« Mais puisque je ne peux pas m’arracher à l’objectivité qui m’écrase, ni à la
subjectivité qui m’exile, puisqu’il ne m’est pas possible de m’élever jusqu’à
l’être, ni de tomber dans le néant, il faut que j’écoute. Il faut que je regarde
autour de moi plus que jamais... Le monde... Mon semblable... Mon frère... »
Jean-Luc Godard, « Deux ou trois choses que je sais d’elle »
I
NTRODUCTION
Durant les lectures et les enseignements qui ont jalonné cette année de master,
j’envisageais d’établir un certain englobement dans le développement du jury afin de
constituer une feuille de route méthodologique et épistémologique d’une démarche
anthropologique. Mais qui trop embrasse mal étreint ! Dès lors, la problématique de
l’interprétation m’a semblé répondre le mieux à ce désir de toucher une corde
épistémologique sensible tout en pouvant s’inscrire dans le cadre du jury. Si,
aujourd’hui, les sciences sociales sont très majoritairement des sciences de
l’interprétation, il prévaut d’en explorer les implications et de dépasser les lieux
communs. Olivier de Sardan invite d’ailleurs à un « débat épistémologique plus
argumenté », fondamental, incommode pour la discipline… et parfois esquivé sous le
prétexte de la liberté d’opinion ! Les travaux de chercheurs et les enseignements
proposés par les professeurs m’aideront à construire ce projet.
Naviguer dans les eaux de l’épistémologie et parler de l’interprétation en trente
pages n’est pas une moindre affaire. Pourtant, ce risque sera pris, dans l’optique de
l’exercice de la discipline plutôt que de sa mémoire. Ce travail répondra dès lors à
deux ambitions : situer l’interprétation dans le vaste, complexe et incertain espace
épistémologique, méthodologique et, plus succinctement, politico-éthique de la
discipline ; en vue de poser des balises permettant la viabilité de la démarche
interprétative en anthropologie - viabilité qui implique le comment et le pourquoi. Il
sera accompagné par une métaphore maritime, prompte à évoquer une démarche en
quête de véridicité et de souplesse, qui connecte Je et l’Autre, qui essuie des tempêtes
et dont on pronostique parfois le naufrage…
Une rétrospective, qui tiendra lieu de première partie, apparaît nécessaire à
l’exploration de l’espace dans lequel la démarche anthropologique se situe et des
transformations paradigmatiques majeures qui s’y sont opérées. Mais elle se doit
toutefois de relativiser sa portée, face à la densité et à la complexité de l’héritage
disciplinaire. A terme, l’objectif sera de poser des balises pour la viabilité de la