Chapitre 1 : Découverte d'une discipline scientifique
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prévoir l'évolution des variables économiques. Elle ne fait que prédire l'effet de certaines
variables sur d'autres, dans certaines conditions et toutes choses étant égales par ailleurs.
Seulement voilà: dans le monde réel, les choses ne restent pas égales par ailleurs. Même si la
théorie prédit parfaitement l'effet indépendant de chaque variable explicative, personne ne sait
à l'avance comment évolueront ces variables.
Analyse positive et analyse normative
Chacun a ses idées, ses opinions politiques, ses valeurs morales. Dans toute discussion
entre plusieurs individus se trouvent le plus souvent mêlés informations objectives,
préférences personnelles, raisonnements théoriques, principes moraux. Cependant, quand on
souhaite procéder à l'analyse rigoureuse d'un phénomène, il convient de ne pas mélanger les
genres et de distinguer, d'une part, l'analyse positive, qui cherche à expliquer le monde tel
qu'il est, et d'autre part, l'analyse normative, qui tente de définir comment le monde devrait
être. Seule l'approche positive permet d'adopter une démarche scientifique en économie. La
théorie ne porte alors aucun jugement de valeur, ne part d'aucun a priori moral ou
philosophique, et se contente d'émettre des hypothèses pour expliquer les phénomènes. Si les
faits contredisent les conclusions de la théorie, cette dernière est rejetée. Dans cette démarche,
il n'y a jamais d'idées justes ou fausses en soi; il n'y a que des hypothèses « qui marchent » et
d'autres « qui ne marchent pas ».
La distinction entre les deux démarches est particulièrement importante pour les
problèmes de politique économique. Ainsi, l'analyse positive peut expliquer les effets
probables des différentes politiques de lutte contre le chômage ou l'inflation, mais elle ne peut
pas dire s'il faut ou non lutter contre ces phénomènes ni lequel des deux objectifs doit être
prioritaire. L'analyse normative, en revanche, définit quels sont les bons objectifs et les
priorités souhaitables pour la société. Mais les conclusions de l'analyse normative s'appuient
sur des jugements de valeur, que tout individu peut partager ou non, et qui ne peuvent être, à
la différence des propositions scientifiques, soumis à l'épreuve des faits.
En tant que discipline scientifique visant à comprendre le monde et son évolution, la
théorie économique est essentiellement positive. Cela ne doit pas empêcher les économistes
d'utiliser leurs théories à des fins normatives pour donner leur opinion sur les différents choix
auxquels se trouve confrontée la société. Mais il convient de ne pas faire passer pour résultat
d'un travail scientifique ce qui n'est que la conséquence d'un jugement de valeur personnel.
La distinction entre l'approche normative et l'approche positive est aussi parfois assez
nette. Il est des économistes qui font leur travail avec la curiosité à la fois méticuleuse et
détachée d'un botaniste à l'égard des plantes ou d'un astrophysicien envers les étoiles. Il en est
d'autres qui pratiquent une économie militante et espèrent que l'écume de leurs travaux
changera la vague de l'Histoire. Espérons seulement que la lecture de ce livre donnera à
quelques-uns le goût d'aller plus avant dans l'exploration de l'économie, chacun à sa manière,
tendance botaniste ou tendance militante.
Les écoles de pensée
L'analyse des différentes « doctrines » économiques n'a d'intérêt véritable que pour
l'histoire de la pensée économique […] Pour la compréhension de ce qui suit, le lecteur peut
considérer qu'il n'existe dans l'analyse économique orthodoxe que deux grands courants,
classique et keynésien.
Le courant classique fait confiance au mécanisme des prix pour maintenir tous les
marchés en équilibre, même à la suite de chocs susceptibles d'entraîner chômage, récession,
inflation ou déséquilibre des échanges extérieurs. En conséquence, l'intervention de l'État n'est