R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E A V R I L / M A I 2 0 0 9 N ° 2 3 5
C A H I E R T E C H N I Q U E
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É c o l o g i e
au greffon et sa capacité à absorber le potassium), adaptation du
rapport surface foliaire/poids de fruits et gestion du microclimat des
feuilles et des fruits (Champagnol, 1994).
De nombreux travaux montrent que le régime thermique en période
de maturation du raisin est l’une des variables déterminantes de
la coloration du raisin et de la richesse en arômes, anthocyanes et
polyphénols des vins (Buttrose et al., 1971 ; Dokoozlian and Kliewer,
1996). Il en est de même pour l’exposition à la lumière (Haselgrove
et al., 2000 ; Spayd et al., 2002). L’élévation de température de la baie
de raisin peut atteindre 10° C par rapport à celle de l’air ambiant,
lorsque celle-ci est exposée directement au soleil. Ces températures
élevées conduisent à une moindre accumulation en composés
phénoliques et anthocyanes. Dans les climats chauds, l’exposition
directe et prolongée des raisins à la lumière apparaît préjudiciable
aux profils anthocyaniques et polyphénoliques (Bergqvist et al., 2001),
sans compter sur les risques accrus de dessèchement des baies.
Les C13-norisoprenoides seraient eux aussi altérés par les expositions
prolongées (Marais et al., 1992 ; Lee et al., 2007). Une contrainte
hydrique trop forte (restriction aiguë de la surface foliaire ou même
défoliation) ou un effeuillage trop conséquent de la zone des grappes
génèrent de telles altérations. L’aptitude au vieillissement des vins
de millésimes très chauds est réputée bien moindre que celle des
millésimes au climat plus tempéré (Pons et al., 2009).
La hausse des températures sera probablement plus importante
sur les températures minimales que sur celles maximales (Jones
et al., 2005). Or, les températures fraîches ont un effet positif sur
la coloration du raisin, et tout particulièrement celle de la fraîcheur
des nuits (Kliewer et Torres, 1972 ; Tonietto et Carbonneau, 2000).
La fraîcheur des nuits en période de maturation (véraison-récolte)
apparaît comme un bon indicateur des caractéristiques liées à la
couleur et aux arômes du raisin. L’accumulation des anthocyanes
dans les pellicules serait donc favorisée par un état de stress hydrique
modéré de la plante, par des températures diurnes plutôt élevées
mais sans excès, avec probablement une interaction positive avec
des températures nocturnes fraîches (Carbonneau et al., 1992).
L’élévation des températures nocturnes et la réduction probable
de l’amplitude thermique jour-nuit dans le cadre du réchauffement
climatique à venir devrait participer à la modification qualitative
du profil anthocyanique et polyphénolique des raisins.
2. Un bilan hydrique souvent déficitaire
La disponibilité hydrique conditionne fortement la croissance de
la vigne et la maturation du raisin. Une contrainte hydrique réduit
la photosynthèse, favorise l’arrêt de croissance et stimule la synthèse
des composés phénoliques. Installée tôt en saison (immédiatement
après la floraison), elle affecte la taille des baies. Tout ceci concourt
à l’élaboration d’un raisin à fort potentiel œnologique quand la
contrainte reste modérée. Le changement attendu du régime estival
des pluies devrait conduire à des situations de contrainte hydrique
accrue. Bénéfique pour le nord de la France pour les vignobles à
cépages rouges, cette contrainte hydrique devrait, en revanche être
forte à très forte dans les régions du sud. Une adaptation de la conduite
de la vigne et du matériel végétal permet en partie de limiter
les effets négatifs de stress hydrique excessifs (Choné et al., 2001).
La première adaptation est la limitation des rendements, ce qui
permet de maintenir le rapport surface foliaire/fruit convenable
à une production d’un raisin de qualité, tout en ayant une surface
foliaire (et donc une surface transpirante) adaptée au nouveau
contexte climatique. De nouveaux porte-greffes résistant à la
sècheresse sont actuellement à l’étude et feront sans nul doute
partie de nos futurs outils. Un palissage lâche, voire un port libre,
permet d’éviter l’échaudage des feuilles suite à une meilleure aération
(Lissarrague, 2008). L’irrigation raisonnée, en maintenant une contrainte
hydrique modérée, permet d’éviter le blocage de la photosynthèse.
Les conditions chaudes et sèches estivales risquent fort de générer
des contraintes azotées durant la période véraison-récolte.
À l’origine d’une carence azotée accrue des moûts, des problèmes de
fermentation sont à attendre. De plus, il a été montré qu'une carence
en azote durant la période estivale est préjudiciable au potentiel
aromatique des raisins blancs et peut même être à l’origine
d’un vieillissement défectueux des vins blancs (Rapp et al., 1995 ;
Duchêne et Schneider, 2005).
3. L’augmentation de la concentration
en CO2atmosphérique
En un siècle, la quantité de CO2atmosphérique a augmenté de 30 %.
Une élévation de sa concentration se traduit directement par une
augmentation de la photosynthèse. Ainsi, on a un doublement
de la photosynthèse lorsque la concentration en CO2de l’air passe
de 364 à 605 ppm (taux probablement atteint à la fin du siècle)
à une température de feuille proche de l’optimum de 34° C
(Schultz, 2000). Bindi et al. (1996) montrent une stimulation de
la croissance végétative (+35 % de surface foliaire, poids sec) et
de celle du rendement (+21 %, poids sec) sur le sangiovese, lors
d’une exposition prolongée à 700 ppm. García de Cortázar Atauri
(2006) en utilisant le modèle STICS Vigne retrouve le même type de
résultat avec les différents scénarios climatiques futurs appliqués
à huit cépages : grenache, syrah, pinot noir, chardonnay, chenin,
cabernet franc, ugni blanc et merlot. Une meilleure reconstitution
des réserves de la plante est ainsi mise en évidence. Les résultats
sont bien sûr variables selon les AOC, pour lesquelles le réchauffement
climatique s’exprimera différemment selon qu’elles se situent en zone
continentale ou océane, en latitude nord ou sud. Dans cette étude,
les régions du sud-est de la France apparaissent fortement pénalisées
à cause de la forte contrainte hydrique attendue (de -15 à -35 % pour
les rendements).
4. L’accroissement du rayonnement
ultraviolet (UVB)
Le rayonnement solaire ultraviolet (UVB) est très dommageable aux
organismes vivants. Les végétaux n’y font pas exception. Parmi les
changements globaux auxquels notre planète aura à faire face d’ici
à la fin du XXIème siècle, il y aura l’augmentation du rayonnement UVB.
La réduction de la nébulosité et la réduction de l’épaisseur de la couche
d’ozone en seront à l’origine. Schultz (2001) rappelle les différentes
conditions qui concourent à l’augmentation prévisible des UVB ainsi
que les conséquences connues de ce rayonnement sur la production
de raisin. Ainsi, les composants tels des acides aminés (dont l’arginine
et la glutamine indispensables au métabolisme des levures) et les
caroténoïdes (précurseurs des voies métaboliques secondaires,
comme certains précurseurs d’arômes) voient leur quantité altérée
sous l’action des UVB. Ceci pourraient alors contribuer au vieillissement
prématuré des vins blancs, déjà à redouter à causes des carences
azotées et des fortes températures (Schultz, 2001 ; Schneider et al.,
2002).
5. Une évolution de la pression parasitaire
(insectes, mildiou et autres moisissures, etc.)
L’impact du réchauffement climatique ne se fera pas seulement sentir
au niveau de la physiologie de la plante et de la baie. En effet, le
principal facteur ayant une incidence directe sur le cycle reproducteur
des insectes ravageurs est la température (Bale et al, 2002, d’après
Thiery et Chuche, 2007). L’eudémis est un insecte préférant les régions
chaudes et sèches alors que la cochylis préfère les régions relativement
fraîches et humides. Les variations du climat peuvent donc affecter
la distribution et la proportion de ces deux espèces de vers de
la grappe. Ainsi, l’eudemis, jusqu’il y a une dizaine d’années, avait
généralement trois générations en Aquitaine, la dernière étant
nettement séparée des deux précédentes et située tard en septembre.
Aujourd’hui, cette troisième génération succède rapidement à
la deuxième et il n’est même pas rare de trouver une quatrième
génération en octobre/novembre, voire septembre dans le cas
de vignobles plus méridionaux comme la Sardaigne.
Outre l’augmentation du nombre de générations, de nombreux
ravageurs pourraient voir leur aire de répartition s’étendre vers
le nord. Cela a d’ailleurs déjà commencé pour certains d’entre eux
comme l’eudémis en Champagne et les cicadelles (Thiery et Chuche,
2007). Mais les effets des températures élevées peuvent parfois
être néfastes au développement de certains insectes en bloquant
les cycles de pontes (au delà de 32,5° C) et en causant une forte
mortalité des œuf au delà de 38° C. C’est le cas de cochylis (Thiery,
2007). La remontée vers le nord s’accompagnerait aussi d’une
disparition progressive des zones sud devenues trop chaudes.
De même, il n’est pas impensable que de nouveaux ravageurs des
baies puissent faire leur apparition suite au réchauffement climatique.