
5
De l'autre côté, nous prendrons en considération le fait que l’emploi des temps
verbaux relève aussi du plan de l’énonciation. C’est ainsi que Benveniste (1966 : 238-239)
distingue les temps du discours et les temps de l’histoire. Suivant cette idée, en français
l’imparfait, le passé simple, le passé antérieur et le plus-que-parfait sont considérés comme
temps historiques. Or, nous allons voir que le présent, le passé composé et parfois aussi le
futur peuvent également être employés dans le récit, tandis que l’imparfait et le plus-que-
parfait s’emploient aussi dans le discours, ce qui fait du passé simple et du passé antérieur les
seuls temps réservés uniquement au récit. En revanche, le croate ne distingue pas les temps
verbaux par rapport au plan de l’énonciation, mais plutôt par rapport à la fréquence de
l’emploi. C’est ainsi que Silić et Pranjković (2005 : 192-195) constatent la rareté et la
redondance de l’aoriste, de l’imparfait, du plus-que-parfait, du futur II des verbes perfectifs et
du conditionnel II, lorsque – comme la présente étude vise à montrer – le parfait tend à
éliminer l’aoriste, l’imparfait et le plus-que-parfait ; le présent des verbes perfectifs tend à
éliminer le futur II des verbes perfectifs ; et le conditionnel I tend à éliminer le conditionnel II
dans le discours ainsi que dans le récit.
Par rapport à la catégorie du mode, les deux langues divergent quant à la définition et,
par extension, le nombre des modes verbaux. En effet, pour les grammairiens croates le terme
mode est limité à ce que les grammairiens français considèrent être les modes personnels.
C’est ainsi que le croate dispose uniquement de quatre modes (indicatif, conditionnel, optatif
et impératif), tandis que l’infinitif, le gérondif (cr. glagolski prilog « adverbe verbal ») et le
participe (cr. glagolski pridjev « adjectif verbal ») sont considérés simplement comme formes
verbales (cr. « glagolski oblici »). Par contre, en français nous trouvons la répartition en
modes personnels ou – comme l’ajoutent Grevisse et Goosse (2008 : 979-980) – conjugués,
dont le verbe se conjugue vu qu’il relève de la personne grammaticale, et les modes
impersonnels ou non conjugués, dont le verbe ne se conjugue pas.
Qui plus est, les grammairiens français ne s’accordent pas entre eux non plus
relativement à la définition et le nombre des modes en français. Justement, pour n’en citer que
quelques-uns, Riegel et al. (1981 : 287) affirment trois modes personnels (indicatif, subjonctif
et impératif) et deux modes impersonnels (infinitif et participe), Dubois et Lagane (1995 :
124) en affirment quatre personnels (indicatif, conditionnel, subjonctif et impératif) et deux
impersonnels (infinitif et participe), tandis que Grevisse et Goosse (2008 : 979-980) en
affirment trois personnels (indicatif, subjonctif et impératif) et trois impersonnels (infinitif,
participe et gérondif). Évidemment, le problème qui se pose est le traitement du conditionnel