Balises épistémologiques pour l`interprétation en anthropologie

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Université Catholique de Louvain
DEPARTEMENT DES SCIENCES POLITIQUES ET SOCIALES
Jury
Balises épistémologiques pour l’interprétation en anthropologie
par Lionel Galand
Tutrice : Julie Hermesse
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T
ABLE DES MATIÈRES
I
NTRODUCTION
......................................................................................................................3
I.
R
ÉTROSPECTIVE ÉPISTÉMOLOGIQUE
..................................................................................5
A. L’anthropologie « classique » ou le calme …..............................................................5
B. … avant la tempête (épistémologique et politico-éthique)..........................................7
C. Le naufrage de l’anthropologie ? ................................................................................7
1) La critique postmoderne face au « miroir de soi ».....................................................7
2) L’ethnohistoire face à l’ « évanescence » de l’anthropologie..................................10
D. La viabilité de l’anthropologie...................................................................................10
1) Par delà « néo-positivisme» et « herméneutique libre»........................................11
2) L'anthropologie « réflexive» et « prospective »........................................................12
II.
I
NTERPRÉTER EN ANTHROPOLOGIE
:
AMBITIONS ET INCERTITUDES
...............................14
A. L’objectif de l'interprétation.....................................................................................14
B. La démarche...............................................................................................................15
1) Se mettre à la place d’autrui....................................................................................16
2) Complexité et contextualité......................................................................................15
3) Interprétation et empirisme......................................................................................16
4) A la recherche de la « description dense » et à la rencontre de l' « asymétrie
ontologique » ...............................................................................................................16
C. La « vraisemblance » .................................................................................................18
D. Quelques « classiques» de la surinterprétation........................................................20
1) L'insuffisance des matériaux...................................................................................20
2) La généralisation abusive........................................................................................21
3) Un fossé entre l’acteur et le chercheur....................................................................22
4) L’inadéquation significative....................................................................................23
E. De l'incertitude heuristique au sens de la navigation................................................24
C
ONCLUSION
........................................................................................................................25
B
IBLIOGRAPHIE
...................................................................................................................31
3
« Mais puisque je ne peux pas m’arracher à l’objectivité qui m’écrase, ni à la
subjectivité qui m’exile, puisqu’il ne m’est pas possible de m’élever jusqu’à
l’être, ni de tomber dans le néant, il faut que j’écoute. Il faut que je regarde
autour de moi plus que jamais... Le monde... Mon semblable... Mon frère... »
Jean-Luc Godard, « Deux ou trois choses que je sais d’elle »
I
NTRODUCTION
Durant les lectures et les enseignements qui ont jalonné cette année de master,
j’envisageais d’établir un certain englobement dans le développement du jury afin de
constituer une feuille de route méthodologique et épistémologique d’une marche
anthropologique. Mais qui trop embrasse mal étreint ! Dès lors, la problématique de
l’interprétation m’a semblé répondre le mieux à ce désir de toucher une corde
épistémologique sensible tout en pouvant s’inscrire dans le cadre du jury. Si,
aujourd’hui, les sciences sociales sont très majoritairement des sciences de
l’interprétation, il prévaut d’en explorer les implications et de dépasser les lieux
communs. Olivier de Sardan invite d’ailleurs à un « débat épistémologique plus
argumenté », fondamental, incommode pour la discipline… et parfois esquivé sous le
prétexte de la liberté d’opinion ! Les travaux de chercheurs et les enseignements
proposés par les professeurs m’aideront à construire ce projet.
Naviguer dans les eaux de l’épistémologie et parler de l’interprétation en trente
pages n’est pas une moindre affaire. Pourtant, ce risque sera pris, dans l’optique de
l’exercice de la discipline plutôt que de sa mémoire. Ce travail répondra dès lors à
deux ambitions : situer l’interprétation dans le vaste, complexe et incertain espace
épistémologique, méthodologique et, plus succinctement, politico-éthique de la
discipline ; en vue de poser des balises permettant la viabilité de la démarche
interprétative en anthropologie - viabilité qui implique le comment et le pourquoi. Il
sera accompagné par une métaphore maritime, prompte à évoquer une démarche en
quête de véridicité et de souplesse, qui connecte Je et l’Autre, qui essuie des tempêtes
et dont on pronostique parfois le naufrage…
Une rétrospective, qui tiendra lieu de première partie, apparaît nécessaire à
l’exploration de l’espace dans lequel la démarche anthropologique se situe et des
transformations paradigmatiques majeures qui s’y sont opérées. Mais elle se doit
toutefois de relativiser sa portée, face à la densité et à la complexité de l’héritage
disciplinaire. A terme, l’objectif sera de poser des balises pour la viabilité de la
4
démarche par delà son exploration en trois temps : l’anthropologie « classique » ; son
démantèlement par une tempête (épistémologique et politico-éthique) ; et les
perspectives des anthropologues regroupés sous trois bannières en vertu de leur
implication à l’égard de l’issue de la discipline : le postmodernisme, l’ethnohistoire et
l’anthropologie « réflexive » (Ghasarian ; 2004) ou « prospective » (Singleton ; 2001).
Puisqu’il sera envisageable de naviguer par la bonne grâce de nos deux
premières balises - « des réalités qui n’ont pas éproduites par notre présence sur le
terrain » (Godelier ; 2004) et la pertinence du terrain de l’Autre par delà ses
transformations -, nous ébaucherons avec plusieurs auteurs un horizon de prospection
pour l’interprétation en anthropologie. Cette dernière sera envisagée comme une
démarche : posant l’altérité comme une « attitude épistémologique réversible »
(Agier ; 2004) et non pieds et poings liés à un objet d’étude ; aspirant à comprendre
« en puissance » la totalité du genre humain ; par la pratique de l’enquête de terrain ;
et à la faveur d’un basculement de paradigme justement prompt à « consacrer » le
terrain face aux abstractions et aux essentialismes par trop ethnocentriques et
arbitraires : il n’est plus tant le particulier d’une « nature » antérieure au langage que
le lieu d’une rencontre avec le « réel ».
Si la première partie aura déjà montré comment, en problématisant
l’interprétation, certains anthropologues l’érigeront comme une indépassable condition
de la recherche, la deuxième partie se chargera d’en expliciter les ambitions et les
incertitudes. En effet, poser des balises permet à la fois d’envisager la viabilité de la
discipline tout en restant alerte face à la complexité de l’épistémologie d’une science
humaine. L’interprétation vise à comprendre (idéal jamais clôturé) l’agissement
d’acteurs, le genre humain, tout en plongeant inévitablement ses racines dans l’a
priori de la condition humaine et dans le relatif arbitraire d’une mise en écriture du
réel matérialisée par la description ethnographique ; description où, justement, sa «
vraisemblance » semble se jouer puisqu’elle la porte à la faveur d’une adéquation
empirique. Dès lors, entre les extrêmes non désirés des « garanties néo-positivistes » et
d’une « herméneutique libre », nous nerons réflexion et prospection, sur un chemin
du milieu, faisant le « terrain » me de l’interprétation, afin d’augurer en quoi une
interprétation répond ou non à l’ambition de « vraisemblance » portée par la
discipline. Entre chien et loup, nous plongerons (jusqu’à boire la tasse…) dans les
eaux limitrophes houleuses de la description et de l’interprétation, avant d’esquisser
des balises plus précises... ou d’humer l’air du large… Hissez haut!
5
I.
R
ÉTROSPECTIVE ÉPISTÉMOLOGIQUE
A. L’anthropologie « classique » ou le calme …
Cette première partie envisage d’éclairer l’espace épistémologique et
méthodologique de l’anthropologie « classique » et la façon dont la problématique de
l’interprétation, jusqu’alors duite à la portion congrue, viendra transformer la
discipline, aux côtés de bon nombre de flexions critiques que nous envisagerons à
l’aune de leurs issues disciplinaires.
Les professeurs R. Deliège et M. Singleton, s’accordent à dire, lors de leurs
enseignements, que les « classiques » ont souvent voyagé ger sur le plan
épistémologique et méthodologique, mais sans doute moins sur le plan des
préconceptions. Quand Malinowski instaure l’anthropologie comme discipline
scientifique, la démarche de Durkheim est pour lui une source d’inspiration. Comme
le suggère F. Laplantine, l’anthropologie peut s’affirmer comme une discipline
autonome vis-à-vis de l’histoire et du biologisme à partir du moment la spécificité
du social est posée (2001, 87).
Si l’introduction des «Argonautes du Pacifique Occidental » en est le
manifeste, ce sont dans les « Règles de la méthode sociologique
1
» et dans l’oeuvre de
Durkheim qu’elle puisera ses principes épistémologiques - principalement pour le
fonctionnalisme britannique - mais aussi des concepts clés.
2
Le fait social, doué d’une
existence indépendante des sujets conscients, considéré « comme une chose », est
érigé en objet d’étude. Il est appréhensible s lors via la démarche empirique, en
particulier l’observation participante, puisque l’épistémologie « classique » facilite
d’une part la définition d’un objet d’étude et importe d’autre part la légitimi du
rapport au réel construit par les sciences dures. Dans ce cadre, la question de
l’interprète n’a pas lieu d’être problématisée : c’est un observateur neutre ou un
traducteur.
Si, d’emblée, la spécificité de l’observation participante se ressent dans le
travail de Malinowski (il s’efforce de revivre en lui la subjectivité de l’Autre), sa
prépondérance contraste avec la quasi absence de réflexivité à son égard. De
1
Texte que Malinowski faisait lire à ses étudiants !
2
Les notions de sacré/profane, société organique /mécanique, représentation collective…
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