Ces médecins du Nord - Faculté de médecine de l`Université Laval

Ces médecins du Nord
Par Mariève Paradis le 1 février 2013 pour L'actualité médicale
Ils sont 22 à travailler au nord du 55e parallèle, au Nunavik. Ils sont médecins omnipraticiens dans les
deux hôpitaux du territoire, mais doivent gérer des cas aux soins intensifs. Une pratique qui sort des
sentiers battus, où la collaboration et le travail d’équipe revêtent un tout autre sens.
Paysage de Kuujjuaq
Qu’ils travaillent au département (hospitalisation) ou à la clinique (urgence), les médecins rattachés
aux deux centres de santé du Nunavik doivent apprendre à s’adapter aux situations et à prendre des
décisions rapidement. Il ne faut surtout pas avoir peur de l’incertitude. « On n’aura pas 25 cas en même
temps, mais il pourrait se produire un cas très difficile avec des ressources limitées », indique la
Dre Nathalie Boulanger, médecin à Kuujjuaq depuis 1991.
Revenue à Montréal il y a quelques années pour l’éducation de ses enfants, elle y travaille toujours à
temps partiel, mais reste tout de même très impliquée dans l’organisation médicale du Nunavik. Selon
elle, la débrouillardise, l’autonomie et la confiance en soi sont des qualités essentielles pour un médecin
du Nunavik. « Il faut surtout savoir reconnaître ses limites », lance-t-elle. Quand les besoins d’une
expertise se font sentir, c’est par téléphone qu’ils auront l’avis d’un spécialiste. « On passe beaucoup de
temps au téléphone, notamment avec des spécialistes du Centre universitaire de santé McGill », dit la
Dre Rachel Bourque, chef médecin au Centre de santé Tulattavik de l’Ungava, à Kuujjuaq.
La technologie pourrait faciliter les communications entre l’équipe de spécialistes de Montréal et
l’équipe médicale du Nunavik. La visioconférence, le transfert d’images et de vidéos aideraient
grandement la pratique au Nord. Or, la bande passante, bien qu’améliorée ces dernières années, reste
trop lente pour permettre ce genre de communication. Toutefois, la Dre Boulanger reste convaincue
que ce sera possible d’ici quelques années.
Le manque d’équipement sur place représente un défi de taille pour le diagnostic. À Kuujjuaq, on trouve
un laboratoire et un appareil de rayons X, mais pas des outils plus poussés comme un appareil de
tomodensitométrie. Pour les diagnostics plus précis, il faut envoyer le patient à Montréal, ce qui est très
coûteux. « Notre hôpital est à capacité maximale et nos locaux sont vétustes », affirme la Dre Julie
Desjardins, médecin à Kuujjuaq depuis deux ans. Elle s’inquiète d’ailleurs des conséquences d’une
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hausse des besoins médicaux dans la région avec le plan de développement du Nord. « Nous ne
pourrons absorber le nombre de patients supplémentaires, si nos ressources ne sont pas bonifiées »,
fait remarquer le médecin dont le conjoint médecin travaille également à Kuujjuaq.
La Dre Julie Desjardins, entourée
de linaigrettes, aussi appelées le
coton de l'Artique.
La température peut être aussi un obstacle important pour la pratique médicale, et même pour la survie
d’un patient. Un blizzard durant l’hiver, du brouillard pendant l’été, le vent en toutes saisons; ces
conditions météo peuvent empêcher les évacuations d’urgence pendant plusieurs jours. Les médecins
doivent alors tenter de tout faire pour stabiliser les patients, avec des ressources limitées, jusqu’à ce
que la température permette l’évacuation du patient. Une situation stressante, où les connaissances et
l’expérience de tous les membres de l’équipe médicale sont partagées. Toujours sur le qui-vive, les
médecins doivent être prêts à répondre à des appels la nuit, parfois même s’ils ne sont pas premiers de
garde. Un accident tragique impliquant plusieurs patients demande tout le personnel médical possible à
l’hôpital. Des situations de violence ou encore de dépendance demandent aussi une intervention rapide,
parfois même dans les maisons du village. Même s’il y a toujours quatre médecins sur le territoire de
l’Ungava, il n’est pas rare que chacun travaille plus de 60 heures par semaine. Malgré ces difficultés de
la pratique, certains y restent plusieurs années. « Le travail qu’on fait ne se retrouve pas ailleurs »,
affirme la Dre Boulanger.
Et les médecins profitent d’avantages pécuniaires importants : prime à la vie chère, prime
d’éloignement, prime au déménagement, plusieurs voyages dans le « Sud » et quatre mois de vacances
par an. « C’est une très forte pression de travailler dans le Nord, on est souvent de garde et il n’y a pas
de lendemain de garde. Après sept semaines de travail consécutives, les vacances sont les bienvenues
», se défend la Dre Bourque. Mais elle ne retourne pas toujours à Montréal pour ses vacances. Elle
préfère profiter de ce que la nature peut offrir au Nunavik. « Les gens ne se rendent pas compte à quel
point c’est beau ici », s’éblouit la jeune femme.
Non seulement les médecins rencontrent les patients et s’assurent de leur état sur place, mais ils
doivent aussi répondre aux questions des infirmières dispersées dans les points de service des autres
villages où il n’y a pas de médecin. La confiance envers ces professionnels à distance doit être grande.
Ils sont les yeux, les oreilles, parfois même les mains des médecins ! « J’ai tellement appris de ces deux
années de pratique à Kuujjuaq. Parfois, je dois parler à un spécialiste à Montréal, à propos d’un patient
que je n’ai pas devant moi ! » dit la Dre Bourque. Le suivi de ces patients à distance reste primordial.
Ainsi, chaque médecin à temps plein à Kuujjuaq, est attitré à un village. Ils doivent y faire une tournée
d’environ une semaine toutes les quatre à six semaines. Pour la Dre Julie Desjardins, médecin à
Kuujjuaq depuis deux ans, se rendre dans « son » village, Quaqtaq, est une façon de se connecter à la
population locale. « Je commence à connaître chacun par son nom, et les gens me reconnaissent », a-t-
elle constaté.
Depuis 50 ans, les Inuits du Nunavik voient des gens du « Sud », qu’ils appellent « Quallunaat », passer,
s’installer, puis repartir quel-ques années plus tard. « On doit passer beaucoup de temps sur le
territoire du Nunavik pour que les Inuits nous fassent davantage confiance », assure-t-elle.
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La médecine transculturelle
Au Nunavik, l’équipe médicale doit demander les services d’un interprète lorsque le patient ne parle pas
bien le français ou l’anglais, ce qui est assez fréquent chez les personnes plus âgées. Travailler avec des
interprètes peut être un défi pour certains, mais d’une grande aide aussi. Ces gens sont proches de la
communauté et savent où se trouvent les patients rapidement. Par ailleurs, l’aspect confidentialité est
épineux, surtout dans les plus petites communautés. Mais il y a aussi des avantages à avoir des
médecins qui viennent du « Sud », par exemple lorsqu’on veut parler de situations délicates à quelqu’un
qui a un regard extérieur à la communauté. Pour le Dr Stanley Vollant, chirurgien, professeur à la
faculté de médecine de l’Université de Montréal, d’origine innue, sur la Côte-Nord, la confiance envers
le personnel autochtone permet de meilleurs soins de santé. « Il faut sensibiliser les médecins à la
culture des Autochtones, à leur passé, à leur identité. Une fois sensibilisés, ces médecins pourront avoir
de meilleures connaissances pour acquérir des compétences », dit celui qui enseigne la médecine
culturelle des Premières Nations et des Inuits à tous les étudiants de première année en médecine à
l’Université de Montréal.
Mais à la base, les soins de santé donnés aux Autochtones sont les mêmes que partout ailleurs, pense
la Dre Boulanger. « Il faut traiter les autres comme on voudrait être traité soi-même, les prendre
comme ils sont. Il ne faut pas juger les choses qu’on ne comprend pas; il faut essayer de comprendre,
même si c’est difficile », dit-elle, convaincue.
Le Nunavik en chiffres…
12 090 habitants
14 communautés
2 hôpitaux
3 centres de réadaptation
2 maisons de transit
14 points de service (CLSC)
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