30 Québec Science |Octobre 2014
cobayes et super-hÉros
Le transfert adoptif de lymphocytes T –
peu importe qu’ils présentent d’emblée
une activité anti-tumorale (LITs) ou
qu’ils soient génétiquement modifiés
pour le faire – est sans l’ombre d’un
doute la forme d’immunothérapie qui,
à ce jour, a produit les résultats les plus
spectaculaires. Mais elle demeure
expérimentale, et on ne peut y avoir
recours autrement que dans le cadre
d’un essai clinique. D’autres types de
traitements existent également.
Contrairement au transfert adoptif,
où on manipule les cellules
immunitaires in vitro avant de les
envoyer combattre dans l’organisme,
on les influence ici in vivo, à même le
corps humain. Soit en les stimulant,
comme avec l’IL-2 qui favorise la
croissance des lymphocytes, soit en
bloquant des mécanismes qui
entravent la réaction immunitaire,
comme avec un anticorps approuvé
par Santé Canada en février 2012:
l’ipilimumab. Ce dernier inhibe un
frein que le système immunitaire
utilise pour s’empêcher d’attaquer
les tissus sains de son hôte:
l’antigène 4 du lymphocyte T
cytotoxique (CTLA-4). «En neutra -
lisant ce frein, l’ipilimumab mène à
une régression des tumeurs chez
10% à 15% des patients atteints
d’un mélanome ou d’un carcinome
rénal métastatiques», souligne
Steven Rosenberg, praticien et
chercheur au National Cancer
Institute des États-Unis. On note
même quelques rémissions com -
plètes et durables. Un autre frein
moléculaire semblable mobilise de
considérables efforts de recherche, le
récepteur PD-1 qui suscite les
espoirs les plus fous dans la
communauté scientifique. De
nombreux essais cliniques testeront
à cette époque, d’ailleurs, au début des années
1990, que l’ancien premier ministre du Québec,
Robert Bourassa, était venu au Maryland par-
ticiper aux essais cliniques du docteur Rosenberg,
dans l’espoir de vaincre le cancer de la peau
qui aurait finalement raison de lui. «C’était dé-
primant, se souvient Giao Phan, qui a complété
ses études postdoctorales au NCI en 1999 dans
l’équipe de Rosenberg. Le taux de réponse n’était
que de 10% à 15%. Une infirmière de l’équipe
m’avait alors fortement recommandé de prendre
des antidépresseurs.»
a réputation de l’immunothérapie
s’est améliorée depuis, entre autres
grâce au transfert adoptif de lym-
phocytes, technique que Steven Ro-
senberg a également mise au point.
Le principe est étonnam ment simple:
on prélève chez le patient des lym-
phocytes T, on les fait proliférer, puis
on les lui réinjecte, après avoir pré-
paré le terrain en éliminant tempo-
rairement ses défenses immunitaires
au moyen de la chimiothérapie ou de la radio-
thérapie. Les combattants sont soigneusement
sélectionnés. On ne recrute pas n’importe quels
lymphocytes, mais uniquement ceux qui ont
quitté la circulation sanguine pour s’infiltrer
au cœur de la tumeur : les bien nommés
Tumor
Infiltrating Lymphocytes
, ou lymphocytes in-
filtrant la tumeur (LIT), qu’on transformera
en véritables armes de destruction massive.
Les robots super-héros que dessinait Clément
pour gagner sa vie n’auraient pas fait le poids
devant les machines à tuer microscopiques qu’on
aurait préparées pour lui dans les laboratoires
du NCI. On aurait eu l’embarras du choix pour
prélever ses LITs, dans l’une ou l’autre des nom-
breuses métastases qui le ravageaient de l’inté-
rieur. La tumeur aurait été amenée directement
de la salle d’opération au Cell Processing Lab.
«Ici, explique en poussant la porte Mark Dudley,
qui dirige le laboratoire, on découpe la tumeur
en petits morceaux pour faciliter la culture des
LITs.» Il ouvre un grand incubateur où s’em -
pilent des plateaux remplis de fragments de tumeurs prélevées sur
différents patients: «Dans chacun de ces plateaux, les
good guys
et les
bad guys
se livrent une incessante bataille.» Les
bad guys
,
on l’aura deviné, sont les cellules cancéreuses; les
good guys
, les
lymphocytes T. Ces derniers ont un avantage qu’ils n’avaient pas
chez le patient qui les hébergeait: ils flottent dans une concentration
élevée d’IL-2. Et voilà, bien visible à l’œil nu, un
bad guy
de la
même espèce que celui qui a tué Clément. Il semble bien inoffensif
quand on le regarde de haut, ce minable mélanome réduit en
miettes. Le spectacle, grossi par les lentilles du microscope
binoculaire, est fascinant. «Voyez, me dit Mark Dudley, ces grosses
cellules de mélanome, sombres et laides, et les lymphocytes blancs,
lumineux, qui s’agglutinent autour?» Pour l’instant, les forces du
mal semblent l’emporter. «C’est très inhabituel à cette étape, se
désole-t-il. Il faut attendre encore un peu. Mais si ça ne s’améliore
pas, ce patient ne sera pas candidat à l’intervention; il n’y a aucun
intérêt à lui réinjecter ces cellules.»
Autre plateau, autre portrait. Ici, on voit le mélanome pâlir
presque à vue d’œil. Au fil des jours, le brun foncé a cédé la
place au beige, signe que les LITs devraient remporter la bataille.
Ils sont maintenant 50 millions. «Dans deux jours, on va sélec-
tionner la crème de la crème, ceux qui croissent le plus rapidement;
on va leur donner encore plus d’IL-2, d’autres anticorps stimulants
et même des lymphocytes affaiblis qui leur serviront de nourri-
ture», explique M. Dudley. Deux semaines plus tard, ils seront
50 milliards, prêts à livrer leur ultime combat dans le corps du
patient.
Les résultats obtenus à ce jour pour traiter les mélanomes
métastatiques sont spectaculaires. «Du jamais vu! Un patient
peut être criblé de métastases au cerveau, dans les poumons,
dans l’abdomen ou sous la peau, ces lymphocytes sont capables
de retracer les cellules cancéreuses, peu importe où elles sont,
et de les détruire toutes, jusqu’à la dernière», insiste Simon Tur-
cotte, jeune chirurgien québécois maintenant chercheur au
CHUM, et qui a complété un postdoctorat de chirurgie onco-
logique au NCI sous la supervision de Steven Rosenberg. Dès
les premières années de sa formation, à l’Université de Montréal,
on lui avait pourtant enseigné, comme à tous les étudiants en
médecine, que, à quelques rares exceptions près, on ne guérit
pas un cancer une fois que les métastases sont apparues. Mais
au NCI, entre ses mains, les métastases excisées sont devenues
porteuses d’espoir. À ce jour, seulement pour le mélanome mé-
tastatique, 93 patients ont été traités, avec des taux de réponse
(régression objective des tumeurs selon des critères standardisés)
variant entre 49% et 72%. Pour la plus récente cohorte, le taux
de réponse complète (disparition des métastases) a grimpé à
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IMMUNOTHÉRAPIE : D’AUTRES APPROCHES