Législation, lentilles de contact et applications pratiques

Les Cahiers
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Contactologie
Sur le plan juridique l’adaptation des lentilles
de contact comporte-t-elle des particularités ?
L’adaptation des lentilles de contact est un acte médi-
cal reconnu. Comme pour tout acte médical, la respon-
sabilité de l’ophtalmologiste sera engagée sur le fon-
dement d’une faute éventuelle. Par exemple, s’il cause
un traumatisme en plaçant la lentille sur l’œil du
patient.
L’adaptation de lentilles peut induire des infections
nosocomiales. Par exemple, un produit en mauvais état
représente une source d’infections. Dans les cabinets
d’ophtalmologie, les dispositifs médicaux (produits
d’entretien, lentilles), doivent donc être placés dans
des lieux qui en assurent une parfaite conservation.
La transmission de germes peut aussi avoir lieu au
cours de l’adaptation de la lentille, bien que l’utilisa-
tion de lentilles jetables limite ce risque. S’il s’agit de
lentilles réutilisables, les précautions d’usage en
matière de prévention sont à suivre à la lettre.
(Prévention des infections nosocomiales en ophtalmo-
logie. CLIN de l’Ouest. Juin 2002).
Le problème particulier des agents transmissibles
non conventionnels (ATNC, type prion) mérite d’être
soulevé. L’œil est en effet classé parmi les tissus “à
risques”. Dans l’attente d’une publication officielle, un
arbre décisionnel* a été établi à partir de la circulaire
138 (DGS/SC/DHOS/E2/2001/138) pour déterminer ce
que l’on doit faire des lentilles rigides d’essai réutili-
sables. Il tient compte du niveau de risque de l’acte et
du patient, selon qu’il possède ou non des facteurs de
risques de maladie de Creutzfeld Jacob.
Peut-on dans certains cas assimiler la contactologie
à de la médecine esthétique ?
D’abord, il ne s’agit pas toujours d’une solution de
confort. Ensuite, il ne faut pas confondre avec la
chirurgie réfractive, qui, pour la plupart des tech-
niques est irréversible. Enfin, les textes qui régissent
la chirurgie esthétique lui sont spécifiques : c’est le
cas par exemple du devis dont il est question dans
l’article 55 du code de déontologie.
Que pensez-vous du cas particulier des lentilles
de couleur ?
Il convient de dissocier les lentilles colorées correc-
trices des lentilles colorées non correctrices. En effet,
les lentilles de couleur non correctrices ne sont pas
considérées comme des dispositifs médicaux. Elles
sont malheureusement plutôt assimilées à des acces-
soires de beauté comme les tatouages temporaires ou
les bijoux de peau. Elles étaient d’ailleurs encore
récemment en vente libre dans le catalogue de La
Redoute !
L’ophtalmologiste n’est pas tenu de prendre la respon-
sabilité de prescrire des lentilles non correctrices de
couleur ou fantaisie, ce d’autant que les porteurs sont
connus pour avoir des comportements à risques, avec
notamment des temps de port trop longs !
En revanche, rien ne différencie les lentilles colorées
correctrices des lentilles non colorées si ce n’est qu’il
faut insister sur l’information à donner au patient
quant au temps de port, souvent excessif ! Ne pas vou-
loir révéler la véritable couleur de ses yeux ne justifie
pas la prise de risque !
Quelles sont les règles de prescription ?
Pour ne pas être considérée comme fautive, une pres-
cription, doit, entre autres, se fonder sur les données
acquises de la science. L’ophtalmologiste, qui ne doit
faire courir aucun risque à son patient, doit agir en bon
père de famille et prescrire des dispositifs médicaux
ou des produits d’entretien dont l’efficacité thérapeu-
tique est prouvée. La prescription d’un produit d’en-
tretien dont l’efficacité thérapeutique n’aurait pas été
reconnue (par rapport aux produits validés par les
données acquises de la science) et dont le fabricant
Législation, lentilles de contact
et applications pratiques
Entretien avec Bertrand Hue1et Jérôme Monet2
1.Ophtalmologiste itinérant, DESS de droit médical –
2. Juriste, DESS de droit médical
*Subirana X. Lentilles de contact : vademecum de la législation
française. Contact 2004:81-85
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Les Cahiers
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Contactologie
n’aurait pas communiqué la composition, entraînerait
facilement la qualification juridique de faute devant un
tribunal civil ou administratif.
L’ordonnance engage la responsabilité du médecin
prescripteur. Ce dernier “doit formuler ses prescrip-
tions avec toute la clarté indispensable, veiller à leur
compréhension par le patient et son entourage et
s’efforcer d’en obtenir la bonne exécution” (Art 34 du
Code de déontologie). Cela suppose notamment
d’écrire lisiblement, d’identifier précisément le pres-
cripteur et le patient, d’indiquer le nom et les para-
mètres exacts des lentilles et de la solution d’entretien
choisies par l’ophtalmologiste et d’en mentionner les
précautions d’emploi. Le Code de déontologie stipule
en effet que “l’ordonnance doit être totalement rédigée
et ne pas donner lieu à interprétation”.
L’opticien a obtenu par dérogation le droit de vendre
les produits d’entretien des lentilles, qui revenait
initialement au pharmacien. Il ne peut en aucun cas
délivrer au porteur une autre solution que celle qui a
été prescrite par l’ophtalmologiste. Le droit de substi-
tution, réservé aux pharmaciens, ne s’applique
d’ailleurs qu’aux génériques des médicaments (décret
n° 99-486 du 11 juin 1999). Il est cependant prudent
d’indiquer sur l’ordonnance que la prescription n’est
pas substituable sans prendre l’avis du médecin pres-
cripteur.
Nous n’aborderons pas ici le cas des lentilles théra-
peutiques, prescrites dans des circonstances particu-
lières.
À quelles responsabilités l’ophtalmologiste
adaptateur peut-il avoir à faire face ?
On distingue plusieurs types de responsabilité au plan
civil : sans faute, pour faute du fait de l’acte médical ou
par défaut d’information, avec des conséquences
pécuniaires.
Sans faute : il s’agirait par exemple d’un ophtalmolo-
giste qui prescrirait une lentille ou un produit d’entre-
tien que le patient avait mal toléré par le passé, anté-
cédent dont le médecin n’avait pas été informé.
Pour faute du fait de l’acte médical : prenons le cas
d’un adaptateur qui grifferait l’œil du patient, entraî-
nant ainsi un traumatisme sérieux de la cornée. Même
si c’est plutôt la notion de maladresse qui prévaut, la
notion de faute peut être retenue.
Par défaut d’information enfin, si un abcès amibien
sous lentille se développait alors que le médecin
n’avait pas interdit au porteur de lentilles souples à
renouvellement traditionnel ou mensuel de les mettre
en contact avec l'eau douce.
Il est rassurant de penser que la responsabilité pénale
du contactologue est, quant à elle, plus théorique que
réelle, étant donné la gravité des faits incriminés(1).
Il convient cependant de veiller à ce que ce risque
reste théorique. Il s’agirait par exemple de brûlures
oculaires ayant entraîné des séquelles suite à l’utilisa-
tion inadaptée d’un produit d’entretien pour lentilles
(produit pour lentilles rigides alors que le patient porte
des lentilles souples). Entrerait également dans ce
cadre l’utilisation de lentilles d’essai réutilisables
contaminées.
Que faut-il savoir du forfait ?
Selon l’article 55 du Code de déontologie, “le forfait
pour l’efficacité d’un traitement et la demande d’une
provision sont interdits en toute circonstance”. Selon
le conseil de l’ordre des médecins, cet article confirme
la nature non commerciale de la médecine et ré-
affirme le principe fondamental du paiement du méde-
cin à l’acte (Art. 162-2 du code de la Sécurité sociale).
Cependant, certains actes techniques peuvent parfois
faire l’objet d’une facturation au forfait, comme par
exemple en contactologie où celui-ci, qui est facultatif,
recouvre à la fois l’adaptation, la mise en place et
l’apprentissage de mise en place des lentilles cor-
néennes.
Compte tenu du fait que le médecin ne doit pas deman-
der le règlement de ses honoraires avant que la pro-
cédure thérapeutique ne soit achevée, le forfait ne peut
en aucun cas être réglé avant la fin de l’adaptation.
(1) Le code pénal incrimine plusieurs infractions susceptibles
d’être engagées du fait de l’adaptation. Il s’agit :
des atteintes involontaires à la vie (article 221-6 du Code
pénal),
des violences volontaires. Selon l’article 222-19 du Code
pénal : “le fait de causer à autrui, par maladresse, imprudence,
inattention, négligence ou manquement à une obligation de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une
incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni
de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 d’amende.”
L’article 222-20 puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000
d’amende le fait de causer une incapacité totale de travail d’une
durée inférieure ou égale à trois mois.
Enfin, les risques causés à autrui : selon l’article 223-1 du
Code pénal : “le fait d’exposer directement autrui à un risque
immédiat de mort ou de blessures et de nature à entraîner une
mutilation ou une infirmité permanente par la violation mani-
festement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou
de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 d’amende”.
Sans faute caractérisée, aucune infraction ne peut cependant
être retenue.
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Contactologie
Dans quelles circonstances
le praticien
peut-il être mis en cause ?
S’il commet une faute, si le patient est victime du dispo-
sitif médical que lui a donné le contactologue, en cas
d’erreur du personnel qui est sous la responsabilité du
médecin ou encore d’infection nosocomiale ayant pour
origine l’adaptation ou la lentille elle-même.
Devant une erreur de prescription du produit d’entre-
tien, le professionnel de santé qui vend le produit est
censé vérifier la prescription.
Le défaut d’information peut aussi être une cause de
plainte si une complication survient.
Citons enfin les problèmes liés à la prise en charge par
lAssurance Maladie de certaines catégories de len-
tilles. Concernant les erreurs d’adaptation ou de
réfraction, l’ophtalmologiste n’a qu’une obligation de
moyens. Les différents se règlent souvent à l’amiable
grâce à une bonne communication.
Heureusement les plaintes s’arrêtent le plus souvent
au niveau des assureurs en responsabilité civile pro-
fessionnelle des praticiens. Les assurances communi-
quent d’ailleurs peu sur le sujet.
Quels conseils donneriez-vous aux praticiens
pour leur éviter d’être un jour mis en cause ?
Le médecin doit informer son patient lors d’un entre-
tien oral, qui se déroule habituellement pendant la
consultation. Tous les aspects du port des lentilles
doivent être abordés : la manipulation, la durée de
validité des produits, les conseils d’utilisation, la
marche à suivre en cas de problème et la nécessité de
respecter la prescription à la lettre. Il est vivement
recommandé de remettre au porteur la fiche d’infor-
mation de la Société française d’ophtalmologie rela-
tive à la contactologie.
Il faut à nouveau insister sur la prévention des infec-
tions nosocomiales et sur le soin que doit apporter le
contactologue à sa prescription.
Le médecin a par ailleurs l’obligation de déclarer à la
matériovigilance tout accident grave relatif à l’utilisa-
tion des dispositifs médicaux. La déclaration des inci-
dents plus bénins n’est, elle, que facultative.
Enfin, l’article 30 du Code de déontologie interdit
“toute facilité accordée à quiconque se livre à l’exer-
cice illégal de la médecine”. Or l’adaptation des len-
tilles est reconnue en tant qu’acte médical. Pour un
non-médecin, adapter des lentilles est donc considéré
comme un exercice illégal de la médecine. Il faut donc
inciter les ophtalmologistes qui ne souhaitent pas s’en
charger, à adresser leurs patients à un confrère
contactologue, qui, en retour, doit s’engager à ré-
adresser le patient une fois l’adaptation effectuée.
Déléguer les actes relatifs à l’adaptation revient à
prendre un risque, dont l’ophtalmologiste doit être
conscient.
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