Centre Interdisciplinaire
d’Études de l’Islam dans
le Monde Contemporain
CISMOC IACCHOS
Papers on-line*
Interculturalité en clair.
Question en marge des « Assises de l’Interculturalité »
(texte provisoire)
Felice Dassetto*
Septembre 2009
Table des matières
1. Migrations et relations entre cultures................................................................................2
2. L’islam comme question émergeante ................................................................................4
3. L’islam au-delà de la culture et de l’ethnicité.....................................................................5
Les aspects multiples...................................................................................................5
Culture..................................................................................................................5
Religion.................................................................................................................6
Civilisation ............................................................................................................7
Idéologie...............................................................................................................7
Des modes d’existence en changement.......................................................................7
4. Politiques publiques et gestion de relations.......................................................................8
Relations en pratique ..................................................................................................9
Réflexions et médiations .............................................................................................9
Le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés ...............................................9
Dialogue interculturel (2005) ..............................................................................10
Assises de l’interculturalité..................................................................................11
Un mode belge..........................................................................................................11
Quelques conditions..................................................................................................12
Parler clair...........................................................................................................12
Une méthode adaptée ........................................................................................12
Penser neuf.........................................................................................................13
Un véritable débat.....................................................................................................13
Des questions plus larges ..........................................................................................15
5. .....................................................................................................................16 Perspectives
* Les Cismoc Papers on-line sont des textes relatifs à la réalité de l’islam dans le monde contemporain. Leurs
auteurs y expriment librement leurs points de vue à partir de leurs spécialisations et leurs expertises
scientifiques (http://www.uclouvain.be/406350.html).
* Felice Dassetto, docteur en sociologie, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain, membre de
l’Académie royale de Belgique. Auteur de plusieurs travaux sur l’islam contemporain.
Pour citer ce texte : F. Dassetto, Interculturalité en clair. Question en marge des « Assises de l’Interculturalité,
Cismoc Papers on-line, septembre 2009, 17 p.
Felice Dassetto
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Dans ce texte de réflexion en marge des Assises de l’Interculturalité on trouvera d’abord
(1) une réflexion sur l’histoire des relations entre cultures. Le but est de prendre un peu de
recul et de voir dans quel cadre les concepts qu’on utilise pour penser ces questions ont été
forgés. Dans les points (2) et (3) on rappelle quelques éléments pour la compréhension d’un
fait religieux et pour la compréhension de l’islam. Car, au fond, c’est bien de cela que les Assi-
ses veulent notamment parler. Le point (4) entre plus au cœur de la question liée aux Assises :
celle des politiques publiques mise en œuvre pour réfléchir et gérer les problèmes émergeants
autour de l’islam. Plus spécifiquement on s’interrogera sur quelques défis majeurs auxquels
ces Assises devront se confronter.
1. Migrations et relations entre cultures
Les migrations pacifiques de populations dans un but de commerce ou de travail sont
une des modalités de relations entre sociétés et cultures. Les autres modalités que sont la
conquête et la colonisation, sous-tendues par la violence, traversent toute l’histoire humaine.
Les migrations des années 1960 ont pacifiquement amené en Europe des contacts
inédits entre civilisations dans l’histoire moderne.
Les États-Unis, bâtis à l’origine sur un socle culturel-civilisationnel anglo-saxon protes-
tant d’une part et français d’autre part, avaient connu au XIXe siècle des migrations qui
n’avaient pas été sans provoquer des questions de relations entre cultures.
Ainsi, l’arrivée massive d’immigrants irlandais, au milieu du XIXe siècle. Ces immigrants
étaient catholiques, ce qui était regardé avec inquiétude par les populations déjà implantées,
en majorité de confession protestante. À l’époque, les relations intra-chrétiennes étaient
encore très tendues.
Puis, à partir de 1880-90, ce furent d’autres grandes vagues migratoires vers les Améri-
ques. Celle russe, slave et orthodoxe ; italienne ; chinoise dans la côte West des États-Unis.
Durant cette même période, l’immigration change de nature : il ne s’agit plus du colon qui
s’implante sur des terres au même titre que ceux qui l’ont précédé, mais il s’agit de salariés
qui alimentent l’industrie qui construit les lignes de chemin de fer, les routes, les buildings des
villes en expansion. C’est la période du passage, aux États-Unis, d’une société fondamentale-
ment rurale à une société urbaine et industrielle. Cette immigration amènera la sociologie et
les sciences politiques naissantes à s’interroger sur l’intégration de la société américaine.
Même si on met en scène avec grand succès vers 1905, à Broadway, une comédie musicale
tiré d’une pièce de théâtre d’un écrivain juif – Israël Zangwil au titre The Melting Pot (le
Creuset) qui célèbre la fusion entre cultures qu’engendre l’idéal américain, ce Melting pot ne
marche plus trop bien. L’intégration n’est plus automatique. C’est alors qui se mettront en
place des initiatives d’alphabétisation et des politiques culturelles et sociales. Jane Adams
fonde à Chicago les Hull House, que l’on appellerait, dans le langage d’aujourd’hui, des
« maisons de quartier » où on y faisait de l’alphabétisation, où se réunissaient des groupes de
femme (on est au début du combat féministe), où se donnaient des conférences populaires.
La sociologie invente à l’époque le concept d’« intégration », ce qui veut dire que l’on
perçoit qu’il est nécessaire de penser les processus par lesquels des sociétés tiennent ensemble
puisque ces sociétés d’une part, sont composées de populations d’origines différentes et,
d’autre part, elles n’ont pas un passé commun, une histoire commune. Elles doivent donc se
réinventer les raisons d’un vivre ensemble.
Interculturalité en clair. Question en marge des « Assises de l’Interculturalité »
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Lorsque les États-Unis entreront en guerre en 1917, on voudra s’assurer de la loyauté
de tous ces immigrants, entre autres de nombreux Allemands : l’idée d’intégration se trans-
formera, pendant ces années de guerre, en l’idée d’« américanisation », c’est-à-dire d’une
intégration patriotique à la nation américaine : dans les écoles, on introduit le chant de
l’hymne national et le salut au drapeau, et on demandera aux immigrants, outre le fait
d’apprendre l’anglais, de prêter serment sur le drapeau américain. On les invitera également à
quitter leurs habits traditionnels (comme celui des paysans slaves), pour se fondre plus facile-
ment dans la masse. Le grand sociologue américain, Robert E. Park, notait que les habits en
série et bon marché, que l’industrie américaine naissante avait commencé à fabriquer, on fait
plus pour l’intégration des immigrants que beaucoup d’autres mesures. Autrement dit :
l’intégration est aussi une question d’image.
Mais les États-Unis sont confrontés aussi à une autre question de rencontre entre cultu-
res… et combien dramatique. Celle des peuples autochtones, appelés Indiens. Après avoir été
massacrés lors de la course à la conquête de l’Ouest, des voix s’élèvent et s’inquiètent vers la
fin du XIXe siècle au sujet de leur survie. L’anthropologie américaine naissante contribue à la
prise de conscience de ces peuples. C’est dans le cadre de ces travaux qu’émerge le concept
de « culture » au sens contemporain et des concepts connexes, comme celui d’acculturation,
de contact culturel, de foyer culturel. À côté d’une sociologie et d’une anthropologie évolu-
tionniste qui reléguait les cultures des peuples autochtones au rang de culture primitive, des
anthropologues comme Boas ont contribué à changer le regard à porter sur les cultures non
occidentales.
Une troisième question amène celle de la différence : la question noire. L’émancipation
des esclaves d’origine africaine en 1865 est loin de résoudre la question du statut de ces
populations et des relations appelées « raciales », dans une période où la notion de « race »
apparaissait à tout le monde comme une évidence sociologique, de la même manière que la
notion de « culture » apparaît évidente aujourd’hui. Une sociologie des « relations raciales »
fait son apparition dès les années 1920 (en connexion, entre autres, avec l’éclatement
d’émeutes à Chicago) et ses analyses se prolongeront pendant la Deuxième guerre mondiale
lorsqu’il s’agira de mieux comprendre les relations difficiles qui se nouaient au sein de l’armée
entre des populations de peau blanche, de peau noire ou de peau « rouge ».
En Europe, contrairement à ce qu’on pense, la cohabitation entre populations migran-
tes, est apparue comme un problème culturel et social déjà au début du XXe siècle.
L’immigration italienne, d’origine paysanne et catholique ou bien d’origine anarchiste, fût mal
vécue en France. Des émeutes contre les immigrés ont vu le jour, avec mort d’homme. En
1907, Louis Bertrand, écrivain et membre de l’Académie française, écrit un roman, L’invasion :
les envahisseurs sont les Piémontais à Marseille.
Après la Deuxième Guerre mondiale commencent les grandes immigrations vers
l’Europe occidentale. Dans les années 1950-60, passé le premier choc de relations difficiles
entre Polonais ou Italiens et Belges de souche, il n’y eut pas de grosses questions issues de
relations culturelles difficiles. Le boom économique des années 1960, joint à la conscientisa-
tion politique de ces années-là a contribué à lisser les tensions éventuelles.
L’arrivée d’une immigration d’origine arabe ou turque n’a pas posé de questions majeu-
res durant les années 1960 : un regard même positif, associé à un exotisme vacancier, était
porté sur ces populations. Leurs coutumes spécifiques étaient regardées avec sympathie, plus
ou moins tolérante, mais pas trop négativement. On pensait que, progressivement, ces
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mœurs allaient se dissoudre. Les populations immigrées elles-mêmes faisaient une démarche
d’occultation hésitante, mais réelle, dans l’espace belge et européen.
Des relations problématiques ont émergé dans les années 1970, en parallèle avec la
crise économique des années 1974-78 et l’arrêt des migrations.
Si les mariages dits « arrangés » ou des mariages blancs allaient susciter quelques
questions (qui n’ont pas disparu), c’est la question de l’intégration des jeunes générations
immigrées
surtout des jeunes hommes – qui arrive sur le tapis. Dans l’opinion, elle est associée à celle
de la délinquance. La controverse au sujet de la délinquance des jeunes d’origine étrangère
(surtout d’origine maghrébine et en moindre mesure turque) voit l’affrontement de thèses
diverses. Une thèse que l’on pourrait appeler « structurelle » attribue aux structures économi-
ques et à l’emploi le chômage et de ce qui en découle en termes de délinquance. Une thèse
« institutionnelle » attribue aux carences des institutions scolaires le fait que de nombreux
jeunes sortent de l’école sans qualification ; dans la même veine, on attribue aux institutions
policières et judiciaires une stigmatisation spécifique des jeunes d’origine étrangère qui les
criminalise à outrance. À l’opposé, certains considèrent que l’autorité n’est pas assez répres-
sive. Ou, dans la même interprétation institutionnelle, on considère que l’existence de structu-
res-filet, comme les allocations de chômage et les allocations sociales, ne pousse pas à la
recherche d’un travail et amène à l’oisiveté. Une thèse « familiale » attribue à l’incapacité des
familles immigrées et au manque d’autorité des pères cette lourde situation de la jeunesse.
Une thèse qu’on pourrait qualifier de « relationnelle » attribue le chômage, relativement plus
élevé, de jeunes issus de l’immigration à une logique préférentielle d’embauche en faveur de
populations non basanées. Et, enfin, une thèse « subjectiviste/localiste » attribue au manque
de volonté, à la crise identitaire ou à d’autres raisons subjectives cette difficulté, voire incapa-
cité des jeunes, à s’investir dans une activité professionnelle. Ceci est jumelé avec une analyse
en termes de groupes qui pointe le fait que des jeunes s’enferment dans des groupes de pair,
des bandes qui les amènent vers une marginalité, voire vers la déviance.
La vérité sociologique est peut-être à la convergence de tous ces facteurs qui jouent,
ensemble, une sorte de spirale négative difficile à rattraper.
2. L’islam comme question émergeante
Une autre question qui allait susciter de larges émois est celle liée à la dynamique de
visibilisation de l’islam qui a commencé à la fin des années 1970. Ces émois portaient moins
sur des relations interindividuelles que sur la question de l’insertion de groupes et des identi-
tés musulmanes dans le cadre philosophique et institutionnel des sociétés occidentales, telles
qu’elles se sont construites dans la Modernité européenne.
De nombreuses questions nouvelles émergent, tant pour les musulmans que pour les
non-musulmans1.
Le radicalisme, l’action politique armée et le terrorisme ont défrayé la chronique et
posent d’évidents problèmes de société. Et ceci d’autant plus que l’action terroriste est appa-
rue comme étant à la fois externe et interne aux pays européens.
1 Pour une analyse plus détaillée, voir entre autres : Felice Dassetto, Le devenir de l’islam européen et belge
face aux défis citoyens, Cismoc Papers on-line, août 2009.
Interculturalité en clair. Question en marge des « Assises de l’Interculturalité »
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Mais d’autres aspects ont également émergé.
La représentation institutionnelle de l’islam a occupé largement la scène, car il s’agit du
biais qui permettrait de voir dans quelle mesure cette nouvelle religion parvient à
s’autoréguler en se donnant une structure institutionnelle stable pouvant l’insérer dans les
instances de l’État. Les vicissitudes liées à la mise en place de cette institution montrent le
chemin difficile d’une autorégulation.
La visibilité de l’islam dans la ville, qui s’exprime entre autres par l’édification de lieux
de culte, fait émerger des questions autour de la symbolique des villes. Et des rites, comme le
mois du Ramadan ou l’Aïd el-Kebir, posent aussi des questions quant aux impacts publics de
leur mode de déroulement.
De multiples aspects liés à la gestion institutionnelle publique des populations émer-
gent. Une partie des populations musulmanes, poussée par un enthousiasme religieux et sur
base de systèmes d’une pensée religieuse devenue hégémonique fait émerger des demandes
qui bousculent les cadres scolaires. De nombreuses questions surgissent : la mixité, la fréquen-
tation du cours de biologie, le contenu de l’enseignement de la religion islamique et, bien
entendu, le port des foulards ; elles sont à la base de controverses qui sont loin d’être apai-
sées.
Ces questions font naître des controverses dans lesquelles il apparaît que musulmans et
non musulmans posent différemment les problèmes et, surtout, parviennent difficilement à
poser la question en termes de vie commune. La vieille question de l’intégration est posée en
termes nouveaux. Des non musulmans, partis, groupes ou individus, s’interrogent sur la
compatibilité possible de l’islam avec les démocraties occidentales.
Face à ces inquiétudes, les musulmans sont souvent sans paroles. D’une part, ils ont
l’impression que certaines questions, comme celle du terrorisme, bien qu’étant le fait de
musulmans, ne les concernent pas car ce sont des réalités d’ailleurs, bien que des cas appa-
raissent en Europe. Mais, surtout, il manque aux musulmans des porte-paroles capables de
formuler avec pertinence un argumentaire qui ne se limite pas à des attitudes défensives et
qui soit capable de construire une pensée à la hauteur de l’enjeu qui est celui de la construc-
tion de l’islam dans l’espace européen. Depuis les années 1970-90 les choses changent, mais
très lentement, entre autres parce que les plus anciennes générations ont cadenassé les lieux
et marginalisé les plus jeunes générations.
3. L’islam au-delà de la culture et de l’ethnicité
Les controverses et prises de position innombrables ont permis de voir que, lorsqu’on
parle de l’islam, il n’est pas évident de savoir sous quel angle on en parle. La réalité est
complexe, mais il est possible de mettre quelques balises pour la clarifier.
Les aspects multiples
Culture
Dans le cadre d’une vision actuelle du religieux, teintée de postmodernisme (voir infra),
on considère l’islam comme « culture », c’est-à-dire l’ensemble de ce qu’une population « a
dans la tête et dans son savoir-faire » : modes de vie, expressions diverses, de la cuisine à l’art,
mais aussi les aspects considérés comme importants (les valeurs). En somme, tous les aspects
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