I. Les caractéristiques de la mondialisation. On peut définir la mondialisation contemporaine comme « l’abolition de l’espace mondial sous l’emprise d’une généralisation du capitalisme, avec le démantèlement des frontières physiques et réglementaires »1. La mondialisation recouvre trois dimensions interdépendantes2 : ● l’internationalisation, c’est-à-dire le développement du commerce mondial depuis 1945, du fait de la généralisation progressive du libre-échange. C’est la dimension qui a dominé jusque dans les années 1960. Le volume du commerce international s’est considérablement accru (il est aujourd’hui 1 000 fois plus important qu’au début du XIXe siècle) ; ● la transnationalisation : il s’agit de l’essor des investissements et des implantations à l’étranger (investissements directs à l’étranger – IDE). C’est cette dimension qui a été la plus dynamique des années 1960 au milieu des années 1980 ; ● la globalisation : elle recouvre deux phénomènes depuis le milieu des années 1980 : – la mise en place de réseaux mondiaux de production et de communication, – la globalisation financière, c’est-à-dire la mise en place d’un marché mondial des capitaux favorisée par la suppression des contrôles de mouvements de capitaux, les innovations financières et le développement des nouvelles technologies3. La mondialisation conduit à une interdépendance croissante entre les économies. 1 Jacques Adda, La mondialisation de l’économie. De la genèse à la crise, La Découverte, coll. e « Grands Repères », 8 éd., 2012. 2 Nous nous limitons aux aspects économiques. 3 Voir partie I, chapitre 3, fiche 3 (« Le financement de l’économie »). II. Une perte d’efficacité des politiques nationales autonomes II.1 La politique budgétaire. → Une diminution des multiplicateurs budgétaires. L’intérêt des politiques keynésiennes de relance de la demande repose sur l’effet multiplicateur. Hausse des dépenses publiques Remboursement de la dette Hausse des revenus des ménages Hausse de la consommation Hausse de l’investissement Hausse des recettes fiscales Hausse de la production Hausse de l’emploi L’ampleur de l’effet multiplicateur dépend de l’intensité de la hausse de la consommation. Cependant ce n’est pas suffisant. La hausse de la consommation doit être captée par les entreprises nationales. Or avec l’ouverture croissante des économies et en particulier l’émergence des économies émergentes à la production de plus en plus diversifiée, la hausse de la consommation se traduit par une forte hausse des importations. Les effets sur les revenus, l’emploi et les recettes fiscales ne sont pas au rendez vous. En revanche, l’état est endetté. Par ailleurs, la hausse du revenu produit « toutes choses égales par ailleurs » une hausse des taux d’intérêt et comme la mobilité des capitaux est forte, cela provoque une entrée de capitaux qui débouche sur une appréciation du taux de change (le prix de la monnaie augmente car elle est plus demandée) ce qui déprime les exportations. Il est certes possible de neutraliser ce dernier effet grâce à une intervention de la banque centrale mais cela peut entrer en contradiction avec les objectifs assignés à la politique monétaire. → L’endettement de l’État sous la surveillance des marchés financiers. Les États financent leurs déficits par des emprunts sur les marchés financiers. Plus l’endettement de l’État augmente plus les marchés financiers exigent des taux d’intérêt élevés. D’une part les risques de non remboursement sont plus importants, et les taux augmentent sous l’effet de la hausse de la prime de risque. Mais surtout les marchés anticipent une hausse future des taux pour les titres de la dette de cet état et donc une perte en capital sur les titres qu’ils détiendront. Ils exigent donc une hausse immédiate pour se couvrir contre les hausses futures. L’anticipation de la hausse des taux est auto-réalisatrice car elle provoque la hausse des taux. L’anticipation des ces effets par l’État conduit en générale à des attitudes frileuses en matière d’endettement afin de ne pas sombrer dans un effet « boule de neige » de l’endettement. → La concurrence fiscale réduit les marges de manœuvre. La mondialisation ne pèse pas uniquement sur les dépenses budgétaires mais également sur la politique fiscale. En abaissant leurs taux de prélèvements obligatoires, certains états espèrent doper la compétitivité prix de leurs entreprises et attirer des IDE favorables à l’emploi. Un état qui déciderait aujourd’hui d’alourdir sa fiscalité afin de réduire son endettement et retrouver des marges de manœuvre en termes de politique budgétaire s’expose au risque de fuite de capitaux et de vastes mouvements de délocalisation. Les économies émergentes sont souvent accusées de mener des politiques fiscales non coopératives, mais il faut noter que c’est également le cas de pays européens comme la Grande-Bretagne et l’Irlande. II.2 La politique monétaire. → La stabilité des prix objectif principal Les méfaits de l’inflation sur la compétitivité prix et sur les conditions monétaires des emprunts contraignent les économies à ne pas faire beaucoup plus mal que les autres en matière d’inflation. Un consensus théorique s’est dégagé dans les années 70 pour considérer que l’inflation est un phénomène monétaire et que la Banque centrale joue un rôle essentiel. Concrètement cela conduit à des politiques monétaires rigoureuses qui débouchent dans les années 80 et jusqu’aux débuts de la décennie 2000 à des taux d’intérêts réels élevés. → Le triangle d’incompatibilité. Mundell a montré qu’une économie ne peut à la fois participer à un mécanisme de change fixe, avec une forte mobilité des capitaux et avoir une politique monétaire autonome. Compte tenu de la forte mobilité des capitaux, il faut choisir entre la fixité du taux de change et la liberté de la politique monétaire. Pour les pays européens, cela s’est traduit par un choix fort en faveur de la fixité des changes (d’abord le SME puis la monnaie unique avec une politique d’euro fort). Les politiques monétaires subissent donc une contrainte supplémentaire. → Des politiques surdéterminées par la politique de la FED. Lorsque la FED augmente ses taux, les capitaux affluent aux États-Unis, contraignant les autres économies à augmenter leurs taux pour retenir les capitaux comme on l’a vu en 2013. Il est certes tentant de ne pas le faire pour bénéficier d’une baisse du taux de change et doper les exportations. Cependant, la hausse du dollar renchérit les coûts d’acquisition des hydrocarbures et des matières premières de sorte que les marges de manœuvre sont limitées dans cette optique. II.3 Les politiques sociales sous influence libérale et la concurrence des pays émergents → L’analyse libérale Depuis les années 80, les politiques sociales sont accusées de bloquer la croissance économique à cause des surcoûts imposés aux entreprises et du fait des effets désincitatifs en termes de travail et d’épargne qu’elles engendrent. Les pays anglo- saxons ont été les premiers à réduire les interventions de l’état providence et en durcir les conditions d’accès. → S’aligner sur le moins disant social L’émergence sur la scène internationale de nouveaux pays aux conditions sociales plus favorables aux entreprises et aux coûts du travail beaucoup plus faibles contraint les pays industrialisés à réduire leurs ambitions en termes sociaux. Les salaires progressent moins vite, les protections sur l’emploi sont réduites. Par ailleurs l’augmentation du chômage dans la plupart des pays mobilise des sommes de plus en plus importantes pour soutenir les populations en situation d’extrême précarité. Les sommes mobilisées au titre de la politique de l’emploi ne sont pas disponibles pour d’autres politiques qui se trouvent à leur tour contraintes : politique de santé, retraites, politiques régionales… Les États sont contraints de hiérarchiser leurs interventions, faisant des gagnants et des perdants. Il s’en suit une diminution de la cohésion sociale et une crise de légitimité de l’État qui complique encore plus ses marges de manœuvre du fait de la fuite devant l’impôt, des délocalisations et des revendications croissantes des différents groupes sociaux et lobbies. III. La politique industrielle et la coordination des politiques pour redonner des marges de manœuvre. III.1 Le renouveau de la politique industrielle. La politique industrielle a été mise sous l’éteignoir à partir des années 80 sous l’impulsion des analyses libérales au profit des politiques de la concurrence. Depuis les années 90, on assiste à un retour en grâce de la politique industrielle mais sur des bases différentes. Durant les « trente glorieuses », la politique industrielle française était axée sur des politiques sectorielles verticales. L’État, dans le cadre de la planification indicative, fixait les axes stratégiques du développement industriel. Il finançait la recherche des laboratoires publics, les infrastructures et les grandes entreprises publiques. Les commandes publiques offraient alors à ces entreprises un débouché essentiel. Aujourd’hui ces pratiques sont plus difficiles car elles entrent en contradiction avec les principes de l’OMC ou de la commission européenne. Certaines analyses offrent cependant de nouveaux arguments en faveur des politiques industrielles : – l’industrie joue un rôle majeur dans la croissance économique. Les théories de la croissance endogène mettent en évidence l’influence positive sur la croissance de la recherche-développement (Romer), de l’accumulation du capital humain (Lucas) et des infrastructures publiques (Barro). Or l’effet bénéfique de ces facteurs tient aux externalités positives qu’ils exercent. Il y a donc là des opportunités pour des interventions de l’État (subventions, investissements, politique fiscale incitative) ; – certains secteurs industriels sont particulièrement importants afin de garantir l’indépendance nationale (armement, énergie…). L’État producteur fait place à un État incitateur afin d’échapper aux sanctions de l’OMC et de la Commission européenne, qui chassent les pratiques anticoncurrentielles. Depuis le milieu des années 2000, la politique des pôles de compétitivité renforce cette orientation : l’État finance des projets locaux innovants qui reposent sur la coopération entre les centres de recherche, les grandes entreprises et des PME. L’objectif est de faciliter l’émergence d’innovations suscpetibles de doper la productivité globale des facteurs mais surtout de créer des activités à haut contenu technologique pour lesquelles la compétitivité hors prix est essentielle. Cela permet de pratiquer des prix élevés et donc de dégager de l’activité productive une valeur ajoutée importante. Partant de là, il est possible de distribuer des revenus élevés, de bénéficier de recettes fiscales plus importantes tout en conservant la compétitivé et la rentabilité des investissements. En clair, l’innovation est non seulement capable de dynamiser la croissance économique mais également de redonner aux États des marges de manœuvre et les moyens de leur action. III.2 La coordination des politiques. Compte tenu des interdépendances croissantes entre les économies, la réponse optimale passe par une coopération internationale c'est-à-dire : - l’élaboration de règles favorisant la croissance et le développement de chaque économie en évitant les déséquilibres excessifs. On pense bien entendu à la nécessité de rechercher une plus grande stabilité financière comme l’ont mis en évidence les conséquences de la crise des subprimes. - la coordination des politiques économiques afin de tenir compte des effets de débordement des politiques économiques à savoir le fait qu’une politique décidée dans un cadre national exerce des effets importants sur les autres. Plus l’économie est de taille importante et plus ces effets sont importants. On pense bien entendu aux États-Unis et la Chine mais au niveau européen l’Allemagne et la France ont également ce statut pour l’économie du vieux continent. Cette coopération internationale permettrait de restaurer les capacités d’actions des États, capacité d’action qu’ils ont abandonnée au profit des multinationales et des marchés financiers. Cela implique évidemment qu’il y ait une véritable prise de conscience à savoir qu’il n’est pas possible de vivre durablement prospère dans un monde en crise. La crise climatique, la crise des réfugiés et d’une manière générale les crises migratoires qui frappent toutes les régions du monde sont peut être les écueils qui favoriseront cette prise de conscience.