Jean-Marc Colletta / Le développement de la parole…
10
marques temporo-aspectuelles des verbes, des adverbes de temps (maintenant, hier,
aujourd'hui, demain, etc.) et de certaines expressions nominales (l'année dernière, le
mois prochain, etc.) qui permettent de situer les événements en référence au moment de
l’interlocution. En revanche, dans les textes écrits et dans des emplois du langage qui
relèvent de l’énonciation de récit, les marques de l’ancrage énonciatif ne sont pas de
nature déictique et relèvent la plupart du temps d’autres paradigmes, comme nous
l’indiquons dans le tableau 1 ci-dessous 5 :
Enonciation de discours Enonciation de récit
Situation
d'emploi
conversation quotidienne, tous types de
discours oraux et écrits
romans, fables, textes historiques…
Fonction
description, explication, commentaire d'objets
et de faits situés par rapport au moi-ici-
maintenant de l'énonciateur
récit d'événements réels ou fictifs situés entre
eux ou par rapport à un repère temporel non
relié à la situation d'énonciation
Types d'énoncés tous types (assertifs, interrogatifs, injonctifs,
exclamatifs…)
essentiellement des assertifs
Pronoms
prégnance de l'emploi des pronoms de 1ère et
de 2ème personne, qui désignent les
personnes de l'interlocution ; emploi de la
3ème personne pour désigner un tiers
prégnance de l'emploi des pronoms de la 3ème
personne à valeur anaphorique, qui désignent
les êtres du récit (emploi de la 1ère personne
dans la narration au « je »)
Temps verbaux
tous les temps de l'indicatif à l'exception du
passé simple et du passé antérieur
passé simple, imparfait, temps composés du
passé et futur du passé (conditionnel) ;
emploi possible du présent aoristique et du
passé composé à valeur temporelle
Localisateurs
spatiaux et
temporels
emploi d'expressions à valeur déictique (ici,
là, maintenant, hier, demain…)
emploi d'expressions non déictiques (à cet
endroit là, à ce moment là, la veille…)
Tableau 1 : Les outils linguistiques de l'ancrage énonciatif.
2.2.2. Subjectivité et modalisation
Tout énoncé est porteur des traces de la subjectivité de son auteur, et au-delà de la
relation établie entre l’énonciateur et l’énonciataire. C'est le domaine qui couvre la
subjectivité langagière et la modalisation.
Dans son ouvrage de 1980 Kerbrat-Orecchioni élargit le programme esquissé
auparavant par Benveniste. A l’étude des marques formelles de l'énonciation, il convient
en effet d’ajouter l’étude des marques permettant l’expression de la subjectivité de
l'énonciateur et lui permettant d'exprimer ses points de vues, ses jugements, ses
préférences et ses rejets. L'auteur répertorie et catégorise ainsi les types d'unités
linguistiques (substantifs affectifs, évaluatifs et axiologiques, adjectifs affectifs et
axiologiques, verbes subjectifs et modalisateurs, adverbes subjectifs) qui sont impliqués
dans l'expression de la subjectivité langagière.
Parmi ces subjectivèmes, certaines unités linguistiques telles les verbes modaux
relèvent également de l'étude des modalités. En linguistique, une modalité est définie
comme marquant une attitude du locuteur à l'égard de son énoncé. Mais la question des
modalités est en réalité complexe, ainsi qu'on peut s'en rendre compte aux traitements
très hétérogènes qu'en font grammairiens et linguistes. Relations de causalité, degrés de
croyance et de volition, jugements axiologiques, valeur illocutoire des énoncés, le tiroir
des modalités est un fourre-tout que les spécialistes ont bien du mal à ranger. En voici
un bref aperçu :
5 L'analyse des outils linguistiques de l'ancrage énonciatif ne va pas sans poser un certain nombre de
problèmes qui ont été abordés entre autres par Cervoni (1987). Par ailleurs il arrive que l'ancrage
énonciatif soit, au moins partiellement, pris en charge par les mouvements corporels, comme nous le
verrons dans la suite de l’ouvrage (notamment dans les chapitres VII et VIII).