Noesis
13 | 2008
Quine, Whitehead, et leurs contemporains
Whitehead, Wittgenstein et les relations internes
Ali Benmakhlouf
Édition électronique
URL : http://noesis.revues.org/1626
ISSN : 1773-0228
Éditeur
Centre de recherche d'histoire des idées
Édition imprimée
Date de publication : 15 mars 2008
Pagination : 163-174
ISBN : 2-914561-46-6
ISSN : 1275-7691
Référence électronique
Ali Benmakhlouf, « Whitehead, Wittgenstein et les relations internes », Noesis [En ligne], 13 | 2008, mis
en ligne le 15 décembre 2009, consulté le 29 septembre 2016. URL : http://noesis.revues.org/1626
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Whitehead, Wittgenstein et les relations
internes
Ali Benmakhlouf
1 La dernière philosophie de Whitehead, celle qu’il développe dans Process and Reality et
dans Adventures of ideas est une philosophie spéculative qui rompt avec le logicisme des
anes des Principia mathematica et donc rompt avec le travail proprement logique auquel
Bertrand Russell fut associé. Celui-ci dans Portraits and Memory, avoue ne plus comprendre
le tour qu’a pris la philosophie de Whitehead depuis que l’auteur de Process and Reality n’a
plus cherché ailleurs que dans l’uni de l’univers la justification des inférences
scientifiques1.
2 Wittgenstein, à la même période (1927–1929), avait effectué ce même travail de recherche
de justification des inférences scientifiques dans l’unité de l’univers, mais son travail
avait pris un tour surtout logique avec paradoxalement un accent sceptique. Chez
Whitehead en revanche la volonté de construire une métaphysique ne fait pas de doute et
le reproche est fait à Locke par exemple de s’être arrê au seuil sceptique2.
Le rejet des relations externes par Wittgenstein
3 L’analyse russellienne des propositions établit qu’il y a d’une part des propositions
atomiques qui sont toutes indépendantes les unes des autres et d’autre part des
propositions moléculaires. La vérité des propositions atomiques tient à leur accord avec
la réalité, leur fausseté à un désaccord. L’accord signifie qu’une proposition symbolise
correctement un fait. La vérité des propositions moléculaires tient à la rité des
propositions atomiques qui la constituent. Dans ces propositions, dites élémentaires par
Wittgenstein, il n’y a aucune composante logique qui vient s’intercaler entre les
propositions et la réalité : pas de « ou » ni de « et », ni de « tous » ni de « quelque ». C’est
cela qui permet d’établir une relation externe, une indépendance entre ces propositions.
Dans les propositions moléculaires, de tels mots sont présents et leur présence ôte à de
telles propositions l’indépendance dont se prévalent les propositions atomiques. Dans un
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cas c’est un état de choses qui est affirmé ou nié, dans l’autre cas c’est une combinaison
d’états de choses qui est réalisée ou non.
4 Il y a cependant un problème po par l’indépendance des propositions atomiques que
Wittgenstein appelle élémentaires. Certaines d’entre elles semblent entretenir des
relations logiques, par exemple des relations de contradiction; comme lorsqu’on dit « a
est vert » et « a est rouge ». Ces deux propositions ne comportent pas de mot logique et
pourtant elles se contredisent car on ne peut pas dire simultanément de a qu’il est rouge
et qu’il est vert. Wittgenstein abandonne s 1929 la thèse de l’inpendance des
propositions élémentaires qu’il avait affirmée à la suite de Russell en 1922 (Tractatus).
5 Wittgenstein conclut à l’existence de relations internes entre proposi tions. Mais dans la
mesure il n’y a pas de fait nécessaire, on ne peut pas justifier les relations internes
entre propositions élémentaires en tentant de ressaisir une cessi au niveau des
phénomènes eux-mêmes. La nécessité va être ressaisie au niveau de la règle d’inférence,
celle qui permet le passage de « a est vert » à « a n’est pas rouge ». Cettegle est celle qui
fixe l’usage des données de couleurs. Ainsi les relations internes entre propositions ne
sont pas premières par rapport aux règles d’inrence mais dépendent de l’adoption de
telles règles. C’est la règle « a est vert et a n’est pas rouge » qui fixe le sens de « a est
vert » ; il n’y a pas d’inrence cace qui présiderait aux deux propositions « a est vert »
donc « a n’est pas rouge ». Si on peut passer de « a est vert » à « a n’est pas rouge », ce
n’est pas en vertu d’une quelconque signification en soi de « rouge » et de « vert » qui
correspondrait à une entité du monde ou du psychisme ; c’est en vertu de l’usage rég
que nous faisons de telles expressions : savoir utiliser la proposition « a est vert » c’est
posséder une règle pour la construction d’autres propositions. La possibilité d’une
inférence, c’est-à-dire d’une liaison logique, nécessaire, entre les deux propositions « a est
vert » « a n’est pas rouge » ne tient qu’à une connexion dans le langage. C’est dans la règle
elle-même qu’est inscrite une telle connexion, c’est dans cette règle qu’elle se montre,
me si là aussi, elle se montre et ne se dit pas.
Withness et witness
6 L’abandon du logicisme par Wittgenstein et par Whitehead à la me période a une
signification commune : non seulement une signification polémique, en finir avec
l’atomisme logique, avec l’indépendance des faits et l’axiome des relations externes, mais
aussi une signification positive, explorer le sens des possibilités en donnant une nouvelle
lecture des conditions de vérité des propositions dites élémentaires comme « cette pierre
est grise » ; l’unité de l’univers nous oblige à dire : donc « elle n’est pas rouge », autrement
dit d’introduire une négation et avec elle les constantes logiques, en un mot rompre
l’isolement de la proposition de base « cette pierre est grise ». On perd avec le
Wittgenstein des années 1930 la pertinence d’une distinction entre les propositions
élémentaires et les propositions moculaires. Le monde est un ; il n’est pas constitde
faits inpendants les uns des autres. La possibilité intervient ici chez Wittgenstein
comme processus de sélection : on dit que la pierre est grise et on élimine qu’elle soit
rouge3. Pour rendre compte de ce même processus de décision-élimination, Whitehead
construit un schème spécu latif la place de la potentiali est valorisée, par
conquent les principes de l’atomisme logique où ne sont reconnus comme constituants
ultimes de l’univers que les particuliers et les relations, se trouvent relativisés.
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7 Le même état d’esprit présent chez Wittgenstein se retrouve chez Whitehead : le « donc »
de l’exemple de Wittgenstein est chez Whitehead un « avec » : toute réalité est entendue à
partir d’un « avec »4. À la faveur du jeu de mot anglais entrer « withness » et « witness »,
« l’être avec » suppose un témoignage, un point de vue. On ne dira pas « cette pierre est
grise » mais « ma perception de la pierre comme grise » ; le « avec » ici permet
d’introduire la perception et une théorie des relations que Whitehead appelle une théorie
des préhensions : il y a une communauté de ce qui est peu et d’où cela est perçu. Plus
largement le « avec » introduit les concepts clés de la relatedness et de la togetherness5.
8 Il y a par exemple une réelle complexide la perception de « données sensorielles », vu
que celles-ci ne se contentent pas d’entrer de façon atomique et simple dans une entité :
la couleur entre dans un objet mais dans le même mouvement cette couleur est perçue
avec les yeux. Il y a un withness de la perception qui interdit de concevoir l’objectivation
comme une opération simple d’attribution d’une qualité à un sujet. Toute done
sensorielle doit être rapportée non seulement au nexus d’entités qu’elle « qualifie » mais
également au trajet historique de l’organe qui la reconnt, avec lequel elle est perçue.
9 Les neuf habitudes de la pensée écartées dans la préface de Process and Reality bloquent,
quand elles sont suivies « les faits têtus de la vie quotidienne ». C’est de tels faits que la
philosophie de l’organisme vise, non pas au sens elle va se substituer aux différentes
sciences desquelles relèvent les faits consirés, mais afin de donner un caractère
taphysique » que présuppose chaque science :
le genre de faits qui constitue le champ de chaque science spécifique requiert
quelque présupposition métaphysique commune relative à l’univers6.
La mise en évidence d’un tel trait métaphysique commun retient Whitehead jusqu’à la
section IV du chapitre intitulé « L’ordre de la nature » où l’analyse des sociétés composant
notre époque présente oblige à quitter enfin la générali taphysique pour l’analyse
des « caractéristiques définies ».
10 Les principes généraux de la logique et des mathématiques ne peuvent donner une pleine
formulation à ce caractère taphysique. Ces principes sont conformes à un atomisme
que Whitehead trouve inapproprié à exprimer la solidarité de l’univers. Pour rendre
compte du caractère métaphysique, le passage par une analyse d’un schème spéculatif qui
enchetre les catégories s’impose. Un exemple de cet enchevêtrement est donné par la
relatedness. Whitehead souligne explicitement l’importance de ce concept ; et ce à deux
reprises :
a) de façon polémique à l’égard d’Aristote : « the philosophy of organism is mainly devoted
to the task of making clear the notion of “being present in another entity” » (p. 50) ;
b) de façon plus constructive, en prolongeant le concept de puissance de Locke :
the perceptive constitution of the actual entity presents the problem, how can the
other actual entities, each with its own formal existence, also enter objectively into
the perceptive constitution of the actual entity in question? This the problem of the
solidarity of the universe (p. 56/123).
La puissance d’une entisur une autre (du feu sur l’or, pour reprendre les exemples de
Locke (p. 57–58), bien que nous ayons des nexus et non des entités) c’est la manre
dont la première est « objectivée dans la seconde » (p. 58).
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La puissance selon Locke
11 Comme nous l’avons dit au début, Whitehead reproche à Locke de ne pas avoir tiré toutes
les conquences qui s’imposent du renoncement à la notion de substance. Si on fait
attention maintenant non pas à l’incohérence mais à l’aquation, on rencontre chez
Locke, une critique de la substance qui laisse ouverte la possibilité de lui substituer la
notion d’entité actuelle ; mais pour rendre compte de cette entité actuelle, pour accéder à
la constitution d’une entiactuelle formaliter, il faut s’aider du concept de puissance de
Locke auquel celui-ci a consac outre un chapitre (le vingt-et-unième du livre II des
Essais sur l’entendement humain) deux sections dans le chapitre XXIII, celui qui est consacré
à la substance. Whitehead cite Locke :
La puissance constitue une grande partie des idées complexes que nous avons des
substances (II, XXIII, section 8, p. 18),
12 et aussi :
l’esprit vient à considérer dans une chose la possibilité qu’une de ses idées simples
soit changée, et dans une autre la possibilité de produire le changement ; et par là il
se forme l’idée que nous nommons puissance. Ainsi nous disons que le feu a la
puissance de fondre l’or ; [...] que l’or a la puissance d’être fondu » (II, XXI, 1, p. 57).
13 Que retient Whitehead de ce concept de puissance ? Ce concept est pour lui l’expression
adéquate de la nature composite de toute entité actuelle. Ce concept permet en quelque
sorte de montrer l’inani de la notion de « particulier » quand on entend par une
substance solitaire, fermée sur soi n’ayant besoin de rien d’autre pour exister, ou encore
selon la formule aristotélicienne, l’idée qu’une substance n’est pas présente en un sujet.
La puissance au contraire montre comment chaque enti actuelle est présente en une
autre, comment elle est susceptible de s’objectiver en une autre, autrement dit d’entrer
dans la constitution d’une autre entité. Ce concept de puissance n’illustre rien moins que
la solidarité de l’univers, c’est-à-dire comment chaque entité, sans renoncer à sa propre
constitution, devient une done susceptible d’entrer dans la composition d’une autre
entité. Ce concept en un mot résume en lui deux principes majeurs de la philosophie de
l’organisme : le principe ontologique et le principe de relativité. Le principe ontologique
d’abord qui nous dit que chaque entité cide pour elle-me ce qu’elle sera, autrement
dit qu’elle est cause de soi et que toute raison est à rechercher en elle,
la notion de puissance [se transforme] en principe que la raison des choses doit
toujours être trouvée dans la nature composite des entités actuelles définies (p. 19).
En même temps qu’elle ouvre l’espace d’une rationalité, puisqu’elle nous invite à
rechercher les raisons au sein de la composition me de l’entité envisae, elle ferme
celui des rationalisations vu que, comme toute entité est déterminée intérieurement, le
corollaire de cette condition veut qu’elle soit libre extérieurement, c’est-à-dire n’être
contrainte par rien7.
14 La notion de puissance est également une formulation du principe de relativi selon
lequel toute entité en tant qu’être est un potentiel pour un devenir, c’est-à-dire que toute
entité possède une puissance d’auto-transcendance qui lui permet de s’objectiver sous
forme de done en une autre entité. Mais au-delà des entités actuelles et de leur nature
composite, elle rend aussi compte de la manière dont nos concepts sont en fait
relationnels. Elle acquiert aux yeux de Locke par ce double aspect un caractère de
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