée par tout fait nouveau avant que l'habitude, la routine opérationnelle, l'émousse. 2 - Les différents aspects de l'enseignement contextualisé. Les stages professionnalisés L'exposé de Lucile LAFONT et de Michel PROHERES montre une parfaite illustration de l'utilisation du stage professionnalisé comme support des réflexions permettant de théoriser la pratique professionnelle. Les étudiants de la faculté des activités physiques et sportives recueillent sur leurs terrains de stage les observations qui constituent les supports de leur formation théorique. Tout stage professionnel qui n'a pas de lien étroit avec la formation théorique ne peut réellement être considéré comme enseignement contextualisé. L'organisation d'un tel enseignement nécessite des échanges entre d'une part les enseignants universitaires et d'autre part les responsables et les professionnels des structures qui accueillent les stagiaires. Il n'y a pas enseignement contextualisé si les enseignants universitaires n'utilisent pas la pratique de stage de leurs étudiants pour les aider à acquérir les bases théoriques, ou si les maîtres de stage dénigrent les apports théoriques ; le mépris pour les conditions et modalités d'application pratique est aussi déstructurant que celui pour l'approche théorique. Il est décevant qu'en médecine tous les stages ne puissent pas être considérés comme de l'enseignement contextualisé du fait de la surcharge de travail des médecins hospitaliers et du sous-encadrement des stages dans les services cliniques. L'exercice de terrain Dans son exposé Cécile LEGUY-DIARRA présente comment le travail de terrain réalisé par les étudiants en licence d'anthropologie s'appuie sur l'acquisition des principes méthodologiques, et ensuite combien l'interprétation des faits observés nécessite d'assimiler les théories qui permettent d'avancer les hypothèses qui les expliquent. Les travaux pratiques Les T.P. correspondent à un segment concret de pratique professionnelle dont pn peut distinguer deux types selon leurs grands objectifs : T.P. simplement illustrateurs d'enseignement théorique, ou T.P. début de la formation pratique à un exercice futur. L'atelier de Travaux pratiques apporte des exemples de l'un et l'autre type. L'ensemble des T.P. qui constituent La chaîne du médicament est représentatif des T.P. qui forment à 2 un exercice professionnel. Les T.P. d'Histologie-Embryologie pour les étudiants en médecine de l'U.F.R. des Sciences médicales Hyacinthe Vincent montre comment intéresser à cette discipline des étudiants en médecine dont la grande majorité seront des praticiens exerçant leur activité professionnelle auprès de patients. Les travaux pratiques, par leur champ volontairement délimité, doivent permettre pour un sujet donné l'intrication des connaissances théoriques et techniques et par plusieurs aspects l'acquisition de comportements (respect et collaboration avec d'autres, organisation, respect du matériel, etc). L'ordre dans lequel doivent s'agencer cours et travaux pratiques est plus le fait d'une tradition qui veut que le T.P. suive et illustre le cours, que d'une réflexion de stratégie pédagogique. En fait des enseignants ont constaté que dans certaines disciplines, sur certains thèmes, le T.P. devait précéder les acquisitions théoriques dans deux situations : lorsque le TP recourt à un outil complexe dont on apprend mieux la théorie du fonctionnement lorsqu'on l'a vu utiliser, lorsque l'exercice produit un phénomène qui suscite la curiosité et motive pour acquérir des connaissances théoriques. Les enseignements dirigés Seuls les ED amenant à l'utilisation de connaissances théorique pour résoudre des problèmes concrets sont de l'enseignement contextualisé. Parmi les différents types d'organisation deux font florès, médiatisés par leurs sigles APP et ARC. L'apprentissage par problèmes (APP) des étudiants en médecine dans une faculté canadienne - P. Vaïda P. Vaïda participe actuellement à un tel enseignement à Montréal. Dans cette pratique de formation pré-clinique il n'y a plus de cours et les étudiants abordent les sciences fondamentales et la clinique au travers de situations cliniques présentées dans de courts textes et travaillées en trois étapes : 1ère étape découverte avec un tuteur des textes et identification des sujets de travail ; 2ième étape, recherche personnelle, les enseignants étant des personnes ressources ;3ième étape restitution des acquis, toujours centrée sur l'observation de départ, en présence du tuteur. Dans le module appareil digestif de P2 A. Quinton, après avoir mis en place une organisation de cet ordre qui n'a pas donné toute satisfaction, a repris le principe sous le terme plus approprié d'analyse de situation en divisant les séances d'E.D. de deux heures en deux parties : dans la première heure quatre groupes d'étudiants analysent des situations cliniques simples (une par groupe d'étudiants) en s'aidant de leurs cours, dans la deuxième heure chaque groupe présente l'observation et l'analyse qu'il en a faite en l'illustrant par des schémas. Cette technique a donné des résultats supérieurs aux tentatives précédentes. L'ARC est l'Apprentissage au Raisonnement Clinique. Le concept recouvre l'ensemble des enseignements prenant comme point de départ une situation clinique, les cas cliniques, et conduisant les étudiants à mener des réflexions sur les démarches diagnostique et thérapeutique, en allant des situations simples aux complexes. Cet enseignement prend 3 un poids de plus en plus important compte-tenu de la mise en place en 2005 d'un examen national classant de fin de deuxième cycle pour tous les étudiants en médecine. 4 3 - Premières expériences de terrain en anthropologie : l’U.E. D de licence - C LEGUYDIARRA Université Victor Segalen-Bordeaux 2 Département d’Anthropologie sociale et Ethnologie 3 ter Place de la Victoire - 33000 Bordeaux [email protected] 3.1 - L’anthropologie : le « terrain » indispensable La formation en anthropologie sociale et ethnologie à l’Université Victor Segalen Bordeaux 2 commence l’année de licence. A ce niveau, nous proposons aux étudiants d’une part un certain savoir, d’autre part une certaine pratique. Il s’agit pour les étudiants, quelles que soient leurs formations initiales (qui peuvent être très diverses : premier cycle en sciences humaines, en lettres, en droit, formation professionnelle du secteur social ou de la santé, formation artistique...) et leurs perspectives d’avenir, d’acquérir un regard anthropologique sur les faits humains. L’anthropologie consiste en effet en un regard particulier porté sur la réalité humaine, une mise en perspective qui repose sur deux options principales : - d’une part étudier l’homme dans toutes les sociétés, toutes les cultures, qu’elles soient proches ou lointaines, dominantes ou marginales, modernes ou anciennes. - d’autre part étudier l’homme tout entier : selon le point de vue de l’anthropologie, les composantes intellectuelles, psychologiques, physiologiques de l’individu doivent être comprises comme un système dont les éléments sont en interaction permanente. Il s’agit donc d’étudier l’homme à la fois dans sa diversité et dans son unité. La tendance à relier différents champs d’investigation qui sont habituellement séparés (la parenté, la politique, l’économie, la langue, la mythologie, le corps individuel...) fait la spécificité de l’anthropologie, chaque culture tenant son originalité de la manière particulière selon laquelle ces différents éléments sont en interaction. Il est nécessaire, pour appréhender les faits humains dans cette perspective, de connaître les hommes dans leur contexte social et culturel. Quel que soit le phénomène humain qui intéresse l’anthropologue, il lui est indispensable de l’étudier dans son contexte afin de comprendre les liens existant entre ce phénomène et d’autres traits propres à la culture. Seule l’observation des faits en contexte permet d’accéder au sens que peuvent avoir ceux-ci. C’est principalement pour cette raison que notre discipline repose d’abord sur une connaissance directe du terrain, l’analyse des faits nécessitant le recueil de données de première main. En anthropologie, les faits doivent toujours être premiers : l’anthropologue doit toujours prendre garde de ne pas soumettre les faits aux hypothèses. Le métier d’anthropologue nécessite de faire une articulation, délicate et toujours soumise à révision, entre la formation théorique, la documentation et la pratique de terrain. 5 En tant qu’enseignant en anthropologie, il nous semble donc important, dès la licence, de former les étudiants à la pratique du « métier d’anthropologue » (en maîtrise, le « terrain » est obligatoire, le mémoire de maîtrise d’une centaine de pages environ reposant sur une enquête de terrain personnelle). 3.2 - L’U.E.D de la licence d’Anthropologie sociale et Ethnologie : « Anthropologie de terrain » La licence est composée de cinq unités d’enseignement : une U.E. d’options au choix (l’U.E. E) ; deux U.E. plus générales (l’U.E. A portant sur « les champs de l’anthropologie » et l’U.E. B sur les « théories et méthodes de l’anthropologie ») ; l’ U.E. C, plus spécialisée selon l’orientation choisie (deux approches différentes sont proposées) à laquelle correspond l’U.E. D, consacrée à « l’anthropologie de terrain ». Dans le cadre de cette unité d’enseignement portant sur l’anthropologie de terrain, les étudiants reçoivent différents cours magistraux et participent à un TD (par groupe d’une vingtaine d’étudiants). Deux principales orientations théoriques sont proposées : une approche plus historique (portant principalement sur le terrain européen : deux groupes de T.D.) et une approche herméneutique (portant sur des terrains multiples : africain, asiatique, océanien, américain, européen : trois groupes de T.D.). L’évaluation de cette U.E., outre un oral terminal portant sur un des cours magistraux et la participation aux T.D. (où l’on demande aux étudiants de présenter un exposé sur un ouvrage, généralement en faisant le lien avec leur travail de recherche), repose sur la rédaction d’un mémoire de 25 pages dirigé par le responsable du T.D.. Chaque responsable de T.D. propose une thématique sur laquelle il va plus particulièrement travailler et les étudiants choisissent leur groupe en fonction de celle-ci. Ensuite, chacun choisit son sujet de mémoire en lien avec cette thématique et en fonction de ses propres intérêts (pour certains, ce choix se fait en fonction des projets de recherche futurs dans la perspective d’une inscription en maîtrise). Pour la majorité des étudiants, ce petit mémoire est basé sur une première expérience de terrain. Il s’agit de produire une réflexion anthropologique à partir d’une problématique précise, sur la base de données recueillies soi-même à l’occasion d’une enquête ethnographique. Pour nous, ce travail exploratoire est très important dans la mesure où il permet aux étudiants de faire une première expérience et de se confronter dès le début de leur formation aux réalités du « terrain » dans une situation somme toute assez confortable (pas trop déstabilisante dans la mesure où les étudiants choisissent en grande majorité de mener leurs enquêtes à Bordeaux ou dans la région). Nous insistons alors beaucoup sur les méthodes de recherche. A ce sujet, Michèle Cros a publié il y a quelques années un petit livre à partir de quelques expériences de terrain menées par des étudiants de licence dans le cadre de ce T.D. (cf. M. Cros et D. Dory, Terrains de passage. Rites de jeunesse dans une province française, paru en 1996 chez L’Harmattan). 6 Cette première expérience de terrain y est présentée comme un « rite de passage » au sens où l’entendent les anthropologues. Il est en effet possible de voir cette première expérience de terrain comme une première épreuve initiatique : le néophyte doit faire ses preuves et, s’il réussit, il aura franchi une première étape vers la reconnaissance de la discipline. Pour l’étudiant de licence qui se lance dans cette aventure, il faudra se soumettre à une problématique et tenter de la résoudre en se confrontant à un contexte culturel et social, auprès d’informateurs divers et plus ou moins conciliants, afin de mener une réflexion pertinente qu’il devra communiquer ensuite dans le cadre rigoureux d’un mémoire de 25 pages. 3.3 -Articuler la théorie et la pratique Pour mener à bien une enquête de terrain, les étudiants doivent passer par différentes étapes qui nécessitent pour eux d’articuler théorie et pratique, réflexion et observation. Pour simplifier, nous pouvons déterminer trois phases essentielles dans l’élaboration de l’enquête qui fera l’objet de ce mémoire de licence. 3.3.1 - La problématique La première difficulté qui attend les étudiants est la formulation de leur question de départ (quelle problématique, que cherche-t-on à savoir ?). L’étudiant se donne à lui-même un problème à résoudre, et cette étape exigeante est très importante dans la mesure où il s’agit d’une initiation à la recherche. L’étudiant doit en effet pouvoir identifier une problématique pertinente et réaliste : pertinente par rapport à l’avancée de la recherche dans le domaine concerné (il lui est nécessaire pour cela de recourir à la documentation) et réaliste par rapport à la possibilité de traiter la question dans le cadre d’une enquête de terrain courte pour un mémoire de licence. Dès la formulation du sujet choisi et de la problématique qui va diriger la réflexion et la recherche, les étudiants sont donc conduits à articuler théorie et pratique. L’enquête de terrain menée par l’étudiant doit pouvoir s’inscrire dans les préoccupations théoriques actuelles de la discipline. 3.3.2 - L’enquête de terrain L’enquête de terrain implique un contact plus ou moins prolongé avec le groupe qui intéresse l’enquêteur. La méthode d’enquête privilégiée en anthropologie depuis les débuts de l’anthropologie de terrain est « l’observation participante » (cf. Malinowski : « vivre au milieu des indigènes comme si on était l’un d’eux »). Il s’agit de se positionner en observateur immergé dans une situation culturelle, cherchant à faire « comme » les individus qu’on observe (participer aux activités, aux cérémonies, manger comme les gens, parler la langue ou utiliser les mêmes codes...). Selon les milieux cette immersion est plus ou moins facile à réaliser (souvent, dans le cadre d’un terrain de licence, le temps ne permet pas une réelle « observation participante »). Il est cependant possible, selon les sujets de choisir d’autres types d’observation (dissimulée ou désengagée). Cette observation sera complétée par des entretiens (généralement non-directifs ou semi-directifs) menés auprès d’informateurs privilégiés. La démarche recommandée aux étudiants en anthropologie est donc de type inductif ou inducto-déductif : dans la mesure où les faits ont priorité sur les hypothèses, même si l’élaboration théorique précède l’observation elle doit rester soumise à celle-ci. 7 Chaque étudiant doit pouvoir justifier le choix de la méthode qu’il a utilisée ainsi que le choix de ses informateurs. Ici encore, ce qui est fait en pratique doit pouvoir s’appuyer sur une position théorique, les exigences méthodologiques pouvant diverger selon l’orientation théorique de l’enquêteur. Il est important que l’étudiant puisse se situer parmi les différentes positions théoriques possibles, sachant que l’option théorique que l’on prend a toujours une influence sur l’observation que l’on fait. 3.3.1 - L’analyse des données Les données recueillies sont souvent très diverses (observation, entretiens, images : paroles, gestes, techniques, ...). Elles doivent être contextualisées (qui a dit telle parole, dans quelle situation, à qui, etc.). Cependant, il ne s’agit pas seulement de décrire des phénomènes sociaux : on attend de l’étudiant qu’il analyse ses informations en fonction de sa problématique de départ. Il doit essayer de comprendre ce qui se joue derrière ce qu’il a pu observer. Là encore, la pratique de l’anthropologie nécessite une connaissance et une maîtrise des enjeux théoriques que peut soulever un sujet donné. L’étudiant ne pourra faire une bonne analyse que s’il a conscience des débats théoriques auxquels son sujet renvoie. Dans le cadre de la licence, nous proposons donc aux étudiants une initiation conjointement aux théories de références et aux méthodes d’enquête. L’enquête que l’étudiant va mener afin de résoudre sa problématique et d’écrire son mémoire est une première mise en pratique des connaissances acquises et une première confrontation aux réalités du terrain, aux difficultés et aux bonnes surprises que réserve le « métier d’anthropologue ». 3.3.4 - Enquêtes en terrain bordelais Il est rare que les étudiants partent loin de Bordeaux pour ce mémoire de licence. Nous leur proposons donc de faire leur première expérience de terrain sur place, soit sur un sujet propre au contexte bordelais, soit sur un sujet plus « exotique » auprès d’informateurs vivant à Bordeaux. Quelques exemples de sujets « exotiques » : 1 - la pratique du bonsaï (culture nippone), enquête menée (en 1999-2000) auprès des membres d’un cours donné dans la région bordelaise. Il s’agissait dans le cadre de cette enquête de déterminer le sens que cette pratique peut avoir pour les français qui s’y adonnent. Y cherchent-ils autre chose que de l’esthétisme ? 2 - les transmissions culturelles en situation migratoire enquête auprès de membres d’associations culturelles africaines sur la CUB (en 2000-2001). Que cherchent à transmettre les Africains de Bordeaux à leurs enfants ? Que souhaite-t-on épargner de l’oubli : musique, contes, légendes, langue, recettes... ? Que peut-on concilier avec la volonté d’intégration des enfants à la société française ? 3 - les récits de rêve dans la famille maghrébine (en 2000-2001) enquête auprès d’Algériens vivant à Bordeaux depuis quelques années, mais gardant un certain « lien onirique » avec la famille dans la mesure où on se raconte les rêves, en famille, on les interprète et ils ont du sens au sein de la vie familiale (au-delà des frontières). 8 Quelques exemples de sujets portant sur le contexte bordelais : Au sujet des enquêtes concernant le contexte bordelais, reprenons les exemples rassemblés dans le livre de Michèle Cros précédemment cité. Si l’expérience de l’enquête de terrain a pu être présentée elle-même comme un rite de passage (d’où le titre de l’ouvrage : Terrains de passage), le thème directif proposé par la responsable du T.D. durant quelques années (de 1991 à 1994) était « les rites de passage ». Les diverses enquêtes, menées seul ou en équipe par les étudiants du groupe de T.D., portaient donc toutes sur un fait regardé comme tel concernant une partie de la jeunesse de la ville. Le premier chapitre est consacré à la présentation d’une enquête menée sur le rassemblement des motards de Blanquefort (chapitre titré « Le rodéo de Blanquefort »). Deux étudiants, l’un motard l’autre non, se sont mêlés aux rassemblements hebdomadaires de jeunes motards ou motorisés (adolescents rêvant sur leur cyclomoteur trafiqué d’envolées futures) et ont cherché à comprendre ce qui se jouait derrière ces exhibitions de machines rutilantes et d’exploits sportifs. La deuxième enquête porte sur « le “Père Cent” ou les “cent jours du Bac” » tels qu’ils sont vécus par les lycéens bordelais. Ce phénomène est analysé par les étudiantes comme étant plus qu’un simple rite de passage, puisque, pas plus que le Bac lui-même, il semble ne plus réellement jouer ce rôle aujourd’hui. Interpréter ce moment festif comme un rite de passage uniquement aurait été réducteur : les étudiantes qui ont mené cette enquête ont donc cherché à rassembler toutes les interprétations possibles, présentant leur objet d’investigation comme un phénomène complexe. L’enquête suivante est particulièrement intéressante d’un point de vue méthodologique, puisqu’elle porte, comme son titre l’indique, sur « un objet bordelais insaisissable », les soirées rallyes organisées par la bourgeoisie bordelaise. En effet, les étudiants qui ont mené cette enquête ont rencontré diverses difficultés, les rallyes instaurés pour que la jeunesse bourgeoise puisse se retrouver n’étant pas facilement accessibles. Les apprentis ethnologues n’auront pas pu obtenir leur carton d’invitation avant la fin de l’année universitaire et auront dû rédiger leur mémoire sans avoir pu participer à un rallye, mais cet échec leur aura permis de réfléchir aux conditions d’enquête et à la mise en pratique des différentes méthodes d’investigation théoriquement proposées. Les limites de leur travail sont autant de pistes de réflexion intéressantes pour les étudiants qui lisent cet ouvrage avant de s’aventurer sur leur propre terrain. Enfin, le quatrième chapitre est lui aussi consacré à un objet difficile à cerner, puisqu’il s’agit des « brimades à Santé Navale ». Ici aussi, les étudiants se sont retrouvés confrontés à l’impossibilité d’observer directement l’objet de leur recherche. Face à l’interdiction de pénétrer à l’intérieur de l’école, ils ont dû se résoudre à enquêter auprès d’« anciens » ayant subi ces brimades quelques années auparavant et en parlant donc avec un certain recul. Ainsi, c’est moins l’aspect initiatique que le thème de la légitimation qui a pris de l’importance dans le discours des informateurs, le rituel étant présenté comme le garant de la pérennité de l’esprit de l’École. Face à cette légitimation affirmée, la position des enquêteurs s’avérait délicate : fallait-il y voir la présence d’un secret bien gardé ? Comment analyser les faits sans porter de jugement ? Comment ne pas se laisser prendre au piège des préjugés face à un objet si stigmatisé ? 9 Avec cette enquête, nous abordons les questions d’ordre éthique qui peuvent se poser à tout anthropologue quand il est confronté aux réalités du terrain, c’est-à-dire quand il entre en situation d’interaction avec des hommes qui l’observent tout autant qu’il les observe. L’ambition de ce petit livre, proposant non pas les mémoires des étudiants mais plutôt des réflexions menées après-coup sur l’expérience vécue de ce premier travail de terrain, est avant tout méthodologique : en effet, les étudiants y relatent leur enquête en toute simplicité, ce que font rarement les professionnels. Ils mêlent ainsi avec un même souci de clarté leurs avancées et leurs errances, leurs enthousiasmes et leurs déceptions. Les étudiants d’aujourd’hui qui, nouveaux candidats à cette initiation au métier par la pratique du terrain, lisent ces pages peuvent ainsi partager la réflexion de leurs aînés sur l’application des méthodes en anthropologie, sur le déroulement d’une enquête avec ses imprévus pouvant tout remettre en cause, sur la nécessaire articulation de la théorie à la pratique, de la réflexion à l’observation. 3.4 -Conclusion La première expérience de terrain faisant l'objet du mémoire de licence en anthropologie est avant tout un exercice méthodologique où les étudiants relatent leur enquête en toute simplicité. Ils mêlent avec un même souci de clarté leurs avancées et leurs errances, leurs enthousiasmes et leurs déceptions. Ces expériences, rassemblées par Michèle Cros dans un petit ouvrage, Terrains de passage, permettent aux étudiants d’aujourd’hui de partager la réflexion de leurs aînés sur l’application des méthodes en anthropologie, sur le déroulement d’une enquête avec ses imprévus pouvant tout remettre en cause, sur la nécessaire articulation de la théorie à la pratique, de la réflexion à l’observation. 4 - Conclusion L'intérêt de l'enseignement contextualisé est d'utiliser les situations concrètes, plus motivantes que l'approche purement théorique pour la majorité des étudiants, afin de susciter leur curiosité, de les inciter à la réflexion et à la recherche, de les conduire à s'approprier des connaissances théoriques. Un tel enseignement implique que les enseignants réservent les cours magistraux aux sujets nécessitant une dynamique d'exposé, produisent des documents (polycopiés, CD-roms, didacticiels), aident les étudiants à choisir leurs sources de connaissances, leur laissent l'autonomie indispensable aux initiatives. ______ 10