25 - 2016 - 8 septembre - Le dernier numéro de la revue OASIS

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Aux évêques de France
Conférence des Évêques de France
OFC 2016, n° 25
Le dernier numéro de la revue Oasis
La Fondation internationale Oasis est née en 2004 d’une intuition du cardinal Angelo Scola, alors patriarche
de Venise (et transféré au siège de Milan en 2011). Son idée est que ce que l’on a appelé la « mondialisation »
se caractérise au XXIe siècle par ce qu’il nomme plutôt un « métissage des civilisations », à savoir que les
grandes cultures sont désormais bien moins imperméables les unes aux autres, ce qui produit des
confrontations au sein de chacune et pas uniquement entre elles, avec certes des rivalités pour gagner du
terrain et de l’influence, mais aussi des zones de cohabitation malaisée, en raison des facilités de
communication démultipliées par les technologies nouvelles qui s’ajoutent flux migratoires.
Il en résulte non pas une, mais des crises. Tout ne se résume pas aujourd’hui à un affrontement entre l’Islam
et l’Occident. D’abord il y en a d’autres : les expansionnismes russe et chinois, les conflits entre hindouistes
ou bouddhistes et musulmans au sud de l’Asie, sans compter les problèmes propres à l’Afrique subsaharienne
et à l’Amérique latine où l’Islam n’est pas implanté. Mais surtout, l’Islam et l’Occident au contact l’un de
l’autre sont tous les deux en crise interne que la proximité de l’autre exacerbe en exposant ses faiblesses :
- La présence de musulmans en Europe est une épreuve pour eux aussi bien que pour les populations plus
anciennes : les écarts entre les cultures créent des tensions bien moins entre deux blocs (d’ailleurs tous deux
divisés en courants souvent antagonistes) que pour l’équilibre à trouver par chacun entre identité
personnelle et appartenances (aux échelons de la famille, du milieu, de la collectivité nationale, des
coreligionnaires, du reste du monde, etc.). De plus, l’Islam n’a pas dans sa tradition de modèle pour gérer la
situation où il se trouve en Europe de minorité non opprimée et qui n’a pas de perspective réaliste de prendre
le pouvoir de sitôt.
- D’autre part, la menace qui pèse sur la présence bimillénaire de chrétiens au Moyen Orient très
majoritairement musulman porte bien au-delà leur survie (qui doit légitimement inquiéter). Car c’est le
principe même de coexistence et d’acceptation de minorités qui est remis en cause, non du fait d’une
offensive systématique de l’Islam qui commencerait par une « purification » à domicile, mais en ricochet des
conflits qui déchirent le monde musulman de la région et qui sont bien plus complexes qu’une simple rivalité
entre sunnites et chiites.
- Du côté occidental, la crise réside dans la répugnance à assumer la dette envers le christianisme et
l’impuissance à trouver en remplacement des fondements civilisationnels plus partageables que le
développement perpétuel des libertés individuelles procurées par la prospérité et les technologies dont on
devient dépendant au point d’y subordonner l’anthropologie (voir les dérives « sociétales » et la tentation
du transhumanisme) et par suite les règles de vie commune. Les droits de l’homme censés universels ne sont
pas compris ni appliqués partout de la même manière.
-
- Du côté musulman, la difficulté majeure n’est pas le positionnement (hostile et conquérant ou tolérant)
vis-à-vis de l’Occident, mais l’unité et son contenu, ce qui requerrait un consensus minimal, jusqu’à présent
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sans précédent depuis la mort de Mahomet, sur la détermination et l’interprétation du legs qu’il a laissé et
qui constitue les sources de l’Islam.
C’est précisément de cette question décisive que traite le dernier numéro (23) de la revue semestrielle de la
Fondation Oasis, qui porte le même nom et publie en italien, anglais, français et arabe des analyses
d’actualité, les travaux de chercheurs « maison » et des articles d’experts aussi bien occidentaux que
musulmans à la suite de contacts et de dialogues organisés aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient. Cette
livraison d’Oasis est intitulée : « Le Coran et ses gardiens » (voir le site : www.oasiscenter.eu/fr). En voici
quelques aperçus :
1. En premier lieu, l’écho donné à une importante déclaration en janvier 2015 d’un groupe d’intellectuels
« laïcs issus du monde islamique ». On se contentera ici d’un extrait : « Aujourd’hui, la réponse à la guerre
déclenchée par des individus et des groupes qui se réclament de l’Islam ne consiste pas à dire que l’Islam
n’est pas cela. Car c’est bien au nom d’une certaine lecture de l’Islam que ces actes sont commis. Non, la
réponse consiste à reconnaître et affirmer l’historicité et l’inapplicabilité d’un certain nombre de textes que
contient la tradition musulmane. Et à en tirer les conclusions. »
2. Les sources textuelles de l’Islam sont nombreuses et de valeur inégale. En plus du Coran, présumé dicté
mot à mot au Prophète par l’ange Gabriel envoyé par Dieu et donc considéré comme une parole non
humaine, il y a les hadiths, propos prêtés au Prophète et rapportés par des proches, avec plusieurs degrés de
fiabilité. À ces consignes pratiques du Prophète lui-même pour l’application de la loi divine, mais d’autorité
variable, s’ajoutent les interprétations fournies par des sages ou des maîtres au fil des siècles pour répondre
aux questions et besoins du moment et du lieu, mais dont la portée peut être acceptée plus ou moins
largement comme jurisprudentielle. Cet ensemble aux limites discutées de textes aux statuts divers constitue
la charia, qui n’a donc pas de corpus unique et définitif.
3. Il en ressort qu’une approche contextuelle du Coran selon les méthodes historico-critiques est réputée
inapte à régler tous les problèmes d’interprétation que se pose chaque génération en un lieu donné. Les
conclusions varient donc dans le domaine de l’organisation et de la gestion de la vie sociale, et donc du
politique. Pour le chiisme, seul l’imam a le pouvoir de « faire parler » des textes qui autrement resteraient
hermétiques ; il est donc un chef politique autant que religieux. Dans le sunnisme, le chef politique est en
même temps chef religieux et peut contraindre l’imam, simple pasteur et « consultant » qu’il peut démettre
(et que les fidèles peuvent aussi congédier), à aller dans son sens, ce qui donne une grande hétérogénéité,
qui va du « califat » à une certaine sécularisation en passant par la persécution du mysticisme soufi. Chez les
musulmans en Occident, l’imam a moins de pouvoir que dans les États chiites et plus de liberté que dans les
États sunnites, mais dans l’un et l’autre cas, il peut se situer n’importe où entre la soumission et la défiance
dans un État où l’Islam est minoritaire.
4. Il s’ensuit que l’Islam n’oblige à instituer aucun système précis de gouvernement. Depuis la disparition du
Prophète, les musulmans n’ont jamais été réunis sous l’autorité d’un unique et suprême calife. La notion
d’« État islamique » est récente, basée sur une lecture sélective du Coran en vertu d’une « loi » contestée,
dite « de l’abrogation », où les versets plus conciliants, du temps où Mahomet est à La Mecque et espère
convaincre, sont annulés par de plus tardifs, de l’époque de Médine où il part en guerre. Cette occultation
de pans entiers du « Noble Livre » n’a guère d’antécédents dans la tradition et ne peut pas faire l’unanimité.
Elle illustre un paradoxe de l’Islam : il veut instaurer l’ordre divin sur terre, mais les hommes qui s’autoinvestissent du pouvoir de l’établir ne font que de la politique, et l’eschatologie musulmane repose sur des
hadiths trop peu sûrs et trop peu clairs pour qu’ils prétendent la réaliser.
Jean Duchesne, O.F.C.
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