Analyse contrastive entre le français et le japonais, la non

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Analyse contrastive entre le français et le
japonais, la non-réalisation du complément
Hisae AKIHIRO-TRESSEL
(Université de Provence, Faculté de lettres, Département des Etudes Asiatiques,
Section Japonaise)
Résumé
Nous proposons ici une étude contrastive entre le japonais et le français sur la non-réalisation du
complément d’objet direct (notée par ‘ø’). Il en existe deux types : le ø non-anaphorique à la valeur
indéfinie et le ø anaphorique à la valeur anaphorique. Diverses langues possèdent ces deux types de
ø, mais la répartition entre les deux varie d’une langue à l’autre. En se basant sur une étude
statistique, nous constatons qu’en français, le ø anaphorique est beaucoup moins fréquent que le ø
non-anaphorique, tandis qu’en japonais, la répartition est plutôt inverse : on rencontre beaucoup
plus souvent le ø anaphorique que le ø non-anaphorique. Le but de notre article est d’expliquer
pourquoi il existe une telle différence entre ces deux langues, tout en contrastant les facteurs
conditionnant le ø dans chaque langue.
1. Introduction
Le présent article porte sur la non-réalisation du complément d’objet direct1 (désormais appelé
‘COD’). Nous travaillons sur les constructions dites ‘transitives2’ dans lesquelles le COD peut être
supprimé sans modifier la structure de la valence verbale. Nous nous servons ici de la notation ‘ø’,
représentant la place inoccupée par une forme lexicale ou pronominale. Ce problème s’observe dans
plusieurs langues différentes, y compris le français et le japonais, que nous étudions
particulièrement dans ce travail. Par exemple, les verbes manger en français (1) et
㣗࡭ࡿ
(manger)
1 La définition du COD elle-même est un grand problème. Concernant celle du français, voir Akihiro (2004). Quant à celle
du japonais, nous nous contentons ici d’utiliser une définition classique dans la grammaire japonaise : le COD est un
complément accompagné de la particule ‘’. (Il faut pourtant noter que la particule est souvent omise dans l’oral de style
familier.) Nous ne traitons pas ici le COD apparent, se rapportant au verbe de ‘déplacement’ : par exemple, 㐠ືሙࢆ㉮ࡿ
(courir sur le terrain de sport), ᕷᗇ⯋ᗈሙࢆ㏻ࡿ (passer la place de l’Hôtel de ville), ᒣ㐨ࢆṌࡃ (marcher sur le sentier
en montagne) etc. Nous ne prenons pas en compte non plus le complément accompagné de la particule ‘ (ni)’, bien que
certains linguistes le considèrent comme un COD.
2 La définition de la notion ‘transitif est aussi problématique. Ceci fera l’objet de l’un des nos prochains travaux. Pour le
moment, nous définissons un verbe transitif comme un verbe pouvant se construire avec un COD.
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en japonais (2) peuvent s’employer tous les deux avec ou sans COD, selon les choix du locuteur
dans un contexte donné.
(1) a. Il a mangé du chocolat
b. b. Il a déjà mangé.
(2) a. ᙼࡣࢳࣙࢥ࣮ࣞࢺࢆ
㣗࡭ࡓ
.
(Il a mangé du chocolat.)
b. ᙼࡣࡶ࠺
㣗࡭ࡓ
.
(Il a déjà mange.)
Nous considérons que le ø peut entrer dans le paradigme du COD. Seuls quelques linguistes
(Bilger, Blanche-Benveniste, Schøsler et Yaguello) ont remarqué l’importance de ce fait, que tous
les autres n’ont pas mise en avant. La raison de cette négligence viendrait d’une hésitation à
admettre que le ø, qui est une marque de l’absence, soit un élément bien présent.
Pour définir le ø, nous nous appuyons sur la notion de ‘zeroing’ de Harris. La théorie harisienne
de la grammaire transformationnelle3 vise à utiliser des opérations telles que la permutation,
l’insertion, la nominalisation, etc., afin de caractériser une ‘phrase’, c’est-à-dire, un ‘emploi d’un
prédicat’. Le zeroing est aussi une de ces opérations. Selon Harris, il est possible de réduire la forme
phonémique de mots d’une phrase, mais seulement pour les mots dont la présence est facile à
restituer à partir de leur environnement.
“The zeroing of redundant materiel […] drops words from a sentence, but only words whose
presence can be reconstructed from the environment. However we can say that the material is still
morphologically present, that only its phonemes becomes zero, and that the language therefore has
no dropping of morphemes”
Harris, Z.S. (1970 : 558)
Il vaut peut-être mieux dire qu’il n’existe pas de valeur propre à la marque ø, mais seulement
une valeur qui doit être saisie comme effet de sens calculé à partir de son environnement. Nous
considérons pourtant qu’il est légitime de traiter le ø en tant que élément linguistique tout comme
d’autres formes. Il existe certainement une raison pour laquelle on choisit le ø et non d’autres
formes lexicales ou pronominales dans un contexte donné et pour un verbe donné. Pour résoudre le
problème, il est indispensable de comparer le ø avec d’autres formes linguistiques sur l’axe
paradigmatique du COD.
Il faut étudier les conditions permettant le ø, la typologie de ø et la restitution de l’information
manquante. Afin de les dégager, nous envisageons ici une étude basée sur les exemples collectés
dans divers corpus. Voici la liste des bases de données consultées :
3 Soulignons qu’une opération transformationnelle s’applique à une phrase pour en produire une autre en résultat et que ces
deux phrases sont considérées comme une paire de phrases en relation d’équivalence, c'est-à-dire, qui gardent la même
information. Cette idée de l’équivalence fait la différence entre la théorie transformationnelle harisienne et la théorie
chomskyenne.
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Français oral
- Corpaix de l’Université de Provence
- Corpus du français parlé de TUFS (Tokyo University of Foreign Studies)
Français écrit
- Frantext (grande base de données de littérature française) de l’INALF (Institut national
de la langue française)
Japonais oral
- Corpus de conversations en japonais 1 et 2 de TUFS4
Japonais écrit
- Aozora bunko : http:// www.aozora.gr.jp
- Exemples collectés dans des textes littéraires, des journaux récents.
2. Deux types de ø
2.1. Définitions des deux types de ø : le ø anaphorique et le ø non anaphorique
Le ø semble avoir soit une valeur anaphorique, soit une valeur non-anaphorique. Le ø
anaphorique s’interprète comme référent spécifique, en renvoyant à l’antécédent, qui est disponible
dans un contexte immédiat (proche du ø). L’interprétation du ø non-anaphorique s’obtient au
contraire, indépendamment d’un tel contexte. Le ø est considéré comme général et indéfini. Dans
(3), le ø est anaphorique : il s’interprète comme ‘sa préface’ à partir du contexte anaphorique. En
revanche, dans (4), le ø est non-anaphorique, se considérant comme objet indéfini.
(3) L15 : Mais Laaba je lui ai écrit sa préface.
L2 : Ouais, ouais, je sais j’ai lu. CHARABI 60,3(Corpaix)
(4) Elle était illettrée – elle ne savait pas lire ni écrire. FEMMES 80,8 (Corpaix)
En japonais, on observe également ces deux types de ø. Dans (5), le ø est anaphorique, il
s’interprète comme référent spécifique ‘୰ᅜㄒࢪ࣮ࣕࢼࣝ’ (un journal parlant de la langue
chinoise) à l’aide du contexte. Par contre, dans (6), le ø est non-anaphorique. Il est considéré comme
objet indéfini.
(5) ࡡぢ࡚ぢ࡚ࠋ୰ᅜㄒࢪ࣮ࣕࢼࣝ 4᭶ྕ[…] ࡛㸪᭱㏆ࡡ㸪࡞ࢇ
ㄞࡴ
ࡔࡅࡣ
ㄞࡶ
࠺࡜࡜ࡗ࡚ࡿࡢࠋ
(Tiens, regarde. Voici le numéro d’avril du journal de chinois. […] et depuis peu, j’ai
l’intention au moins de le lire, alors je prends l’abonnement). Corpus TUFS
4BTS ࡟ࡼࡿከゝㄒヰࡋゝⴥࢥ࣮ࣃࢫ ᪥ᮏㄒ఍ヰ㸯࣭㸰࠘Ᏹబ⨾ࡲࡉࡳ┘ಟ
5 Nous notons par ‘L1’ le locuteur 1, par ‘L2’ le locuteur 2, participant à la conversation.
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(6) [࢔࣓ࣜ࢝ࡢ኱Ꮫ࡛ࡣ]࡜࡟࠿ࡃ࠸ࡗࡥ࠸
ㄞࢇ
࡛ぬ࠼࡞ࡃࡕࡷ࠸ࡅ࡞࠸ࠋ
([Dans une université aux Etats-Unis] En tout cas, il faut beaucoup lire et apprendre.)
Corpus TUFS
2.2. La disparité de la répartition des deux ø
En regardant les exemples collectés, on voit tout de suite la disparité de la répartition de ces
deux types de ø.
En français, parmi 1000 exemples collectés, 256 exemples sont anaphoriques (25,6%) et 744
exemples sont non-anaphoriques (74,4%). En japonais, la répartition est inverse. Parmi 405
exemples collectés, 313 exemples sont anaphoriques (77%) et 92 exemples sont non-anaphoriques
(23%).
Tableau 1-a. : Répartition des deux ø en japonais
Tableau 1-b. : Répartition des deux ø en français
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3. Ø anaphorique
3.1. Ø anaphorique en japonais
D’après le tableau 1-a, on voit que le japonais accepte très facilement le ø anaphorique.
L’importance du ø anaphorique en japonais a attiré l’attention de nombreux linguistes. Dans le
domaine du traitement automatique des langues, par exemple, certains tentent de concevoir des
programmes visant à restituer automatiquement le référent du ø anaphorique en japonais, tout en
identifiant le ø avec l’antécédent dans le contexte immédiat. Dans le domaine d’apprentissage de
langues, il a été remarqué que les apprenants japonais omettent trop souvent des pronoms
obligatoires dans d’autres langues telles que l’anglais et le français. Nous observons également des
fautes typiques chez certains apprenants japonais de français : (7) est une conversation entre une
étudiante japonaise (L1) et une française (L2). L2 reprend la phrase de L1, tout en complétant le
pronom supprimé par erreur. La contrainte grammaticale du ø anaphorique en français est
apparemment très difficile à maîtriser pour les apprenants japonais.
(7) L1 : Il dort toujours, je vais réveiller.
L2 : Oui, il faudrait le réveiller. Exemple entendu
Au fil des recherches antérieures, la possibilité du ø anaphorique semble être conditionnée
principalement par l’ordre discursif en japonais. Si le référent est facilement identifiable dans un
contexte donné, on peut l’omettre. Cette tendance s’observe non seulement pour le COD, mais aussi
pour d’autres compléments, surtout pour le sujet qui se trouve souvent dans une position de ‘thème’
où la place est réservée pour des référents déjà mentionnés. ᡂᒣ(2009) note les 4 critères décidant
la possibilité du ø anaphorique (selon ses termes ‘ellipse du complément’).
Tableau 2 : 4 critères du ø anaphorique de ᡂᒣ (2009 : 33)
Tableau 2 : 4 critères de ø anaphorique de Nariyama (2009 : 33)
Factors that influence omission omit not to omit
Competing arguments in the context absent present
Sentence distance since last mention of the
argument short long
Knowledge of the hearer about the content much less
Setting : where is it spoken and with whom? informal, casual, familiar formal, technical,
unfamiliar
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