Analyses Économiques
DP N° 8 Sept. 2003
Quelles politiques migratoires ?1
Comme pour le commerce international, développer la libre circulation de la main d’œuvre accroîtrait
théoriquement l'efficacité économique : la main d'œuvre irait du Sud, où la productivité est faible et le capital
rare, au Nord, où la productivité est plus élevée et le capital abondant. Même dans ce cadre abstrait, il y aurait
cependant des problèmes redistributifs, certains des actifs seraient perdants, notamment les travailleurs non
qualifiés des pays développés.
En tout état de cause, les marchés des pays développés sont le siège de déséquilibres, comme le montre la
persistance du chômage, et dans ce contexte les études disponibles montrent que les bénéfices nets des
migrations sont plus compliqués à évaluer.
Sous l'hypothèse que les migrations sont choisies librement, les immigrés par définition tirent un bénéfice des
migrations ; pour le pays d'accueil, les effets économiques de l'immigration sont également globalement
bénéfiques. En termes de PIB, le bilan est d'autant plus positif que la part des travailleurs qualifiés parmi les
immigrés est importante. Cependant, si la part des travailleurs non-qualifiés est plus forte parmi les immigrés
que parmi les nationaux, les inégalités de revenu augmenteront. Le coût budgétaire net des migrations via leur
impact sur les transferts sociaux et les impôts est difficile à estimer. Engle générale une hausse de la part des
migrants qualifiés améliore le solde des finances publiques. Enfin, l'immigration n'est pas une solution au
problème du vieillissement, les flux requis étant irréalistes, et les immigrés s’ouvrent eux-mêmes des droits dans
les mêmes conditions que les résidants actuels.
Les conséquences des migrations sur le pays d'origine dépendent du taux de retour des émigrés (qui détermine
s'il y a perte ou gain, en cas de retour avec plus de capital humain) et des transferts des travailleurs émigrés, dont
les montants dépassent l'aide au développement des pays de l'OCDE.
En pratique, une liberté de circulation sans entraves ne serait pas nécessairement source d'efficacité
économique. La première cause d'émigration est certes le différentiel de revenu entre le pays d'origine et le pays
de destination mais des facteurs non-économiques (par exemple la proximité géographique ou linguistique) ont
également une influence significative. De ce fait, la libre circulation des personnes peut aboutir à une répartition
économiquement inefficace des migrants.
La libre circulation est aussi susceptible de créer des zones «désespérées», où certains travailleurs seraient trop
peu qualifiés pour attirer le capital ou émigrer et où d’autres préfereraient émigrer plutôt que de se former sur
place. Enfin, les travailleurs non-qualifiés des pays d'accueil étant perdants en termes de salaires et d'emploi, cela
générerait des tensions sociales, conduisant à des politiques migratoires trop restrictives.
Des politiques coordonnées de régulation des flux migratoires semblent donc indispensables pour les pays
développés, pour limiter les entrées de non-qualifiés et, éventuellement, favoriser celles de qualifiés.
La politique migratoire pourrait également être articulée avec l'aide au développement. D'une part, en
augmentant la richesse des pays pauvres, celle-ci pourrait réduire la pression migratoire. D'autre part, elle
pourrait être considérée comme une contrepartie à l'accueil de travailleurs qualifiés, qui crée un surplus pour le
pays d'accueil, ou comme un substitut à l'accueil de non-qualifiés, qui génère un gain pour le pays d'origine et un
coût pour le pays d'accueil.
1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction de la Prévision et de l’Analyse Economique et ne reflète pas nécessairement la
position du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.
2
Si l'ouverture aux flux de marchandises et de
capitaux est un facteur d'efficacité...
L'ouverture au commerce international augmente la
diversité de l'offre et accroît le bien-être des consom-
mateurs. Elle permet aussi aux pays de se spécialiser
dans les domaines où ils ont des avantages. Cette spé-
cialisation accrue permet une meilleure allocation des
ressources et confère à l'économie une plus grande
efficacité. Des externalités positives sont aussi à
l'œuvre comme les économies d'échelle liés à l'accrois-
sement des débouchés ou encore la plus grande diffu-
sion du progrès technologique.
Dans sa version la plus simple, la théorie du com-
merce international prédit également un résultat très
fort : même si les facteurs ne sont pas mobiles, la libre
circulation des marchandises garantit l'égalisation des
prix relatifs des facteurs. Autrement dit, les salaires
(pour un même niveau de qualification) et le rende-
ment du capital devraient être partout égaux, ou du
moins converger.
En pratique, la persistance de fortes disparités des
revenus dans le monde contredit cette prédiction. Cela
implique de forts gains individuels à la migration, mais
sans doute aussi des gains significatifs à l'ouverture
des marchés de facteurs. La libre circulation des capi-
taux permet de réaliser, au moins en partie, ces gains.
...elle ne se substitue pas à la mobilité du tra-
vail.
Si tous les gains potentiels à l'ouverture étaient épuisés
grâce à la libre circulation des marchandises et des
capitaux, il y aurait égalisation du prix des facteurs et
il n'y aurait donc plus d'incitation à migrer. Ce n'est
cependant pas le cas comme le montre la persistance
de la pression migratoire que l'on observe en particu-
lier aux Etats-Unis :
Les flux d'immigration aux Etats-Unis ont con-
tinûment et fortement augmenté depuis les années
1940, y compris hors périodes de modification de
la législation. Cela laisse à penser que les pressions
migratoires ont elles-mêmes augmenté.
Le taux d'immigration aux Etats-Unis est certes
bien plus faible dans la décennie 1980 qu'au début
du XXème, mais il ne retrace que l'immigration
légale. L'immigration n'étant pas régulée jusqu'au
début du XXème, les taux observés sont les taux
réels. Ensuite il faudrait corriger ces taux de
l'immigration illégale, estimée entre 200 000 et
300 000 personnes par an.
Ceci conduit à penser que la pression migratoire a
atteint à l'heure actuelle des niveaux records. La per-
sistance de ces tensions migratoires, conjuguée à celle
d'importantes différences de rémunération, est le
symptôme d'une allocation sous-optimale du facteur
travail. Il y aurait donc potentiellement des gains glo-
baux à le laisser circuler plus librement.
Flux d'immigrants légaux aux Etats-Unis
Si les marchés étaient efficients, les migra-
tions seraient source d'efficacité, mais pose-
raient des problèmes de redistribution…
Au sein d'économies sans rigidités ni déséquilibres, les
flux migratoires seraient un facteur d'efficacité. En
effet, la main d'œuvre serait amenée à se déplacer des
pays du Sud vers les pays du Nord où le capital est plus
abondant et le travail plus productif en raison de dif-
férences technologiques. Il en résulterait un meilleur
usage du capital et une productivité globale du travail
plus élevée. Cependant, même dans ces conditions, la
création plus importante de richesses s'accompagne-
rait d'une nouvelle distribution de ces richesses. Tout
comme dans le cas du commerce international en con-
currence parfaite, il y aurait des gagnants et des per-
dants à l'ouverture aux flux migratoires.
…cependant la réalité est plus contrastée
Mais les marchés des pays développés sont le siège de
déséquilibres, comme l'indique la persistance du chô-
mage. Dans ces conditions, il est difficile de prédire
l'effet des migrations. Certains de ces déséquilibres
pourraient être atténués, voire supprimés, par les flux
migratoires. C'est le cas notamment des problèmes
d'inadéquation entre les emplois vacants et la main
d'œuvre disponible. Mais d'autres déséquilibres pour-
raient être accentués.
Du point de vue des pays d'émigration, ces flux migra-
toires peuvent aussi être source de problèmes. Ainsi,
si ce sont surtout les plus qualifiés qui émigrent cela
dissipe les efforts de formation du pays, et dissuade
d'en engager de nouveaux. La rentabilité du capital,
déjà faible dans beaucoup de pays d'émigration, peut
encore baisser du fait de l'ouverture, si seuls les moins
qualifiés restent sur place. Au total, les flux migratoi-
res pourraient polariser encore plus la distribution de
richesses.
Décennie
Immigrants
(millions)
Contribution de
l'immigration à
l'accroissement
de la population
Part de la
population née
à l’étranger (fin
de décennie)
1881-1890 5,3 41% 15%
1891-1900 3,7 28% 14%
1901-1910 8,8 54% 15%
1911-1920 5,7 41% 13%
1921-1930 4,1 25% 12%
1931-1940 0,5 6% 9%
1941-1950 1,0 5% 7%
1951-1960 2,5 9% 5%
1961-1970 3,3 14% 5%
1971-1980 4,5 21% 6%
1981-1990 7,3 33% 8%
3
Les migrants sont gagnants.
Les migrations étant décidées librement par les inté-
ressés supposés rationnels, ils ne migreront que s'ils y
gagnent, ou s'ils ont au moins l'espérance d'y gagner.
En tout état de cause, il est raisonnable d'admettre que
la population des immigrés prise dans son ensemble
tire un bénéfice des migrations.
Pour le pays d'accueil, l'immigration génère des gains
économiques globaux mais aussi des problèmes de
redistribution.
L'arrivée de travailleurs immigrés sur le marché du tra-
vail permet d'accroître la richesse produite par le pays
d'accueil. La hausse de l'offre de travail provoque une
baisse du salaire d'où découle une hausse de la produc-
tion. De plus, dans un monde très simple où tous les
travailleurs auraient des caractéristiques identiques, le
salaire versé à chacun serait égal à la productivité mar-
ginale du travail, soit la productivité du dernier immi-
grant entré. Le salaire versé aux travailleurs immigrés
est donc inférieur au surplus de richesse qu'ils engen-
drent.
La situation des nationaux (i.e. les résidents du pays
autres que les immigrés) serait donc globalement amé-
liorée, à travers une hausse des profits des entreprises
qui fait plus que compenser la baisse de tous les salai-
res. Les redistributions de richesse qui en résultent
sont d'un ordre bien supérieur au surplus dégagé.
En termes de PIB, l'impact de l'immigration est claire-
ment positif et significatif. Il faut en effet ajouter les
salaires des immigrés (puisqu'ils sont résidents du pays
d'accueil) aux gains précédents retirés par les natio-
naux pour trouver le solde des effets sur le PIB, qui est
donc nettement positif (même si l'effet sur le PIB par
habitant est ambigu et dépend du niveau de qualifica-
tion des travailleurs immigrés).
En aval de la mesure du PIB, les transferts des immi-
grés vers leur pays constituent un plancher de l'effet
positif de l'immigration sur le PIB du pays d'accueil.
Pour la France, en 1998 ils s'élevaient à 2,8 Md€, soit
0,2 point de PIB, et 26,9 Md$, soit 0,3 point de PIB,
pour les Etats-Unis. Ces chiffres représentent un
transfert de 778€ par personne résidant en France et
née à l'étranger et 1022$ par personne née à l'étranger
pour les Etats-Unis.
Les conséquences seront d'autant meilleures
pour le pays d'accueil que les immigrés sont
plus qualifiés.
Si le marché du travail est segmenté entre travailleurs
qualifiés et non-qualifiés et que les immigrés sont sur-
tout non-qualifiés, c'est sur cette seconde catégorie de
travailleurs que les conséquences négatives de l'immi-
gration vont le plus se faire sentir. En outre, ces
enchaînements peuvent impliquer du chômage sup-
plémentaire si le marché n'est pas parfaitement effi-
cace, en particulier si les salaires ne sont pas flexibles
à la baisse.
Pour tester empiriquement ces prédictions, on peut
comparer les taux de chômage et les salaires des non-
qualifiés entre différents bassins d'emploi en fonction
de l'importance de la main d'œuvre immigrée. On peut
aussi utiliser des expériences naturelles.
Ces études mettent en évidence que (1) l'immigration
n'a que peu ou pas d'effet sur l'emploi, et que (2)
l'immigration n'a que très peu d'effets sur les salaires.
Mais elles semblent négliger les migrations internes
des nationaux qui ont tendance à aller chercher de
meilleures conditions d'emploi ailleurs. D'autres tra-
vaux sur données américaines estiment que la baisse
de 10% entre 1980 et 1988 des salaires relatifs des per-
sonnes n'ayant pas terminé le lycée résulte pour envi-
ron un tiers de l'immigration de non qualifiés.
Par ailleurs, le surplus global dû à l'immigration sera
d'autant plus important que la main d'œuvre immigrée
sera qualifiée. A cet égard, les pays qui, comme le
Canada, ont mis en place un système de sélection des
immigrés en fonction de leur niveau de qualification
ont effectivement réussi à accroître la part des quali-
fiés parmi les immigrés.
Les coûts budgétaires de l'immigration sont
difficiles à estimer.
Outre ses effets économiques globaux, l'immigration
modifie le régime des transferts fiscaux et sociaux à
l'intérieur du pays d'accueil. Ces «coûts budgétaires»
sont divers et de signe souvent ambigu. Cependant,
dans une approche en termes de PIB, ils n'existent pas
puisqu'il s'agit de redistributions internes à l'économie
du pays.
Un premier effet budgétaire de l'immigration est le
solde net qu'elle implique pour le système social. Les
travailleurs immigrés versent des cotisations et bénéfi-
cient des prestations sociales. Plus généralement, il
faut mettre en balance le supplément de prélèvement
perçus et les différentes dépenses publiques induites
par cette population supplémentaire.
En outre, d'autres gains liés à l'immigration devraient
être pris en compte, comme l'apport de capital humain
dont le pays d'accueil n'a pas eu à financer la forma-
tion.
En pratique, il est extrêmement difficile d'estimer le
coût net incrémental total d'une personne, et les esti-
mations obtenues sont très sensibles aux hypothèses.
De ces estimations divergentes, il ressort un fait
robuste : le solde est d'autant meilleur que la propor-
tion de qualifiés parmi la population immigrée est
importante. En effet, cette catégorie de travailleurs a
moins de chances de bénéficier de l'aide sociale (reve-
4
nus plus élevés et risque moindre de se retrouver sans
emploi) et contribue plus, du fait de rémunérations
plus élevées.
Les écarts entre immigrés et nationaux per-
sistent dans le temps, sur plusieurs généra-
tions.
Si la situation des immigrés tend à converger avec celle
des nationaux au cours du temps, les coûts économi-
ques et sociaux de l'immigration tendent à disparaître,
seuls restent les effets d'apport de population. Dans ce
cas, le bilan coûts-avantages s'améliorerait avec le
temps.
Si des études montrent qu'il y a effectivement conver-
gence, ces résultats restent fragiles : le niveau de qua-
lification des immigrés ayant eu tendance à décroître
avec le temps, la situation des immigrés va mécanique-
ment s'améliorer avec le temps de présence sur le ter-
ritoire. Les études qui corrigent de cet effet trouvent
un taux de persistance des inégalités d'une génération
à l'autre de l'ordre de 45%.
L'immigration n'est pas une solution au pro-
blème du vieillissement
L'immigration est parfois suggérée comme solution au
déclin démographique, voire au vieillissement, des
pays occidentaux. L'idée sous-jacente est de compen-
ser le déficit de natalité par les flux migratoires. Mais
les immigrés voient également leur espérance de vie
augmenter et acquièrent des droits à la retraite. Il fau-
drait donc encore accélérer le flux d'immigration pour
compenser ce surcroît de population âgée, et ainsi de
suite.
L'ONU a réalisé des simulations des flux migratoires
nécessaires pour atteindre cet objectif à horizon 2050.
On aboutit alors à des chiffres d'immigration par trop
énormes pour être envisageables.
Flux d'immigrés nécessaires pour stabiliser le
ratio de dépendance
Pour le pays d'origine, les transferts des émi-
grés et leur éventuel retour sont détermi-
nants.
Du point de vue des pays d'émigration, le principal
effet négatif de l'émigration est lié à la perte de la main
d'œuvre qualifiée, le fameux «brain-drain», qui ferait
supporter les coûts de formation de ces personnes sur
les pays en développement et handicaperait leur déve-
loppement économique, puisqu'il leur serait plus diffi-
cile qu'aux autres pays d'élever le niveau de
qualification de leur main d'œuvre.
Savoir si cela constitue effectivement un problème
dépend du taux de retour au pays de ces émigrés. A
l'extrême, si tous les émigrés revenaient après avoir
passé quelques années à l'étranger, ils pourraient faire
profiter leur pays de l'expérience acquise à l'étranger,
ce qui pourrait se traduire par une hausse du capital
humain du pays d'origine.
Les études empiriques fournissent un éclairage plutôt
défavorable de la situation, surtout concernant les
pays les moins développés qui sont ceux qui auraient
le plus besoin de conserver leur capital humain
L'effet des migrations sur le pays d'origine passe aussi
par les transferts des émigrés. Ces transferts sont
désormais d'un ordre de grandeur comparable ou
supérieur à celui des aides au développement des pays
de l'OCDE.
Une liberté de circulation sans restrictions
ne serait pas nécessairement efficace…
La première cause d'émigration est le différentiel de
revenu que l'émigré peut espérer. Cependant ce lien
n'est pas univoque : le taux d'émigration des pays les
plus pauvres est faible sous un certain seuil puis crois-
sant avec le revenu par tête puis enfin décroît au-des-
sus d'un certain seuil.
PIB par tête et taux d'émigration
Les autres déterminants comprennent la part des jeu-
nes adultes dans la population totale, le stock de
migrants du pays d'origine dans le pays de destination,
la proximité géographique ou linguistique, ou l'exis-
tence d'anciens liens coloniaux.
Le fait que les décisions individuelles ne suivent pas
que des déterminants économiques purs, mais aussi
d'autres plus culturels, comme la langue ou l'histoire,
suffit à faire douter que la libre circulation des person-
nes suffise à garantir leur répartition économiquement
efficace sur la planète (pour autant que cette notion ait
un sens).
en millions Nb de migrants 1995-2050 Population actuelle
France 94 60
Allemagne 189 81
Italie 120 57
Japon 553 127
RU 60 60
Etats-Unis 593 275
UE 700 372
Source: ONU “Replacement migration”
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…elle générerait des tensions sociales dans
les pays développés…
Les flux migratoires modifient le marché du travail et
impliquent de significatives redistributions de riches-
ses entre nationaux du pays d'accueil. La proportion
des travailleurs qualifiés parmi les ressortissants des
pays en développement étant bien plus faible que
parmi la population des pays développés, on peut
donc s'attendre à ce que les travailleurs non-qualifiés
des pays développés soient les perdants de l'ouverture
aux flux migratoires.
Ceci contribue sans doute à expliquer la forte opposi-
tion à l'immigration de certains groupes sociaux au
sein des pays développés. Dans les démocraties des
pays développés, cette opposition peut conduire à des
politiques restrictives.
…et elle pourrait s'avérer néfaste pour les
pays les plus pauvres
Le fait qu'il existe un seuil de richesse nécessaire à
l'immigration peut faire craindre que la libre circula-
tion ait tendance à renforcer la polarisation des inéga-
lités en créant des zones «désespérées», où les
travailleurs seraient trop peu qualifiés pour attirer le
capital comme pour émigrer.
Pour sortir de la pauvreté, il faudrait que ces pays
investissent dans la formation de leur main d'œuvre.
Mais les personnes ainsi formées voient leurs revenus
augmenter, ne sont donc plus confrontées à la «con-
trainte de pauvreté», et il est très probable que le ren-
dement de l'éducation soit très supérieur à l'étranger.
Elles émigrent et n'ont aucune incitation à revenir.
L'investissement en capital humain consenti par le
pays l'a donc été en pure perte, le pays est toujours
aussi pauvre et sa population soumise à la contrainte
de pauvreté.
Une coordination multilatérale des politi-
ques d'immigration semble plus efficace.
Du fait des tensions que provoquerait l'afflux massif
d'immigrés non-qualifiés, une politique de contrôle
des flux migratoires est inéluctable dans les pays déve-
loppés. Cette politique visera vraisemblablement à
limiter les entrées de non-qualifiés et éventuellement à
favoriser les entrées de travailleurs qualifiés.
Mais la concurrence entre pays développés pour atti-
rer les travailleurs les plus qualifiés conduirait à un
équilibre sous-optimal.
D'abord la concurrence pour attirer les qualifiés risque
d'aboutir à une situation où tous les gains potentiels
pour le pays d'accueil seraient captés par les migrants
qualifiés à travers les incitations consenties.
Ensuite, une politique non coordonnée qui serait fon-
dée sur des flux annuels jugés acceptables serait trop
restrictive par rapport à l'optimum. Celui-ci se carac-
térise non par une admission nulle de non-qualifiés
mais par un niveau représentant un arbitrage entre le
gain économique qu'ils apportent et les tensions socia-
les que leur entrée provoque. Elle conduirait aussi à
une pression accrue de l'immigration clandestine.
La coordination des politiques d'immigration paraît
donc souhaitable, au-delà de ce qui est actuellement
pratiqué.
L'aide au développement pourrait être con-
sidéré un comme réducteur des pressions
migratoires ou comme une compensation
aux pays d'émigration.
La question se pose de savoir si cette coordination des
politiques doit aussi être articulée avec les aides au
développement. A cet égard les pistes de réflexion
sont doubles. D'une part, l'aide au développement, si
elle est efficace, augmente la richesse des pays bénéfi-
ciaires et donc modifie la propension à émigrer de
leurs ressortissants.
D'autre part, l'aide au développement pourrait être
considérée partiellement comme une contrepartie aux
bénéfices que tirent les pays développés de l'immigra-
tion qualifiée. Alternativement, cette approche con-
duirait à considérer que les coûts sociaux encourus par
les pays qui accueillent beaucoup d'immigrants non
qualifiés sont d'une nature comparable à l'aide au
développement puisqu'ils coûtent aux ressortissants
du pays riche en bénéficiant à ceux du pays pauvre.
Benoît HEITZ
Directeur de la Publication : Jean-Luc TAVERNIER
Rédacteur en chef : Philippe MILLS
Mise en page : Maryse DOS SANTOS
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