TROISIEME RENCONTRE DE LA SOFPHIED COLLOQUE INTERNATIONAL Vendredi 26 £ samedi 27 juin 2009 Paris­ Sorbonne ‘’Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie’’ Nom Prénom : Amadé BADINI Adresse : 05 BP 6080 Ouagadougou 05 Burkina Faso Téléphone : (226) 70-26-80-10 (226) 50-35-63-13 Organisme de rattachement : UFR/Sciences Humaines Université de Ouagadougou E. Maïl : badini_amadé @ yahoo.fr fkinda_badini @ univ-ouaga.bf Statut: Professeur de philosophie de l’éducation Titre : « Philosophie africaine de l’enfant et Problématique de son éducation » Résumé : L’idée selon laquelle il n’y a pas d’éducation de l’enfant sans une philosophie de l’enfance, peut paraître banale en soi pour peu qu’on a visité l’histoire de la philosophie de l’éducation en tant que spécialité de la philosophie classique. Ainsi tous les philosophes que nous connaissons et qui ont eu à s’intéresser systématiquement ou de manière seulement allusive à l’éducation sont partis explicitement ou implicitement d’une philosophie de l’enfant et de l’enfance, c'est-à-dire de certaines acceptions et /ou conceptions de ceux-ci, qui ont donné un sens à leurs ‘’idées’’ de l’éducation et conféré une logique rationnelle à leurs théories, voire à leurs pratiques. Platon, Montaigne, Locke, Rousseau, Kant… ont tous sacrifié à cette exigence quasi. méthodologique. Le problème par contre peut se révéler délicat à explorer quand il s’agit de l’éducation d’un enfant, en absence d’une philosophie explicite d’une pédagogie non systématique c'està-dire plus vécue que pensée, comme c’est le cas dans l’univers mental negroafricain . En tant que constituant essentiel des civilisations de l’oralité desquelles participe la civilisation africaine, cette réalité qui pourrait laisser croire qu’il y a des pratiques ‘’humaines’’ qui ne supposent ou ne s’appuient pas sur une quelconque théorie (B. Malinowski : Une théorie scientifique de la culture) exige une herméneutique préalable complexe, si l’on veut qu’elle soit rigoureuse et significative. C’est à cette tâche que nous nous emploierons pour le présent texte dont une des finalités consisterait à rétablir une théorie jusque là implicite à partir d’une pratique ‘’inconsciente’’ en apparence seulement. Qu’est ce qu’un enfant ? Que signifie être un enfant ? Quelles sont les valeurs et significations de l’enfance et de l’enfant en tant qu’elles déterminent une pratique éducative plutôt qu’une autre ?... En faisant ici, une référence constante à la pensée traditionnelle africaine (qui continue d’influencer faute de régenter l’éducation contemporaine confiée plus ou moins exclusivement au système scolaire) il s’agira de réfléchir sur l’ambiguïté intrinsèque des concepts eux-mêmes (enfant et enfance) pour aboutir à une compréhension de l’ambivalence tout aussi intrinsèque de l’éducation de l’enfant africain. Laquelle ‘’éducation’’ vacillant entre la culture du symbolisme et la pratique sociale, entre la formation technique et la réalisation en l’enfant de la ‘’condition humaine’’ (JJ Rousseau)… entre éduquer l’enfant pour lui-même et l’éduquer pour la société (E. Durkheim et la finalité socialisante de l’éducation)… on pourra voir pour finir ce qu’il en est aujourd’hui en rapport avec l’ambiguïté des finalités assignées à l’éducation de base scolaire. NB : La société moaga du Burkina Faso sera retenue comme exemple de l’Afrique traditionnelle. Quelques auteurs Amadé BADINI Pierre ERNY Olivier REBOUL Joseph KI-ZERBO Emmanuel KANT Jean Jacques ROUSSEAU. ENTRE ENFANCE ET ÉDUCATION: RÉFLEXIONS SUR UNE POÉTIQUE DU COMMENCEMENT SOFPHIED Colloque International Repenser l'enfance? Une question philosophique. Une question à la philosophie 26-27 juin 2009 Paris Fernando Bárcena Profesor titular de filosofía de la educación Universidad Complutense de Madrid e-mail: [email protected] RÉSUMÉ: Ce texte est une tentative de penser la relation entre «experience» et «éducation» a partir de la notion de natalité arendtienne. La philosophie de la natalité arendtienne peut donc faire penser l’éducation comme nouveauté, pluralité et liberté, et en ce sens, elle y introduit une dimension poétique-politique. Elle est poétique, parce que la natalité est l’expérience du commencement et le commencement fait partie de notre condition poétique d’infans : ce qui surgit de façon intempestive comme un nouveau sens. La faculté du commencement évoque l’“infans”, qui est “celui qui ne parle pas.” Si elle est pensée dans sa relation avec cette enfance, l’éducation est l’expérience d’un apprentissage de la parole. Et elle est politique, parce que ce qui est politique appelle une rupture, une fissure, ou une fracture qui est une rupture avec un ensemble de relations établies au préalable. Cependant, il faut rappeler ici quelque chose de fondamental. A chaque fois qu’on parle de mettre l’enfance au centre du système - comme le discours pédagogique officiel répète inlassablement- en réalité ce n’est pas de l’enfance qu’on parle. Il semble plutôt qu’il s’agisse d’un “enfant–personne”, d’un “enfant citoyen” implicitement défini en termes de nos représentations adultes de l’enfance. Le message qu est transmis semble clair: promouvoir le développement et les soins aux enfants en tant que futurs acteurs de la démocratie. Ici, le modèle est le monde adulte, la communauté politique (et démocratique) qui forme le monde adulte, le monde de ce qui est déjà supposément formé. Et pourtant, comme le disait Arendt, paradoxalement, l’éducation se situe avant l’action politique qui se constitue comme une praxis adulte. Les valeurs qui doivent régir le processus éducatif sont différentes de celles qui composent la vie politique. C’est pourquoi, nous avons devant nous trois possibilités. Tout d’abord, penser l’enfance à partir de catégories élaborées à partir du monde adulte - qu’on suppose déjà formé-, en plaçant au centre du fait pédagogique, une idée du temps de l’enfance qui n’a pas de sens ni de valeur en lui-même. En deuxième lieu, nous pouvons penser le monde de l’enfance comme une société alternative au monde adulte, comme une société complète, autonome et différenciée de celle de l’adulte, ce qui a peut-être pour effet un manque total de communication entre l’adulte et l’enfant. Et en troisième lieu nous pouvons adopter une voie alternative, qui adopte une double stratégie. Il s’agit, d’une part, de problématiser notre idée de l’enfance -en apprenant à déconstruire les catégories avec lesquelles nous pensons l’enfance comme temps propédeutique pour autre chose- et d’autre part, il s’agirait d’apprendre à voir dans l’enfance l’expression de ce qui commence dans la singularité de ce qui arrive. Il s’agit donc de penser l’éducation comme réaction à un nouveau commencement, ce qui implique de remettre en question de façon critique l’idée de continuité. Il s’agit en définitive de penser l’éducation non pas comme un simple perfectionnement de l’héritage de la tradition mais comme une rénovation de qui a déjà été atteint par une histoire qui est discontinuité au lieu de progrès. . Références bibliographiques AGAMBEN, G. (2002) Enfance et histoire. Destruction de l'expérience et origine de l'histoire, Paris, Payot. ARENDT, H. (1972) La crise de la culture, Paris, Gallimard. ARENDT, H. (1972) Les origines du totalitarisme, Paris, Seuil. ARENDT, H. (1983) La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann.Lévy. BÁRCENA, F. (2004) El delirio de las palabras. Ensayo para una poética del comienzo, Barcelona, Herder. BÁRCENA, F. (2006) Hannah Arendt: una filosofía de la natalidad, Barcelona, Herder. BENJAMIN, W. (2000) Oeuvres, 3 vols., Paris, Gallimard. LECLERC, A. (2003) L’enfant, le prisonnier, París, Actes Sud. LYOTARD, J-F. (1991) Lectures d'enfance, Paris, Galilée RENAULT, A. (2002) La libération des enfants, París, Hachette. SLOTERDIJK, P. (2006) Venir al mundo, venir al lenguaje, Valencia, Pre-Textos. DE LA RECONNAISSANCE DE L’ENFANCE ET DE LA JEUNESSE COMME ÂGES DE L’ÉDUCABILITÉ À L’AFFIRMATION DE LA PERFECTIBILITÉ EN TANT QUE CRITÈRE D’HUMANITÉ Adalberto Dias de Carvalho, Gabinete de Filosofia da Educação do Instituto de Filosofia da Universidade do Porto La perfectibilité apparaît dans la modernité comme une dimension fondamentale de l’identité humaine en imposant la reconnaissance et la mobilisation de l’éducabilité. Cela signifie que l’Homme, différemment des autres animaux, doit faire un parcours à travers lequel il pourra construire et assumer son autonomie individuelle et générique. L’homme est perfectible car il a la faculté de se perfectionner en n’étant plus dépendant du soutien divin pour dépasser les limites et les contraintes du présent. Les débats s’ouvrent sur la question de l’affirmation du caractère indéfini du processus inhérent au développement de la perfectibilité comme alternative à la reconnaissance de son finalisme. L’éducabilité est alors le corollaire de la perfectibilité. L’éducabilité, à son tour, est la capacité de donner cours à la perfectibilité. Comme celle-ci se réalise anthropologiquement au sein des parcours historiques, il faut admettre l’existence de périodes de la vie - des âges - spécialement inductrices de l’affirmation de la capacité anthropologique de développement – ou peut-être mieux – de progrès moral et social. D’autodétermination. D’une certaine manière, « la modernité a inventé la jeunesse » comme moratoire entre l’enfance et l’âge adulte, en empêchant la sortie de l’enfance de coïncider avec l’entrée dans l’âge adulte( cf. E. Deschavanne et P.-H. Tavoillot, Philosophie des âges de la vie, pp. 347-365). La jeunesse permettra – et exigera en principe - à l’enfant de construire son autodétermination pour qu’il puisse devenir un adulte en demeurant un enfant. Cependant, la notion de progrès, historiquement associée à celle d’utopie comme accomplissement d’un idéal, favorisera le glissement du concept de perfectibilité pour celui de perfectionnement justement en vue de la réalisation d’un l’idéal envisagé. Toutefois, par ailleurs, la (sur)valorisation de la spécificité de l’enfance tendra à imposer d’une certaine manière la glorification de l’intempestivité de l’évènement sur la continuité d’une histoire conçue en fonction du progrès. La nécessité (de l’enfance) est interrogée et défiée par la contingence (de l’adolescence). Il y en a un affrontement angoissant au niveau existentiel justement de la nécessité et de la contingence. Mais voilà qu’entre l’une et l’autre, c’est la perfectibilité qu’on a besoin de réinterroger comme critère d’humanité qui en découlant maintenant de l’éducabilité, n’ouvre plus, dans nos jours sur la concrétisation indiscutable de l’humain à l âge adulte. En effet, la maturité simultanément se contracte, s’allonge et surtout – devant les défis contradictoires d’une société qui vit une crise aigue - ne se réalise pas souvent ni comme modèle, ni comme fin des itinéraires de la vie. L’adulte contemporain tend à hésiter entre la sécurité subjective d’une enfance perdue – et souvent tout simplement imaginée – dont la perte il regrette, et les risques d’une adolescence dépassée mais dont la séduction de l’aventure continue à retenir. D’une certaine façon l’une et l’autre restent conflictuellement présentes et absentes. Pour l’enfant même, l’adulte est fréquemment absent comme soutien et présent comme modèle. Comment, dans ce cadre, situer, caractériser, fonder et perspectiver la perfectibilité ? Voilà la question qu’on se propose de développer … Bibliographie : Binoche, Bertrand (dir.) : L’homme perfectible, Paris, Champ Vallon, 2004 Deschavanne, Éric ; Tavoillot Pierre-Henri : Philosophie des âges de la vie, Paris, Grasset, 2007 Nom : CHALMEL Prénom : Loïc Adresse : 11 rue des Remparts F 68240 KIENTZHEIM Téléphone : 06 81 19 31 25 Mail : [email protected] Statut : Professeur des Universités Université : Rouen Laboratoire : CIVIIC Thème Qu’y a-t-il derrière cette idée de conduite d’un être vers ce qu’il doit devenir ? Comment Pestalozzi éduque-t-il son enfant ? De l’éducation domestique à la formation professionnelle Jakob, fils unique de Pestalozzi, né en 1770, fut éduqué par son père selon les principes de Jean-Jacques Rousseau. Ne manifestant aucun goût pour les études, il savait à peine lire et écrire à l’âge de dix ans. Celui-ci résolut finalement de le confier à son ami bâlois Félix Battier, qui accepte de le faire instruire par un précepteur (Petersen) en même temps que ses propres enfants, ce qui conduit Jakob à une nouvelle impasse en terme d’apprentissage. Il faut bientôt trouver une autre solution : Pestalozzi est depuis longtemps tourmenté par la manière dont doit se poursuivre l’éducation de Jakob. Il ne l’imagine pas artisan, mais la profession de « commerçant », à laquelle se rapporte la notion « d’intérêt économique », auquel un père ambitieux mais inefficace attache à cette époque une grande importance, paraît plus acceptable. Ainsi le pédagogue du Neuhof décide-t-il finalement de placer son fils comme interne, dans le nouvel Institut préparatoire au Commerce de Mulhouse, ville alliée à cette époque avec les cantons suisses. Pestalozzi se rend à Bâle, en octobre 1783, pour conduire lui-même son fils, entre ensuite en contact avec les deux actifs directeurs et fondateurs de l’institut, Jean Kœchlin et Nicolas Thierry, et peut leur expliquer à loisir ses soucis familiaux et ses idées pédagogiques. L’internat dirigé par le ménage Jean Kœchlin, entouré de sa nombreuse famille, comprenait douze internes mulhousiens et étrangers, âgés de onze à quinze ans. L’organisation de l’école avait été modelée sur celle de l’Académie militaire de Pfeffel à Colmar et comportait une discipline assez stricte, avec le port obligatoire d’un uniforme. Pendant son année et demie de séjour dans cette école de commerce, Hans Jakob a expédié quelques lettres à ses parents établis au Neuhof près de Birr. On dénombre au total, entre septembre 1783 et novembre 1784, neuf lettres. Après les avoir traduites, c’est à l’analyse de la correspondance entre le père et le fils que nous souhaitons consacrer la présente communication. Elle fait en particulier ressortir sa bonne volonté mais aussi le peu de résultats de ses efforts. Nous articulerons notre problématique autour des questions suivantes : Quels rapports, quels effets réciproques entre un modèle pour penser (l’Emile de Jean-Jacques Rousseau) et un modèle pour agir (la future Méthode de Pestalozzi) sur l’éducation singulière de Jakob ? La figure du père peut-elle se fondre dans celle du pédagogue ? L’éducation domestique peut (doit)-elle fonder la formation scolaire collective ? La liberté conduit-elle nécessairement au désastre en éducation ? L’analyse de la correspondance nous paraît éclairante à ce propos. Le 7 février 1784, Pestalozzi écrivait encore (PSB, vol.2, lettre 23) : Je me réjouis beaucoup, que les deux s’habituent toujours plus à la pratique calme du travail d’instruction quotidien. Cette habitude, que j’ai si peu su construire avec mon Jaqueli, j’y trouve chaque jour plus les signes de tout ce qui est bon, et le seul vrai moyen naturel de conduire cette humanité si chère, embrouillée, faible, oisive et dispersée, sur un pied sur lequel elle parviendra à un objectif tranquille. Et je voudrais l’entendre prêcher du haut de toutes las chaires : seul l’enfant qui ne souhaite rien d’autre, que la nature s’accorde en lui avec sa condition civile, seul cet enfant est probablement instruit et empreinte le chemin de la vie d’un pas assuré ; et la fidélité aux heures d’études de la jeunesse, et l’habitude de surmonter chaque jour toutes les lois contraires, jusqu’à ce qu’elles ne se manifestent plus, c’est la nature et l’esprit de l’éducation, ce à quoi elle doit conduire. Les mots, sous la plume d’un un enfant de 13 ans, ayant vécu une trop longue enfance libre et « naturelle » à la campagne, résonnent alors comme un écho paradoxal. Désormais seul, pressé dans un carcan scolaire, Jakob est sans forces et sans repères. Derrière ses fanfaronnades, se cache une immense détresse. L’éducation d’Hans Jacob, étroitement orientée selon les principes de « l’Emile », laisse à ce moment paraître au grand jour une double contradiction. « L’apprentissage par l’expérience », comme le recommande Rousseau, ne se développe plus de manière naturelle, mais est désormais soumis à la volonté du maître. Le rôle de la nature comme maîtresse d’école, accompagnée des observations libres du père, fut accepté pendant l’enfance. L’éducateur accompagnait et orientait alors (quand il le fallait absolument !) les observations d’un Hans Jakob auditeur libre de la nature et de son père-pédagogue. L’élève de l’école de commerce se voit désormais confronté à la rigueur de la règle, manifestement obscure et calquée sur un idéal type ancien, plutôt arbitraire, de l’école. C’est sans aucun doute au-dessus de ses forces. Jakob-Emile ne réussit pas à composer avec l’autoritarisme spontané des enseignants qui lui imposent, sans conditions, une volonté étrangère. Il n’a d’autre choix que de s’y opposer, au grand désespoir paternel, et à la réprobation maternelle silencieuse, comme un tiers absent. Pourquoi me tire-t-on les cheveux ? Pourquoi me fait-on mal en faisant cela ? Pourquoi ne me laisse-t-on pas en paix comme jusqu’ici, pour céder à mes intérêts et à mes penchants ? La pensée que, dans le cursus scolaire en particulier on endigue la dégénérescence, en corrigeant les comportement fautifs, et qu’il vaut mieux ne pas s’entêter, ne lui vient pas le moins du monde à l’esprit, car le souvenir des interventions intensives du père contre sa liberté, dans petite enfance, s’est totalement évanoui. Après cinq trimestres d’études décevants, Pestalozzi se voit contraint de venir reprendre son fils, en janvier 1785, pour le conduire de nouveau à Bâle chez son ami Battier, qui le prend alors comme apprenti dans son importante maison de commerce. Hans Jakob s’engage alors dans une voie désespérément sans issue, fatale. Mais ici s’arrête le cadre de notre analyse. Bibliographie Keil, W. Lebensgeschichte und Erziehung des Hans Jacob Pestalozzi. Pestalozzis einziger Sohn zwischen Erziehungsanspruch und Erziehungswirklichkeit. Regensburg, Roderer Verlag, 1995, 3 volumes. Mieg P. L’influence pédagogique de J.-H. Pestalozzi à Mulhouse. In B.M.H.M., t. VII, 1964, pp.107 à 146. Soëtard, M. Pestalozzi ou la naissance de l’éducateur. Paris, Berne, Peter Lang, 1981. Soëtard, M. Journal de Pestalozzi sur l’éducation de son fils (Fragment : 27 janvier-19 février 1774). Pestalozzi, J.-H. Sämtliche Briefe (noté PSB), vol. III. Zürich, Orell Füssli Verlag, 1949. La conquête de l’enfance : uchronie de l’émancipation La philosophie, conçue comme un exercice de formation, espère libérer les individus de leurs opinions et préjugés. En ce sens, philosopher est se rééduquer : ce projet est quasiment unitaire dans l’histoire de la philosophie, accompagné du constat qu’il faut du temps pour cela.1 Ce réquisit du temps traduit la nécessité d’un travail sur soi qui, s’il veut être effectif face aux déterminations, suppose une patience. L’analyse philosophique a donc souvent été amenée à cerner les conditions de l’émancipation par contraste avec les limites propres à l’enfance. Ainsi s’est constitué un certain personnage conceptuel de l’enfant, rivé au type bio-pychologique de l’âge peu avancé : joueur donc inconstant (Platon), dépendant donc conformiste (Descartes), livré au hasard des rencontres donc triste (Spinoza), impuissant donc tyrannique (Rousseau), sans expérience donc crédule (Sartre), et cetera. Pour rouvrir le dossier de l’enfance d’une manière heuristique pour la philosophie, il faut probablement reproblématiser la linéarité de la chronologie humaine. On trouve chez deux poètesphilosophes, Péguy et Michaux, une telle reconceptualisation temporelle de l’anthropologie. Ces deux penseurs font pleinement œuvre de philosophie en ce qu’ils construisent chacun un personnage conceptuel fécond : le « vieux » pour Péguy et l’« enfant » pour Michaux. Chacun s’oppose à un ennemi proche : le « vieux » de Péguy n’est pas un « vieillard », l’« enfant » de Michaux n’est pas une personne.2 Le « vieux » et l’« enfant » ne sont donc pas des états donnés, ils sont à conquérir : on ne devient pas « vieux » avec le temps (on devient « vieillard »), on ne commence pas par être « enfant » (on doit construire cette disposition que l’on n’a jamais connue, faute de quoi l’on devient une personne). La torsion de la temporalité anthropologique commune à Péguy et Michaux leur fait découvrir une figure problématique et neuve de l’enfance : il y a une vitalité, une jeunesse propre du « vieux » chez Péguy, il y a une sagesse, une maturité propre de l’« enfant » chez Michaux. En bref, les deux personnages conceptuels inventés par Péguy et Michaux ont les mêmes traits. La fécondité de ce rapprochement est donc de faire immédiatement exploser le critère biologique pour parler d’« enfance ». Péguy et Michaux se situent d’emblée par-delà les discours lénifiants sur l’enfance, le jeunisme – qu’ils soient pédophiles ou pédophobes. L’enfant et le vieux deviennent des personnages conceptuels et non des critères biologiques – dont le pseudo-naturalisme masque la contingence historique (Ariès) et sociologique (Bourdieu). De plus, Péguy et Michaux partagent avec la tradition philosophique une certaine méfiance vis-àvis des impuissances des premières années de la vie. L’uchronie qu’ils construisent n’est en rien un anachronisme. En effet, bien souvent la quête de l’enfance est synonyme de « projection » d’un désir ignorant et oublieux de la réalité de l’enfance biologique. Bien sûr, celle-ci nous montre parfois l’attitude que nous devrions porter aux choses – les questions que nous ne nous posons plus –, mais c’est en vain qu’un homme qui grandit dût se tourner vers cet état. Comme le dit Bachelard, l’âme doit non pas retrouver le regard neuf mais construire par-delà les concepts et les visions achevés une nouvelle naissance, débarrassée de l’ignorance et de la naïveté. C’est au-delà du savoir que se trouve la libération et non pas à reculons. Se rééduquer, se débarrasser de ses opinions, ce n’est pas ne plus savoir, c’est savoir autre chose autrement. Ce que nous avons réussi peut-être par inadvertance, nous devons le faire par un mouvement intensif. En bref, nul retour à l’enfance, nulle nostalgie, chez Péguy et Michaux, mais une torsion de la chronologie qui constitue l’effort d’émancipation même. Ma communication essaiera d’expliquer la fécondité du mot bachelardien mis en œuvre par Péguy et Michaux sur la question qui nous intéresse : l’enfance ne commence rien, elle n’est pas donnée, elle ne va pas de soi, elle est construite ; horizon régulateur, tension à maintenir… faute de quoi l’on se fige. Chez Péguy et Michaux, c’est la position épistémique du personnage conceptuel du « vieil 1 2 Même avec Descartes, chez qui le doute permet un « infanticide » éclair (Gouhier), il faut attendre d’être prêt. La notion de « personne » désigne à peu près ce que Ricœur définit comme « identité-ipséité ». enfant » (pour joindre les deux) qui est intéressante, position qui est en même temps un outil éthique d’éducation en tant que conquête pour l’homme en devenir. Sébastien Charbonnier Nota Bene. On aurait tort de débouter les analyses du temps de Péguy et Michaux comme « non philosophiques » (par réflexe taxinomique disciplinaire bien peu philosophique)3, tant leurs descriptions particulièrement fines constituent à la fois des questions philosophiques et des questions à la philosophie. BIBLIOGRAPHIE Henri Michaux, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 3 vol., 1998-2001-2004. Charles Péguy, Clio, Paris, Gallimard, 1932 [1912]. Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Éd. du Seuil, « Points », 1975 [1960]. Henri Bergson, Œuvres, Paris, PUF, 1959. Pierre Bourdieu, « La jeunesse n’est qu’un mot » (1978), dans Questions de sociologie, Paris, Éd. de Minuit, 1992, p.143-154. Ian Hacking, L’âme réécrite. Etude sur la personnalité multiple et les sciences de la mémoire, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, « Les empêcheurs de penser en rond », 1998. Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Éd. du Seuil, « Points », 1996 [1990]. Gilbert Simondon, L’Individuation psychique et collective, Paris, Aubier, 2007 [1964]. Gabriel Tarde, « Interpsychologie infantile », Archives d’anthropologie criminelle, n°183, mars 1909, p.161-172. Alfred North Whitehead, Aventures d’idées, Paris, Éd. du Cerf, 1998 [1933]. 3 Pour ne prendre que l’exemple de Michaux, il est évident que le « taxer » en poète est proprement sot. Il a tout fait pour échapper à quelque taxon que ce soit. En ce qui concerne le questionnement philosophique, omniprésent dans son œuvre, on peut lire cet aveu : « La philosophie est indispensable à l’homme. Un adulte sans philosophie est grotesque. Il faut savoir trouver son chemin vers elle. Courage et perspicacité. Mais je ne sais pas en parler spécialement. J’en parle partout à qui sait comprendre. » Henri Michaux, La Vie dans les Plis, dans Œuvres Complètes, t.II, p.165-166. Troisièmes rencontres de la SOFPHIED – Colloque international, 26 & 27 juin 2009 « Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie. » 1 Titre : « L’expérience de l’enfant et sa problématisation » Résumé (4000 signes) : Mon propos sera, dans le sillage méthodologique de M. Foucault, de tenter de cerner deux traits de la problématisation de l’expérience de l’enfant, c’est-à-dire d’un entrelacs croisant des formes de savoirs hétérogènes, des ensembles de normes et de prescriptions de différentes natures prétendant réguler l’existence et des modes de constitution de soi appelant les individus à se faire sujets de leur être et à travailler leur propre substance selon certaines techniques. J’y examinerai la constitution d’une expérience de l’enfant comme système de tensions. Dans un premier temps, j’essaierai de relever les traces d’une nouvelle organisation de la personnalité morale de l’enfant. S’il cesse en effet peu à peu d’être l’objet privilégié de préoccupations spirituelles et religieuses, il devient objet d’autres types de savoirs et de normes. Un ensemble de procédés d’inculcation et de normes commencent à s’appliquer à lui. Certaines manières d’interpréter et d’en comprendre la formation se constituent. Ces procédés prennent en charge de puiser à la source de sa propre spontanéité, mais aussi de le transformer pour le faire advenir en son autonomie. L’autoinstitution de soi est le principe et la fin de son développement. Ainsi peut-on voir chez Mme Guizot s’énoncer l’idée d’élever l’enfant à l’universel du devoir et de la raison en faisant appel à son propre fond. S’exprime ici une première tension, celle de l’individu comme auto-production de soi par soi par la richesse de sa personnalité supposée à l’œuvre dans l’enfant. Dans sorte de cette science morale appliquée qu’est l’éducation, l’imposition de la norme vient, pour ainsi dire, de l’intérieur. Inversement, l’individualité peut aussi prendre sa source dans une société qui en façonne la capacité spontanée. Dans la sociologie telle que Durkheim la définit, émerge le projet d’une éducation morale, c’est-à-dire d’un système de normes devant inculquer à chacun un ordre collectif. Pourtant, dans cette façon poser la société en démiurge de l’individu, la finalité demeure de faire naître en lui une part autonome et échappant aux pressions. Je voudrais ensuite montrer que l’enfant appelle une sorte de monde spécial, – la connexion d’un monde accueillant l’enfant et d’une communauté de formation de l’enfant. En même temps que se constitue l’idée d’une individualité posée comme source et fin de son développement, surgit celle de l’inscription de l’enfant dans une communauté prenant paradoxalement en charge de le forger comme sujet et créateur de soi. La nécessité d’adapter la communauté d’inscription à une spontanéité créatrice postulée dans l’enfant, se fait ainsi sentir dans les textes de Ch. Fourier et de V. Considérant. Dans cette intention, de décrire et de prescrire ce que sont et doivent être l’éducation et l’organisation générale de la E. DUBREUCQ, Laboratoire de Recherches Philosophiques sur les Logiques de l’Agir (EA 2274) de l’Université de Franche-Comté – février 2009 2 Troisièmes rencontres de la SOFPHIED – Colloque international, 26 & 27 juin 2009 « Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie. » société, se formule l’idée d’une refonte de la communauté d’inscription visant une modification générale de la personnalité rendue à sa vraie nature. Une tension analogue se manifeste dans la tentative saint-simonienne de substituer une organisation reposant sur les « capacités » à un ordre traditionnel privilégiant la naissance. Là s’exprime la tension de l’imposition d’une communauté unie et d’une communauté accueillant les spontanéités individuelles, s’énonçant dans le mot d’ordre : « à chacun selon ses capacités ». L’enfant est ainsi le sujet de l’éducation dont il est l’objet et l’objet d’une éducation travaillée par l’injonction de l’instituer comme sujet. La communauté d’inscription est à la fois ce qui l’accueille, le modèle et en permet l’émergence spontanée. Ces deux traits : de la formation d’une individualité se posée comme auto-institution de soi par soi ; – et d’une communauté réconciliée par son auto- organisation, donnant à l’individualité de se constituer comme sujet de soi-même, – structurent une problématisation où l’on peut voir émerger une nouvelle manière pour l’individu moderne de se saisir et de se rapporter à lui-même. E. DUBREUCQ, EA 2274 de l’Université de Franche Comté & I.U.F.M. d’Alsace Bibliographie : B AZARD (Armand), Exposition de la doctrine Saint-Simonienne (Nouveau Christianisme), in Œuvres de Saint-Simon et Enfantin, Paris, Ernest Leroux, 1877, t. 41 (Séances 9, 10 et 11 sur l’éducation, p. 331 sv.) C ONSIDERANT (Victor), Théorie de l’éducation naturelle et attrayante, Paris, Librairie de l’école sociétaire, 1844 (= Destinée sociale, tome III : L’éducation, Paris, Librairie de l’école sociétaire, 1844) DURKHEIM (Emile), Éducation et sociologie, Paris, Paris, P.U.F., Quadrige, 1995 FOURIER (Charles), Théorie des quatre mouvements, s.l. [Dijon], Les presses du réel, 1998 ; Théorie de l’Unité universelle, s.l. [Dijon], Les presses du réel, 2001 ; Le nouveau monde industriel et sociétaire, s.l. [Dijon], Les presses du réel, 2001 de M EULAN (Pauline ; Mme Guizot), L’éducation domestique, ou Lettres de famille sur l’éducation, 2 vol., Paris, Didier, 1852 (4eme éd.) TRANSON (Abel), L’éducation (= Religion Saint-Simonienne. Recueil de Prédication. Tome II, § XXIX) in Œuvres de Saint-Simon et Enfantin, Paris, Ernest Leroux, 1878, t. 44, p. 238 sv. E. DUBREUCQ, Laboratoire de Recherches Philosophiques sur les Logiques de l’Agir (EA 2274) de l’Université de Franche-Comté – février 2009 JF Dupeyron : proposition de communication SofPhied juin 2009 L’enfant de l’hypermodernité démocratique : le problème de l’autorité (titre très provisoire) JF Dupeyron MCF en Philosophie IUFM d'Aquitaine (Bordeaux IV) EA 4201 Lumières, Nature, Sociétés (Bordeaux III) Cet article essaye d’articuler l’investigation sur les représentations de l’enfance avec la réflexion sur les modes de domination légitime, plus spécifiquement sur l’autorité. La représentation de l’enfance comme un sujet de droit, qui s’est majoritairement imposée en Occident depuis quelques décennies, est donc confrontée à la question de l’autorité, omniprésente en éducation. Comment une conception de l’enfant comme personne à part entière, et non comme être entièrement à part du monde des adultes, peut-elle s’adapter au fonctionnement dissymétrique de la relation d’autorité ? Sacraliser l’enfance et, au-delà, l’individu, ne conduit-il pas à désacraliser le fondement de l’autorité, c’est-à-dire à rendre celle-ci inopérante ? L’égalité adulte/enfant, précipitamment affirmée, ne rend-elle pas l’éducation impossible ? Nous étudierons donc les problèmes de principe que peuvent poser à l’exercice de l’autorité le statut et la représentation de l’enfant propres à la hypermodernité démocratique. Ce faisant nous interrogerons la pertinence de montages conceptuels récents qui tentent – assez vainement nous semble-t-il - de fonder une « autorité démocratique » ou de procéder à une juridicisation de la relation d’autorité pour asseoir celle-ci sur une base légale et sur une contractualisation. Nous explorerons donc la contradiction de fait qui existe entre, d’un côté le phénomène psychosocial de l’autorité, un des derniers noms du sacré dans un monde désenchanté et désinstitutionnalisé (Mendel), de l’autre côté l’hégémonie d’une représentation écrasant l’enfance sous un statut d’être autonome difficile à assumer pour lui. L’histoire des représentations de l’enfance sera évoquée pour y déceler l’émergence graduelle de la représentation de l’enfant-sujet. Les tentatives récentes (exemple de Lewin) et actuelles (exemples de Dubet et de Prairat) de redéfinition de l’autorité, entre autres à partir de la formule wébérienne (« le pouvoir plus la légitimité »), seront précisées et jaugées à partir d’auteurs ayant mis l’accent sur la crise de l’éducation (Arendt, Gauchet) dès lors que celle-ci voit la liberté de l’individu se retourner contre la possibilité de former celui-ci. Le thème de la discipline (Kant) sera également abordé pour lever les confusions entre les fins de l’éducation et les moyens de les réaliser. La question de la domination légitime sera dès lors élargie de l’enfance à l’ensemble du corps social pour suivre l’hypothèse suivante : à travers la « demande d’autorité » mise désormais en avant dans des sociétés par ailleurs devenues inaptes à cette même autorité, l’enfance hypermoderne illustre clairement la mise en place d’un nouveau modèle de domination posttotalitaire (Le Goff) dont la dureté réelle nous incite à rouvrir le chantier de la place de l’autorité en éducation et dans le lien social. Pour finir, les difficultés relevées seront reliées à une thèse fréquente posant le caractère illusoire des représentations dominantes : représenté comme un sujet prétendument libéré du carcan de l’autorité, l’enfant actuel est en réalité placé dans une position très inconfortable. Réduit à sa dimension de consommateur, sommé de faire lui-même ce que l’autorité faisait 1 JF Dupeyron : proposition de communication SofPhied juin 2009 auparavant pour lui et avec lui, il voit se dresser face à sa liberté de nouvelles injonctions sociétales à l’autodiscipline qui, in fine, peuvent conduire à l’incarcération précoce ceux qui peinent à se rendre conformes aux attentes d’une nouvelle domination sans visage, à laquelle il ne leur est pas permis de s’opposer, même momentanément, dans le cadre de leur développement. Souvent posée de façon trop ambitieuse, la représentation de l’enfant-sujet doit peut-être être recalibrée pour maintenir à la relation éducative son caractère protecteur et nourricier. Le visage de l’autorité doit dès lors retrouver une place dans la physionomie collective d’une société n’oubliant pas que la façon dont elle éduque ses enfants est révélatrice de son évolution et de ses contradictions. Ni autoritarisme, ni domination post-totalitaire, l’autorité demeure ce pouvoir qui « conduit l’individu [l’enfant] à l’exercice de sa propre liberté », selon le mot de Kant. Quelques indications bibliographiques : Hannah Arendt, La crise de la culture, 1954 François Dubet, Une juste obéissance in Quelle autorité ?, 2000 Marcel Gauchet, L’école à l’école d’elle-même, in La démocratie contre elle-même, 2002 Kant, Réflexions sur l’éducation Gérard Mendel, Une histoire de l’autorité, 2002 Philippe Meirieu, Le choix d’éduquer, 1991 Eirick Prairat, La sanction en éducation, 2003 Alain Renaut, La fin de l’autorité, 2004 … et les 400 auteurs répertoriés dans ma thèse sur les représentations de l’enfance en Occident (2002) 2 UNE ENFANCE (IN)FINIE : REPENSER LES THÉORIES DE L’ENFANCE Denise Egéa-Kuehne, Ph.D. L.M. "Pat" and Mildred Harrison Professor Educational Theory, Policy and Practice Louisiana State University 123 Peabody Hall, Baton Rouge, LA 70803, USA T 225-573-6627; F 225-578-9135 [email protected] UNE ENFANCE (IN)FINIE : REPENSER LES THÉORIES DE L’ENFANCE Entre le point de vue que les enfants sont ce que sont les adultes, savent ce que savent les adultes, et méritent exactement ce que méritent les adultes, et le point de vue que les enfants sont la négation ou l’opposé des adultes dans leur être, leurs connaissances, et leur mérite, il existe toujours une marge de possibilités incommensurables qui mérite qu’on l’explore et qu’on la trace.1 Cette citation est placée en exergue d’une collection d’essais écrits par onze philosophes occidentaux sur ce que signifie pour eux l’enfance.2 Entre Aristote et ses fondations logiques d’identité et de négation – selon lesquelles les adultes sont des adultes et les enfants ne sont pas des adultes – et les possibilités encore inexplorées de l’enfance, se trouvent des siècles de tradition occidentale, marqués par nombres de distinctions, contradictions, dilemmes, et aporias. Selon cette tradition, ce que représente le mot « enfant » se confond avec quelque représentation que ce soit des êtres subalternes ou inférieurs, réels ou imaginés par le philosophe – homme académique occidental – et désignés sous les termes de primitif, femme, fou, esclave, pauvre, animal, etc., c’est-à-dire celui qu’on exclue parce qu’il est autre. Pourtant, peut-on parler de l’ « enfant » sans évoquer l’ « adulte » ? Peut-on prononcer le mot « adulte » sans penser à l’ « enfant » ? Dans quelle mesure ces deux concepts sont-ils dans une relation dialectique ? Sont-ils les deux termes d’un de ces binômes traditionnels de la métaphysique occidentale, comme corps/esprit, forme/fond, irrationnel/rationnel, nature/culture, etc. Sont-ils les deux pôles d’un système de relations caractéristique des processus de dialectique et de leurs tensions, contradictions, oppositions, transformations, déformations, retournements ? En quoi les enfants sont-ils comme les adultes ? En quoi les adultes sont-ils comme les enfants ? Peut-on définir l’enfance et la condition d’adulte indépendamment de leurs relations ? Je propose, dans une première étape, de considérer le problème de la subjectivité de l’être humain, liée au statut de la raison,3 où l’enfant est conçu comme l’ « étranger précieux »4, ne représentant plus une épistémologie « incomplète », mais inclus dans une liste d’ « épistémologies profondes alternatives » 1 qui comprend non plus seulement le sauvage, le primitif, mais aussi la femme, l’enfant (« une sorte de sauvage noble domestique »5), les gens de couleur, et, plus récemment, les sexualités dites alternatives.6 Dans une seconde partie, j’explore le concept de l’ « enfant prophète », l’ « enfant modèle »,7 celui qui rompt la contradiction « adulte/enfant » et situe ces deux formes de connaissance dans une relation dialectique. Enfin, avec l’avènement de la psychologie du développement au 20e siècle, l’enfant est considéré comme un être constamment en transformation, qui représente un « sujeten-devenir ».8 Au travail en occident au moins depuis l’Émile de Rousseau, une ré-évaluation de l’enfance, de sa place et de sa signification dans l’auto-compréhension de l’adulte, n’est-elle pas une dimension cruciale de la subjectivité de l’adulte, informée par la subjectivité de l’enfant ? En ce sens, l’enfant est-il un « être expérimental », rapidement et constamment en train de se réorganiser, effaçant les frontières avec l’adulte, un être jamais « fini » ? 1 Gareth Matthews, The Philosopher’s Child (Cambridge: Harvard University Press, 1999), 6. Socrates, Aristote, les Stoïques, Hobbes, Locke, Rousseau, Kant, Mill, Wittgenstein, Rawls et Firestone. 3 cf. Descartes ; Rousseau ; Kant ; Hegel. 4 Terme de Sandra Harding, Whose Science, Whose Knowledge? Thinking from Women’s Lives (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1991), 124. 5 Jonathan Fineberg, The Innocent Eye: Children’s Art and the Modern Artist (Princeton University Press, 1997), 11. 6 Maurice Merleau-Ponty, Phenomenology of Perception, trans. Colin Smith (London: Routledge and Kegan Paul, 1962). 7 cf. Coleridge; Kuhn; Nietzsche; Freud; Jung; Buber. 8 Julia Kristeva, Desire in Language (New York: Columbia University Press, 1980), 135. 2 2 Philippe Foray ‐ Sciences de l’éducation ‐ Université Jean Monnet – Saint‐Etienne. PROPOSITION DE COMMUNICATION 3° RENCONTRES DE LA SOFPHIED (26‐27 juin 2009). TITRE : L’enfance comme relation. Résumé : la philosophie et plus largement la pensée contemporaine donnent une place importante à la notion de reconnaissance (Taylor, 1992, Honneth, 1992, Ricoeur, 2005). S’inscrivant dans le prolongement d’analyses célèbres de Hegel, cette orientation considère que l’identité humaine se construit sur la base des relations de reconnaissance tissées dans les interactions sociales quotidiennes. La figure et la situation propre de l’enfance sont régulièrement convoquées à titre d’argument par les penseurs de la reconnaissance. Axel Honneth s’est en particulier appuyé, d’une part sur la psychologie sociale de G.H.Mead (1934) et sa théorie d’une genèse sociale de l’esprit et du soi, d’autre part sur la théorie des relations mère – enfant développée par Winnicott (1971), pour étayer la thèse de l’importance de la reconnaissance dans le développement de l’identité individuelle. Mais pour le moment, ces analyses se limitent à servir d’arguments au service de la philosophie politique. L’enjeu de la communication proposée ici consiste à montrer l’intérêt qu’une philosophie de l’éducation peut retirer de ces analyses, dans sa réflexion sur l’enfance. Il s’agira : ‐ d’exposer l’idée de l’enfance comme relation. Cette idée signifie que le développement de l’enfant est fondamentalement dépendant d’un « agir communicationnel » (Habermas, 1981), c'est‐à‐dire de l’ensemble des interactions qu’il noue dès le départ avec les personnes qui composent son environnement. La construction du sujet s’ancre dans une intersubjectivité première, de telle sorte que l’éducation plus que toute autre pratique humaine permet d’illustrer la primauté du tout sur les parties qui le constituent : l’enfant ne doit pas être pensé comme un être préalablement constitué qui entrerait ensuite en relation avec d’autres. C’est la relation (sociale, éducative, pédagogique) qui est première. C’est au sein de cette relation que se constituent et que s’ajustent l’une à l’autre les partenaires de l’interaction sociale ; enfant –parents, élève – enseignant…. ‐ D’indiquer les appuis théoriques sur lesquels cette conception repose : ils sont nombreux du côté de la psychologie, sociale (Mead), culturelle (Bruner, 1983 à la suite de Vigotsky, 1985, en particulier dans le cas exemplaire de l’acquisition du langage) et de la psychanalyse (Winnicott). Mais ils se trouvent aussi dans la philosophie politique (Habermas ; Honneth), et de la sociologie (Elias, 1981). Les concepts symétriques de « reconnaissance » et de « mépris » utilisés par Axel Honneth pour étayer sa conception de la justice, pourraient sans doute être utilisés avec profit dans le domaine de l’éducation ‐ De tirer les conséquences de cette constitution dans le cas spécifique de la relation éducative : quelle éthique peut se dessiner pour l’éducateur à partir du moment où la relation éducative est considérée comme plus fondamentale que ses termes ? BIBLIOGRAPHIE. Bruner (J), 1983, Savoir faire savoir dire, traduction PUF. Elias (N), 1939, La société des individus, traduction Calmann‐lévy, 1981. Habermas (J), 1981, Théorie de l’agir communicationnel, traduction Fayard, 1987. Honneth (A), 1992, La lutte pour la reconnaissance, traduction Cerf, 2007. Mead (G.H.), 1934, L’esprit, le soi, la société, traduction PUF, 2006. Ricoeur (P), 2005, Parcours de la reconnaissance, Gallimard. Taylor (C), 1992, Multiculturalisme, traduction Aubier, 1994. Vigotsky (L), 1985, Pensée et langage, traduction Editions sociales. Winnicott (D.W.), 1971, Jeu et réalité, traduction Gallimard, 1975. Proposition de participation au colloque de la Sofphied de juin 2009 Jean-François Goubet Pédagogie et andragogie. Quand l’éducation de l’enfance s’arrête-t-elle ? L’enfance a connu des acceptions très diverses. Le lecteur de l’Emile sait bien qu’« infans et puer ne sont pas synonymes » (Rousseau, 1966, p. 91) mais que l’usage du français oblige à se servir du terme d’enfant pour des petits d’hommes parlants. Celui qui connaît l’œuvre de son contemporain Condorcet a dû s’étonner également qu’on passe directement de l’âge d’enfant à l’âge d’homme, sans que des étapes intermédiaires soient nommées (cf. 1994, livres deux et trois). Quel âge a l’enfant et, partant, quand son éducation s’arrête-t-elle ? Voilà la première question que nous aimerions poser à la pédagogie. Une autre difficulté vient de ce que nombre de philosophes classiques de l’éducation ont pensé ce processus comme un perfectionnement indéfini, une approche finie de l’infini. Par là, cependant, on gomme la frontière entre un âge propre à l’éducation et un âge dans lequel on peut certes encore apprendre mais où il ne peut plus être à proprement parler question de pédagogie. Qu’est-ce qui définit donc la frontière entre âge de l’enfance et âge d’homme ? Est-ce une plasticité, une formabilité perdue ? Est-ce l’achèvement d’un développement psychologique ? Sont-ce des critères juridiques (la majorité légale) ou sociaux (la reconnaissance du droit à occuper une certaine fonction, comme celle de père ou de mère, celle de travailleur etc.) ? La définition de la pédagogie n’engage pas seulement la démarcation du puer par rapport à l’infans, à l’adolescens ou au vir, elle demande aussi qu’on regarde ce qui fait la différence entre enfants et parents, liberi et parentes. Nous reprendrons à Herbart le nom d’andragogie pour parler de l’éducation de l’homme adulte. Il faudra se demander si cette appellation recouvre quelque chose ou non. Cerner la pédagogie implique quoi qu’il en soit qu’on forge un tel concept-limite. Une autre référence de poids pour poser cette question (il n’est d’ailleurs pas exclu que son opposition à Dewey se soit nourri de herbartianisme ou l’ait ramenée dans les parages de Herbart, notamment lorsqu’elle conçoit les rapports entre enseigner et éduquer de manière similaire au philosophe et pédagogue allemand) sera Hannah Arendt. Il nous faudra ainsi discuter une position défendue à la fin de « La crise de l’éducation » (1972, p. 251) : « On ne peut établir de règle générale qui déterminerait dans chaque cas le moment où s’efface la ligne qui sépare l’enfance de l’âge adulte ; elle varie souvent en fonction de l’âge, de pays à pays, d’une civilisation à une autre, et aussi d’individu à individu. Mais à l’éducation, dans la mesure où elle se distingue du fait d’apprendre, on doit pouvoir assigner un terme ». Bibliographie indicative : - Arendt, Hannah (1972), « La crise de l’éducation », La crise de la culture, trad. Patrick Lévy (dir), Paris, Folio. - Condorcet (1994), Cinq mémoires sur l’instruction publique, Paris, GF. - Rousseau, Jean-Jacques (1966), Emile, Paris, GF. - Herbart, Johann Friedrich (1913-1919), Pädagogische Schriften, Osterwieck/Harz, Leipzig, Zickfeldt. Soumission Troisièmes Rencontres de la Sofphied Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie 26-27 juin 2009 Titre : La Convention Internationale pour les droits de l’enfant à l’épreuve des curricula de l’école primaire française Auteures: Marie-Françoise Iwaniukowicz & Nassira Hedjerassi – Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education - Université de Strasbourg – France Contact : [email protected] Résumé Nous nous proposons de réfléchir sur les effets de transformation de la conception de l’enfance dans les curricula de l’école primaire, consécutivement à la signature de la Convention Internationale pour les droits de l’enfant en novembre 1989 puis sa ratification par la France en septembre 1990. En effet, en dépit des polémiques qu’elle a suscitées dans le monde des juristes, des philosophes et des psychologues, cette convention a très vite été invoquée dans le monde scolaire pour étayer ou légitimer diverses actions ponctuelles relatives à la connaissance des droits des enfants et la mise en place de dispositifs supposés initier les élèves à l’exercice de la citoyenneté participative (conseils d’école enfants, parfois dès la maternelle, actions pédagogiques de découverte de la Convention). Les « nouveaux » droits (articles 12 à 161) auxquels elle entend conférer un caractère juridique contraignant a officialisé l’avènement du statut inédit d’un « enfant-déjà-citoyen », doté de droits libertés et susceptible d’émancipation, rompant par là-même avec une vision de l’enfant comme être immature, en devenir, irresponsable, qui doit être protégé des autres et de lui-même, et dont seule l’éducation peut assurer le processus d’humanisation. Comme le montre Laurence Gavarini (2001), ce nouveau regard porté sur l’enfance, dont les prémices sont à rechercher du côté de l’Ecole Nouvelle, s’est progressivement imposé à partir des années 70 infiltrant jusqu’à l’approche du bébé défini comme une personne, en puériculture, en pédiatrie, en psychologie, en pédagogie. 1989 en marque d’une certaine façon l’apogée, avec dans le champ scolaire, la publication de la Loi d’Orientation. Contemporaine de la Convention, cette loi semble correspondre à un changement de cap analogue : elle place l’enfant au centre du système éducatif et désigne l’éducation à la citoyenneté comme l’une des priorités de l’école. Avec la mise en place des cycles, elle déplace le centre de gravité de l’enseignement vers l’élève et se préoccupe du développement de ses compétences. L’élève est défini comme l’acteur de ses apprentissages, il apprend par et avec les autres. Nous souhaitons identifier, clarifier et analyser une partie des moyens que l’institution scolaire s’est donnés pour s’approprier la Convention. En effet, fidèle en cela aux injonctions 1 Reconnaissant à l’enfant capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion et de voir celle-ci prise en compte sur toute question l’intéressant, liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion, d’association et de réunion pacifique, de respect de sa vie privée. 1 de l’article 422de la Convention, l’Ecole s’est lancée dans une entreprise de diffusion et de mise en œuvre des idées forces de ce texte, dont l’examen des curricula nous fournit quelques indices. Ainsi le Bulletin Officiel n° 39 du 4 novembre 1999 sur la journée internationale des droits de l’enfant propose des pistes pédagogiques pour mieux connaître la convention et explicite la mise en œuvre des principes sous jacents à la Convention par le biais des programmes de l’Ecole primaire. Au fil des ans, d’autres textes 3témoignent ouvertement des mêmes préoccupations. En nous appuyant sur un corpus de textes constitués par des curricula, nous tenterons donc de repérer les composantes de ce nouveau regard que l’institution scolaire semble vouloir poser sur l’enfant. Indications bibliographiques ARCHARD, D., Children: rights and childhood, Routledge, 2004. DEKEUWER-DEFOSSEZ, F., Les droits de l’enfant, PUF, 2009. GAVARINI, L., La Passion de l’enfant, Denoël, 2001. RENAUT, A., La libération des enfants : contribution philosophique à une histoire de l’enfance, Hachette Littératures, 2003. YOUF, D., Penser les droits de l’enfant, PUF, 2002. 2 « Les Etats parties s’engagent à faire largement connaître les principes et les dispositions de la présente Convention, par des moyens appropriés aux adultes comme aux enfants ». 3 B.O. n° 42 du 13 novembre 2003 p. 2547 ou encore l’extrait de La Lettre du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche du 20 novembre 2006 : « En France, l’éducation aux droits de l’Homme en général et aux droits de l’enfant en particulier fait partie intégrante des programmes d’enseignement et des actions éducatives mises en œuvre dans les écoles et les établissements scolaires». 2 Troisièmes rencontres de la Sofphied Colloque international Vendredi 26 et samedi 27 juin 2009 Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie. Proposition de communication de Renaud Hétier Donner la mort à un enfant, ou enfant doit-il savoir le temps qui lui reste à vivre ? Notre point de départ est une situation « extrême » qui est de nature à provoquer la réflexion. Dans les hôpitaux, des enseignants officient auprès d’enfants malades, y compris auprès d’enfants atteints de pathologies incurables. Ceux-ci, à l’exception des tout derniers jours, où ils se replient et « s’absentent », sont demandeurs de savoir. Si la philosophie, est bien, à son origine et peut-être encore en son fond, préparation à la mort, et qu’en cela elle est créatrice d’une nouveauté dans le savoir comme dans le rapport au savoir, et plus encore d’une force de renouvellement, alors quelle est cette enfance qui se manifeste dans ces enfants, qui, « malgré leur enfance », veulent savoir ? Ce savoir vivant et cette manière de vivre par le savoir interrogent les fondements même de notre rapport au savoir. Ne sommes-nous pas, notamment dans le contexte de la postmodernité, tentés par l’assujettissement de l’éducation à des finalités et la dépendance de son discours à l’ordre de la justification ? Contre la prégnance pragmatique, voire utilitariste, voire hédoniste dont se charge notre regard sur l’enfance, enfance étendue à l’échelle d’une société puérilisée, il y aurait donc possibilité d’un savoir qui vaille entièrement pour luimême. Et un travail avec le savoir – en quoi l’éducation peut se reconnaître – qui trouve en lui-même sa propre fin. Mais saurait-on penser ce rapport au savoir en dehors de la condition temporelle à laquelle le sujet humain est assigné par sa finitude et la conscience de celle-ci ? Et les finalités (« savoir pour… », « éducation à… », etc.) ne sont-elles pas les fragiles paravents qu’une rationalité pose devant la béance de la fin ? Il est à considérer que l’existence comme le savoir – l’existence que donne le savoir – ne sont pas rompus par une fin, mais inaugurés, initiés par celle-ci . Il ne s’agit pas seulement de savoir qu’on va mourir, ce que tout le monde sait sans pour autant cesser d’être ignorant, il s’agit d’y croire suffisamment pour que la fin opère réellement comme origine, comme expérience de l’existence libre de toute finalité et de toute justification. D’une certaine manière, il n’y a temporalité que dans le dédoublement du temps, et de dépassement de celui-ci que dans son acceptation. Dédoublement : l’éternité ouverte par la vie de l’esprit ne s’oppose pas à l’acceptation de la finitude, elle en procède. Dépassement : la pleine présence à l’existence par le savoir comme la présence au savoir dans l’existence ne sauraient s’appuyer sur le déni de la mort, mais commence avec l’effondrement de celui-ci. Pourtant, c’est toute la culture, et toute la structuration psychique qui se soutiennent de ce déni, et qu’elles soutiennent en retour par la médiation de mythes, de rationalisation ou de toute forme de défenses. En ce sens, la philosophie ne vise à rien d’autre qu’à la destruction des formations et des sédiments culturels, ces recouvrements co-substantiels de l’illusion de savoir, ces écrans qui nous séparent de notre vocation à toujours commencer d’apprendre. -1- Nous nous proposerons de débuter notre réflexion par l’examen de cet apprentissage de la mort – qui serait à la fois le fond du savoir et qui nous disposerait enfin à apprendre apprentissage que prend en charge la philosophie ; et pour confronter cette perspective à deux temporalités différentes : celle d’idéalité platonicienne, celle du réalisme stoïcien. Nous nous interrogerons alors sur l’enfance comme retranchement – psychiquement motivé et culturellement construit - à la conscience de la finitude, et sur l’impossibilité de philosopher qui en résulte. Mais, symétriquement, nous explorerons cette initiation de l’existence qui se lie au savoir de la mort, savoir que vise à creuser la philosophie ; en ce sens, nous plaiderons pour une initiation à la mort par une philosophie thérapeutique avant d’être éducative, et qui conduise vers la sortie de l’enfance. Nous serons enfin conduit à méditer sur l’opportunité du savoir. Deux questions en découlent qui ne sont que deux déclinaisons du même thème : qu’est-ce qu’un enfant doit savoir, et quand est-ce qu’il doit le savoir ? C’est en effet selon notre hypothèse un certain savoir qui le fait entrer dans le temps et sortir de l’enfance, comme c’est en entrant dans le temps et en sortant de l’enfance qu’il peut commencer à philosopher/à savoir. Bibliographie : DURAND, Gilbert (1984), Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod. GOUX, Jean-Joseph (1990), Œdipe philosophe, Paris, Aubier. HADOT, Pierre (2002), Exercices spirituels dans la philosophie antique, Paris, Albin Michel. HADOT, Pierre (1995), Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard. MARC-AURELE (1992), Pensées par moi-même, Paris, GF. PLATON (1991), Phédon, Paris, GF. PLATON (1995), Théétète, Paris, GF. PRADEAU, Jean-François (2004), Les mythes de Platon, Paris, GF. SPINOZA (1954), L’éthique, Paris, Folio. YALOM, Irvin (2008), Thérapie existentielle, Paris, Galaade. -2- Baptiste JACOMINO C.R.E.N., Université de Nantes, doctorant [email protected] Sortir de l’enfance (proposition de communication) L’histoire des idées philosophiques et pédagogiques permet de démêler et d’affronter certaines problématiques qui continuent de hanter les conceptions actuelles de l’enfance. Pascal Bruckner (1995) a dénoncé une société contemporaine infantilisée, un monde fasciné par l’infantile. De cette infantilité, il convient de se libérer. Avant Bruckner, Alain, le souligne avec insistance. Cependant, il ne peut s’agir d’un simple décrochage. Sortir de l’enfance, sans balayer, sans dénier l’élan qui la porte et qui est le pivot indispensable aux apprentissages, voilà l’horizon que nous cherchons à approcher. 1. Se libérer de l'enfance Alain voit dans le conte le miroir d’une religion de l’enfance. Pour le personnage de conte comme pour l’enfant, la difficulté n’est pas dans la nécessité des choses, mais dans l’ordre humain. Le conte donne à voir l’illusion première à laquelle il faut échapper, celle de la toute‐puissance des mots et des caprices. Il s'agit d'une étape inévitable du développement. Il faut rompre avec cette épistémè initiale, s'en délivrer, sortir de la caverne. Penser selon l'objet. Voilà la finalité de l'éducation posée par cet héritier de Comte qu'est Alain. 2. Surmonter ou décrocher? L'école défendue par Alain est le lieu d'un décrochage épistémologique. Parce que les murs y sont blancs, parce qu'on y enseigne l'abstraite géométrie, l'imagination, folle du logis, est tenue en laisse. On sort du monde merveilleux de l'enfance pour entrer dans l'univers de la nécessité. Dans le même temps, Alain, dans l'ensemble de ses propos, présente l'erreur comme un moment indispensable sur lequel la pensée se fonde pour la dépasser, la purifier. Il ne s'agit donc pas alors d'éviter ou de supprimer l'erreur. Comment expliquer que l'école idéale ne reproduise pas ce mouvement complexe d'articulation, de continuité discontinue? Elle est le royaume d'une abstraction nécessaire si l'on suit Alain. Elle est tout à fait décrochée de l'illusion et de l'agitation extérieure. Elle apparaît comme un détour nécessaire, avant de retourner dans la caverne et d’y développer une pensée véritable, appuyée sur l’erreur. 1 3. Freinet et Alain : l'élan et le détour. La structure complexe de la pensée d'Alain apparaît plus nettement quand nous soulignons ce qui la sépare de celle, contemporaine, de Célestin Freinet. Chez lui, il n’est pas nécessaire de sortir de l'enfance et l'école est tout l'inverse d'un détour. L'enfant et l'adulte partagent une même aspiration fondamentale au travail‐jeu. L'école est appelée à faire de ce besoin la matrice des apprentissages qu'elle organise. Comme c'est en travaillant qu'on apprend à travailler, le détour par des savoirs et des pratiques décrochées de la vie ne peut être qu'un frein aux apprentissages, voire pire : une manière d'anéantir toute soif de savoir, tout désir de travail. La visée de Freinet diffère de celle d’Alain. Il cherche à préserver l’élan vital en le préservant de l’arbitraire scolaire. Cette optique semble le rendre aveugle aux singularités de l’épistémè enfantine. 4. L'horizon d'une synthèse : une pédagogie de l'étonnement Louis Legrand nous semble avoir proposé une conception de l'enfance et de l'école qui pourrait apparaître comme une synthèse partielle de ces deux positions. Il pose la nécessité d'échapper à l'épistémè de l'enfance, à l'égocentrisme et à l'anthropomorphisme initiaux. Il voit dans l'aptitude à l'étonnement une disposition naturelle qui permettrait d'articuler sans décrochage, sans perte d'intérêt, l'univers de l'enfance et l'acquisition d'une posture scientifique. L'étonnement est présenté comme un geste qui conduit à ne plus trop se croire, à se surveiller soi‐même, à entrer en débat, à rechercher des explications... Voilà autant de traits qui caractérisent la pensée véritable telle qu'elle est définie par Alain, mais qui ne nécessiteraient pas, si on suit Legrand, le passage par un univers scolaire coupé de la vie. Cette articulation permet d'imaginer des détours par l'abstraction, par une part de gymnastique mécanique... dans la mesure où celles‐ci s'intègreraient au mouvement initié par un étonnement fondateur, seul capable de produire un dynamisme d'apprentissage et de préparer une disposition à la problématisation. ALAIN (1932), Propos sur l’éducation, Paris, PUF. ALAIN (1983), Idées, Introduction à la philosophie : Platon, Descartes, Hegel, Comte, Paris, Flammarion, première édition : Paris, Paul Hartmann, 1939. BRUCKNER Pascal, La tentation de l’innocence, Paris, Grasset, 1995. FREINET Célestin (1994), Œuvres pédagogiques, Paris, Seuil, tomes 1 et 2. FORAY Philippe (1990), Alain ou l’éducation à la nécessité, in KAHN Pierre, OUZOULIAS André et THIERRY Patrick, L’éducation, approches philosophiques, Paris, PUF, pp.337‐360. 2 LEGRAND Louis (1960), Pour une pédagogie de l’étonnement, Paris, Delachaux et Niestlé. 3 L’ENFANCE AU MIROIR DE L’ART Alain Kerlan, Université de Lyon L’alliance de l’art et de l’enfance, de l’enfant et de l’artiste, dessine l’un des plis les plus singuliers de la modernité. Ce n’est pas la moindre singularité de cette rencontre que de croiser le champ esthétique et le champ éducatif. Elle trouve en effet sa première et magistrale formulation chez le Baudelaire du Peintre de la vie moderne, trouvant dans la figure et la sensibilité enfantines une sorte d’analogon de la figure et de la sensibilité artistiques : « Rien », y affirme le poète, « ne ressemble plus à ce qu'on appelle l'inspiration, que la joie avec laquelle l'enfant absorbe la forme et la couleur » ; avant de lancer le propos célèbre affirmant que « le génie n'est que l'enfance retrouvée à volonté1 ». Elle culmine sans doute dans la fameuse déclaration de Picasso confiant à Brassaï : « J’ai mis toute ma vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ». L’objet de cette communication est d’interroger le sens et les conséquences de ce qu’on pourrait appeler, en s’inspirant de René Char, l‘alliance substantielle de l’artiste et de l’enfant, dans le croisement même où elle se noue. Que nous dit de l’enfance sa promotion esthétique ? Que nous dit de l’art ce miroir voulu de l’enfance ? La réflexion engagée à partir de cette double question – peut-être les deux faces d’une même question – s’organisera en fonction de deux principales considérations. La première partira de l’enjeu esthétique que recouvre l’enrôlement artistique de l’enfance. Elle conduit à voir dans l’enfance une parfaite incarnation de ce qu’on appelle en rhétorique un oxymore. L'enfance, l'idée d'enfance, l'enfance comme « ordinaire d'exception », occupe une place singulière dans l'histoire et la problématique de la beauté ordinaire chère à l’art moderne. Elle en est même un opérateur de premier plan. L'oxymore que constitue la notion de beauté ordinaire trouve en effet dans l'état d'enfance une sorte de légitimité naturelle. L'esthétique de la beauté ordinaire telle que la conçoit Baudelaire appartient certes à l'histoire de l'art, mais elle y croise bien une autre histoire, celle de l'enfance et des représentations de l'enfance. La seconde ligne de réflexion quitte les hauteurs de l’histoire de l’art pour s’intéresser à la forme bientôt banalisée de la rencontre du monde de l’art et du monde de l’enfance : celle des artistes intervenants, des artistes en résidence dans les lieux de l’enfance, et notamment le lieu scolaire. Le travail de l'artiste dans le champ éducatif et les propos qui le soutiennent empruntent d’ailleurs volontiers le chemin qui va de l'ordinaire de l’enfance à l'exception esthétique. Ils conduisent aujourd’hui à reconsidérer les savoirs reçus sur l’enfance et ses capacités. Nous ne savons plus très bien, nos sociétés ne savent plus très bien, ce que « peut » un enfant, ce qu'il convient d'attendre de lui, en matière de compétences, de relations, de comportements et de conformités. Les dispositifs artistiques, dans leurs aspects innovants, sont précisément des lieux au sein desquels s'expriment de façon marquée ces brouillages des savoirs de l'enfance, et la mise en question des certitudes psychopédagogiques. En conclusion sera examinée l’idée selon laquelle la rencontre de l’enfant et de l’artiste pourrait être regardée sous l’angle de l’histoire et de la question de l’enfance et de l’adolescence comme question 1 Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne.(1863), in Oeuvres complètes, Paris, Le Seuil, 1968, p. 552. Souligné par Baudelaire lui-même. éminemment politique dans la démocratie, au sens que lui donne Alain Renaut : celui de la reconnaissance problématique de l’enfance comme identité et différence, différence dans l’identité. Edwige Chirouter et Jean-Marc Lamarre (IUFM des Pays de la Loire) Y a-t-il un âge pour philosopher ? Controverse sur l’enfant philosophe Face à l’étonnement devant le monde, les enfants, dès leur plus jeune âge, se posent (et posent aux adultes) des questions sur la vie, la mort, les relations humaines, etc. L’enfant est un sujet pensant et la société occidentale contemporaine le reconnaît comme tel, comme en témoignent la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et en particulier les articles 12 à 15 qui définissent des droits-libertés (cf. article 14.1 : « Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; »). L’enfant serait-il celui qui, selon l’expression de Deleuze, fait « l’idiot » et pose la question du pourquoi et de l’essence des choses en toute naïveté et intensité ? On constate aujourd’hui dans la littérature-jeunesse une prise en compte de plus en plus grande (et souvent avec sensibilité et intelligence) des interrogations ‘métaphysiques’ de l’enfant ; on voit aussi apparaître sur le marché de l’édition toute une série de petits ‘manuels de philosophie’ pour enfants. Dans le même temps se sont développées à l’école primaire des expériences de ‘discussion à visée philosophique’ (selon l’expression de J.-C. Pettier et M. Tozzi) qui prennent leur origine dans le programme de « philosophie pour enfants » de M. Lipman. A l’école primaire, les programmes de 2002 font une large place au débat en éducation littéraire (« L’interprétation prend le plus souvent, la forme d’un débat libre dans lequel on réfléchit collectivement sur les enjeux esthétiques, psychologiques, moraux, philosophiques qui sont au cœur d’une ou plusieurs œuvre(s). », Documents d’application des programmes, Littérature, cycle 3, 2002) et en éducation civique (le débat de vie de classe conduit les élèves à s’approprier les principes et valeurs de l’école « en passant progressivement de l’examen des cas singuliers à une réflexion plus large », MEN, Qu’apprend-on à l’école élémentaire, 2002). Les enseignants qui souhaitaient initier les élèves à la philosophie se sont donc engouffrés dans cette brèche pour mettre en place des séances dans les classes. A l’autre bout du système scolaire français, en Terminale, l’enseignement de la philosophie (« couronnement des études » selon la vision traditionnelle) souffre de son confinement dans la seule classe terminale et se trouve dans une situation critique. Dès les années 70, le GREPH, critiquant le concept d’âge et de maturité, a fait des expériences d’extension en amont de l’enseignement de la philosophie (cf. B. Gromer et J.-L. Nancy, Philosophie en cinquième, dans GREPH, Qui a peur de la philosophie ? Flammarion, 1977). Les interlocuteurs de Socrate, dans le Lysis, Ménexène et Lysis, ne sont-ils pas deux jeunes garçons en début d’adolescence ? Augustin, dans le De magistro, ne discute-t-il pas avec son fils Adéodat âgé de seize ans ? L’enfant de l’école primaire peut-il pratiquer la philosophie ? Qu’en est-il du caractère philosophique des discussions dites « à visée philosophique » ? Ces discussions ont fait (et font) l’objet de recherches et de débats vifs dans la petite communauté des professeurs de philosophie. Nous proposons donc une communication à deux voix. Edwige Chirouter défendra la thèse selon laquelle l’enfant de l’école primaire peut apprendre philosopher si on lui donne des outils culturels pour entrer dans une posture véritablement réflexive. Elle soutient que la littérature de jeunesse peut jouer un rôle de médiation fondamentale pour l’enfant. En tant « qu’expérience de pensée » et « laboratoire » des sentiments humains (P. Ricœur), la littérature instaure une « bonne distance » entre l’expérience personnelle – trop chargée d‘affect qui empêche la prise de recul et la distance critique – et le concept, trop abstrait qui empêche l’implication du jeune sujet dans la réflexion. La littérature (les contes, les mythes, les fables, les albums de la très riche création contemporaine) permet aux enfants de se saisir d’interrogations métaphysiques fondamentales et d’apprendre à penser. Mais encore faut-il que l’étayage de l’enseignant le guide pertinemment dans une réflexion de type philosophique. Ses interventions doivent garantir la rigueur des échanges, en rappelant les exigences de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation. La formation à l’animation de ce type de séance à visée philosophique est donc indispensable pour éviter toute dérive de type démagogique. Jean-Marc Lamarre défendra la thèse selon laquelle l’enfant de l’école primaire ne peut pas philosopher. Selon lui, les DVP préparent à la philosophie dans la mesure où elles exercent les élèves à la pensée réfléchie, mais elles ne sont pas à proprement parler des discussions philosophiques. Les DVP sont plutôt des débats réfléxifs qui relèvent de l’éducation civique et morale ou, d’une manière plus générale, de ce que les programmes de 2002 appellent l’ « éducation humaine » (et le Socle commun de connaissances et de compétences l’ « éducation humaniste »). Qu’il y ait de la pensée à l’œuvre dans les discussions entre enfants ne signifie pas pour autant que celles –ci soient philosophiques (la pensée, y compris la pensée spéculative, n’est pas propre à la philosophie). La philosophie, par sa visée totalisatrice et par la liberté et radicalité de son questionnement, n’est pas accessible à l’enfant de l’école primaire, car elle suppose qu’un certain nombre de seuils soient au préalable franchis par l’individu. Or, c’est dans le temps de l’adolescence que ces seuils sont franchis. L’adolescence est l’âge de l’entrée dans l’apprentissage de la philosophie et la philosophie est la sortie de l’enfance en tant que minorité. Bibliographie : - - E. Chirouter : Lire, réfléchir et débattre à l’école élémentaire. La littérature de jeunesse pour aborder des questions philosophiques. Paris : Hachette, 2007 (coll. « pédagogie pratique » « L’enfant, la littérature et la philosophie ». Penser l’éducation, n°24, 2008. F. Galichet : Pratiquer la philosophie à l’école, Nathan, 2004. J-M Lamarre : Education civique et philosophie, dans P. Billouet (coordination), Débattre – Pratiques scolaires et démarches éducatives, L’Harmattan, 2007. Alain Renaut : La libération des enfants, Bayard. M. Tozzi (dir.) : Les Activités à visée philosophique en classe : l’émergence d’un genre ?, SCEREN-CRDP de Bretagne, 2003. Pour une poétique cinématographique de l’enfance, ou sur la possibilité d’une expérience silencieuse du silence des enfants. Jorge Larrosa et Romina Pérez. Université de Barcelone. Espagne. L’enfance (in-fantia), par définition, ne parle pas. Dans un livre justement célèbre, Agamben nous a dit que «l’ineffable est, en réalité, enfance» (Agamben 1989, p. 66) et il a essayé à en tirer toutes les conséquences. Mais, au même temps, l’enfance est partout et sans cesse parlée. Il y a une distance (et un rapport éthique, politique, scientifique et aussi pédagogique) entre le silence de l’enfance et tous les discours que ont la prétention de la dire. D’autre part, dans un beau texte sur le geste, Agamben dit qu’il y a «un mutisme essentiel du cinéma (que n’a rien à voir avec la présence ou l’absence d’une bande sonore)» (Agamben 2001, p. 55). Dans le cinéma la question est de préciser et ajuster le regard, de l’élargir et le multiplier, de l’inquiéter et le mobiliser. Souvent le cinéma regarde l’enfance et nous la donne à regarder. Et, quelques fois, il la montre dans son mutisme essentiel, dans son altérité radicale, à une distance infranchissable de toutes nos paroles ou, comme dit Badiou, dans «la pureté du visible» (Badiou 2004, p. 66). Alors, peut-être le rencontre entre le cinéma et l’enfance ouvre un espace pour saisir ce que semblerait impossible: une expérience silencieuse du silence de l’enfance que, paradoxalement, n’est pas sans relation au langage et, à la fois, sans relation a la pensée. Cet espace peut nous donner aussi à réfléchir sur la relation, toujours problématique, entre le montrer et le dire, le voir et le parler, les images et les mots, le visible et l’intelligible, le mutisme essentiel de l’image-mouvement et le langage par le quel nous parlons sur ou à propos de ce qui est, para sa propre nature, sans mots. À partir d’une très belle citation d’André Bazin que parle de comment le cinéma, pour la première fois à l’histoire, nous place «face a face avec l’enfance» (Bazin 1999, p. 78), et en utilisant quelques fragments muets de films classiques, on essayera d’énoncer les grands traits d’une poétique cinématographique de l’enfance et on essayera d’en tirer quelques conséquences pour la philosophie de l’éducation. References : Agamben, G. (1989) Enfance et histoire. Paris. Payot. Agamben, G. (2001) en “Notas sobre el gesto”, en Medios sin fin. Notas sobre la política. Valencia. Pre.Textos. Badiou, A. (2004) “El cine como experimentación filosófica”, en Yoel, G. (Ed.), Pensar el cine. Imagen, ética y filosofía. Buenos Aires. Manantial. Bazin, A. (1999) ¿Qué es el cine? Madrid. Rialp. GIUSEPPE MARI (professeur ordinaire de Pédagogie générale à l'Université Catholique de Milan) Proposition de communication – Troisièmes Rencontres de la Sofphied “Repenser l’enfance? Une question philosophique. Une question à la philosophie” Titre. Autorité et liberté dans l’éducation enfantine Résumé. L’autorité est un des thèmes classiques de philosophie de l’éducation, en considérant que immédiatement cet sujet est relié à la liberté – fondamentale dans la pratique éducative – et pour cette raison déjà les anciens ont fait attention à la relation entre l’autorité et la liberté. Récemment, surtout à partir de la transition culturelle des années Soixante, l’autorité a été contestée parce que on a voulu souligner l’exigence de favoriser la conquête de la liberté comme un objectif positif et non comme le résultat d’une contrainte morale. Cependant, aujourd’hui tout le monde reconnaît le problème du narcissisme, qui soumet l’être humain au rappel du besoin et le rend égocentrique en empêchant son développement moral. L’enfant – comme le soulignent nombre d'auteurs de cultures différentes, par exemple Freud et Guardini – est affecté d’un puissant narcissisme puisqu'il n’est pas encore pleinement capable d’exercer sa liberté. En effet, la justification fondamentale de l’autorité dans l’éducation est la lutte contre le narcissisme déjà à partir de l’enfance, puisque l’enfant doit développer la capacité de se dominer soi-même grâce au rapport avec un éducateur influent, qui soit capable de mettre des limites raisonnables aux désirs du sujet en éducation. Le défi du malaise des jeunes suggère la révision de la critique de l’autorité, non pour reculer aux formes archaïques d’autoritarisme mais pour favoriser la dialectique entre l’éducateur et le sujet en éducation: le premier doit transmettre à ce dernier la capacité d' accepter les limites comme expression de maturité, c’est-à-dire l’attitude nommée par les anciens “enkrateia”. Cette condition correspond à la maîtrise de soi-même et permet d’exercer la liberté et de développer la capacité d’être généreux en rendant les personnes capables de se donner aux autres. Les enfants d’aujourd’hui, aussi pour le fait qu'ils se rapportent souvent avec des adultes affectés eux-mêmes du narcissisme, risquent d’être victimes de leurs désirs, incapables de self-control. Par conséquent, il est indispensable de reconsidérer l’autorité comme pratique apte à faire conquérir la liberté, qui est fondamentale dans l’éducation de la personne dès l’enfance et tout au long de sa vie, mais – si on commence bien – la croissance sera plus facile. Des questions se posent: comment peut-on distinguer entre l’autorité et l’autoritarisme? comment peut-on éviter – à la suite des cultures qui n’ont pas expérimenté la modernité comme revendication de la liberté individuelle – la régression vers des pratiques éducatives qui négligent le profil personnel de l’enfant et son intégrité psychophysique? comment doit-on pratiquer l’autorité éducative de façon à libérer la personne, non à l'humilier? Je pense que la comparaison avec la réflexion pédagogique du XIXe et XXe siècle peut être utile, surtout grâce à la considération du culte de la liberté, qui caractérise le romantisme, et de la réinterprétation de l’humanisme chrétien dans le premier après-guerre. Je voudrais partir de cette direction – surtout de la pensée de Bosco, Laberthonnière, Lambruschini, Maritain et Guardini – pour affronter les défis d’aujourd’hui relativement au rapport entre autorité et liberté dans l’éducation enfantine. Indications bibliographiques J. Bosco, Ecrits L. Laberthonnière, Théorie de l'éducation R. Lambruschini, Scritti pedagogici J. Maritain, Pour une philosophie de l'éducation R. Guardini, Les âges de la vie Troisième rencontre de la SOFPHIED – 26 et 27 juin 2009 Philosophie et politique des âges de la vie Proposition de communication de Roger Monjo (MCF sciences de l’éducation, CERFEE – LIRDEF, Montpellier3) Dans l’ouvrage qu’ils consacrent à l’élaboration d’une nouvelle philosophie des âges de la vie1 conforme au moment contemporain marqué par une individualisation, mais aussi une fragilisation, des trajectoires sociales parcourues par chacun, É. Deschavanne et P-H. Tavoillot s’emploient à développer, à partir d’analyses socio-historiques et conceptuelles, les attendus philosophiques des propositions politiques qu’ils avaient avancées, peu de temps auparavant, dans une note rédigée pour le Conseil d’Analyse Stratégique, sous le titre : Le développement durable de la personne2 . Propositions qu’ils reprennent, au demeurant, dans la dernière partie de l’ouvrage. La mise en perspective historique de la situation contemporaine leur permet de diagnostiquer, au-delà de l’apparente confusion des âges qui semblent régner aujourd’hui, l’existence d’un processus en cours de reconfiguration dont ils développent donc, dans la dernière partie de l’ouvrage et sur un mode essentiellement programmatique, la traduction politique. Les analyses socio-historiques sont dominées par l’hypothèse d’une hégémonie progressive, aujourd’hui, des principes de l’individualisme dont les effets de déconstruction dans l’organisation des âges sont appréhendés, en particulier, à partir des œuvres de J-P. Sartre et S. de Beauvoir, principes qui autorisent certains interprètes (U. Beck, A. Giddens, G. Lipovetsky, …) – dont nos auteurs se réclament – à parler de « seconde modernité » ou de « modernité tardive ». Les perspectives programmatiques qui sont développées in fine résultent quant à elles du constat, largement partagé, de la situation de crise que connaît désormais l’État providence traditionnel et s’inscrivent délibérément dans le cadre d’un nouveau paradigme politique, apte à refonder le contrat social, celui de l’État solidaire. Il s’agit en quelque sorte de traduire en termes de relations de solidarité intergénérationnelles à promouvoir aujourd’hui, les bouleversements engendrés par la philosophie individualiste au plan des représentations légitimes en matière d’articulation entre les différentes étapes d’une existence humaine, dès lors qu’elle est pensée sur le modèle de la construction d’une identité narrative. L’objectif de cette communication serait donc, à partir d’un rappel des principales analyses développées dans l’ouvrage, de s’interroger sur l’articulation entre les deux moments, philosophique et politique, de cette réflexion du point de vue de sa cohérence et de sa légitimité. Qu’en est-il, plus particulièrement, du lien entre une représentation de l’enfance centrée sur le « désir de grandir », représentation elle-même construite à la fois sur l’identification d’une nouvelle époque existentielle, la jeunesse, qui sépare l’enfance de cet accès à l’âge adulte et sur la redéfinition de ce dernier à partir du triptyque de l’expérience, de la responsabilité et de l’authenticité, et les dispositifs politiques ou institutionnels qui sont évoqués dans la dernière partie : de la lutte contre la maltraitance à la recherche d’un nouvel équilibre entre protection et responsabilisation en matière de politique pénale, en passant par la redéfinition des objectifs de la politique scolaire mise en œuvre tant à l’école qu’au collège. Bibliographie Éric Deschavanne, Pierre-Henri Tavoillot, Le développement durable de la personne. Pour une nouvelle politique des âges de la vie, La Documentation Française, 2006. Éric Deschavanne, Pierre-Henri Tavoillot, Philosophie des âges de la vie, Grasset et Fasquelle, 2007 (réédité en 2008 chez Hachette littérature). Jacques Donzelot, La police des familles, Les éditions de Minuit, 1980. Gosta Espin-Andersen, Trois leçons sur l’État-providence, Seuil, 2008. Marcel Gauchet, « La redéfinition des âges de la vie », Le Débat, n° 132, 2004. Georges Lapassade, L’entrée dans la vie, Les éditions de Minuit, 1978. Rémi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Seuil, 2003. Karl Mannheim, Le problème des générations, Nathan, 1990. 1 Éric Deschavanne, Pierre-Henri Tavoillot, Philosophie des âges de la vie, Grasset et Fasquelle, 2007 (réédité en 2008 chez Hachette littérature). 2 Éric Deschavanne, Pierre-Henri Tavoillot, Le développement durable de la personne. Pour une nouvelle politique des âges de la vie, La Documentation Française, 2006. La poétique de l’enfance : qui est le Gustav de Jean Paul Richter ? Didier Moreau CREN, Université de Nantes. La fin de la modernité a conçu le projet de transformer la société par l'éducation et d'appuyer cette transformation sur la détermination d'une essence de l'homme. L'hypothèse majeure était que cette essence pouvait être rendue accessible par une connaissance rationnelle et scientifique de l'enfance. Par bonheur, le positivisme allait trouver dans les sciences empiriques les résultats qui le confortaient dans son rêve d'une édification rationnelle de la société. Or la validité de ce projet se trouva assez tôt remise en question à la fois par l'histoire et par la pratique de la pédagogie elle-même. Le rêve d'une émancipation politique se dissipait devant le visage des nouveaux despotismes de l'ère napoléonienne, et les pédagogues découvraient que l'enfance n'avait ni la simplicité, ni la transparence dont la science avait rêvé. C'est dans ce contexte particulier que prend place la réflexion de Jean-Paul Richter sur l'enfance. D'une manière fondamentale, elle considère qu'à l'enfance ne correspond pas une essence pure, naturelle et préservée, mais une situation spécifique de l'homme, un mode de présence propre à l'enfance qui est une exposition privilégiée à l'être. Dans cette perspective, l'éducation doit changer de projet : non plus former « l'homme extérieur » mais comprendre « l'homme intérieur ». En effet, l'enfant possède un accès privilégié au vrai parce qu'il nous est « envoyé par l'avenir ». Cette perspective amène Jean Paul à privilégier la seule approche qui convienne désormais pour saisir cette situation exceptionnelle: la poésie, contre la langue conceptuelle qui reste, elle, tout orientée vers l'atteinte chimérique des essences. La contribution étudiera cette constitution originale d'une poétique de l'enfance à travers l'œuvre de Jean Paul (1763-1825), particulièrement La Loge invisible - roman dans lequel est mise en scène l'éducation de Gustave (1792), et la Levana, le grand traité d'éducation jean-paulien (1807). L’enfant est un poète, puisqu’il est au plus près de l’être. Mais il ne peut être approché par les concepts de la philosophie: seule la poésie permet de « dire » l’enfance. Nous sommes séparés de l'enfance par une double distance : distance temporelle d'abord ; notre mort qui vient nous sépare de notre enfance : Les momies, tel est le sous-titre énigmatique de la Loge invisible. Distance intellectuelle ensuite : nous ne pouvons pas comprendre l’enfance par notre raison seule puisque l’enfant comprend le monde sans son secours. L’approche poétique devient une approche phénoménologique de l’enfance : recueillir des fragments épars et humbles des manifestations de la vie enfantine, poétiser notre rapport à l’enfance, telle que nous l’avons vécue. Jean Paul ouvre ainsi une perspective qui aura des effets importants non seulement dans la pensée éducative mais également en philosophie. Si l'Aurore de Nietzsche doit beaucoup à la Levana, il est manifeste que la théorie de l'enfance chez Hannah Arendt est inspirée de la conception de l'enfant comme visionnaire d'un « monde nouveau et encore caché » (Loge Invisible, p. 15). Nietzsche y retrouve l’intuition héraclitéenne du monde comme jeu enfantin (Zarathoustra) et Arendt le concept de « nativité ». La vision de l'enfance chez Jean Paul peut être alors détachée de la catégorie peu signifiante du romantisme; elle est la préfiguration d'une réflexion philosophique qui, abandonnant la certitude de l'essence de l'homme, pense l'homme à travers sa propre réalisation, sa praxis comme formation de soi, et sa formation comme praxis sans transcendance. Bibliographie. Jean Paul Richter (1965) La Loge invisible. Paris, Corti. Jean Paul Richter (1990) Levana ou Traité d'éducation, Lausanne, L'Age d'Homme. Geneviève Espagne (2002) Les années de voyage de Jean Paul Richter, Paris, Cerf. Hannah Arendt (2002) Vita activa oder vom tätigen Leben, Piper, München. Didier Moreau (2005) « Jean Paul, lecteur de Jean-Jacques; une approche herméneutique de l'éducation », in Le Télémaque, n° 27. Friedrich Nietzsche (2005) Aurore, Paris, Livre de Poche. 1 L’enfance comme l’indicible de l’expérience éducative: une approche philosophique Anna Pagès Université Ramon Llull Barcelone (Espagne) Resumé Enfance et expérience éducative sont intimement nouées l’une à l’autre. On pourrait même dire: l’enfance comme expérience traverse l’acte éducatif; ors, il n’y a pas d’éducation, dès le tout premier début, sans une certaine idée de l’enfance. Dans ce travail nous allons développer la thèse suivante: une approche philosophique de l’enfance devrait passer par une philosophie de l’immédiat sur l’action éducative comme expérience. Cette philosophie de l’immédiat suppose, parmi d’autres, la possibilité d’expliquer d’une certaine façon qu’est-ce que l’enfance à partir d’un certain concept d’expérience éducative. Dans son ouvrage “Le je-ne-sais-quoi et le presque rien”, le philosophe Vladimir Jankélévitch exprime l’ouverture à l’indicible d’une certaine “mauvaise conscience de la bonne conscience rationaliste (...) qui proteste et remurmure en nous contre le succès des entreprises réductionnistes.”(Jankélévitch, ed.1980, p. 11) Ce texte propose au lecteur l’interrogation d’un parcours sur le Je-ne-sais-quoi qui implique une expérience de la philosophie comme une question permanente sur l’inachevé. Est-il possible de réfléchir sur l’éducation comme expérience du Je-ne-saisquoi, à la façon de Jankélevitch? Si oui, cela voudrait dire que l’éducation ne connait pas tout sur elle même ni sur les personnes qu’elle voudrait “éduquer”. Ne pas tout connaître sur elle même veut aussi dire qu’il y a une “quelque chose qui n’existe pas et qui est pourtant la chose la plus importante entre toutes les choses importantes, la seule qui vaille la peine d’être dite et la seule justement qu’on ne puisse dire!”(Jankélévitch, ed. 1980, p. 11) L’enfance, serait-elle une expérience de cette “quelque chose” qui se manifeste à travers l’immédiateté de l’éducation? Un “indicible” présent dans l’inachevé de la conscience éducative comme conscience insatisfaite? Nous allons reprendre l’ouvrage de Jankélévitch pour réfléchir sur ces questions et soutenir que les idées d’enfance et d’éducation se délimitent à partir d’une dialectique permanente entre ce qui nous tombe dans les mains et ce qui nous surprend au jour le jour. D’une façon qui résiste aux entreprises réductionnistes actuelles sur l’enfance et ses “compétences”. 2 Indications bibliographiques: Jankélévitch, Vladimir, Le Je-ne-sais-quoi et le presque rien, La manière et l’occasion, Vol. I, Paris, du Seuil, 1980 Jankélévitch, Vladimir, Le Je-ne-sais-quoi et le presque rien, La méconnaissance, Vol II, Paris, du Seuil, 1980. Jankélévitch, Vladimir, Le Je-ne-sais-quoi et le presque rien, La volonté de vouloir, Vol. III, Paris, du Seuil, 1980. Jankélévitch, Vladimir, Berlowitz, Béatrice, Quelque part dans l’inachevé, Paris, Gallimard, 1978 Jankélévitch, Vladimir, Philosphie première,Introduction à une philosophie du Presque,Paris, PUF, 1986 Jankélévitch, Vladimir, Philosophie morale, Paris, Flammarion, ed.1998 Jankélévitch,Vladimir, Fuentes, Barcelona, Ed.Alba Decay, 2007 Troisièmes rencontres de la Sofphied Colloque international Vendredi 26 et samedi 27 juin 2009 Paris. Sorbonne. Amphi Durkheim Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie. Paula Cristina Pereira Université de Porto Titre: La maturité de la philosophie et les figures des états naissants Mots-clé: expérience, origine, poésie, enfance, théâtre, jeu. Résumé: La barbarie de la non expérience, annoncé par Benjamin, ou le rejet de l’expérience peuvent signifier une incapacité de traduire ce qui arrive et ce qui nous arrive en expériences significatives, mais elles démontres, surtout, l’incapacité d’un engagement personnel alimenté par un monde “construit à distance” qui atténue notre conscience de tragédie et change la propre notion d’expérience en la soumettant à l’expérimentation qui communique une accumulation progressive d’informations et de “vérités” objectives ; mais l’expérience suppose une affinité qui s’articule avec la capacité de supporter (sufferere) ce qui demeure inconnu, ce qui arrive et ce qui vient, surmontant le désir d’appropriation. Si la logique de l’expérimentation produit un accord ou homogénéité entre les sujets, l’expérience produit la différence et l’hétérogénéité ; l’expérience n’est pas répétable, il y a en elle toujours quelque chose comme la première fois, un début, un recommencement qui comporte une dimension d’incertitude (cf. Larrosa, 2002). Mais demeurer en expérience signifie restaurer notre capacité de supporter l’incertitude et l’ambiguïté, notre capacité de renaître toujours avec l’irrationalisé, l’inconnu, excédant toute la possession intellectuelle par la tâche infinie de la philosophie qui est de créer des mythes – non pas la narration mythique, mais l’impulsion pour créer des mythes –, tâche toujours rénovée de penser à l’origine ; car ce qui persiste dans la discursivité ou dans la logique est toujours un irrationalisé qui provoque le discours, permettant recommencer à penser. (cf. Pereira, 2006). Et la relation avec l’origine est toujours un retour à l’enfance, une relation qui se base dans la sensibilité et supère la pensée discursive qui s’est soustraie au silence ou à l’excès que tout état naissant implique. (cf. idem, ibidem). L’enfance – période de la vie humaine qui englobe le temps qui se découle entre la naissance et l’adolescence – fait, cependant, toujours référence à un commencement, une origine, un début, à la naissance de quelque chose ; à une discontinuité et expérience de transformation qui exprime la propre irréductibilité de l’humain ; l’homme est un être biologiquement carencé, incomplet, mais son inachèvement l’inscrit dans le monde comme être de projet. Penser en origine signifie récupérer dans le mythe, dans la poésie, dans l’expérience théâtrale, dans le jeu et dans l’espace intermédiaire de l’in-fans, la valeur de l’arrivée de toute possibilité donnée en un processus phénoménologique (interrogeant l’ordre historique) qui transfigure la réalité en œuvre esthétique. La maturité de la philosophie, ne peut ainsi, se traduire en quelque logos clair et distinct face à l’obscurité de la vérité dénuée, mais elle exprime l’ampliation du déjà pensé, risquant le délaissement, sur les traces du sacré (Heidegger, 2002); risquant une réentrée dans l’enfance, dans son alternative éducative radicale de création d’autres sens. La maturité de la philosophie et, spécialement, de la philosophie de l’éducation dépende(nt) d’une ouverture sensible et ludique à un non-savoir, à l’originaire et originale enfance en tant que médiation de la construction de l’humain, blessé dans son incomplétude mais le seul qui contemple le ciel. Références Bibliographiques: AGAMBEM, Giorgio (2000), Enfance et histoire, Payot, Paris. HEIDEGGER, Martin (1959), Qu’Appelle-t-on Penser? Paris, Presses Universitaires de France, trad. de l’allemand par Aloys Becker et Gérard Grangel. —— (2002), Caminhos de Floresta, Lisboa, Fundação Calouste Gulbenkian, coord. científica da edição e trad. Irene Borges-Duarte, rev. da tradução Helga Hoock e Irene Borges-Duarte. HUIZINGA, Johan, (2001), Homo Ludens. O jogo como elemento da cultura, 5ª edição, Editora Perspectiva, S. Paulo. LARROSA, Jorge Bondía (2002), “Notas sobre a experiência e o saber da experiência”, in Revista Brasileira de Educação, Associação Nacional de Pós-Graduação e Pesquisa em Educação, Jan-Abr, nº.19, São Paulo, trad. João Wanderley Geraldi, pp. 20-28. PEREIRA, Paula Cristina, (2006), Do Sentir e do Pensar. Ensaio para uma antropologia (experiencial) de matriz poética, Porto, Afrontamento. SCHILLER, Friedrich (1994), Sobre a Educação Estética do Ser Humano numa série de cartas e outros textos, Imprensa Nacional Casa da Moeda, Lisboa. SOUSA, Eudoro (1984), Mitologia, Lisboa, Guimarães Editores. —— (2000), Origem da poesia e da Mitologia e outros ensaios dispersos, Lisboa, Imprensa Nacional-Casa da Moeda, organização de Joaquim Domingues, apres. Paulo Borges. Sofphied Société francophone de philosophie de l’éducation <http://sofphied.asso.free.fr> Troisièmes rencontres de la Sofphied Colloque international Vendredi 26 et samedi 27 juin 2009 Paris. Sorbonne. Amphi Durkheim Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie. Résumé : « L´enfance, le temps et la philosophie: quelques réflexions » Lúcia Helena Cavasin Zabotto Pulino1. Universidade de Brasília. Brasília, DF. Brésil. Quand on pense à l´enfance, on se remet à la question sur le temps, comme une catégorie de l´existence humaine. L´être humain, c´est un être temporel, qui n’est pas né tout à fait prêt et qui a besoin d’un être humain plus expérimenté pour le soigner et garantir sa survie. Dès son plus jeune âge, l’enfant se développe comme un membre de sa famille, de la classe sociale à laquelle il appartient, voire la culture en laquelle il vit. Ainsi, on peut dire que l´enfance, c´est le commencement de la vie, le moment de dépendance, de nécessité d´un adulte qui introduise l´enfant dans le milieu social et qui l’apprend à parler, à utiliser les objets selon sa culture et à aimer et respecter les autres. L´adulte est le partenaire de l´enfant lors de ses découvertes du monde physique et social. En effet, le commencement, c´est le moment de dépendance, ainsi que le moment des possibilités. L´enfant se constitue, d´un côté, comme un être qui dépend de l´autre social pour sa survie, et, de l’autre côté, comme un être qui vit avec l´autre, en mettant en évidence les moyens de se développer. Sur les deux cas de figure, on a un processus: l´enfant devient un être humain, de par 1 Psychologue. Docteur en Philosophie. Professeur au Institute de Psychologie, Departement de Psychologie Scolaire et du Dévléoppement. Universidade de Brasília. Brasil. Participation/coordenation UnB ‐ CAPES/PROCAD ‐ Biopolítica, escola e resistência: infâncias para a formação de professores. [email protected] sa relation avec son monde intérieur et le milieu naturel et social, par la médiation d´une autre personne, par le moyen du langage et des symbolismes culturels. Ce processus est bien marquant pendant la première enfance. À mesure que l’enfant vieillit, ce processus poursuit, mais de façon moins radicale. Ainsi, on considère fréquemment que les jeunes sont plus formés que les enfants, alors que les adultes sont des êtres humains davantage prêts et complets. Les enfants, à leur tour, sont considérés comme des êtres‐encore‐pas‐prêts, ou en cours de formation. En ce sens, cela peut nous faire penser que le premier est déjà élevé et autonome, alors que le second a besoin de se faire éduquer par quelqu´un avec qui il apprend à vivre. Il est vrai que l´enfant a besoin des gens plus expérimentés et connaisseurs des règles de la société. De même, l’adulte n’est pas le seul qui détient le savoir‐vivre. Et l´enfant n’est pas le seul qui a besoin d´éducation et qui devient un être humain. Les enfants et les adultes vivent un processus de transformation de soi‐mêmes, c’est‐à‐ dire de devenir des êtres humains. Ce processus n´est pas plus effectif chez l´adulte que chez l´enfant. En d’autres termes, l´adulte n´est pas plus humain que l´enfant, parce que le devenir humain n´est pas marqué par le progrès. L´être humain peut être un enfant, un jeune, un adulte ou une personne âgée. Et à tous les moments de la vie, les gens sont en train de devenir humains. Ainsi, si tous sont toujours en train de devenir êtres humains, si ce n´est pas le cas, exclusivement, chez l´enfant, qu´est‐ce qui caractérise l´enfance? Cela serait dû à l´âge de dépendance envers les autres, ou au moment du commencement de la vie, où les transformations sont plus fortes? D’une certaine façon, tout ceci est typique de l´enfance. En ce sens, après avoir délimité l’enfance, en la distingeant ce qu’elle a de commun et de différent envers d’autres moments de la vie, il convient de penser aux relations possibles de l’enfance avec la philosophie. Concernant cette question, on va penser à l´enfance, en prenant la notion de temps en trois dimensions, comme la concevaient les Grecs anciens: le temps comme Chronos, comme Kairos et comme Aion. Chronos, le temps mesuré, le temps de l´horloge, prend l´enfance dans la chronologie et l’assume comme le premier âge de la vie. Kairos, le temps de l´opportunité, prend l´enfance comme le moment du changement par excellence, le moment propre à l´éducation. Aion, le temps de l’éternité, le temps du jeu, « C’est un enfant qui s’amuse à jouer aux dames: souveraineté d’un enfant.» (Heraclitus, frag. 52) Aion n’est pas chronologique, c´est le temps de l´enfant qui joue. L´enfance est prise dans le sens de Aion comme le temps de création, du jeu, qui a sa propre temporalité. On est habitué à regarder l´enfance comme Chronos et comme Kayros. Mais on oublie fréquemment de regarder l´enfance comme le temps de jouer, de la création originale de soi même, des mondes réel et imaginaire, d´une langue, et des règles propres. En regardant le temps comme Aion, l´enfance devient une condition plus qu´un âge: la condition de la personne qui joue, qui imagine, qui crée, et peut‐être un moment de la vie d´un adulte, d´un jeune, d´une personne âgée. Enfin, du point de vue de la Philosophie, la condition de l´enfance est la condition propice à philosopher: à soupçonner les quatre vérités, à expérimenter des nouvelles formes de voir et penser le monde, à jouer avec les idées. Références Bibliographiques Ariès, Phillipe, História Social da Criança e da Família. R.J.: Guanabara Koogan Ed., 1978. (L´Enfant et la vie familial sou l´Ancien Régime. Paris, France : Édition de Seuil, 1975, troisième édition.) Benjamin, W. Reflexões: A criança, o brinquedo, a educação. São Paulo: Summus, 1984. Costa, A. Heráclito: Fragmentos Contextualizados. R.J. : Difel, 2002. Kennedy, D. And Kohan, W. Aión, Kairós and Chrónos: Fragments of an Endless Conversation on Childhood, Philosophy and Education In Childhood and Philosophy vol. 4, no. 8, 2008. janeiro/2009. Pulino, L. H. C. Z. A educação, o espaço e o tempo – Hoje é amanhã ? in Borba, S. & Kohan, W., (orgs) Filosofia, aprendizagem, experiência. Belo Horizonte : Autêntica, 2008. Pulino, L. H. C. Z. Filoesco and the Aion Space: Thinking with children in and out of the school Oxford, United Kingdom : Inter‐Disciplinary Press, 2008. www.inter­disciplinary.net/ati/education/cp/ce4/pulino%20paper.pdf ­ TROISIÈMES RENCONTRES DE LA SOFPHIED COLOQUE INTERNATIONAL 26-27 JUIN 209 PROPOSITION DE COMMUNICATION LIRE LA MONTAGNE MAGIQUE AU TRAVERS DU QUESTIONNEMENT DE LA PÉDAGOGIE CRITIQUE Laura Ferreira dos Santos Institut d’Éducation et Psychologie Université du Minho (Braga-Portugal) Ce qu’on appelle la Pédagogie Critique, avec une infrastructure théorique qui inclut des noms comme Dewey, Adorno, Gramsci et Paulo Freire, s'est développée surtout aux États-Unis et au Canada, et possède en ce moment une vaste production bibliographique, d'où émergent, par exemple, les noms de Henry Giroux, Peter McLaren et Michel Apple (évidemment aussi, l'œuvre de Paulo Freire lui-même). En partant du principe que les écoles et l'éducation ne doivent pas servir pour reproduire sans discernement la société, mais pour approfondir ses impératifs démocratiques, elle affirme que l'éducation doit être au service de l'accroissement d'une plus grande justice, liberté et autonomie. Dans ce contexte, Giroux écrit que la pédagogie doit mettre en action les tensions existantes entre les récits hégémoniques existants dans une société et, par conséquent, dans ses curriculums scolaires, et les récits oubliés ou perdus de groupes dominés (cf. Aronowitz et Giroux, 1991:128). En d'autres termes, nous pouvons dire que les pédagogies critiques se présentent comme des discours ou des régimes de vérité attentifs à la diversité d'intérêts et de conflits qui traversent l’ordre contextuel des événements et 2 attentifs aussi à la façon selon laquelle la vie de chaque personne et groupe peut intervenir positivement dans la transformation d'expériences culturelles imposées et dégradantes. À partir de ce cadre, je me propose d'analyser quelques aspects de La Montagne Magique (1924), œuvre de Thomas Mann (1875-1955), considérée par quelques-uns comme un Bildungsroman. Ce sont trois facteurs qui m'amènent à porter mon attention sur elle : 1. deux de ses personnages, Settembrini, un idéaliste italien anticlérical, et le professeur Naphta, jésuite nihiliste, sont caractérisés explicitement comme des « pédagogues » : ils ne défendent pas seulement des conceptions différentes du monde à la lumière de laquelle ils aimeraient éduquer l'humanité, mais ils se disputent aussi entre eux l'influence qu'ils peuvent avoir sur un jeune homme comme Hans Castorp. La pédagogie ici est clairement considérée comme adressée à des adultes et avec des contenus substantiels qui prétendent guider le développement des sociétés ; 2. La Montagne Magique se déroule comme on le sait dans un sanatorium des Alpes Suisses. Elle est un des rares grands romans qui se développe dans un environnement de maladie et de mort, sujets qui ont été bannis des écoles et de l'éducation en général. Néanmoins, bien que cela soit l'environnement où se passe l'action, ni les « pédagogues » ni le narrateur du livre n'abordent directement la question de la mort. Ce sera l'occasion de nous confronter au thème développé par la Pédagogie Critique autour de ce qu’elle appelle les « voix absentes » et les « voix présentes », c'est-à-dire, des thématiques qui apparaissent dans nos sociétés comme dominantes ou dominées. Il ne s'agit évidemment pas de faire une quelconque critique sur la manière voulue par Thomas Mann pour écrire son œuvre, mais de nous en servir pour affirmer l'idée qu'une des voix absentes de notre éducation et de nos curriculums est celle de la maladie, de la mort et des récits des personnes qui en sont affectées; 3. On s’efforcera finalement d'examiner l'apprentissage que Hans Castorp a fait pendant les sept années où il a été hospitalisé. De quelle manière a mûri sa pensée ? De quelle manière a-t-il réagi aux influences 3 « pédagogiques » opposées de Settembrini et de Naphta ? Pourrons-nous dire que, quand il est sorti du sanatorium, sa pensée était devenue plus « adulte » ? Dans ce cas, en quoi son séjour de sept ans dans le sanatorium et les discours « pédagogiques » qu’il a entendu pendant ce temps ont contribué à son évolution psychologique, existentiel et, peut-être, politique? BIBLIOGRAPHIE MINIME ARONOWITZ, Stanley & GIROUX, Henry (1991). Postmodern Education. Politics, Culture, & Social Criticism. Minneapolis / Oxford: University of Minnesota Press. FABRE, Michel (2009). Philosophie et pédagogie du problème. Coll. Philosophie de l'éducation. Paris: Vrin. FREIRE, Paulo (1994). Cartas a Cristina. Rio de Janeiro: Paz e Terra. FREIRE, Paulo (1997) [1992]. Pedagogia da esperança. Um reencontro com a Pedagogia do oprimido. 3ª edição. Rio de Janeiro: Paz e Terra. FREIRE, Paulo (1997) [1996]. Pedagogia da autonomia. Saberes necessários à prática educativa. S. Paulo: Paz e Terra. MANN, Thomas (1961) [1924]. La montagne magique. Trad. de Maurice Betz. Paris: Fayard. MCLAREN, Peter & KINCHELOE, Joe L. (eds) (2007). Critical Pedagogy: Where are we Now? New York: Peter Lang. Revue Française de Pédagogie (1997). Penser la pédagogie. Nº 120, JuilletAoût-Septembre 1997. SILVA, António J. A. (2002). Pedagogia crítica e contra-educação. Coimbra: Quarteto. 1 Sofphied Société francophone de philosophie de l’éducation <http://sofphied.asso.free.fr> Troisièmes rencontres de la Sofphied Colloque international Vendredi 26 et samedi 27 juin 2009 Paris. Sorbonne. Amphi Durkheim Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie. Proposition de communication de Michel SOËTARD Philosophie et pédagogie Autour d’un propos de Jean-Jacques Rousseau : « Nul de nous n’est assez philosophe pour savoir se mettre à la place d’un enfant » (Emile, Livre 2) L’affirmation péremptoire de Rousseau peut recevoir une lecture psychologique, marquant la distance qui sépare la compréhension de l’on peut avoir de l’enfant de ce qu’il est en réalité. Mais l’interrogation apparaît plus radicale sous la plume du Genevois, atteignant le fondement même de l’acte de philosopher. Soit : « vous pouvez, philosophes, faire tous les efforts que vous voulez, élaborer toutes les constructions conceptuelles dont vous êtes capables, une réalité humaine vous échappera toujours : celle qui est incarnée par l’enfant. » C’est dire qu’une part de la nature humaine serait appelée à échapper à la saisie philosophique. Voilà qui est plutôt gênant pour un savoir fondé sur la prétention à répondre de la nature humaine dans son intégralité. Cela signifierait qu’au moment où l’enfant entre dans l’histoire par la reconnaissance de sa réalité, et avec lui la pédagogie comme pilotage de cette spécificité, la philosophie marquerait sa limite, peut-être même son incompétence à saisir la nature humaine par son origine. Mais il reste vrai de dire que s’il ne faut plus philosopher, il faut encore philosopher : le sens de l’homme, dans toute l’extension de son existence, sauf à désespérer de celle-ci, ne peut se dérober à la pensée. La phrase de Rousseau voudrait alors signifier que la philosophie, loin de prétendre être l’alpha et l’oméga de la pensée de l’homme, devrait désormais compter, en présence de l’enfant, avec une nature originelle, extérieure à la pensée et à sa prétention systématique, par rapport à laquelle elle aurait désormais à se constituer. Le discours 2 philosophique, héritier du logos, s’ancrerait alors dans un non-parler, celui d’un être in-fans, qui est hors du langage, qui en est certes capable, mais capable seulement, partant d’une origine qui n’est pas langagière. Au même titre qu’il est capable seulement de raison, raisonnable, renvoyant la raison à une origine où elle n’est pas. Ce serait la même chose de dire que la constitution de l’homme s’ancre dans une animalité que la raison ne peut prétendre abolir : nous en voyons les effets quotidiennement et à l’échelle de l’histoire. C’est ainsi que la prétention à l’universalité du discours philosophique se voit contrainte de cohabiter, tandis que l’enfant paraît, avec une origine qui s’exprime sous la forme d’un déjà-là que l’on ne peut qu’écouter et qui peut à tout moment surprendre la ratio adulta. La vision philosophique, qui comprenait a priori l’autre dans son champ, doit désormais se soumettre à une écoute qui relativise sa prétention, qui peut même la mettre en échec. Les conséquences pour la philosophie elle-même ne sont pas secondaires. 1. La philosophie peut assurément continuer à se penser pour elle-même, en ignorant l’enfant et la question à laquelle elle le contraint. La philosophie peut et doit assurément continuer à être cultivée en son âge « adulte », c’est-à-dire comme accomplie, adulta, ayant achevé son cycle. Mais, refusant de penser une origine qui lui reste étrangère, reculant devant sa propre « archéologie » qui la renverrait, en deçà du système platonicien, au Socrate à l’écoute des jeunes, elle court le risque de se crisper dans une position défensive face à la jeunesse et au devenir qu’elle incarne, et de se laisser envahir par un questionnement sauvage – celui des « cabarets philosophiques » - qui l’investit inéluctablement. 2. La philosophie peut se risquer dans l’entreprise de penser l’enfant, compte tenu du dilemme que pose Rousseau : l’humanité en puissance serait dans le même temps puissance de négation de l’humanité établie et de son expression philosophique. Pour vaincre ce dilemme, en gardant toute sa confiance en la raison, la philosophie doit relever plusieurs défis que la communication se propose d’analyser. Eléments de bibliographie Rousseau, J.-J. : Emile ou de l’éducation, Paris, Garnier-Flammarion Kant, E. : Critique de la faculté de juger, Paris, Vrin Pestalozzi, J.-H. : Mes recherches sur la marche de la nature dans l’évolution du genre humain, Lausanne, Payot Fink, E. : Metaphysik der Erziehung im Weltverständnis von Plato und Aristoteles, Klostermann, Frankfurt am Main, 1970 Neumann, J.N., Sträter, U. (éd) : Das Kind in Pietismus und Aufklärung, Tübingen 2000. Soëtard, M. : Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, Paris, ESF, 2001. Weil, E., Philosophie et réalité, II, Beauchesne, 2003. (Re) penser l’enfance. La machine pédalogique. Thomas Storme & Jan Masschelein (Centre de Philosophie de l’éducation, K.U.Leuven) Penser l’enfance c’est penser le monde – le monde qui tourne, qui bouge sans cesse : c’est plonger dans un monde organique. Penser l’enfance est toujours – et jamais – un repenser, puisque il s’agit d’un travail philosophique qui – comme la philosophie elle-même – n’est jamais fini: le moment où on a pensé l’enfant il a déjà traversé les vagues frontières de la maturité, et donc, n’est plus enfant. Les questions à propos de l’enfance sont ainsi livrées au dynamisme du concept même et à une dialectique avec l’immanquable partenaire, la maturité. Le concept de l’enfance inspire fondamentalement des questions ‘philosophiques à la philosophie’. Non seulement parce que la manière dont on traite les enfants forme un critère pour juger la société humaine, donc soulève la connexion avec des idées de liberté et de détention, et demande de considérer le problème de l’éducation; mais aussi et avant tout parce que penser l’enfance c’est penser les catégories fondamentales du temps et de l’espace, et leur liaisons avec l’être humaine. Qu’est-ce que l’enfance ? Dans ce premier devoir philosophique de définition il ne s’agit pas d’un simple où et quand. Une réponse peut seulement s’exprimer dans une logique multiple. Dans cette présentation les auteurs s’inspirent du concept de la ‘machine anthropologique’ de Giorgio Agamben (2002) pour tracer comment la différence entre enfant et adulte est générée. Ils appellent alors le moteur du concept de l’enfance la ‘machine pédalogique’, et essaient de révéler la structure dormante dans ce moteur. Ainsi ils peuvent entamer une cartographie des définitions de l’enfance et des divisions entre enfance et maturité. Ces divisions sont synthétisées en trois positions concernant la différence entre adulte et enfant, qui forment en même temps trois moments du mouvement de la machine pédalogique, trois champs de recherche et de discussion, et trois manières d’usage du concept. La première position dit tout simplement que l’enfance n’existe pas. Qu’il existe seulement des individus. Dans leur mouvement ces individus balancent sur la frontière entre enfant et adulte. L’enfant étant embryon et l’adulte le cadavre. Ils grimpent tous la corde entre naissance et mort comme réalité existentielle qui est partagée par tout le monde. La deuxième position déclare que l’enfance est une réalité empirique. L’enfance ici est produite par des institutions de division dont sept sont discutées: les sciences de la nature, la législation, l’école, la famille, les media, l’économie et la religion. La troisième position dit que l’enfance est un concept métaphysique. L’enfance symbolise tout ce que nous devons d’abord abandonner dans ce monde, comme innocence, simplicité et honnêteté ; et puis devons regagner pour (re)devenir humain. Après cet analyse de la machine pédalogique les manières de voir une division comme nonexistante, empirique et metaphysique, sont éclairées en utilisant le mur de Berlin comme illustration. Références. Agamben, G. (2002). Enfance et histoire (Y. Hersant, trad.). Paris : Editions Payot & Rivages. Agamben, G. (2002). L’ouvert. De l’homme et de l’animal (J. Gayraud, trad.). Paris : Editions Payot & Rivages. Agamben, G. (2007). Profanations (J. Fort, trad.). New York: Zone Books. Cook, D. T. (2004). The commodification of childhood. Durham: Duke University Press. De Kuyper, E. (2007). Het teruggevonden kind. Amsterdam: SUN. Kennedy, D. (2006). Changing conceptions of the child from the Renaissance to Postmodernity. A philosophy of childhood. Lewiston, New York: The Edwin Mellin Press. Stables, A. (2009). Childhood and the philosophy of education: an anti-Aristotelian perspective. S.I.: Continuum International Pub. Stiegler, B. (2008). Prendre soin de la jeunesse et des générations. Paris : Flammarion. Turner, S. M., & Matthews, G. B. (Eds.). (1998). The philosopher’s child. Rochester, New York: University of Rochester Press. Willem, K., Levering, B., & De Winter, M (Eds.) (2007). Kind als spiegel van de beschaving: een moderne antropologie. Amsterdam: SWP. Troisièmes rencontres de la Sofphied/2009 Faire de la philosophie avec les enfants : la philosophie comme un agent empathique Héléna Théodoropoulou Université d’Egée La liaison possible ou la distinction ou la limite indépassable entre l’émotionnel et le cognitif deviennent par excellence intéressantes du point de vue de la philosophie avec les enfants, surtout si la pensée de l’enfant est d’habitude considérée comme attelée à l’émotion, ce qui semble lui couper la voie vers la saisie du philosophique. Pourtant, la philosophie, une fois impliquée à l’éducation peut chercher et tirer au clair le cognitif dans les émotions ou aider les enfants à rationaliser la représentation et l’expression de leurs émotions, à développer leur jugement à travers cette liaison qui déstabilise la clarté et la cohérence de ce jugement. En fait, si l’émotion était plutôt conçue comme une entrave à l’éducation de la pensée, au déploiement de la raison, ce lien discuté de nouveau entre elle et le jugement semble dépasser la naïveté d’un tel aphorisme et réhabiliter l’émotion dans un rôle plus ou moins positif, d’autant plus si la visée reste la même : rendre service à la raison ou ne pas empêcher la raison (ce qui est exprime l’essence de l’éducation occidentale demeurant foncièrement rationaliste et philo- rationnelle). Or, ce rapprochement de l’émotion à la cognition et au jugement d’une part introduit de nouveau la question du rapport entre l’émotion et la philosophie et d’autre part ouvre des perspectives au niveau éducatif pouvant concerner dans un certain degré la philosophie (philosophie avec les enfants, éducation aux émotions, éducation morale, éducation aux valeurs, éducation pour l’interculturel, pédagogies du corps). Serait-ce la philosophie l’entraîneur hautement spécialisé qui élaborerait des manières d’intégration de l’émotif dans le rationnel sans interrompre son travail, qui initierait au rythme juste entre émotions et raisons, qui fonderait le droit philosophique ainsi qu’éducatif ? Le concept complexe d’empathie, tout en reproduisant ce rapport ambigu entre l’affectif et le cognitif, une fois introduit comme une grille de lecture dans le cadre de la philosophie avec les enfants, où il s’agit non pas seulement de développer chez les enfants le bien penser, mais aussi de développer un certain dialogue entre l’enfant et la philosophie, un dialogue qui aurait un intérêt formateur tant pour l’enfant que pour l’éducateur-philosophe, nous permettrait de nous interoger sur le caractère de la communication philosophique et sur le développement possible de la sensibilité philosophique entre les sujets dialoguant ainsi que de la capacité empathique de la philosophie. Il ne s’agirait pas tellement de montrer que le développement de la compétence empathique chez l’enfant est possible à travers les pratiques philosophiques, mais plutôt chercher à comprendre, si d’une part la philosophie prouve ou peut prouver de l’empathie à l’égard de l’enfant et si d’autre part la pensée et le dialogue philosophiques (tels qu’il se développent au sein des communautés de recherche créées à partir de la philosophie de l’éducation) sont en tant que tels des modes d’expression et de communication empathiques. L’enjeu théorétique concerne justement la relation entre le moi et l’autre et le travail sur la notion de la subjectivité et intersubjectivité (v. Schertz M., 2006), au fur et à mesure que l’empathie devient un moyen pour vivre les manières nonégocentriques de l’intersubjectivité ainsi que l’engagement intersubjectif – c’est ainsi qu’elle est mise en valeur sa dimension relationnelle et communicationnelle, tandis que la reconstruction de la subjectivité et la constitution d’un monde commun dans le sens husserlien redevient crucial du point de vue éthique et moral au sein de l’acte pédagogique. 1 Malgré le fait qu’elle peut saisir et élaborer le concept d’empathie et qui plus est, assurer des mécanismes pour le développement d’une empathie réciproque (voir par l’exemple les dispositifs dialogiques divers), devenir donc un éducateur pour l’empathie, la philosophie devrait ici traverser, afin justement de gagner une saisie empathique, du moins une triple barrière, une triple résistance ou une triple altérité : en premier lieu le regard philosophique lui-même, dans la mesure où, paradoxalement, en tant que regard conceptuel et analytique, regard soupçonneux même, il va fondant la compréhension dans la création des distances, des filtres à travers lesquels, il conçoit le monde. En deuxième lieu, la subjectivité d’ adulte et d’éducateur obstruant le passage vers l’autrequi-est-enfant, plongé justement dans l’enfance, comme dans une sorte de monde fermé, d’hétérotopie, pouvant être approché sur un plan immédiat, par l’intuition, la fonction du sentiment et des émotions, le partage des besoins. En troisième lieu, l’enfant et/dans son enfance, étant traditionnellement découpé de la compétence philosophique comme définie dans le cadre de la civilisation occidentale – cet enfant ne saurait tenir pour la philosophie que la place de l’ « étranger », avec tout que cette position implique. Or, la philosophie avec les enfants peut être vue aussi comme une expérimentation au niveau de la possibilité de créer un espace et une expérience empathique authentique au moyen de la philosophie. Références bibliographiques indicatives : Kennedy D., 2006, Changing conceptions of the Child from the renaissance to post-Modernity. A philosophy of childhood, USA, The Edwin Mellen Press Maruyama, Y. (1998). Wittgenstein’s Children: Some implications for teaching and otherness, paper presented to 20th world Congress of Philosophy, http://www.bu.edu/wcp/Papers/Educ/Educ.Maru.htm Merleau-Ponty, M., 2002, Phénoménologie de la perception, Paris Schertz M., 2006, “Empathy, Intersubjectivity and the creation of the relational subject: a new vision of Empathy warrants critical reflection on the culture and practice of schooling”, in: Thinking, Vol. 18, No 1, pp. 22-31 Stein E., 1964 [1917], On the problem of empathy, La Hague, Martinus Nijhoff Verducci S., 2000, ªA conceptual history of empathy and a question it raises for moral educationª, Educational Theory, vol. 50, No 1, pp. 63-80 2 Sofphied Société francophone de philosophie de l’éducation Troisièmes rencontres de la Sofphied Colloque international Vendredi 26 et samedi 27 juin 2009 Paris. Sorbonne. Amphi Durkheim Repenser l’enfance ? Une question philosophique. Une question à la philosophie. PROPOSITION DE COMMUNICATION. Hubert Vincent Philosopher, jouer, éduquer. De façon tout à fait étrange et par certains aspects très récente, la philosophie s’est souvent servi de ce terme d’enfance et d’autres qui lui sont liés, en particulier ceux de jeu et d’innocence, pour dire ce qu’elle faisait, pour rendre compte d’elle-même, pour cerner son ambition et son travail propre. Je me propose de cerner ce lien entre philosophie, jeu, enfance et innocence et plus précisément de tenter de remotiver l’usage de ces notions en fonction d’une certaine idée de la pratique philosophique, tout en entendant le caractère paradoxal et en un sens toujours surprenant de ce recours. Toutefois, une telle perspective ne va pas sans que l’on prenne quelques précautions. La première, qui est au fond très ancienne, puisque déjà l’on moquait Socrate de passer son temps à des enfantillages, consiste à prendre la mesure de certaines critiques faites à une telle perspective, surtout lorsqu’elles viennent de théoricien tel Pierre Bourdieu, qui engloba dans sa critique du scolastisme, une critique de la philosophie comme jeu détachée, purement soucieux des possibles, sans aucun égard pour les urgences de la pratique. Critiques que l’on ne saurait prendre à la légère et qui ont certainement leur droit. La seconde, consiste à demander quel rapport peut-il bien y avoir entre l’usage de ce terme pour dire l’activité philosophique, avec les enfants eux-mêmes, avec ce qu’on leur doit, avec notre responsabilité à leurs égards. Que la philosophie puisse, ou ait pu avoir recours à ce terme pour se dire, il ne devrait pas s’en suivre forcément qu’elles tiennent les enfants pour égaux à ce terme, qu’elles méconnaissent ce qu’ils sont et ce qu’on leur doit, qui peut être tout autre que jeu et innocence. Autrement-dit, cet usage propre à la philosophie ne saurait verser dans une quelconque idéologie de l’enfance et la question se pose alors de savoir pourquoi et à quel titre la philosophie peut avoir recours à ces termes. A partir de là, on espère pouvoir apporter quelque chose au dessein de ce qu’il est possible de faire, avec de jeunes enfants, en se souciant en particulier de leur rapport à l’écriture, en guise de philosophie. Pierre Bourdieu : Méditations pascaliennes. G. Agamben : Enfance et histoire. Jena-François Lyotard, L’inhumain. Gilles Deleuze, Différence et répétition. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes. L. Wittgenstein : Investigations philosophiques. Proposition de communication au Congrès sur l’enfance Communication intitulée : L’enfant dans la pensée arabe classique. Analyse des conceptions de l’enfance dans la médecine arabe. Présentée par : M. Yassine ZOUARI Enseignant Chercheur en Psychopédagogie à l’Institut Supérieur des Beaux arts de Tunis (Tunisie) Laboratoire CIVIIC (Rouen – France) E-mail : [email protected] Mots clés : Images de l’enfance, médecine arabe, courant pédagogique empirique, sollicitude à l’égard de l’enfance. Résumé : Bien que la reconnaissance de la spécificité de l’enfance et de sa valeur en tant que réalité psychologique soit étroitement liée à la pensée pédagogico-philosophique de Rousseau, la découverte de l’enfance et la sensibilité à l’égard de l’enfant sont loin d’être le propre de l’époque moderne. De cela témoigne le statut de l’enfance dans la pensée arabe classique (VIIIè – XIVè siècles) et, plus précisément, dans la médecine arabe dont l’apport reflète non seulement le soin porté à l’égard des enfants mais également l’émergence d’une branche médicale orientée vers l’étude de l’enfant et sa protection. La pensée arabe classique, sous ses figures philosophique et médicale, est traversée par le paradoxe suivant : l’oubli philosophique de l’enfance, notamment chez les philosophes arabes inspirés de la philosophie grecque, contrastait étrangement avec l’abondance d’un discours médical sur l’enfant élaboré par des médecins originaux, tels Ali Rabban Al-Tabari, Muhammad ibn Zakaria Räzi (Rhazes), Ibn Sina (Avicenne) et Ibn Al-Jazzar. Or si l’on se réfère à la classification des sciences chez les philosophes arabes on constate que la médecine figure généralement parmi les sciences de la nature lesquelles constituent une branche de la falsafa (philosophie) dont le couronnement est la métaphysique Mä ba’da attbia’. Tout se passe comme si, pour le philosophe, l’enfant ne valait la peine ni de s’ériger en sujet de réflexion philosophique, ni d’être conçu comme ayant une certaine capacité de philosopher, du fait qu’il ne dispose pas encore de la raison ou qu’il est dominé par « l’âme bestiale ». Il est d’ailleurs étonnant de constater que ce ne sont pas les pédagogues et les penseurs de l’éducation rationalistes arabes qui ont fait preuve de sollicitude à l’égard de l’enfant, mais ce sont plutôt les penseurs qui ont mis en doute la capacité de la raison à aborder les questions métaphysiques, tels Ibn Khaldun et Ibn Hazm dont les idées éducatives s’inscrivent dans le courant empirique, mais aussi AlGhazäli théologien et pédagogue antirationaliste dont les idées pédagogiques se situent dans le courant religieux. Dès lors quel est le statut de l’enfance dans la médecine arabe classique ? En quoi les représentations de l’enfance chez les médecins et les pédagogues arabes cités ci-dessus témoignent d’une certaine sollicitude à l’égard de l’enfant et de son éducation. Telles sont les questions qui feront l’objet de notre analyse dans les deux moments constitutifs de notre communication. Dans un premier temps, nous examinons le discours médical arabe sur l’enfance en vue d’extraire les images élaborées à propos de l’enfant et de les analyser. Ce faisant, nous nous interrogeons, dans un second temps, sur les significations philosophiques et les implications pédagogiques de leurs découvertes. C’est ainsi que nous évoquons l’image de l’enfance chez les pédagogues arabes du courant empirique, lesquels préconisent l’adaptation des contenus et des méthodes éducatifs aux capacités de l’enfant.