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1 Et dit YHWH à Abram :
« Va t’en
de ton pays,
de ta famille
et de la maison de ton père
pour le pays
que je te ferai voir.
Après la mort de son père, Abram est donc à Harân, établi avec sa femme et son
neveu. Brusquement, le texte indique que le Seigneur parle à Abram. Le Seigneur, c'est-à-dire
YHWH, l’innommable, se met à parler à quelqu'un : il ne l’a pas fait pour Térah jusqu’à sa
mort, ni au couple formé par Abram et Saraï, ni au dernier né Lot, mais à Abram seul. Cette
première parole est destinée précisément à quelqu'un. Dieu ne réserve donc pas ses premières
paroles à un couple, comme à la création, ni au plus jeune, et encore moins à un peuple dans
son ensemble. Il parle à un individu. Le peuple d’Israël, le peuple élu, se résume d’abord à un
individu : Abram. Dieu ne commence pas par un peuple choisi parmi d’autres, parmi tous les
peuples de la terre. Au départ, il y a l’appel d’un élu dont le nom est mentionné : Abram.
Abram, nous l’avons précisé, n’est pas encore Abraham. Adam signifiait l’humanité
« comme un seul homme » et symbolisait l’universalité de l’humanité : nous sommes tous de
la même chair et de la même dignité primordiale. Abram, quant à lui, signifie l’irruption du
singulier. Abram symbolise la singularité de chacune de nos vies. Avec Abram, la différence
apparaît à l’intérieur de l’humanité commune et universelle. Abram est unique appelé.
C’est alors que vient cet ordre : « Va t’en de ton pays ». On traduit aussi : « pars »,
« quitte ». L’ordre implique un mouvement. Ce mouvement est géographique, surtout si on
insiste sur « de ton pays ». Cette fois, ce n’est pas le père d’Abram qui le fait sortir, mais Dieu
qui lui ordonne ce nouveau départ. Le détail n’est évidemment pas sans importance. Ce n’est
pas un départ originel comme nous l’avons déjà vu. Mais il est original car il procède d’un
ordre de Dieu. Le texte ne dit rien de la manière dont Dieu parle. Peu importe donc la
manière, car il s’agit de traduire l’initiative divine par sa soudaineté et sa sobriété.
Mais cet ordre ne doit pas faire oublier que l’appel de Dieu rejoint Abram déjà en
chemin. Dieu appelle rarement trop vite ! Dieu appelle par le chemin sur lequel Abram est
déjà, déjà en marche. Plus précisément, cet appel de Dieu rejoint Abram au moment où la
famille s’est arrêtée. C’est comme si Dieu venait rappeler à Abram, et non plus à Térah, que
le but du voyage, Canaan, n’est pas atteint. Térah a fait sortir sa famille d’Ur, il a fixé la
destination, mais il s’est établi à Harân et n’a pas achevé le voyage prévu.
En outre, ce « va t’en », peut aussi se traduire littéralement : « Va pour toi », pour ton
profit, dans ton intérêt. C'est ainsi que le comprend la tradition juive. D'autres interprètent ces
mots comme un impératif direct, visant la personne unique d’Abram : « Toi, pars ».
D’autres traduisent encore : « Va vers toi ». Cette traduction suggère un pèlerinage intérieur,
une sorte de voyage en esprit. Il n’empêche que c’est une marche concrète qui est demandée.
Marie, plus tard, marchera en hâte vers sa cousine Élisabeth et comprendra à l’arrivée qu’elle
est bénie entre toutes les femmes !
Ainsi, un ordre divin va provoquer un mouvement intérieur. Abram va-t-il accepter un
changement de vie, un déplacement vers l’inconnu, du moins vers autre chose que ce qui lui
est connu : sa patrie d’Ur et Hâran qui est désormais la maison de son père ? Les versets
suivants nous diront qu'Abram part tout de même en compagnie de ses proches, mais bien
sans son père. Térah disparaît : Abram n’est plus qu’époux et oncle. Il quitte son père avant
de devenir père. Il n’est plus tout à fait fils, il n’est pas encore père.
Dieu prolonge donc par son appel l’initiative de Térah et il rappelle que la destination