«Dépasser les enjeux RH classiques
pour entrer dans la création de valeur»
Grand spécialiste des enquêtes collaborateurs en Suisse romande, le consultant Daniel Held a mené plusieurs recherches
et dirigé des dizaines d’enquêtes en organisation. Depuis le tournant des années 2000, il est aussi l’un des pionniers des
enquêtes d’engagement. Pour HR Today, il détaille les avantages de cette nouvelle tendance et en esquisse les contours.
Daniel Held, vous êtes très critique avec
l’appellation «enquête de satisfaction» telle
qu’elle est employée en Suisse romande.
Expliquez-nous votre point de vue.
Daniel Held: La notion d’enquête de sa-
tisfaction s’intéresse à l’environnement et
aux conditions de travail. Il s’agit de mesurer
s’ils répondent aux attentes des collabora-
teurs. Cette approche est très orientée «con-
sommateur». L’entreprise tente de satisfaire
son personnel pour éviter des conflits sociaux
et un turn-over trop élevé. Cette logique est
intéressante et je ne la renie pas. J’estime sim-
plement qu’elle n’est pas suffisante.
Pourquoi?
Depuis une dizaine d’années, on essaie
d’aller beaucoup plus loin dans l’analyse. Ce
qui prime en fin de compte, c’est la notion
d’engagement et de création de valeur. Si vous
êtes capables au travers d’une enquête colla-
borateurs de cerner quels sont les vrais mo-
teurs de la performance de votre entreprise,
vous disposez des informations pour agir en
tant que partenaire du business. Par consé-
quent, les éléments liés à l’environnement
professionnel perdent de l’importance. Cer-
taines causes d’insatisfaction n’ont aucun ef-
fet sur l’engagement. D’autres si. Cette
distinction implique une analyse plus fine et
des méthodes plus évoluées.
Qu’entendez-vous par là?
Pour favoriser l’engagement, il faut parve-
nir à cerner la situation dans laquelle les indi-
vidus mettent leur énergie, leurs compétences
et leur créativité au service des objectifs de
l’entreprise, le tout avec plaisir - c’est une no-
tion importante. On est là dans un stade plus
poussé de la compréhension des phénomènes
humains dans l’organisation.
D’où vient cette approche?
Des Etats-Unis, avec l’arrivée du balanced-
score-card au tournant des années 2000. Rapi-
dement, on s’est rendu compte que
l’engagement est un indicateur phare des ta-
bleaux de bord équilibrés (ou stratégiques). Il
y en a d’autres, bien sûr, tels que la qualité du
leadership, les efforts et l’impact de la forma-
tion, la qualité de l’innovation, la gestion de
la relève... Mais l’engagement est l’indicateur
phare. Le problème, c’est que les entreprises
étaient relativement démunies pour mesurer
cet engagement. Il a donc fallu faire évoluer
significativement les méthodes pour passer
d’un élément descriptif, l’enquête de satisfac-
tion, vers un modèle plus analytique. Quel-
ques cabinets européens s’y sont aussi attelés,
en développant des méthodes propres. Celles-
ci continuent d’ailleurs d’évoluer. On se rend
compte par exemple que certaines questions
qui avaient des mauvais scores n’avaient
strictement aucun impact sur la performance
de l’entreprise.
Par exemple?
J’ai connu une société l’ensemble des
cadres et collaborateurs considérait la rému-
nération comme inadaptée. Mais à y regarder
de plus près, ceci n’avait aucun impact sur
l’engagement des collaborateurs. Ce point ne
réclamait donc, malgré son mauvais score,
aucune attention managériale. Cela peut aus-
si arriver avec les horaires ou les conditions de
travail, même avec la stratégie d’entreprise
d’ailleurs. Sans cette précaution, on risque
donc de faire des actions inutiles et souvent
très coûteuses. De plus, mesurer l’engagement
implique de cerner les différentes commu-
nautés de l’organisation. Comprendre ce qui
motive des managers par rapport à des ou-
vriers, etc. On est dans des terrains de re-
cherche extrêmement intéressants et encore
relativement peu exploités à ce jour. A noter
que nous lançons ces jours une recherche
importante avec l’EPFL et la HEIG-VD pour
explorer ces nouveaux enjeux.
Qu’en est-il en Suisse romande?
Au niveau des PME, la pratique consiste à
conduire des enquêtes de satisfaction très
simples et peu coûteuses, pour répondre aux
exigences de la certification ISO. Les grandes
entreprises (de 150 personnes et plus, ndlr) et
les multinationales sont en train de passer
largement aux enquêtes d’engagement.
Quel est l’investissement?
A titre comparatif et de manière très ap-
proximative, une enquête d’engagement de
base démarre à 30 000 francs alors qu’une en-
quête de satisfaction d’entrée de gamme peut
ne coûter que quelques milliers de francs.
Mais cela varie évidemment considérable-
ment selon la taille de l’entreprise, le nombre
de rapports exigés et plusieurs autres
facteurs.
Et quels sont les retours?
L’enquête en soi ne doit pas être un but.
L’enquête est un outil de management. Les
équipes dirigeantes doivent s’impliquer forte-
ment dans la démarche. Elles s’engagent à
communiquer et surtout à passer à l’action.
Ce processus va créer de la valeur. L’autre re-
tour majeur est la capacité à créer un dialo-
gue. L’enquête vous permet d’écouter tout le
monde et de revenir avec des terrains de dia-
logue qui vont vraiment impliquer les collabo-
rateurs. Les thèmes clés seront la compréhen-
sion de la stratégie, l’organisation et les
systèmes de management... Nous dépassons
les préoccupations RH classiques.
On a l’impression en vous écoutant que
cette nouvelle manière de faire des en-
quêtes s’adresse avant tout aux patrons.
Et que dans ce transfert, les collaborateurs
ont perdu au change.
C’est une impression totalement erronée.
J’ai dit que c’était un outil de management et
non patronal. C’est une grosse nuance. Ces
enquêtes doivent permettre aux managers de
mieux comprendre quelles sont les attentes
de leurs collaborateurs, ce qui va les motiver
et comment ils vont pouvoir les encourager et
les stimuler. Ce n’est pas de la manipulation.
Nous ne sommes plus dans les dialogues so-
ciaux des années 1970-1980, les syndicats
protégeaient les «pauvres ouvriers».
Aujourd’hui, même les ouvriers occupent
souvent des postes très spécialisés avec
«Certaines causes d’insatis-
faction n’ont aucun effet sur
l’engagement. D’autres si.
Cette distinction implique une
analyse plus fine et des
méthodes plus évoluées.»
Daniel Held
Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch
HR Today Le journal suisse des ressources humaines
HR Today 3 juin 2009
d’énormes responsabilités. Ils ont besoin
d’être impliqués dans l’entreprise.
Mais que faire des collaborateurs qui ne
souhaitent pas s’impliquer davantage et
pour qui les conditions de travail comptent
beaucoup…
Je n’ai pas dit que l’environnement de tra-
vail n’était pas important. Il faudra par contre
le mettre en perspective et être sûr de savoir
quel est le «bon combat». Il est évident que
dans certains cas, des choses totalement ba-
siques peuvent empoisonner la vie. Mais vous
n’allez pas faire vingt questions sur les condi-
tions de travail. Quatre ou cinq suffiront.
Du côté du management, quels sont les
risques?
Je connais plusieurs équipes de direction
dans lesquelles tous les cadres ne sont pas
pleinement engagés. C’est un gros risque pour
les entreprises. Quand vous repérez et dé-
bloquez des problèmes au niveau des cadres
supérieurs, cela induit des changements posi-
tifs à large échelle, parce qu’il est essentiel
que l’encadrement supérieur adhère aux
orientations, aux valeurs et aux pratiques.
C’est le même problème avec les experts. Il
faut savoir les impliquer pour les garder.
Quelles sont les résistances majeures que
vous rencontrez?
Il y en a deux majeures. La première est
clairement au niveau des comités de direc-
tion. Dans toute une série d’entreprises, la
culture du feed-back est encore très faible. Ces
sociétés préfèrent donc mener des enquêtes
de satisfaction pour éviter de mettre les vraies
questions sur la table. Mais la souffrance reste-
ra la même et l’organisation n’évoluera pas.
Le deuxième facteur de résistance potentiel
vient des collaborateurs s’ils ont été échaudés
par de mauvaises expériences antérieures. Si
le management n’a pas tenu ses promesses en
termes de confidentialité ou de rendu des ré-
sultats, ce sera très difficile de mener une
nouvelle enquête dans de bonnes conditions.
Propos recueillis par Marc Benninger
«L’enquête vous permet
d’écouter tout le monde et de
revenir avec des terrains de
dialogue qui vont vraiment
impliquer les collaborateurs.
Les thèmes clés seront la
compréhension de la stratégie,
l’organisation et les systèmes
de management...»
Daniel Held
HR Today Le journal suisse des ressources humaines
HR Today 3 juin 2009
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