!
1!
Quelle organisation pour l’Open Innovation ?
Cécile AYERBE
GREDEG, 250 rue Albert Einstein Bat 2
06 560 Valbonne
Résumé
Cet article est dédié à l’étude des modes d’organisation de l’Open Innovation qui accorde un
rôle clef à la propriété industrielle (PI) comme vecteur même d’ouverture. La gestion de
l’ouverture ne se limite pas à l’identification de processus bien connus (inbound, outbound et
coupled process dont les droits de propriété intellectuelle sont le vecteur), mais à
l’organisation de ces processus dans l’entreprise. Nous nous appuyons pour cela sur les études
de Danone et Technicolor qui rendent compte de manière contrastée de ces processus et des
modalités organisationnelles qui les sous-tendent.
Mots clefs
Open innovation, organisation, création et capture de valeur, propriété industrielle, étude de
cas
!
2!
Quelle organisation pour l’Open Innovation ?
INTRODUCTION
Depuis l’ouvrage fondateur de Chesbrough en 2003, une littérature académique et
managériale foisonnante s’est développée autour de l’Open Innovation. De très nombreux
numéros spéciaux lui ont été consacrés1 témoignant de l’importance du changement de
paradigme revendiqué par Chesbrough dès ses premiers écrits. Dix ans plus tard, les chiffres
soulignent en effet l’ampleur du phénomène. Ainsi dans leur article au sein du numéro spécial
de Research Policy, West et al. (2014) mentionnent que le terme « Open Innovation » est
indiqué dans le titre de 687 publications selon Scopus et 3150 selon Google Scholar et que
l’ouvrage de 2003 fait l’objet de 2179 citations selon Scopus et 7300 selon Google Scholar. Si
de très nombreux thèmes de recherche ont été associés à l’Open Innovation, Chesbrough et
Bogers (2014) montrent qu’ils concernent largement : les logiques d’acquisition et de
valorisation de technologies notamment via la propriété industrielle ; la construction de
Business Model Ouverts (BMO) ; les mécanismes, instruments, processus pour développer
l’ouverture et plus récemment l’extension à de nouveaux domaines tels que les services ou les
secteurs à faible intensité technologique.
La présente recherche s’inscrit en prolongement de ces travaux. Elle se centre en effet sur les
modes d’organisation de l’Open Innovation qui accorde un rôle clef à la propriété industrielle
(PI) au sein de BMO. Chesbrough affirme ainsi dès ses premiers travaux un rôle nouveau à la
PI : elle offre non seulement des revenus supplémentaires en valorisant des innovations hors
des marchés habituels de l’entreprise, mais ouvre également des possibilités d’entrée dans de
nouveaux marchés. L’utilisation stratégique des droits de propriété (DPI) est ainsi au cœur des
mécanismes de capture et de création de valeur qui caractérisent les BMO. Il s’agit donc de
proposer un « management actif » des DPI. Par ailleurs, comme l’indique Huizingh (2010)
dans son article « Open Innovation : state of the art and future perspectives », la
compréhension de l’ouverture repose sur l’étude des pratiques (« Open Innovation
practices ») qui sont liées à la question de « comment procéder » (« how to do it » question).
C’est à cette question que nous nous nous intéressons en mettant l’accent sur la dimension
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1!R&D Management (2006, 2009, 2010), Industry and Innovation (2008), International Journal of Technology
Management (2010), European Journal of Innovation Management (2010), Technovation (2011), Research
Technology Management (2012), Revue Française de Gestion (2011), International Small Business Journal
(2013), Research Policy (2014)
!
!
3!
organisationnelle de l’ouverture. Or cette dimension organisationnelle a largement été
négligée par la littérature (Chiaroni et al. 2011). Il s’agit bien comme le précise Huizingh de
souligner le rôle des différents départements, leurs interactions et les mécanismes de prise de
décision liés à l’ouverture. Ainsi l’objectif de cet article est-il d’éclairer les modalités
organisationnelles possibles de l’Open Innovation centrée sur un management actif des DPI.
Il répond donc à la question de recherche suivante : quelle organisation pour l’innovation au
sein de BMO centrés sur l’inside-out et l’outside-in ?
Pour y répondre nous présenterons tout d’abord l’état de l’art sur cette interrogation liée à
l’organisation effective de l’ouverture (1). Nous présenterons ensuite les éléments de
méthodologie (2) puis les résultats et enseignements de cette recherche fondée sur deux cas
emblématiques et contrastés (3).
1- REVUE DE LA LITTERATURE
Malgré la littérature foisonnante dédiée à l’Open Innovation, très peu de travaux abordent
spécifiquement les questions organisationnelles. Après avoir rappelés les processus
d’ouverture (1.1), nous présenterons ces rares travaux (1.2).
1.1) L’affirmation d’un management actifs des DPI à travers des processus dédiés
Le management des DPI, et en particulier des brevets, est au cœur de l’opposition entre
modèles d’innovation ouvert et fermé. Pour Chesbrough, dans un contexte d’ouverture, les
firmes ne peuvent plus contrôler de manière durable et exclusive une technologie celle-ci
étant rapidement diffusée et imitée. L’intérêt de la brevetabilité ne réside pas dans la détention
de droits en soi, mais dans la capacité de la firme à créer un BMO autour des brevets2. L’idée
fondamentale est bien que les BMO, grâce à une nouvelle division du travail, améliorent
création et capture de valeur « Open models create value by leveraging many more ideas, due
to their inclusion of a variety of external concepts. Open models can also enable greater
value capture by using a key asset, a resources, or position, not only in the company’s own
business but also in other companies’ businesses » (Chesbrough 2006b, p. 2, notre propre
traduction). Ce management actif des titres est à mettre en perspective avec la définition
même de l’Open Innovation. Le concept a fait l’objet de sérieuses critiques. L’article au titre
explicite de Trott et Hartmann (2009) « Why Open Innovation is old wine in new bottles ? »
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2 “The value comes from the party that has a business model to create and capture value from the patent, not
from the invention of the patentable technology itself ” (Chesbrough, 2003, p. 162).
!
4!
en est particulièrement révélateur et a conduit Chesbrough à mettre au premier plan le
caractère innovant son modèle. Celui-ci réside dans son essence même qu’il réaffirmera en
2014. Ainsi l’Open Innovation est-elle définie comme « … inflows and outflows of knowledge
that can be purposively managed… specific mechanisms can be designed to direct the inflows
and outflows of knowledge » (Chesbrough et Bogers 2014). Plus précisément encore, les
auteurs indiquent que « what was unspecified and unmanageable before can now be specified
and managed in the open innovation model ». Trois processus désormais bien connus,
décrivent alors précisément les possibilités de mangement des DPI (Gassmann et Enkel,
2004 ; Enkel et al., 2009) : l’inside-out process (ou out-bound), l’outside-in process (ou in-
bound) et le coupled process. Ils rendent compte d’une évolution même de l’attention portée
aux logiques d’ouverture.
Les deux premiers processus ont été privilégiés dans les travaux pionniers de Chesbrough et
s’inscrivent dans une logique transactionnelle de l’Open innovation privilégiant des octrois de
droits sur les brevets (Ayerbe et Chanal, 2010 ;Van de Vrande et al., 20103). Le premier,
inside-out, met l’accent sur la capture de valeur et répond au syndrome NSH (Not Sold Here).
Il présente la manière dont la firme peut générer des profits en introduisant des idées sur le
marché, en cédant des droits de propriété et en multipliant les transferts de technologies. Il
s’agit donc de vendre sa technologie grâce à des pratiques de licensing-out et de spin-off qui
sont autant de sources de revenus. Au contraire, le second processus dit outside-in vise avant
tout la création de valeur en réponse au NIH (Not Invented Here). Il repose sur l’intégration
de technologies issues de R&D externes afin d’améliorer les développements « maison ».
Fortement associé à l’ouverture dans le cadre d’exploration de nouvelles connaissances, il
constitue le processus le plus étudié par la littérature (Mortara et Minshall, 2011). Sa forme
traditionnelle est le licensing-in via l’acquisition de droits. Cette logique purement
transactionnelle a été enrichie. Dahlander et Gann (2010) ainsi que Chesbrough et Bogers
(2014), mettent ainsi l’accent sur des formes non marchandes d’échanges et enrichissent ces
deux processus. Ainsi l’inside-out peut-il prendre deux formes : la vente (selling), forme
transactionnelle pure, ou la révélation (revealing). Celle-ci consiste à dévoiler des
connaissances sans en attendre des sources de revenus immédiates comme dans le cas
standards technologiques. De même l’outside-in repose-t-il à la fois sur l’acquisition
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
3 Les travaux de Van de Vrande et al. (2010) basés sur l’analyse de 88 articles publiés entre 2004 et 2008
montrent à ce titre que les transactions technologiques représentent le principal sujet abordé par la littérature sur
l’Open Innovation.
!
5!
(acquiring) et mais aussi sur le développement de collaborations (sourcing) qui dépassent la
simple logique pécuniaire. Le dépassement d’une telle logique est précisément au cœur du
troisième processus, dit coupled process qui fait référence à la mise en commun de
connaissances et la co-création (Enkel et al. 2009). Il repose sur la combinaison des deux
précédents dans le cadre d’une logique collaborative « coupled type of open innovation
involves combining purposive inflows and outflows of knowledge to collaboratively develop
and /or commercialize an innovation » (Chesbrough et Bogers, 2014). Ce processus donne
lieu à des co-développements, des projets conjoints, des alliances, des consortiums et des
coopérations en R&D qui sont autant de formes organisées de l’Open Innovation (Hagedoorn,
2003). La PI joue alors un rôle nouveau en autorisant et en structurant la coordination des
acteurs de l’innovation (Cohendet et al., 2006, Pénin et al. 2013). Elle permet alors de faire
face à un nouveau syndrome dit PFE (Proudly Found Elsewhere) (Huston et Sakkab, 2006).
Ainsi, le management de l’ouverture repose sur des mécanismes bien connus et enrichis
depuis les premiers travaux de Chesbrough. En revanche l’étude de leur mise en œuvre par
des structures organisationnelles dédiées reste peu développée. Le management de l’ouverture
ne se réduit pas à l’identification de processus dont les DPI sont les vecteurs, mais à
l’organisation de ces processus dans l’entreprise. Il s’agit donc d’une limite majeure des
travaux sur la gestion de l’ouverture auquel vise à répondre la présente recherche. Notre
objectif est précisément d’enrichir la compréhension de ces mécanismes par leur déclinaison
organisationnelle, en réponse au « comment procéder » (Huizingh, 2010). Nous nous limitons
dans le cadre de ce travail aux deux processus que sont l’outside-in et l’inside-out.
1.2. L’organisation de l’ouverture
Comme nous l’avons indiqué en introduction, l’organisation de l’ouverture a été très peu
étudiée dans la littérature, pourtant foisonnante sur l’Open Innovation. Chiaroni et al. (2011,
35) indiquent très clairement que le passage d’un modèle fermé à un modèle ouvert repose sur
un changement culturel et organisationnel majeur. Ils déplorent pourtant qu’un dépit de son
importance incontestable, cette facette de l’Open Innovation ait été négligée par les
travaux : « despite its undisputed importance, this facet of Open Innovation has been rather
neglected by scholars so far and, to our best knowledge, the are no contributions adopting an
organisational change perspective to shed light on the adoption of Open Innovation ». Il
s’agit donc dans cette synthèse des travaux dédiés à l’organisation de l’ouverture de présenter
1 / 24 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !