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sans précédent depuis la mort de Mahomet, sur la détermination et l’interprétation du legs qu’il a laissé et
qui constitue les sources de l’Islam.
C’est précisément de cette question décisive que traite le dernier numéro (23) de la revue semestrielle de la
Fondation Oasis, qui porte le même nom et publie en italien, anglais, français et arabe des analyses
d’actualité, les travaux de chercheurs « maison » et des articles d’experts aussi bien occidentaux que
musulmans à la suite de contacts et de dialogues organisés aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient. Cette
livraison d’Oasis est intitulée : « Le Coran et ses gardiens » (voir le site : www.oasiscenter.eu/fr). En voici
quelques aperçus :
1. En premier lieu, l’écho donné à une importante déclaration en janvier 2015 d’un groupe d’intellectuels
« laïcs issus du monde islamique ». On se contentera ici d’un extrait : « Aujourd’hui, la réponse à la guerre
déclenchée par des individus et des groupes qui se réclament de l’Islam ne consiste pas à dire que l’Islam
n’est pas cela. Car c’est bien au nom d’une certaine lecture de l’Islam que ces actes sont commis. Non, la
réponse consiste à reconnaître et affirmer l’historicité et l’inapplicabilité d’un certain nombre de textes que
contient la tradition musulmane. Et à en tirer les conclusions. »
2. Les sources textuelles de l’Islam sont nombreuses et de valeur inégale. En plus du Coran, présumé dicté
mot à mot au Prophète par l’ange Gabriel envoyé par Dieu et donc considéré comme une parole non
humaine, il y a les hadiths, propos prêtés au Prophète et rapportés par des proches, avec plusieurs degrés de
fiabilité. À ces consignes pratiques du Prophète lui-même pour l’application de la loi divine, mais d’autorité
variable, s’ajoutent les interprétations fournies par des sages ou des maîtres au fil des siècles pour répondre
aux questions et besoins du moment et du lieu, mais dont la portée peut être acceptée plus ou moins
largement comme jurisprudentielle. Cet ensemble aux limites discutées de textes aux statuts divers constitue
la charia, qui n’a donc pas de corpus unique et définitif.
3. Il en ressort qu’une approche contextuelle du Coran selon les méthodes historico-critiques est réputée
inapte à régler tous les problèmes d’interprétation que se pose chaque génération en un lieu donné. Les
conclusions varient donc dans le domaine de l’organisation et de la gestion de la vie sociale, et donc du
politique. Pour le chiisme, seul l’imam a le pouvoir de « faire parler » des textes qui autrement resteraient
hermétiques ; il est donc un chef politique autant que religieux. Dans le sunnisme, le chef politique est en
même temps chef religieux et peut contraindre l’imam, simple pasteur et « consultant » qu’il peut démettre
(et que les fidèles peuvent aussi congédier), à aller dans son sens, ce qui donne une grande hétérogénéité,
qui va du « califat » à une certaine sécularisation en passant par la persécution du mysticisme soufi. Chez les
musulmans en Occident, l’imam a moins de pouvoir que dans les États chiites et plus de liberté que dans les
États sunnites, mais dans l’un et l’autre cas, il peut se situer n’importe où entre la soumission et la défiance
dans un État où l’Islam est minoritaire.
4. Il s’ensuit que l’Islam n’oblige à instituer aucun système précis de gouvernement. Depuis la disparition du
Prophète, les musulmans n’ont jamais été réunis sous l’autorité d’un unique et suprême calife. La notion
d’« État islamique » est récente, basée sur une lecture sélective du Coran en vertu d’une « loi » contestée,
dite « de l’abrogation », où les versets plus conciliants, du temps où Mahomet est à La Mecque et espère
convaincre, sont annulés par de plus tardifs, de l’époque de Médine où il part en guerre. Cette occultation
de pans entiers du « Noble Livre » n’a guère d’antécédents dans la tradition et ne peut pas faire l’unanimité.
Elle illustre un paradoxe de l’Islam : il veut instaurer l’ordre divin sur terre, mais les hommes qui s’auto-
investissent du pouvoir de l’établir ne font que de la politique, et l’eschatologie musulmane repose sur des
hadiths trop peu sûrs et trop peu clairs pour qu’ils prétendent la réaliser.
Jean Duchesne, O.F.C.