Pépite ne s’en remet pas. « C’est dur à porter », répète cette mère de famille dont la benjamine
s’est convertie à l’islam. Pépite est issue d’une famille espagnole catholique, elle n’a pas vu les
choses venir. Elle ne s’est pas inquiétée qu’Alexandra s’entiche d’un garçon converti, elle n’a
pas fait attention au fait que sa fille gardait des manches longues l’été. Il y a cinq ans, Alexandra
s’est mise à porter un foulard. Depuis, elle a eu trois enfants, à qui elle a donné des prénoms
musulmans et qui apprennent l’arabe. Elle n’a pas poursuivi ses études et envisage d’enseigner
dans une école coranique. « Il y a un mois, elle est allée à La Mecque avec son mari. » Pépite a
« peur ». Peur qu’un jour, « elle se pointe avec la burqa ». « Ça me rend malade à chaque fois
que je la vois », redit-elle de sa voix grave.
Pépite, qui comme les autres témoins a souhaité garder l’anonymat, n’est sûrement pas la seule à
avoir des craintes. Régulièrement, les Français découvrent avec effroi le visage de jeunes
convertis à l’islam partis du jour au lendemain, parfois en famille, rejoindre l’Etat islamique en
Syrie ou en Irak. D’après le ministère de l’intérieur, ils représenteraient près du quart des mille
djihadistes français. « Le djihadisme est le courant où l’on retrouve la proportion de convertis la
plus importante », confirme Mohamed-Ali Adraoui, auteur Du Golfe aux banlieues : le salafisme
mondialisé (PUF,2013). Et ce n’est pas seulement du fait de sa dimension de prosélyte. Ne se
revendiquant pas d’un territoire ou d’une culture, il est certainement le courant « le plus
universel », explique M. Adraoui.
La surreprésentation des convertis parmi les djihadistes et la surexposition médiatique de ces
derniers opèrent cependant un effet de loupe trompeur. L’absence de recensions religieuses ne
permet pas d’avoir des chiffres précis, mais les quelques centaines de partisans du djihad armé
demeurent une extrême minorité parmi les convertis à l’islam, dont le chiffre se situerait entre
« 70 000 et 120 000 », jauge Mohamed-Ali Adraoui – une fourchette citée par l’Insee et l’Institut
national d’études démographiques dans une étude en 2010. Ces convertis sont ultraminoritaires
parmi les 2 millions à 5 millions de musulmans dans l’Hexagone.
Socialisation par proximité
Le phénomène de conversion renvoie donc à une réalité bien plus diverse et ancienne que celle
qui s’illustre en Irak ou en Syrie. Il est apparu dès le XIXe siècle. A l’époque, « des intellectuels
se sont convertis en raison de leur contact avec des pays colonisés », retrace Mohamed-Ali
Adraoui. Cette tradition d’érudition s’est poursuivie dans la seconde moitié du XXe siècle, à
travers « une “hippisation”, incarnée par de jeunes Occidentaux qui ont voyagé en Asie centrale
ou en Afghanistan » et adhéré à la mystique soufie.
Dans les années 1990, une évolution majeure a eu lieu : en raison de la présence musulmane en
France, appuyée par une dynamique de réislamisation touchant principalement des jeunes issus
de l’immigration, les voies d’accès à l’islam et les profils de convertis se sont diversifiés. Samir
Amghar, chercheur à l’Université libre de Bruxelles, évoque un « phénomène plus plébéien »,
qui se joue notamment dans certains quartiers à la faveur d’un esprit de groupe, d’une
socialisation par proximité. Au lycée, « je fréquentais beaucoup de personnes d’origine
maghrébine et de confession musulmane », se souvient Jessica Marle. Quand elle a pris son
indépendance, la jeune femme a eu envie de faire le ramadan. Puis il y a eu cette relation
amoureuse, au terme de laquelle elle a souhaité aller à la mosquée pour « apprendre à prier ».