mesure où elle rejoint effectivement celle des Docteurs traditionnels depuis les XIIIe-XIVe
siècle de notre ère : elle postule un Islam global, intemporel, qui organise une dynamique
originale et tout autre d’analyse des relations entre le pouvoir et le droit. Le concept de
shari’a, que nous résumons en droit musulman, ne se renferme pas sur le seul droit, puisqu’il
englobe toute la loi morale dans laquelle l’homme humain en société doit s’inscrire pour
suivre le projet que Dieu a dessiné pour lui (le mot vient de la racine verbale shara’a, qui veut
dire entreprendre, ouvrir). La shari’a est donc la Loi révélé par excellence et elle se
caractérise par une totale autonomie, celle de Dieu, par rapport au monde des hommes, car
Dieu est Omniscient, Tout-Puissant et absolument libre. En conséquence, cette « Loi » ne peut
dépendre théoriquement d’aucun Etat, d’aucun droit positif, d’aucune décision politique, plus
encore d’aucune église et d’aucun clergé (relever que les fatawi portées par les Docteurs sont
toujours données pour le seul temps présent et peuvent parfaitement se voir invalidées
postérieurement).
Ainsi, la shari’a instaure un espace parallèle au politique et au pouvoir de l’homme, qui
peut toujours la détourner ou la manipuler, mais jamais en faire autre chose que ce qu’elle est
fondamentalement : la Loi de Dieu, dans un sens plus large que le seul aspect proprement
juridique. En outre, celle-ci n’est jamais close, à la différence de la Révélation chrétienne,
pour qui Révélation et Loi sont données de façon finie dans le temps (voir le combat de Saint
Augustin contre les Donatistes qui prêchaient que la Révélation était continue). De fait, un
peu comme la Tora, qui admit, avec les Pharisiens et les rabbins, à ses côtés une Tira orale
posée par les rabbins, la shari’a ne repose pas sur un corps de concepts, mais sur un ensemble
de préceptes, tantôt généraux, tantôt ponctuels, qui ont alors vocation à s’élargir à la totalité
ds actes humains à l’aide de processus logiques comme l’induction, l’analogie, l’extension.
Une science se constitua même pour encadrer ces processus logiques, que l’on pourrait
appeler « science des fondements du droit », ou ‘ilm al-uçul al-fiqh. Tout st alors affaire
d’étude des cas, à partir des injonctions morales de base qui, explicitement formulées, ne
peuvent être remises en cause. Le travail du juriste réside alors ici, non à faire application
d’un principe qui s’impose a priori à une espèce donnée, mais à ramener cette espèce à du
déjà connu.
Paradoxalement, cette faiblesse du système musulman a été aussi une force, dans la
mesure où (théoriquement) le totalitarisme, qui naît de l’absorption de tout le champ social
dans le politique, est fondamentalement étranger à l’éthique musulmane : personne ne peuit
en effet, en même temps se réclamer de l’Islam et contester la shari’a ; aussi peut-on dire que
le totalitarisme, qui se porte si bien dans la plupart des pays qui se disent aujourd’hui