INTRODUCTION
Le programme de recherche de l’Économie des conventions (EC), tel qu’il s’est développé en
France au cours de ces vingt dernières années, a permis de renouveler l’analyse économique
des institutions en privilégiant le point de vue des acteurs. Son hypothèse fondatrice, qui a
facilité le regroupement de différents auteurs, repose sur un individualisme méthodologique
complexe critiquant la rationalité classique utilisée en économie. En gros, cette hypothèse
fondatrice est la suivante. Si ces cadres communs d’action sont extérieurs aux personnes,
celles-ci participent néanmoins par leur action à leur création, leur actualisation ou leur
remise en cause (Dupuy et alii, 1989). Reformuler d’une autre manière, c’est la tentative de
concilier l’idée que le « social » a une certaine autonomie, sinon ses lois propres, avec l’idée
que ce sont les individus qui agissent, qui ont des intentions et non une entité supra-
individuelle.
Si l’Économie des conventions n’a pas réussi à proposer un cadre d’analyse aussi rigoureux
que l’approche néo-institutionnelle (au sens de Schotter, 1981), qui étudie les fonctions des
institutions à partir de la théorie des jeux, elle a montré sa fécondité en ce qui concerne
l’appréhension empirique des dispositifs institutionnels, et en particulier les dispositifs en
œuvre sur le marché du travail, dans une tradition qui la rapproche des institutionnalistes
américains. Cette fécondité de l’EC est évidemment liée à son intérêt pour la coordination
par des règles, en mettant l’accent sur leur dimension à la fois cognitive et normative, sur leur
problème d’interprétation et d’application suivant les contextes d’action.
Mais la focalisation sur les problèmes de coordination, les questions d’anticipation et de
représentation, a conduit l’EC à délaisser la notion d’« institution », en tant que cadre donné
de l’action collective, notion sans doute trop chargée en présupposés holistiques. On peut
évoquer deux autres arguments. Le premier tient à la façon dont l’EC traite la notion de
« règle ». En partant du postulat que toute règle est incomplète et que donc les acteurs
doivent se mettre d’accord sur une interprétation de la règle pour se coordonner, l’EC
mobilise la notion de « convention » pour comprendre, sinon expliquer, les actions en
référence à des règles et en particulier les règles institutionnelles. L’autre argument tient à la
critique d’un certain positivisme qui pousse les économistes à considérer les faits sociaux
comme des faits naturels ou susceptibles de recevoir des explications en référence à des
régularités universelles ou des « lois naturelles ». Pour l’EC, les faits sociaux ont besoin d’un
accord commun minimal pour que les acteurs puissent se coordonner. C’est cet accord parmi
d’autres possibles, et non simplement les caractéristiques « naturelles » des entités en
présence, qui peut conduire à mettre l’accent sur la dimension conventionnelle des faits
sociaux. Dans ce cas, l'extension de la notion de convention est liée à l’idée très générale
d’un accord collectif préalable.
L’objectif principal de ce texte est de discuter de façon plus approfondie ces trois arguments
afin de clarifier les notions d’« institution » et de « convention » et de proposer des pistes
d’articulation entre ces deux notions. Comme le montre très bien H. Defalvard (2000), l’EC a
initié récemment toute une série de réflexions visant d’une certaine façon à reconsidérer la
notion d’institution1. La réflexion que je propose dans ce texte s’inscrit dans cette
perspective. Cet objectif est justifié par mon parcours de recherche qui a pris appui, au
1 Au-delà de nos propres travaux (Bessy et al., 2001), on peut citer l’ouvrage dirigé par R. Salais (1998) ainsi que celui
dirigé par Batifoulier (2001).