LE CORPS PENSE
apparaissait à tous ceux qui étaient engagés dans cette recherche, qui faisaient de la neuroscience c'est-à-dire qui
poursuivaient l'investigation du cerveau, qui travaillaient sur l'intelligence artificielle, qui essayaient de construire des
machines qui pouvaient avoir des capacités cognitives, qui s'occupaient de la linguistique au sens naturaliste,
c'est-à-dire comment le langage est acquis et se développe ; pour tous ces domaines scientifiques, il apparaissait
tout à fait évident que penser l'activité mentale, l'activité cognitive était tout à fait évidemment lié à la logique,
c'est-à-dire la manipulation symbolique (la manipulation des symboles) selon des règles précises.
Il apparaissait comme évident à tout le monde comme c'est encore vrai pour le sens commun actuel, que la
manifestation la plus élevée de la capacité cognitive c'est de, par exemple, résoudre des problèmes mathématiques.
Quelqu'un qui fait des analyses mathématiques est quelqu'un qui a une grande intelligence, au moins par
comparaison aux animaux par exemple, ou bien aux enfants. Donc il était tout à fait naturel, dans les premières
années des sciences cognitives, d'essayer de rendre compte de comment cela se passe, quel est le mécanisme de
cette activité cognitive, d'essayer de trouver quelles sont les règles explicites, les mécanismes par lesquels par
exemple, le cerveau, les programmes du cerveau comme on dit aujourd'hui, manipule les symboles, qui représentent
une certaine information que le système trouve dans le monde et évidemment, de façon symétrique la construction
des machines fondées sur le même type de principes. L'idée tout à fait familière est celle-ci : on peut programmer
une machine pour faire une activité dite intelligente et évidemment le programme, c'est l'extension naturelle de la
logique classique.
C'est comme cela que dans les années 50-60, il y a eu toute une liste de domaines tels que la robotique, la
reconnaissance des formes, le système expert, la preuve automatique des théorèmes, la psychologie cognitive, le
traitement des langages, la vision d'une machine ou la vision animale, la linguistique des computers etc... Tous ces
domaines de recherche, et croyez-moi il y a dans chacun de ces domaines des dizaines ou des centaines de
publications, de bouquins, donc dans toutes ces activités, il semblait que l'idée de trouver le symbole approprié et de
voir les problèmes appropriés, était la solution. En fait, il y a tu dans les années 60 de grands espoirs que cela allait
marcher parce que par exemple, on a développé un système S.A.I.N.T. = Symbolic Automatic Integrations, cela veut
dire intégrations automatiques symboliques, un programme qui permet de calculer des intégrales dans le sens
mathématiques du terme de façon très intelligente. En fait ces programmes font beaucoup mieux que n'importe quel
étudiant de doctorat de mathématiques analytiques, censé être le meilleur.
Donc, tout le monde se sentait assez impressionné. Voilà un programme à qui l'on donne des règles et qui a des
performances assez étonnantes. Dans les années 60, il semblait que le grand problème des sciences cognitives, on
pourrait le résoudre par cette voie : si la plus grande intelligence était déjà à portée de la main, les autres choses
devaient suivre, avec un tout petit peu de travail, après.
Ce qui est intéressant si on regarde l'évolution des sciences cognitives depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui, on
a justement l'impression de voir un film à l'envers parce que, ce qui dans les années 60 était considéré comme les
choses les plus difficiles est aujourd'hui considéré trivial, et ce qui était considéré comme banal, est considéré
aujourd'hui comme les vrais problèmes. Autrement dit, les grands experts qui savent faire des intégrales en
mathématiques ont une cognition tout à fait simple. Par rapport à qui ? Par rapport justement à tous ceux qui ne sont
pas des experts, et en particulier disons les petits enfants. Pourquoi ? parce que la chose la plus difficile à expliquer
est ce que tous les enfants du monde résolvent avec un charme et une facilité tout à fait étonnantes, et ce sont sur
ces problèmes que pendant 20 ans, les sciences cognitives n'ont presque pas avancé.
Quels sont ces types de problèmes ou de situations que l'enfant va résoudre très facilement ? Ce sont des choses
de sens commun, c'est-à-dire distinguer le connu de l'inconnu, donner du sens à des choses comme : ceci appartient
à cela, distinguer un visage triste d'un visage gai, savoir qu'il y a une distinction entre ce que l'on veut et ce que les
autres veulent, des choses qui nous semblent absolument familières et de sens commun qui n'ont pas un statut,
dans la tradition de la logique des sciences cognitives classiques, des performances étonnantes, mais qui justement,
si on essaye de construire une machine ou d'expliquer comment le cerveau peut faire cette activité tout à fait
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