le corps pense - La systémique appliquée aux thérapies et aux

LE CORPS PENSE
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LE CORPS PENSE
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Date de mise en ligne : dimanche 5 mars 2006
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LE CORPS PENSE
CENTRE D'ETUDE LA FAMILLE - ASSOCIATION PSYCHANALYSE ET APPROCHE
FAMILIALE SYSTEMIQUE 8ème Journée du 6 décembre 1987 à Paris « APPROCHE
FAMILIALE DES TROUBLES PSYCHOSOMATIQUES »
LE CORPS PENSE
FRANCISCO VARELA
Après cette introduction de Robert, il est difficile de dire quoi que ce soit qui ne soit un peu décevant. Tout ce que je
vais essayer de faire dans cet exposé, c'est de vous présenter quelques métaphores alternatives. Des métaphores
qui sont de toute façon tirées des activités de recherche en biologie, surtout dans le domaine du système
immunitaire.
La seule raison pour laquelle j'ai le courage de participer à cette réunion, bien que je sois complètement ignorant
aussi bien de la thérapie familiale que des maladies psychosomatiques, c'est que depuis déjà des années, je suis
engagé dans la recherche sur les systèmes immunitaires qui jouent évidemment un rôle absolument central dans
tout ce qu'on peut dire sur les maladies de type psychosomatique.
Le problème se pose de la façon suivante : le titre de cette intervention est : « le Corps Pense ». Or, cette
métaphore, « le Corps Pense », est tout à fait normalement associée à la pensée et associée au système nerveux.
Aujourd'hui, je vais essayer d'argumenter qu'il est juste de vous dire la chose suivante : le système immunitaire est
un système qui pense. C'est un système qui a une capacité, on dirait dans la terminologie actuelle, cognitive. Dire
que le corps pense, c'est une métaphore, évidemment, mais une métaphore qui a du vrai, au sens scientifique.
Comme Robert vient de l'évoquer tout à l'heure, ce n'est pas une métaphore typique pour le système immunitaire, et
justement je vais y revenir. Mais avant de vous présenter quelques idées au sujet de la pensée immunitaire,
notamment pourquoi il est juste de parler de cette façon-là, il faut que je vous dise quelques mots sur le problème de
la pensée au sens scientifique, comment elle se présente aujourd'hui dans le domaine des sciences. Donc, je vais
parler carrément maintenant du domaine des sciences cognitives. Or ce mot « sciences cognitives » n'est pas très
courant en France, mais c'est le terme utilisé plus ou moins partout dans la recherche moderne, c'est la traduction
libre du mot anglais « cognitive sciences » et là il faut remarquer qu'en anglais « sciences » veut dire non seulement
les sciences mais aussi la diversité des sciences, et c'est le domaine dont je m'occupe en tant que chercheur. C'est
le domaine scientifique qui s'occupe justement de donner des réponses explicites sur ce que veut dire penser,
comment les êtres vivants parviennent à cette activité tout à fait remarquable qu'on appelle penser : il s'agit de tous
les niveaux de capacités cognitives : reconnaissance, discrimination, mémoire, apprentissage, inférence, etc...
Donc, quand j'utilise le mot sciences cognitives c'est cela que je veux dire - toute la diversité des capacités grosso
modo mentales, ou activités de pensée au sens le plus large. Ce domaine des sciences cognitives n'est pas très
ancien dans le sens scientifique du terme. Evidemment il y a pas mal d'activités en psychologie, en philosophie et en
épistémologie depuis la naissance du monde occidental, mais je parle plutôt du domaine scientifique proprement dit.
C'est un domaine qui a été constitué dans les années 50. Avec le mot « sciences cognitives » apparaissant vers la
fin des années 50, il y a toute une histoire de la naissance de cette activité tout à fait passionnante, mais je ne vais
pas entrer dans cette histoire maintenant, je rappelle cette origine historique parce que dans les années 50-60, il
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apparaissait à tous ceux qui étaient engagés dans cette recherche, qui faisaient de la neuroscience c'est-à-dire qui
poursuivaient l'investigation du cerveau, qui travaillaient sur l'intelligence artificielle, qui essayaient de construire des
machines qui pouvaient avoir des capacités cognitives, qui s'occupaient de la linguistique au sens naturaliste,
c'est-à-dire comment le langage est acquis et se développe ; pour tous ces domaines scientifiques, il apparaissait
tout à fait évident que penser l'activité mentale, l'activité cognitive était tout à fait évidemment lié à la logique,
c'est-à-dire la manipulation symbolique (la manipulation des symboles) selon des règles précises.
Il apparaissait comme évident à tout le monde comme c'est encore vrai pour le sens commun actuel, que la
manifestation la plus élevée de la capacité cognitive c'est de, par exemple, résoudre des problèmes mathématiques.
Quelqu'un qui fait des analyses mathématiques est quelqu'un qui a une grande intelligence, au moins par
comparaison aux animaux par exemple, ou bien aux enfants. Donc il était tout à fait naturel, dans les premières
années des sciences cognitives, d'essayer de rendre compte de comment cela se passe, quel est le mécanisme de
cette activité cognitive, d'essayer de trouver quelles sont les règles explicites, les mécanismes par lesquels par
exemple, le cerveau, les programmes du cerveau comme on dit aujourd'hui, manipule les symboles, qui représentent
une certaine information que le système trouve dans le monde et évidemment, de façon symétrique la construction
des machines fondées sur le même type de principes. L'idée tout à fait familière est celle-ci : on peut programmer
une machine pour faire une activité dite intelligente et évidemment le programme, c'est l'extension naturelle de la
logique classique.
C'est comme cela que dans les années 50-60, il y a eu toute une liste de domaines tels que la robotique, la
reconnaissance des formes, le système expert, la preuve automatique des théorèmes, la psychologie cognitive, le
traitement des langages, la vision d'une machine ou la vision animale, la linguistique des computers etc... Tous ces
domaines de recherche, et croyez-moi il y a dans chacun de ces domaines des dizaines ou des centaines de
publications, de bouquins, donc dans toutes ces activités, il semblait que l'idée de trouver le symbole approprié et de
voir les problèmes appropriés, était la solution. En fait, il y a tu dans les années 60 de grands espoirs que cela allait
marcher parce que par exemple, on a développé un système S.A.I.N.T. = Symbolic Automatic Integrations, cela veut
dire intégrations automatiques symboliques, un programme qui permet de calculer des intégrales dans le sens
mathématiques du terme de façon très intelligente. En fait ces programmes font beaucoup mieux que n'importe quel
étudiant de doctorat de mathématiques analytiques, censé être le meilleur.
Donc, tout le monde se sentait assez impressionné. Voilà un programme à qui l'on donne des règles et qui a des
performances assez étonnantes. Dans les années 60, il semblait que le grand problème des sciences cognitives, on
pourrait le résoudre par cette voie : si la plus grande intelligence était déjà à portée de la main, les autres choses
devaient suivre, avec un tout petit peu de travail, après.
Ce qui est intéressant si on regarde l'évolution des sciences cognitives depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui, on
a justement l'impression de voir un film à l'envers parce que, ce qui dans les années 60 était considéré comme les
choses les plus difficiles est aujourd'hui considéré trivial, et ce qui était considéré comme banal, est considéré
aujourd'hui comme les vrais problèmes. Autrement dit, les grands experts qui savent faire des intégrales en
mathématiques ont une cognition tout à fait simple. Par rapport à qui ? Par rapport justement à tous ceux qui ne sont
pas des experts, et en particulier disons les petits enfants. Pourquoi ? parce que la chose la plus difficile à expliquer
est ce que tous les enfants du monde résolvent avec un charme et une facilité tout à fait étonnantes, et ce sont sur
ces problèmes que pendant 20 ans, les sciences cognitives n'ont presque pas avancé.
Quels sont ces types de problèmes ou de situations que l'enfant va résoudre très facilement ? Ce sont des choses
de sens commun, c'est-à-dire distinguer le connu de l'inconnu, donner du sens à des choses comme : ceci appartient
à cela, distinguer un visage triste d'un visage gai, savoir qu'il y a une distinction entre ce que l'on veut et ce que les
autres veulent, des choses qui nous semblent absolument familières et de sens commun qui n'ont pas un statut,
dans la tradition de la logique des sciences cognitives classiques, des performances étonnantes, mais qui justement,
si on essaye de construire une machine ou d'expliquer comment le cerveau peut faire cette activité tout à fait
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évidente ou élémentaire, littéralement on se casse la gueule.
Il n'y a aucun résultat aujourd'hui, qui soit rentablement comparable à ces choses que tous les enfants du monde, et
par extension tous les animaux du monde, font avec une facilité étonnante. Donc je disais tout à l'heure, que si on
regarde l'histoire des sciences cognitives, on est en train de lire l'histoire à l'envers parce que des choses comme la
relation entre la main ou les yeux, ou la relation entre des objets, ou le déplacement sans collision avec des objets,
ces types de problèmes occupent aujourd'hui tout le monde. On se dit : qu'est-ce qu'il y a de sophistiqué à
reconnaître un objet ou à se déplacer dans le monde sans heurter des objets ? C'est justement sur ces types de
problèmes-là qu'on n'a pas trouvé de bonnes explications. Cela veut dire que les sciences cognitives traditionnelles
ont complètement échoué. Et c'est à la suite de cet échec et à cette reconnaissance-là que ce qu'on percevait
comme la chose la plus banale est la chose la plus difficile, que l'expert réalise des choses faciles et l'enfant des
choses difficiles, que dans les sciences cognitives, il y a toute une reconnaissance d'un nouveau style de pensée,
une nouvelle approche de ce qu'est la cognition.
Qu'est-ce que c'est que penser ?
Toutes ces activités : la perception visuelle, coordonnée à l'audition, l'expression des émotions et des interactions
sociales etc... apparaissent comme des activités tout à fait différentes, dissemblables. Par exemple, le domaine de
l'émotion et la reconnaissance de l'émotion par autrui, est évidemment tout à fait différent du déplacement dans
l'espace sans collision. Ce n'est pas dans la tradition dite cognitiviste suivant la logique des années 60, qu'on peut
faire une espèce de mapping, c'est-à-dire des projections dans un domaine fondamental des règles et des
programmes de toutes ces situations. Il n'est pas du tout évident de mettre en relation le domaine de la coordination
sensori-motrice, de l'émotion, de la croissance, de l'espace, de la forme etc... Ce n'est pas du tout évident et
justement comme ce n'est pas évident, les chercheurs ont commencé à trouver une façon de s'approcher de ces
problèmes, qui est fort différente, et que je vais décrire : l'approche en réseau.
Qu'est-ce que veut dire l'approche en réseau ?
Cela veut dire la chose suivante : au lieu de résoudre un grand problème, par exemple se déplacer dans le monde
sans collision, on essaie simplement d'avoir de très petits agents, qui sont en soi absolument bêtes, mais qui
ensemble deviennent très intelligents. Cette stratégie n'est pas du tout évidente. Je ne veux pas que vous pensiez
que c'est quelque chose qui est sorti de la tête d'un bon monsieur un beau jour, mais il y a eu une énorme
expérience récemment, qui est la reprise de cette pensée réseau, de cette pensée systémique émergente - pour
utiliser le langage qui vous est familier, cette pensée de l'émergence des propriétés systémiques qui a été
redécouverte pendant les cinq dernières années. Si vous regardez le style de travail des dix dernières années, vous
vous rendez compte que les gens qui travaillaient dans cette optique réseau, en 1980 il n'y en avait qu'une vingtaine,
en 1986 c'est presque tout le monde, c'est presque dominant maintenant. C'est parce que c'est une véritable
explosion que j'insiste sur ce principe, c'est quelque chose qui n'est pas encore entré dans la connaissance
habituelle des gens. Les journalistes par exemple, les revues scientifiques de vulgarisation, commencent juste à se
faire l'écho de ce point de coupure, de ce tournant, de cette réorientation qui est pour moi fondamentale.
Donc, l'approche consiste à considérer que. si on a la capacité de mettre en action de petits agents tout bêtes mais
avec des relations puissantes, en a donc l'émergence de propriétés qui sont vraiment cognitives. Dit comme ça c'est
toujours abstrait et on n'a pas l'expérience. Je vous donne un exemple tout de suite.
Le problème est le suivant : un des échecs classiques de l'approche cognitiviste qui essaie d'utiliser des symboles
comme représentation des choses et des règles qui manipulent ces symboles, c'était d'être incapable de créer un
système donc qui imite la lecture, un système qui pouvait lire un texte. Je ne dis pas compréhension d'un texte, je dis
lire un texte, ça veut dire n'importe quel petit enfant peut faire ça assez facilement, et même les grandes personnes
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peuvent faire ça de temps en temps... On peut regarder un texte même si on ne comprend rien du tout et on peut
essayer de le lire. Donc, il y a l'apprentissage, mettons que je suis en train de lire en tchèque, je ne connais pas un
mot de tchèque, et comme c'est écrit dans des phonèmes que moi je peux reproduire, si j'ai un prof de tchèque à
mon côté, qui ne m'explique pas du tout ce que ça veut dire dans le texte... chaque mot tchèque ou bien disons
polonais, que je prononce dans le contexte de la lecture de façon inappropriée, il me corrige, et après quelques
erreurs je peux lire le polonais de telle façon qu'un polonais comprenne.
C'était un problème important dans le domaine des sciences cognitives, parce qu'il y a pas mal de gens qui sont
aveugles dans cette planète et qu'il serait très utile d'avoir une machine qui (vous) lise des textes, qui raconte des
histoires aux enfants qui sont aveugles, ou qui lise des livres pour les adultes. Mais l'échec était total, il était
impossible d'écrire des règles qui pourraient avoir cette subtilité de ce qu'est le contexte de la lecture et des
phonèmes dans les langues humaines.
Le problème est celui-ci : on n'arrive pas à dégager les règles de la sonorité d'une langue. On peut avoir des
approximations, mais ça ne marche pas bien du tout. C'est pour cela, qu'il n'y a pas une telle machine. Or, avec cette
optique que je viens de décrire, l'optique de tout petits agents tout bêtes mais qui ensemble peuvent faire des trucs,
on a aujourd'hui - vous pouvez l'acheter maintenant - un système qui peut faire cette tâche, mais je vous dis en deux
mots comment cela fonctionne (cf. schéma) :
Vous voyez en haut « le chien » donc, c'est censé être un exemple de la lecture d'une ligne d'un texte. 3 petites
cellules lecteurs qui vont lire, reconnaître un caractère H dans ce cas-là, dans le contexte de l'idée d'être voisin, le C,
à côté du H il y a un trait, ça veut dire de l'espace, il y a LE espace CHIEN, et la petite machine va lire C seulement
en regardant ce qu'il y a des deux côtés. Que fait cette petite machine à travers tous ces réseaux ? Donc voilà cette
collection de petits agents, chacun d'entre eux, n'est que l'imitation d'un petit neurone qui peut être actif ou inactif - et
pas seulement envoyer des connexions à ses copains - il y a disons 80-90 de ces petits neurones, et finalement ces
neurones sont connectés à 3. petites boîtes d'émission de sons comme les ingénieurs savent faire depuis
longtemps, 3 émetteurs de sons qui ont simplement des consonnes dentales, labiales et palatales. Donc la
combinaison de ces 3 sons peut imiter un phonème et la première fois on écoute la machine, le Chien... ça fait K... et
le professeur dit non, c'est pas ça c'est CH. Comment est-ce qu'on fait ça littéralement ? On met à la fin de l'émission
le son correct et la machine est capable de se modifier à la suite de cette instruction. La prochaine fois qu'il y a « le
chien » la machine refait K, le professeur fait . non, non c'est CH ; comme dans le cas d'un être humain, cette
machine, à la suite de quelques exemples, qui, dans le cas concret, prennent 6 ou 7 heures d'entraînement,
d'apprentissage, est capable de lire un texte, mais tous les textes d'un certain genre, telles que les histoires
d'enfants. Donc on peut lui donner n'importe quelle histoire d'enfants, la machine peut la lire, le cas échéant, en
anglais, de façon correcte et compréhensible. Ce système s'appelle le Net Talk. Toute sa capacité ne réside pas
dans le fait qu'il y ait une représentation des règles pour traiter une lettre à côté d'autres lettres, mais dans sa
capacité de se modifier et d'avoir une histoire.
Les deux choses :
1) Se modifier : les interactions entre ces petits neurones bêtes changent, donc le système a une certaine plasticité.
2) Cette plasticité, si on la place dans une histoire, dans ce cas, l'histoire d'un apprentissage, aboutit à quelque
chose d'assez intéressant, justement apprendre à lire, et ce n'est pas tout à fait trivial.
Voilà un exemple où les paradigmes classiques : les traitements symboliques avec programmes, où cognition égale
manipulation de symboles, étaient un échec total. Dans ce cas, l'approche est de dire « non, non, non », au lieu des
représentations symboliques et des programmes, et il faut se centrer plutôt sur cette espèce de société d'agents
simples, cet ensemble d'agents très simples capables de ces deux choses :
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