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Libre expression
dans les débats actuels d’une discontinuité Homme-animal. Il est difficile d’imaginer, de concevoir, et
même de travailler scientifiquement sur la conscience, la pensée, les émotions, les intentions des ani-
maux. Cette place de l’homme au sommet (comme l’illustre parfaitement l’arbre de la classification de
Haeckel en 1874) a largement été développée par les philosophes comme Descartes par exemple. Dans
cette notion d’anthropocentrisme, l’homme est «la mesure de toutes choses, les composantes non
humaines de la nature ne pouvant se voir reconnaître de valeur qu’en relation aux intérêts des êtres
humains et aux buts qu’ils s’assignent ». De plus pour Descartes il n’y a pas de pensée sans langage, ce
qui met l’homme en dehors et au dessus de tout autre être vivant. Critique du cartésianisme, Spinoza
replace l’homme au sein de la nature. "Dieu c'est la nature" écrit Spinoza, un dieu impersonnel, ni créa-
teur, ni bienveillant, ni malveillant, sans dessein particulier pour l'homme, sans morale, par opposition à
l'anthropocentrisme religieux classique qui fait de Dieu un créateur, distinct du monde, agissant selon un
objectif.
En 1967 l’historien américain White publie un article montrant que l’anthropocentrisme de la culture
occidentale est responsable de la crise écologique (White, 1967).
Cet article a suscité de nombreuses réactions, commentaires et développement. Pour Passmore, la tradi-
tion occidentale dominante est que l’homme joue le rôle de despote vis-à-vis de la nature. Et s’il ne joue
pas ce rôle de tyran, il se croit alors l’intendant de la nature dont l’objectif est de perfectionner « ce qui
lui a été confié » (Passmore, 1974).
Progressivement avec le développement des connaissances en écologie, en éthologie, et en ethnologie,
la conception selon laquelle la nature peut être vue comme extérieure à l’homme laisse place à une vision
où l’homme est considéré comme faisant partie intégrante de son environnement. C’est donc une recon-
naissance des multiples interactions qui existent entre les êtres humains et les écosystèmes. Ces interac-
tions nous ont « façonnés » à travers des millions d’années de sélection naturelle. Mais nos sociétés
actuelles, nos valeurs et nos modes de vie sont ancrés sur la vision anthropocentrique du monde.
Le développement durable : une politique de l’oxymore
L’expression « développement durable » dont aujourd’hui les médias, les hommes politiques et les
entreprises en font leur fond de commerce est en fait à l’origine « sustainable development » qui renvoie
à des notions écologiques bien différentes. Pour le « sustainable development », un écosystème est ou
non capable de soutenir tel ou tel usage. Il n’appartient pas à l’homme, même si celui-ci peut évidem-
ment le détruire, ce dont il ne se prive pas. « Sustainable development » est une vision riche, exigeante,
des relations entre l’homme et la nature. Mais c’est d’emblée une notion problématique et incertaine, qui
oblige en permanence à s’interroger. Le développement durable, lui, est devenu « la tarte à la crème des
innombrables tartuffes de ce monde, qui entendent faire durer le développement jusqu’à la fin de tout
ce qui bouge sur terre » (Fabrice Nicolino http://fabrice-nicolino.com Avril 2009).
Les démocraties modernes possèdent-elles les ressorts nécessaires pour prévenir et affronter les catas-
trophes écologiques (perte de biodiversité et toutes ses conséquences, réchauffement climatique, limi-
tation des ressources énergétiques) ? Pour le philosophe Bertrand Méheust, ce n’est pas de l’écologie
libérale et du « développement durable » que viendra la réponse. Les discours consistent à graver dans
l’esprit du public l’idée que l’écologie est compatible avec la croissance et même mieux, qu’elle la réclame
afin de masquer l’incompatibilité entre la société globalisée dirigée par le marché et la préservation de la
biosphère. « Un univers mental ne renonce jamais à lui-même si des forces extérieures ne l’y contraig-
nent pas » (Méheust, 2009).
Dans ce contexte de crises, l’enjeu du capitalisme moderne devient, non pas de s’adapter mais de dis-
simuler la réalité notamment par le recours massif à des euphémismes et à des oxymores qui embrouil-
lent les consciences. Forgés artificiellement pour paralyser les oppositions potentielles, les oxymores font