Contribution à l`étude des verbes de déplacement et de leur lien

LOUISETTE EMIRKANIAN
SOPHIE PIRON
Département de linguistique et de didactique des langues
Université du Québec à Montréal
Montréal, Canada
Contribution à l'étude des verbes de déplacement
et de leur lien avec les compléments locatifs
INTRODUCTION
Cette étude s’inscrit dans un projet de recherche1 dont le but est de bâtir un lexique computationnel
qui rende compte systématiquement des régularités syntaxiques et sémantiques des verbes du
français. Nous parlerons ici plus particulièrement des verbes de déplacement. Ces verbes ont fait
l'objet de très nombreuses études, tant en anglais qu'en français.
Les travaux de Boons (1987) ont servi de point de part à de nombreuses études sur les verbes de
déplacement du français. La classification qu'il a proposée s'appuie sur la polarité aspectuelle des
verbes. Ainsi, la classe des verbes téliques de déplacement, ceux pour lesquels l'accent est mis sur
un changement de lieu entre l’état initial et l’état final, comporte, entre autres, des verbes de
déplacement à polarité initiale (partir, sortir par exemple), et des verbes à polarité finale comme
aboutir, arriver, aller, entrer. Nous considérons que, parmi les verbes téliques de Boons, certains ne
marquent pas un déplacement. Entre autres, partir, arriver décrivent plutôt des changements d’état
puisqu’au moment d’énonciation, la cible n’est pas en déplacement (Vandeloise 1986, 1987)2. On
infère simplement un déplacement avant ou après l’événement décrit par le verbe. En revanche, des
verbes tels que aller, sortir, entrer, traverser décrivent, au moment d’énonciation, une cible en
déplacement ; l’accent est mis sur le passage d’un Lieu1 à un Lieu2. Ces verbes décrivent des
transitions, et non des procès (Pustejovsky 1991). Les verbes décrivant des procès sont ceux que
Boons qualifie de médians (monter, ramer, vadrouiller, marcher, etc.)3.
En général, les classifications sont établies à partir du type de complémentation que le verbe accepte.
Laur (1991,1993) a justement étudié la combinatoire entre les verbes de déplacement et les
syntagmes prépositionnels (SP). Pour étudier cette combinatoire, elle considère des verbes
représentatifs de chacune des classes, les combine aux différents types de syntagmes
prépositionnels et détermine le type de déplacement résultant. Son étude exhaustive permet de
constater que, à l’intérieur d'une même classe, des différences dans les combinatoires sont
observées, en particulier dans la classe des médians, celle qui nous intéresse ici. Il faut alors
expliquer ces différences qui, dans certains cas, entraînent une double appartenance des verbes ; par
exemple, le verbe grimper est classé à la fois dans les médians et les téliques finaux, le verbe
dégringoler est télique (final et initial) mais également médian, alors que monter et descendre sont
téliques initiaux ou finaux. Nous tenterons d’expliquer ici ces différences en prenant en compte les
informations fournies par le verbe et les phénomènes combinatoires. Les verbes seront classés selon
qu’ils conceptualisent le déplacement ou le trajet. À l’intérieur de chacune des classes, l’accent est
mis soit sur la cible, soit sur l’espace. Ces distinctions permettent d’expliquer des différences au
niveau de la complémentation, tant du point de vue syntaxique que sémantique. Dans les sous-
classes où l’accent est mis sur l’espace, on observe d’autres différences de complémentation.
Nous traiterons ici les combinaisons verbe-SP et verbe-SN. Les compléments locatifs peuvent avoir
les sens suivants :
Lieu1 : monter de la cave, descendre de la chaise
Lieu2 : monter au/dans le grenier, monter sur la chaise
Bornes : marcher depuis la ferme jusqu’au moulin ; marcher de la ferme au
moulin ; marcher de la ferme jusqu’au moulin4
Direction : se diriger vers le moulin, marcher vers le moulin
Global : marcher dans la forêt ; monter le long du sentier
1 Cette recherche est financée par le FCAR (99ER 1198) et le CRSH (410-970419).
2 Nous adoptons la terminologie de Vandeloise : la cible est l'objet en déplacement.
3 Nous verrons plus loin que, pour nous, certains des médians de Boons ne sont pas des verbes de déplacement.
4 Ces bornes ne sont pas toutes du même type, ainsi que nous le verrons plus loin.
Les verbes sur lesquels nous nous attarderons sont les verbes de déplacement qui décrivent avant
tout un procès5. Les déplacements-transitions seront traités ailleurs.
Un déplacement-procès se définit comme le passage successif par les emplacements adjacents qui
relient un point de départ à un point d’arrivée. Le trajet est la ligne qui relie ces deux points.
Nous distinguons deux grandes classes de verbes de déplacement-procès : la classe des verbes qui
configurent le déplacement (au moyen de la manière de se déplacer ou au moyen de l’espace) et la
classe des verbes qui configurent le trajet (soit grâce à des informations sur la cible, soit grâce à des
informations sur l’espace). Les verbes de ces deux classes peuvent être suivis d’un adjoint temporel
du type pendant x temps. Chaque verbe raffine différemment les concepts de déplacement et de
trajet.
1. CONFIGURATION DU DÉPLACEMENT
1.1. Au moyen de la cible : les verbes de manière de se déplacer
marcher, courir, trotter, glisser, nager, galoper, skier, crawler, claudiquer, clopiner, voler,
pédaler, pagayer, ramer, sautiller, sprinter, rouler, zigzaguer, trottiner, etc.
Les verbes de cette catégorie caractérisent la manière dont la cible effectue le déplacement. La
configuration du déplacement se fait donc grâce à la cible. Ils peuvent être paraphrasés par se
déplacer en…(se déplacer en marchant, en zigzaguant, etc.), ce qui n’est justement pas le cas des
verbes du type se promener (se promener, se balader, voyager, errer, traîner, vadrouiller, *se
déplacer en se promenant, en se baladant, en voyageant, etc.) qui, tout en étant des procès, n’en sont
pas pour autant des verbes de déplacement à proprement parler. Il s’agit plutôt d’activités qui
impliquent des déplacements successifs, entraînant la couverture d’un espace. Ces verbes acceptent
tous un adjoint temporel en pendant ainsi qu’une localisation globale (1) ou encore des bornes (2) :
(1) Il s’est promené pendant 3 heures / dans le parc.
(2) Il s’est promené de (depuis) la ferme au (jusqu’au) moulin.
Ces bornes indiquent le début et la fin de l’activité. Il n'est pas question ici d'un trajet avec un point de
départ ou un point d’arrivée, ni même d'un sous-trajet parcouru d'une certaine façon. Il est d’ailleurs
difficile de mesurer le temps (3) :
(3) ?*Il s’est promené de la ferme au moulin en 1 heure.
Ces verbes d’activité n’acceptent pas la préposition directionnelle vers, ni la mesure de distance sur x
distance6 ; ce qui est possible en revanche avec les verbes de manière de se déplacer (4) – (5) :
(4) Il a marché7 / claudiqué / trottiné vers le moulin.
(5) Il a marché / claudiqué / trottiné sur 5 kilomètres.
En effet, la manière porte sur un mouvement particulier (des jambes, des bras, etc.) dont l’itération
construit le trajet8. Celui-ci est davantage une construction cognitive, perceptuelle qu’un concept
contenu dans le verbe. La notion de trajet permet une complémentation directionnelle ou une mesure
de distance qui correspond à la conservation du mouvement physique dans une direction donnée ou
sur une certaine distance9. Bien sûr, l’ajout de pendant x temps est possible, ainsi que la
complémentation en de … à, la localisation globale et le jusque puisque ces verbes décrivent des
procès :
5 Nous avons utilisé les listes de Boons, Guillet et Leclère (1976), celles de Guillet et Leclère (1992) ainsi que
celles de Gross (1975).
6 On peut cependant avoir une mesure de distance floue sur des kilomètres et des kilomètres ou encore sur
plusieurs kilomètres. On insiste ici sur la couverture de l'espace.
7 Il est à noter que certains de ces verbes correspondent, dans un de leurs emplois, à une activité : marcher,
courir, galoper, glisser, etc. dans leur sens de faire de la marche, de la course, du galop, de la glisse, etc. Dans
ce cas, ils présentent également les caractéristiques de complémentation en accord avec la catégorie des
activités.
8 Les verbes de déplacement sont souvent indifféremment qualifiés de verbes de mouvement ou de verbes de
déplacement. Or, il s’agit de deux concepts différents. Selon Dervillez-Bastuji (1982), le mouvement est une
condition nécessaire au changement de lieu, mais non suffisante. De fait, « vibrer contre le mur » exprime un
mouvement itératif qui n’est qu’un changement de position répété sur un même point d’espace. Par contre,
« sautiller jusqu’au salon » conceptualise une série de mouvements identiques qui exercent des changements
d’emplacements successifs, entraînant un déplacement.
9 Le verbe zigzaguer requiert davantage une mesure de distance floue à cause de l’absence d’identité entre,
d’une part, la portion d’espace sur laquelle les mouvements de gauche et de droite ont eu lieu et d’autre part, le
trajet en ligne brisée effectivement parcouru :
(i) ?Il a zigzagué sur 100 mètres.
(ii) Il a zigzagué sur plusieurs dizaines de mètres.
(6) Il a trottiné pendant 15 minutes / de la ferme à l’école / dans la pièce / jusqu’à l’école.
Ici, le de …à marque, non pas le début et la fin d’une activité (comme en (2)), mais les bornes de la
portion de trajet (sous-trajet) effectuée d’une certaine manière. Il en est de même pour jusque. Dans
ce sens, cette manière de se déplacer est évidemment axée sur la cible.
Nous reviendrons sur certains des verbes de cette classe10, ceux pour lesquels il est possible
d’ajouter une information spatiale.
1.2. Au moyen de l’espace : les verbes de direction
monter, grimper, descendre, dévaler, dégringoler, débouler, avancer, reculer, progresser,
s’éloigner, s’approcher, etc.
Cette configuration du déplacement se fait par rapport à l’espace. Une cible peut se déplacer vers le
haut (monter, grimper), vers le bas (descendre, dévaler, dégringoler), vers l’avant (avancer,
progresser), vers le lointain (s’éloigner). Dans tous les cas, le verbe donne une information spatiale. Il
lexicalise la direction, l'orientation du trajet (Talmy 1985). La cible en déplacement est sur un trajet et
elle est à chaque étape plus haut, plus loin, plus avant, etc. qu'à l'étape précédente. Grâce à ces
informations sur la position de la cible, on peut adjoindre à tous ces verbes de X mètres.
(7) Il s’est éloigné / est monté / a progressé / a avancé de 20 mètres.
Les complémentations admises sont des SP dénotant la direction11 (8a) et la localisation globale (8b).
On peut toujours adjoindre pendant (8c) puisque nous sommes en présence de procès :
(8) a. Il s’est éloigné / est monté vers l’église (l’église est plus loin, plus haut).
b. Il a progressé / a avancé dans la forêt / le long du sentier.
c. Il a avancé / s'est éloigné pendant une heure.
On pourra également employer la préposition jusque qui dénote ici une borne de procès et non de
trajet :
(9) Il est monté / s'est éloigné jusqu’à la cabane (jusqu’à la cabane, il a gardé la direction
vers le haut, vers le lointain)12.
Parmi les verbes qui conceptualisent une direction, seuls certains peuvent avoir une complémentation
en de … à, l'entité locative jouant dans ce cas un rôle important :
(10) a. Il est monté de la cave au grenier.
b. Il a avancé de la case 3 à la case 8.
c. *Il s'est éloigné de la maison au refuge / *Il a progressé de l'école à la ferme13.
En (10)a et b, les entités cave, grenier, case 3 et case 8 nous permettent de reconstruire un espace
commun (Desclés 1993, Abraham 1995). La cave et le grenier sont des composants d'une maison et
sont respectivement situés en bas et en haut de cet espace commun. Dans le cas des cases, on
pense à une marelle ou encore un jeu comportant des cases numérotées. On est en présence d'un
axe polarisé (Sarda 1999) où chaque pôle occupe une position particulière par rapport à l'autre. La
phrase (10)a peut être paraphrasée par il s'est déplacé 'du bas' (la cave) 'au haut' (le grenier) sur un
axe reliant les deux pôles. On peut mesurer le temps pour parcourir cet axe, ce trajet :
(11) Il est monté de la cave au grenier en 5 minutes.
En revanche, dans le cas de s'éloigner et de progresser, on n'est pas en présence de pôles, ni
d'espace commun. L'espace commun fait en sorte que les deux pôles sont toujours situés de la même
façon l'un par rapport à l'autre : le grenier est toujours plus haut que la cave, la case 8 est toujours
plus en avant que la case 3. Si nous substituons chaise et table à cave et grenier nous pouvons noter
des différences. D'abord une pause est nécessaire entre les deux SP :
(12) Il est monté de la chaise, sur la table.
Ensuite, on ne peut avoir que le Lieu2 (13a, 13b); enfin la préposition ne peut être à (13c) :
10 Les verbes de cette classe ne peuvent recevoir un SP Lieu2, à l'exception de courir et galoper qui peuvent
devenir des transitions lorsqu’on leur ajoute le trait « précipitation ». Ils perdent alors leur trait mouvement
physique. Cette information « Lieu2 » est la seule complémentation qu’ils admettent :
(iii) Il a couru au supermarché / il a galopé au bureau.
11 Le verbe se diriger appartient lui aussi à cette classe, mais il ne lexicalise aucune direction particulière, si ce
n’est la direction en elle-même. C’est pourquoi elle doit toujours être spécifiée par un complément :
(iv) Il s’est dirigé vers l’église.
12 Nous verrons plus loin qu'avec monter, le jusque peut également correspondre au Lieu2.
13 Avec cheminer et progresser, on pourra avoir (v) :
(v) Il a progressé / cheminé de village en village.
Il ne s'agit pas ici de bornes marquant le point de départ et le point d'arrivée.
(13) a. Il est monté sur la table.
b. *Il est monté de la chaise.
c. *Il est monté à la table.
Ici, on paraphrase par il est passé d'un Lieu1 à un Lieu2 plus haut que le Lieu1. Cette fois, les verbes
décrivent des transitions ; les pôles restent présents. De fait, une entité en hauteur s'opposera
toujours à une entité placée plus bas quelle que soit la position de la cible. Mais l'absence d'espace
commun entraîne celle de l'axe et du même coup, l’absence de trajet.
Parallèlement à (11), nous pouvons avoir (14)a,b et c :
(14) a. Il est monté au / dans le grenier14.
b. Il est monté de la cave.
c. Il est monté de la cave, au / dans le grenier.
Même si l'on insiste sur le passage d'un Lieu1 à un Lieu2, il est toujours possible (avec la cave et le
grenier) de reconstruire l'espace commun, ce qui explique la grammaticalité de (14)b par rapport à
(13)b et celle de (15)a où le SP en jusque équivaut au Lieu2 :
(15) a. Il est monté jusqu'au grenier.
b. *Il est monté jusqu'à la chaise.
Considérons maintenant la phrase (16) :
(16) Il a avancé de la fenêtre à la chaise.
Cette phrase ne peut être paraphrasée par il s'est déplacé de l'arrière (la fenêtre) à l'avant (la chaise)
sur un axe reliant les deux pôles avant/arrière puisqu’il n'y a pas d'espace commun ici (en revanche,
l'espace commun était bien présent en (10)b). Cette fois, il ne s’agit pas de pôles à proprement parler
car l'un d’eux n'existe que par rapport à une référence (la cible, la plupart du temps)15. La phrase en
(16) correspond plutôt à il s'est déplacé en avançant et il s'est déplacé de cette manière de la fenêtre
à la chaise16. En effet, avancer suppose un certain type de mouvement et ce trait lui permet d'avoir les
caractéristiques des verbes de manière de se déplacer. C'est aussi le cas des verbes tels que
grimper, dégringoler, dévaler, débouler, etc., qui parallèlement à leur emploi équivalant à monter ou
descendre, peuvent aussi marquer la manière ; on parlera de manière de monter ou de descendre
plutôt que de manière de se déplacer.
Nous avons vu que les phrases de (12) à (15) décrivent des transitions tout comme celles de (17) :
(17) a. Il a glissé du trottoir/du plongeoir / la balle a roulé du 3e étage/du haut de l'étagère.
b. Il a glissé dans la piscine / la balle a roulé dans la cave/sur le bureau17.
c. Il a glissé du plongeoir, dans la piscine / La balle a roulé du haut de l'étagère, sur le
bureau.
Ces verbes qui sont, comme nous l'avons vu ci-dessus, des verbes de manière de se déplacer et qui
ne lexicalisent pas une direction deviennent ici des transitions. L'ajout de l'axe de gravité (auquel est
soumis involontairement la cible) crée les deux pôles haut et bas, et cela même en l'absence d'espace
commun. Ces transitions, cependant, sont différentes puisqu'en fait on ne peut définir la polarité du
verbe. Glisser par exemple, dans cet emploi, n'est ni initial, ni final. La possibilité d’avoir le Lieu1 et le
Lieu2 nous est donnée par la présence de l’axe de gravité.
2. CONFIGURATION DU TRAJET
Dans le cas de cette classe également, on insistera soit sur la cible, soit sur l’espace.
2.1. Configuration par rapport à la cible
marcher, courir, rouler, nager, trotter, galoper
Il est intéressant de remarquer que parmi les verbes de manière de se déplacer, certains peuvent être
davantage axés sur la manière dont la cible effectue un trajet (manière globale, non itérative). C’est le
14 On peut noter qu'on préférera (vi) à (vii) :
(vi) Il est monté dans sa chambre.
(vii) *?Il est monté à sa chambre.
En effet, même si l'on peut imaginer une maison, la position d'une chambre n'est pas automatiquement située en
haut d’une autre entité faisant partie d'une maison.
15 Une rue peut être à l'avant d'une maison et un jardin à l'arrière sans pour autant que le jardin soit à l'arrière par
rapport à la rue. La maison joue le rôle de référence à partir de laquelle on calcule l’avant et l’arrière.
16 Dans le cas de cibles qui généralement avancent pour se déplacer, on adjoindra un constituant précisant la
manière :
(viii) Les voitures / les enfants ont avancé au pas / en sautillant de la rue x à la rue y.
17 Les SP peuvent ici marquer une localisation globale (manière de se déplacer, se déplacer en roulant).
cas des verbes marcher, rouler, nager, trotter (pour un cheval), etc. que l’on peut paraphraser par se
déplacer à pied, en voiture, à la nage, au trot, etc. Il est possible ici de percevoir la ligne de
déplacement dans sa totalité, en fait le trajet. Ce n’est que dans ce cas que l’on a un trajet entre un
point de départ et un point d'arrivée et que l’on peut donc mesurer le temps mis pour l’effectuer :
(18) a. Il a marché de l’école à la maison en 15 minutes (il s’est déplacé de l’école à la maison à
pied).
b. Nous avons roulé de Québec à Montréal en 2 heures (nous nous sommes déplacés de
Québec à Montréal en voiture).
Le trajet ainsi borné correspond en quelque sorte à un SN dont on détermine les parties intégrantes,
et non les composants18. Alors que la mesure en temps n’est pas possible avec les verbes fortement
axés sur la manière de se déplacer de la cible19, elle l’est avec ces verbes configurant un trajet :
(19) ?*Il a claudiqué de la maison à l’école en 15 minutes.
Ces verbes qui, en plus de leur emploi manière de se déplacer, décrivent également une manière
d'effectuer un trajet acceptent une complémentation de distance (le trajet) :
(20) Il a nagé / roulé / couru 500 mètres (en 15 minutes).
2.2. Configuration par rapport à l’espace
monter, grimper, descendre, dévaler, débouler, dégringoler, parcourir, survoler, contourner,
longer
Les verbes monter, descendre, gravir, etc. peuvent entrer dans une construction transitive (Sarda
1999). Lorsqu’un trajet est configuré spatialement, tous les points de celui-ci sont identifiés et on a
alors une trajectoire20. Une première façon d’obtenir la trajectoire est d’avoir un axe avec des pôles.
Dans ce cas, le SN qui spécifie le trajet doit lexicaliser le même type d’information spatiale que le
verbe (haut – bas ; bord et bord) pour qu’il y ait unification entre les traits spatiaux du verbe et ceux du
complément. Il s’agira ici de traits de polarité haut-bas ou bord à bord21 :
(21) Il a monté la colline / il a dégringolé l’escalier / il a glissé la pente / il a parcouru le
Canada/ etc.
Ceci est impossible pour les verbes qui configurent un trajet grâce à la cible (marcher, nager, etc.) et
qui n’ont donc aucune information spatiale. Si on leur ajoute un SN-trajet qui possède une information
spatiale (par exemple, haut-bas comme dans colline), cette information ne trouvera aucun trait verbal
avec lequel s’unifier (22a). Et si ce SN n’a pas d’information spatiale de polarité (une rue, par
exemple), le verbe ne peut pas la lui transmettre (22b). Le SN peut alors éventuellement suppléer ce
manque par l'ajout d'un élément permettant de recréer les extrémités du trajet (22c) :
(22) a. *Il a marché la colline versus il a monté la colline.
b. *Il a marché la rue versus il a monté la rue.
c. ?Il a marché toute la rue / ?il a nagé toute la longueur de la piscine.
Dans cette construction, les deux extrémités de la trajectoire (qui peuvent être des pôles : haut et bas,
bord et bord) sont des parties intégrantes (et non des composants) de l'espace commun et l'axe
polarisé correspond au trajet qui peut être parcouru totalement (23a) ou en partie (23b). En (23c), on
sait que ce sous-trajet (ici, la côte qui n'est pas totalement parcourue) a comme point de départ le bas
de la côte :
(23) a. Il a monté la côte en 15 minutes.
b. Il a monté la côte pendant 15 minutes / sur 500 mètres / de la cabane au refuge.
c. Il a monté la côte jusqu’au refuge.
L’interprétation selon laquelle pendant est itératif demeure possible puisqu’on a le trajet.
La seconde façon d’obtenir la trajectoire consiste à la positionner par rapport à une référence. Cette
définition se fait sur la base de deux paramètres : le rapport de position de la trajectoire (le long,
autour) et l’adéquation de la référence (référence en longueur, référence en rond). Le SN de ces
verbes identifie la référence et non le trajet lui-même :
18 Ce trajet peut être spécifié comme SN si l’on en identifie bien les bornes. Certains locuteurs acceptent (ix) :
(ix) ?Il a marché toute la rue avant de trouver son cadeau.
On considère ici la rue dans son entièreté, avec le début de la rue comme point de départ et sa fin comme point
d’arrivée.
19 Notons que lorsque rouler équivaut à se déplacer en roulant (manière de se déplacer de la cible), on peut
difficilement adjoindre une mesure du temps :
(x) *?La balle a roulé de la cuisine au salon en 3 minutes.
20 Ces verbes lexicalisent en quelque sorte le ou les syntagmes prépositionnels (Miller et Johnson-Laird 1976).
21 On ne dira pas *il a avancé le jeu de l’oie. Car un jeu de l’oie n’a pas un avant et un arrière, contrairement à
une colline qui a un haut et un bas.
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