Traditions syndicales - Base Institutionnelle de Recherche de l

Communication présentée au colloque international
Cent ans après la “Charte d'Amiens” : la notion d'indépendance syndicale face à la
transformation des pouvoirs
organisé par le Curapp en collaboration avec l'UMR Triangle et l'Institut de Sociologie de
l'ULB les 11, 12 et 13 octobre 2006 à Amiens
Olivier Giraud (Centre Marc Bloch/CNRS)
Michèle Tallard (IRISES/CNRS)
Catherine Vincent (IRES)
TRADITIONS SYNDICALES, DYNAMIQUES
D’INSTITUTIONNALISATION ET DEMOCRATIE INDUSTRIELLE
EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE APRES LES CRISES DE 68/69
Olivier Giraud (CMB – CNRS)
Michèle Tallard (IRISES CNRS – Université Paris Dauphine)
Catherine Vincent (IRES)
T
RADITIONS SYNDICALES
,
DYNAMIQUES D
INSTITUTIONNALISATION ET DEMOCRATIE
INDUSTRIELLE EN
F
RANCE ET EN
A
LLEMAGNE APRES LES CRISES DE
68/69
1
La notion de démocratie industrielle est à la fois ancienne (par exemple : Webb,
1897) et générique. En cela, elle permet au comparatiste d’embrasser dans des
questionnements uniques des arrangements et des notions qui ont émergé dans des
contextes historiques et nationaux qui les ont surdéterminées. Les notions de « relations
professionnelles » en France et de « relations industrielles » en Allemagne en sont de
bons exemples. Plus encore, la notion de démocratie industrielle ouvre un point de
contact entre « les principes et les procédures de la démocratie politique et la sphère
industrielle » (King, van de Vall, 1978, p. 4) et introduit à la question clé du présent
colloque célébrant le centenaire de la Charte d’Amiens. Existe-t-il des objets et des
modalités spécifiques de déploiement de la démocratie industrielle, centrés sur le syndicat
et son action ? Ou bien sommes-nous au contraire en présence d’une continuité entre les
acteurs, les objets et les formes de la démocratie politique et les acteurs, les objets et les
formes de la démocratie industrielle ? La littérature de science politique (Mouriaux 1986,
1
Cet article doit à la contribution de Michèle Dupré (GLYSI-CNRS) qui collabore au projet de recherche
collective financé par la DARES (Etat et acteurs sociaux en France et en Allemagne, dans les décennies
1960
e
et 1970) et a participé aux débats préliminaires à la rédaction de ce texte.
2
1994 ; Andofalto, Labbé 2006) sur le sujet oppose habituellement plusieurs modèles : le
modèle trade-unionist où le syndicat crée un instrument politique à son service ; le
modèle social-démocrate parti et syndicat sont complémentaires chacun dans son
arène d’appartenance ; le modèle léniniste le syndicat est la courroie de transmission
du parti ; enfin le modèle « pansyndicaliste » dominant historiquement en France et
réaffirmé dans la charte d’Amiens où, au-delà de l’indépendance réciproque des actions
conduites par le syndicat et le parti, « l’organisation corporative prenait en charge toute
l’expression de la classe ouvrière par ses luttes immédiates et par la révolution à venir
grâce à la grève générale » (Mouriaux 1986 p. 59).
En choisissant de travailler sur les cas français et allemands, nous proposons de
réfléchir à une comparaison qui met en perspective les trajectoires de deux modèles de
syndicalisme. Pour le modèle français, il existe deux temporalités et deux ordres de lutte.
Un ordre de lutte lointain, inscrit dans une perspective révolutionnaire, centré sur des
finalités politiques et un ordre de lutte proche, inscrit dans le quotidien de la condition
ouvrière, sur laquelle il faut agir ici et maintenant. Le modèle social-démocrate s’efforce
d’articuler objectifs proches et lointains. Le socialisme comme socialisation des moyens
de production est l’objectif central qui doit être atteint par des moyens légaux. Les luttes
syndicales doivent contribuer à l’affirmation et à la consolidation du projet socialiste,
mais elles doivent apporter aux ouvriers une amélioration continue de leur condition
quotidienne.
Le second choix auquel nous procédons dans cette contribution consiste à traiter
de l’organisation des rapports de pouvoir entre travail et capital dans l’entreprise. Cet
enjeu permet de rendre visible la multiplicité des arènes de confrontation entre capital et
travail, entre patronat et syndicats, mais aussi entre l’univers du politique et celui des
luttes syndicales. Ces enjeux renvoient aux formes de la représentation des salariés dans
l’entreprise, à leurs droits d’informations, de protection, aux diverses formes
d’association des salariés à la décision dans l’entreprise ou encore aux rapports avec les
gestionnaires de l’entreprise.
Pour saisir de façon comparative, les dynamiques d’institutionnalisation dans nos
deux cas, il nous semble indispensable de déterminer une grille d’analyse commune
organisée autour de trois éléments. D’abord, notre réflexion s’est centrée sur les acteurs
porteurs des revendications et des luttes. Ensuite, nous nous sommes intéressés aux
enjeux, à leurs formulations et problématisations. Enfin, nous considérons précisément
les lieux de la confrontation, que cette dernière prenne la forme de luttes sociales ou de
délibérations ou confrontations politiques. Ces différentes dimensions renvoient aux
catégories actuelles de l’analyse de l’action publique puisqu’elles évoquent des acteurs
sociaux de différents ordres (i), des idées, discours, débats publics ou catégories
opérationnelles qui donnent lieu à des formes d’institutionnalisation (ii) et qu’elles
évoquent enfin des arènes de confrontation qui renvoient à des institutions, mais plus
encore à des styles et formes de confrontation, à des types d’enjeux et à des forces
sociales et politiques bien précises (iii).
Dans le cas qui nous concerne, les acteurs pertinents sont divers. Il s’agit bien sûr
de représentants syndicaux ou patronaux, de représentants et membres des partis
politiques, d’acteurs ministériels ou publics, ou encore de membres de réseaux politiques
ou sociaux. Ces différents acteurs sont porteurs de discours, idées et alimentent des
débats publics qui forment des enjeux de lutte ou de confrontation. Ces activités de lutte
3
et confrontation se réalisent dans le cadre de forums publics destinés à mobiliser et à
rassembler dans l’ordre discursif ou dans le cadre d’arènes spécialisées au sein desquelles
se nouent des négociations (Jobert, 1998) voire même au sein de réseaux informels
permettant de tester des idées et, le cas échéant, de nouer de premières alliances.
Enfin, nous limitons notre analyse à une période clé dans l’évolution des systèmes
de démocratie industrielle en France et en Allemagne, période qui s’ouvre dans les deux
pays autour d’une série de fortes crises sociales dans les années 68 à 69. Ces deux crises
se manifestent dans les deux pays à la fois dans le champ du travail grèves massives
et dans le champ politique. Leur analyse permet ainsi de bien comprendre les
articulations entre les deux univers qui nous intéressent ici.
Après un premier relevé comparatif des situations de départ dans chacun des pays,
nous tentons de dresser un bilan comparé des configurations propres à chacun des cas
pour ce qui touche à l’organisation des rapports de pouvoir entre travail et capital dans
l’entreprise, à la veille des crises des années 68/69.
Dans un second temps, notre travail consistera à analyser les dynamiques de
changement qui résultent des riodes de sortie de crise. La déstabilisation des
régulations d’Etat ou des pratiques d’auto-régulation portées par les acteurs sociaux sont
des caractéristiques fortes du tournant des années 60 et 70 dans les deux pays. Une rapide
analyse des dynamiques discursives, des évolutions politiques, des réformes
institutionnelles permettra de comprendre le chemin parcouru de part et d’autre pour
échapper aux blocages (2). La confrontation croisée des dynamiques de sorties de crise
nous permettra, en conclusion, de dresser un bilan comparatif des modes
d’institutionnalisation dans les deux configurations nationales et d’interroger les modèles
nationaux
1. Les configurations stabilisées à la veille des crises du tournant des années 60
et 70
La configuration sociale en Allemagne à la veille des grèves de 1969
En 1968 et 1969, la situation institutionnelle est en Allemagne avancée dans le
sens d’une dualisation du système de régulation des relations industrielles. Après guerre,
le principe de l’autonomie tarifaire a été réaffirmé. En revanche, le projet initial du
syndicaliste Hans Böckler d’instaurer un système centralisé et interprofessionnel de
négociations sociales, articulé à un partage du pouvoir de décision dans l’entreprise,
développé à partir du modèle suédois, est resté un échec. En 1951, la loi sur la co-
détermination dans les grandes entreprises des secteurs du charbon et de l’acier
2
qui
instaure les Betriebsräte sur le modèle détourné des conseils hérités des révolutions
russes et berlinoises de 17 à 19 est un échec pour les syndicats et leurs capacités de
régulation (Rehfeldt, 1990). Cette loi, parce qu’elle n’est pas articulée aux dispositifs
précédents sur l’autonomie tarifaire et parce qu’elle ne s’accompagne pas d’une
2 Montanmibestimmungsgesetz.
4
reconnaissance de la représentation syndicale dans l’entreprise, permet au gouvernement
conservateur de remettre en cause l’essentiel des acquis syndicaux de l’époque. Des
représentations ouvrières « maison » peuvent se développer dans les bastions
traditionnels des syndicats permettant des seconds tours de négociations salariales. La
dualisation des régulations dans le champ du travail et de l’emploi est alors avant tout
négative pour les capacités de gulation syndicales. Les années 50 et 60 sont justement
consacrées à une offensive syndicale de prise de contrôle des Betriebsräte, et de
neutralisation de leur pouvoir concurrentiel vis-à-vis des négociations tarifaires et, au
contraire, articulent de façon active les stratégies de défense des intérêts salariés à
l’intérieur de l’entreprise et dans l’espace des régulations conventionnelles (Thelen,
1991). Suite à l’échec du parti politique dans l’imposition d’un modèle satisfaisant de
représentation des intérêts salariés dans l’entreprise, les luttes sont reprises par le syndicat
qui utilise la grève et le prosélytisme auprès des ouvriers en général et des représentants
dans les Betriebsräte en particulier pour remplir ses propres objectifs.
Sur le plan politique, les positions sont tranchées. Les syndicats avaient entre les
deux guerres soutenu une version organisée du capitalisme organisée autour des cartels
et du poids des banques comprise comme une première évolution vers des logiques
structurelles compatibles avec la socialisation et dont ils attendaient une plus grande
facilité à négocier de façon organisée. Après guerre programme de Düsseldorf de 1963
-, les syndicats adoptent une position de défense de l’économie de marché, garantie de
démocratie (Höpner, 2004). La position de fond du syndicat est ainsi majoritairement
calée sur celle du SPD
3
même si l’horizon socialiste et révolutionnaire reste important au
sein du mouvement syndical. Mais la revendication d’association au pouvoir de contrôle
de l’entreprise est maintenue voire amplifiée dès que le SPD arrive au pouvoir dans le
cadre de la grande coalition. Face à cette position, les gouvernements conservateurs des
années 60 restent globalement hostiles et encouragés par le patronat qui ne souhaite
aucune extension des droits salariés dans l’entreprise. La mouvance « sociale » du parti
chrétien-démocrate, bien que très forte et proche des revendications syndicales, ne
parvient pas à mettre en marche la machine de la réforme.
Face à ce blocage généralisé, l’Etat se contente d’intervenir pour ouvrir des
concertations centralisées à partir de 1963, puis de 1967 portant sur une orientation
quant à des normes et des formes de croissance. Avant la grande coalition, il ne se pose ni
en médiateur, ni en facilitateur entre des parties patronales et syndicales bloquées front
contre front sur la plupart des dossiers de l’époque forme de l’apprentissage
industriel, extension de la co-détermination (Offe, 1975). A l’intérieur de la machine
gouvernementale et dans des réseaux proches du pouvoir cependant, la thématique d’un
rééquilibrage des rapports de pouvoir dans l’entreprise au profit du syndicat reste
alimentée. Des idées sont testées, des compromis sont tentés, des discussions sont
maintenues. Cependant, dans les forums publics, les positions restent opposées. Aucun
lien explicite entre le renforcement de l’implication du syndicat dans les consultations
macro-économiques et les relations de pouvoir dans l’entreprise n’est fait explicitement.
3 Et son programme de Bad Godesberg de 1959.
5
La configuration sociale en France à la veille de mai 1968
La participation des travailleurs par l’intermédiaire de leurs délégués à la
détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises est
un principe constitutionnel posé dès la constitution de 1946 et repris dans celles qui ont
suivi. Ce principe s’est concrétisé à la Libération dans la création des comités
d’entreprise (ordonnance du 25 février 1945, complétée par la loi du 16 mai 1946) qui
offre une configuration originale dans laquelle un rôle consultatif en matière économique
s’articule à un rôle gestionnaire en matière d’œuvres sociales.
Si la CGT, lancée dans le sillon du parti communiste dans la bataille de la
production, encourage la constitution de ces instances dans la dynamique de la
promulgation de la loi de 1946, à partir de 1947, la montée des grèves et l’évolution de la
stratégie du parti communiste dans la guerre froide changent la donne. La CGT relaie
alors les combats du parti communiste contre l’impérialisme américain
4
. Force Ouvrière
sans être hostile aux CE s’évertue prioritairement à défendre les prérogatives du syndicat
dans l’entreprise face à la représentation élue des salariés. Le Ministère du travail tente
d’asseoir la légitimité de cette institution dans sa configuration originelle en dépit du
raidissement du patronat face à la stratégie de la CGT : le nombre de CE diminue
fortement dans les années 50 et 60, leur action se limitant de plus en plus aux œuvres
sociales au détriment de l’action économique (Le Crom, 2001). Dans cette période, les
mouvements gaullistes mettent en avant des propositions d’association capital-travail,
mais celles-ci ne trouvent un début de réalisation que dans les ordonnances sur
l’intéressement de 1959 –système incitatif– et 1967 dispositif obligatoire mais restreint
aux entreprises bénéficiaires dans lequel il s’agit plus de faire des salariés des
« possédants »
5
que de les associer à la gestion en dépit des intentions de de Gaulle lui-
même. Toutefois, si la recherche des voies d’un renouvellement de la démocratie en
faisant une plus grande place aux salariés a quit les cercles gouvernementaux, elle
anime plusieurs forces sociales au premier rang desquelles la CFTC et le club Jean
Moulin (Andrieu 2002). La première, majoritairement proche de la mouvance démocrate
chrétienne qu’incarne alors le MRP
6
, condamne le régime capitaliste dès 1955 alors qu’au
même congrès une importante minorité prône un socialisme démocratique ; le congrès de
1963 qui consacre la mutation de la CFTC en CFDT est aussi celui des prémisses du
projet autogestionnaire avec l’apparition d’un groupe de travail confédéral dont le but est
4 Benoît Frachon : « Les délégués ouvriers aux comités d’entreprise ne peuvent agir en 1948 comme en
1945.[…] Avant tout, il faut paralyser l’effort de ceux qui conduisent le pays à la ruine, au chaos, au
chômage, à la domination étrangère et à la guerre pour les expansionnistes américains » in La Revue des
comités d’entreprise, n°1, avril 1948, cité par Le Crom (1997), « Le comité d’entreprise une institution
sociale instable, communication au colloque « L’enfance des comités d’entreprise » 1996.
5« Je crois que les salariés ont le droit et le désir de devenir des possédants. Grâce à cette propriété, fut-elle
faible au départ, ils se sentiront liés à un système économique, même s’il reste en partie capitaliste et au
progrès de ce système » déclaration G. Pompidou, Premier ministre, septembre 1967 (CAC 970084, art. 1)
6 Mais le MRP rassemble lui-même des tendances hétérogènes de la droite classique aux gaullistes à la
recherche d’une 3° voie entre capitalisme et socialisme.
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