Foudre, laser et filament
Vers le déclenchement de la foudre
Outre le fait qu’il est difficile de reproduire en labora-
toire le mécanisme exact de formation d’un éclair, l’extra-
polation à l’échelle atmosphérique des résultats obtenus en
laboratoire de haute tension est soumise à deux conditions.
En premier lieu, elle nécessite de propager les impulsions
laser à travers un milieu turbulent, voire sous la pluie. Or,
la filamentation est un processus particulièrement robuste.
Les filaments ne portent pas la totalité de l’énergie du fais-
ceau laser : ils sont entourés par un « bain de photons » à
partir duquel ils peuvent se régénérer après avoir été blo-
qués par un obstacle tel qu’une goutte d’eau. C’est ainsi que
la filamentation peut être transmise à travers un nuage
dense. De même, la turbulence atmosphérique ne bloque
pas la filamentation, car les gradients d’indice de réfraction
liés aux inhomogénéités de l’atmosphère sont trop faibles
pour bloquer l’équilibre dynamique entre l’effet Kerr et la
défocalisation par le plasma. En outre, les filaments trans-
mis à travers la turbulence conservent leurs propriétés. En
particulier, nous avons montré qu’ils restent capables de
déclencher et de guider des décharges de haute tension sous
une pluie artificielle.
La seconde condition concerne l’augmentation de la
durée de vie du plasma généré par le laser, qui est actuelle-
ment de l’ordre de la microseconde. Avec une vitesse de
l’ordre de 1 m/µs, la décharge ne se propage donc que sur
quelques mètres le long du filament avant que le plasma ne
se dissipe : cette distance de propagation définit la longueur
utile du filament. Un second laser peut l’augmenter en
entretenant le plasma. Ainsi, nous avons significativement
amélioré le taux de décharges au voisinage du seuil, en fai-
sant suivre l’impulsion femtoseconde par celle d’un laser
YAG nanoseconde d’énergie relativement modérée
(400 mJ). Ces résultats encourageants semblent dus à un
couplage entre l’allongement de la durée de vie des
électrons et l’augmentation de l’effet Joule au sein du fila-
ment soumis au champ électrique. Un important travail de
modélisation est en cours pour mieux comprendre les
mécanismes impliqués et optimiser le processus.
Forts de ces constats, nous avons réalisé une campagne
de terrain au cours de l’été 2004, au Laboratoire Langmuir
du New Mexico Tech, situé à 3200 m d’altitude dans les
Montagnes Rocheuses (États-Unis). Cette station perma-
nente d’étude de la foudre est équipée d’un réseau d’anten-
nes pour localiser l’activité électrique des nuages. Ce réseau
a détecté des micro-décharges synchronisées avec les tirs du
laser Téramobile. Ainsi, les filaments conducteurs générés
par le laser et pointés vers les nuages d’orage, se sont com-
portés comme des pointes métalliques dirigées vers une
électrode chargée : ils ont initié des décharges couronnes à
leur extrémité. Ce résultat donne matière à optimiser pour
de futures campagnes de terrain et constitue donc un pas
vers le contrôle de la foudre par laser. Une telle technique
permettrait non seulement de déclencher la foudre sur
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Figure 6 – Déclenchement de décharges de forte puissance. En haut :
le laser Téramobile en position. La ligne rouge symbolise le faisceau
laser. En bas : état des électrodes de cuivre après la décharge. Les tra-
ces de fusion du métal attestent des puissances électriques transportées
dans les décharges. Photos © Téramobile et SNCF.
demande pour l’étudier, mais aussi de protéger une instal-
lation telle qu’un aéroport ou une centrale électrique, en
attirant la foudre au loin avec le laser, lui-même protégé par
une cage de Faraday ou un miroir métallique relié à la terre.
La commutation électrique assistée
par laser
On peut également chercher à exploiter le plasma créé
par la filamentation pour le captage de forts courants en
vue de l’alimentation des trains à grande vitesse. À l’heure
actuelle, ce captage se fait à l’aide d’un pantographe en
appui sur une caténaire. Mais la résistance de frottement
augmente avec la vitesse, entraînant un freinage et une
usure importants. De plus, au cours de son déplacement, le
pantographe génère dans la caténaire une onde de vibra-
tion. Si le train rattrape cette onde, le contact caténaire-
pantographe peut devenir intermittent et la caténaire risque
de se rompre. On doit donc tendre davantage les câbles
pour les trains à grande vitesse, ce qui, en contrepartie,
diminue notablement leur durée de vie.
Le déclenchement d’arcs électriques de forte intensité
par les filaments laser pourrait résoudre ces problèmes,
comme nous l’avons récemment montré en collaboration
avec le Centre d’essais de la SNCF à Vitry-sur-Seine. En
court-circuitant deux électrodes de cuivre distantes de 3 à
60 mm (figure 6), nous avons déclenché des décharges de
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