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COMMENT TRADUIRE « FORENSIC »
EN FRANÇAIS ?
Lors des travaux de traduction, nous sommes confrontés à certains problèmes quant à l’utilisation des
différentes versions françaises du terme “forensic”. En effet, les textes anglais regroupent souvent «
médico-légal » et « judiciaire » sous ce terme plus général. En français, leur utilisation tend à varier en
fonction du pays de fonction de l’anthropologue ou du médecin légiste. Il faut rappeler que l’intervention
d’archéologues et d’anthropologues dans des enquêtes criminelles est très cente. Une des conséquences
est l’ambiguité dans la définition de leur rôle au sein d’enquêtes judiciaires, qui se reflète aussi dans leur
dénomination. Grâce à la consultation de quelques articles et sites internet professionnels mais aussi
grâce à l’avis précieux d’anthropologues et médecins légistes, nous essaierons de faire la lumière sur le
vocabulaire employé dans le domaine médico-légal.
« Médico-légal » se rapporte à la médecine gale, laquelle réalise des expertises pour les institutions
judiciaires (collecte de preuves et de pièces à conviction susceptibles dêtre présentées devant un
tribunal). Elle regroupe trois sous-spécialités : la pathologie médico-légale, l’odontologie médico-légale
et l’anthropologie médico-légale. Il est clair que l’expression « anthropologie médico-légale » détient la
première place en France et en Belgique. Par exemple, l’Inrap l’utilise dans ses grands titres . Elle est
privilégiée puisqu’elle permet d’être classée dans la série des diverses sous-disciplines de l’anthropologie.
De plus, elle reflète autant les méthodes utilisées (relatives à l’anatomie) que le cadre dans lequel
ces dernières sont pratiquées (judiciaire). En France et en Belgique, l’anthropologue tenant un rôle
dans des activités judiciaires est un médecin légiste qui s’est ensuite spécialisé en anthropologie d’
la préférence du terme « anthropologue médico-légal ». Cest ici que se marque la différence avec le
fonctionnement nord-américain où, pour reçevoir une formation anthropologique, il faut s’inscrire dans
un département d’anthropologie universitaire. Par ailleurs, le recours à un spécialiste non médecin (étude
d’indices sans rapport direct au corps ou étude génétique) lors d’affaires criminelles reste rare en Europe
mais s’il y a lieu, on peut préconiser l’emploi du terme « expert judiciaire ».
Le terme « judiciaire » est relatif aux institutions de la justice, sans connotation médicale ou
anatomique. Il a tendance à apparaître de manière plus soutenue dans les régions francophones du
Canada. Sur le site du Bureau de la traduction , “forensic anthropologyest traduit directement
par « anthropologie judiciaire » . Aussi, le texte informatif sur le site de la Société Canadienne des
Sciences Judiciaires utilise les expressions suivantes: « chimie judiciaire », « toxicologie judiciaire »,
« odontologie judiciaire », « pathologie judiciaire », « biologie judiciaire » et enfin, « anthropologie
judiciaire » . Cette dernière expression efface la notion médicale ce qui est commode puisqu’au Canada,
comme partout en Amérique du Nord, l’anthropologue n’est pas nécessairement un médecin. Lors des
traductions, il faut néanmoins faire attention de mentionner ailleurs l’acte anthropologique.
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La définition française standard de « forensique » est plus floue puisquelle parle de ce qui est relatif
au forum et qualifie un caractère qui se présente, ouvertement, face au monde et à ses instances . La
définition anglaise n’a pas encore son équivalent officiel dans le dictionnaire français. Lutilisation
de l’expression « anthropologie forensique » semble plus délicate voire plus complexe pour le profane.
Le seul pays francophone où son usage semble systématique et assumé en tant qu’anglicisme est la
Suisse. L’Université de Lausanne la définit comme suit : « Les sciences forensiques se définissent comme
l’ensemble des principes scientifiques et méthodes techniques appliquées à la solution de questions
en matières criminelle, civile ou réglementaire dans le but daider la justice […]. Ladjectif forensique
[…] est un néologisme. Il vient du latin forum […]. Il fait partie du vocabulaire de pratiquement toutes
les langues qui nous sont proches comme l’allemand, l’italien et l’anglais, mais son usage est récent en
français ». LUniversité de Lausanne emploie aussi ce néologisme dans l’intitulé de ses cours: « sciences
forensiques », « identification forensique », “génétique forensique. Par ailleurs, le Centre universitaire
romand de médecine légale (CURML, Lausanne et Genève, Suisse) comprend parmi ses départements trois
unités nommées : Unité de médecine forensique (UMF), Unité de toxicologie et de chimie forensique
(UTCF) et Unité de génétique forensique (UGF). Le terme est donc parfaitement intégré. On peut citer
en exemple supplémentaire un article sur l’imagerie forensique daté de juillet 2008 . En dehors de la
Suisse, les utilisations du terme « forensique » sont singulières. Par exemple, l’Université de l’Alberta
(Canada) a titré l’un des ces cours « anthropologie forensique ». En France, l’Inrap a soutenu en 2010
un projet ayant pour titre : Archéologie et anthropologie forensiques : modifications de surface osseuse
d’origine anthropique . Globalement, le terme « forensique » s’apparente plus à ce qui a trait aux sciences
criminalistiques en général (techniques appliquées aux enquêtes policières en vue d’une exploitation
de ces indices dans l’investigation criminelle) et devrait être seulement utilisé dans le cas où le public
auquel on s’adresse est averti.
Le problème qui se pose n’est pas dans l’emploi de tel ou tel terme mais plutôt dans le contexte
ou le pays dans lequel on l’utilise. En France et en Belgique, les personnes ayant une formation en
anthropologie biologique auront comme fonction l’étude de squelettes datés de plus de trente ans mais
seront très rarement employés lors d’enquêtes criminelles. Ces dernières feront appel à des médecins
s’étant plus tard spécialisés en anthropologie médico-légale. En Amérique du Nord, ce n’est pas le même
schéma. Mais finalement, les techniques utilisées par les uns et les autres lorsqu’il ne reste que des
ossements seront les mêmes ce qui font des termes « anthropologue médico-légal », « anthropologue
judiciaire » et « anthropologue forensique » des synonymes. Notre choix dans les termes lors de
traductions doit dépendre de la formation reçue par celui dont on parle et/ou du pays dans lequel
s’inscrit le sujet du texte.
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Index (réponses au questionnaire)
RÉPONSE DU DR JEAN-POL BEAUTHIER, MÉDECIN LÉGISTE ET EXPERT JUDICIAIRE, PRÉSIDENT
DU MASTER COMPLÉMENTAIRE EN MÉDECINE LÉGALE
(UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES - ACADÉMIE UNIVERSITAIRE WALLONIE-BRUXELLES)
Des expressions suivantes: “anthropologie médico-légale, “anthropologie judiciaire”
et “anthropologie forensique”, laquelle (ou lesquelles) favorisez-vous ?
Je préfère anthropologie médico-légale mais tolère tout à fait anthropologie judiciaire.
Forensique est un néologisme qui n’est pas (encore) passé dans les moeurs en Europe,
à l’exception de la Suisse qui l’utilise systématiquement.
Quelles différences faites-vous entre ces termes ?
Forensic s’apparente plutôt en traduction à sciences criminalistiques.
Une de ces expressions vous semble-elle inappropriée ? Si oui, pourquoi ?
Pensez-vous que l’une ou l’autre de ces expressions est à favoriser
dans un certain contexte ? Si oui, lequel ?
Je privilégie anthropologie médico-légale ce qui permet de la classifier dans la série des divers sous-
groupes de l’anthropologie en général. De plus, selon nous, l’anthropologue qui s’occupe réellement
d’activités judiciaires en Belgique et en France est un médecin légiste au départ, qui s’est spécialisé
dans le domaine anthropologique, d’où mon choix.
Par contre, je sais parfaitement qu’au Canada, l’anthropologue n’est pas nécessairement médecin et
donc, l’expression anthropologue judiciaire pourrait alors s’appliquer à ce spécialiste.
Ma vision est également celle du Prof. Gérald Quatrehomme de Nice ainsi que celle du Prof. Eric
Baccino, de Montpellier et globalement celle de la FASE (forensic anthropology society of Europe
http://www.labanof.unimi.it/FASE.htm), dont la plupart des “bons” anthropologues médico-légaux
européens sont membres et membres fondateurs.
RÉPONSE DE PROF. ERIC CRUBÉZY, PROFESSEUR EN ANTHROPOLOGIE,
UNIVERSITÉ PAUL SABATIER TOULOUSE III, FRANCE
J’ai noté depuis longtemps les ambiguïtés.
En français, “médecine légale” ne peut théoriquement pas s’appliquer à un squelette qui a 1000 ans,
“légal”, dans ce cas, signifie que le médecin a été réquisitionné par la justice. Il n’y a pas de médecine
gale sur un charnier vieux de 1000 ans (en fait en France après 30 ans ce n’est plus du domaine
de la justice sauf crime contre l’humanité). Si un expert non médecin (cas rare pour les crimes) est
réquisitionné par la justice il devient “expert judiciaire”.
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Donc de l’anglais au français :
- c’est une question sur un meurtre, suicide, un cas de moins de 30 ans : c’est de la médecine légale et/
ou médecin légiste
- c’est une question sur un meurtre mais cela n’intéresse pas le corps (vêtement par exemple) cest un
expert judiciaire, même chose pour l’ADN , l’empreinte génétique est réalisée par un expert judiciaire qui
peut ne pas être médecin.
- c’est une question plus générale d’étude de squelettes, de momie, plus de 30 ans, c’est de
l’anthropologie physique (squelette) ou de l’anthropobiologie.
“Forensique” n’est pas français
Remarque: “expert judiciaire” ou “decine légale” : implique une réquisition par la justice.
RÉPONSE DU DR ETIENNE BEAUMONT, MÉDECIN LÉGISTE, PAPEETE, POLYNÉSIE FRANÇAISE
Des expressions suivantes: “anthropologie médico-légale, “anthropologie judiciaire” et
anthropologie forensique”, laquelle (ou lesquelles) favorisez-vous ?
ANTHROPOLOGIE MEDICO-LEGALE
Quelles différences faites-vous entre ces termes ?
AUCUNE
Une de ces expressions vous semble-elle inappropriée ? Si oui, pourquoi ?
ANTHROPOLOGIE FORENSIQUE
Peu usitée et sens complexe pour le profane
Pensez-vous que l’une ou l’autre de ces expressions est à favoriser dans un certain contexte ? Si oui,
lequel ?
AUCUNE
LE PROBLEME DE FOND DE CETTE APPELATION EST LE MELANGE D’UNE RACINE GRECQUE (anthropos logos)
et DE RACINES LATINES (medicus, lex, legis, forensis, jus, juris, judicare). Lexpérience prouve quelles
se marient souvent mal ensemble. Cest pour cette raison que Laennec avait nommé sthétoscope son
instrument d’auscultation et non thorascope, comme le préconisais Broussais...
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RÉPONSE DU DR CLAIRE DESBOIS, MÉDECIN, ANTHROPOLOGUE LÉGISTE (LYON, FRANCE)
Tous les termes que vous employez sont potentiellement justes. Je préfère personnellement utiliser le terme
anthropologie médico-légale car il y a à la fois la notion technique (médicale) et le cadre dans lequel est
effectué cet acte technique (légal). de plus, le terme médical fait tout de suite référence à l’anthropologie
anatomique.
L’anthropologie judiciaire serait le moins précis car celà peut être l’anthopologie criminelle par exemple ou
l’anthropologie du criminel, et non pas l’anthropologie anatomique.
L’anthropologie forensique est un anglicisme que les spécialistes en médico-légal comprennent car ils
connaissent ce vocabulaire mais en dehors de ce milieu, le terme est obscur même pour quelquun du mileu
médical s’il ne connaît pas le domaine médico-légal.
Donc tout dépend du contexte. A mon avis, vous pouvez utilisez forensique si vous vous adressez à des gens
avertis; le terme judiciaire si vous voulez insister sur l’aspect judiciaire de l’affaire mais là il vaut mieux
préciser la nature de l’acte anthropologique. Médico-légal passera partout.
N’oublions pas non plus le phénomène de mode qui n’épargne pas le domaine scientifique, mais là je ne suis
pas au courant des dernières tendances.
RÉPONSE DE M. GUY GAUTHIER, PROFESSEUR D’ANTHROPOLOGIE
AU CEGEP MARIE-VICTORIN, MONTRÉAL
Au Canada anglais, on parle « Forensic anthropology ». Au Canada français, on utilise la traduction du terme
précédent : « Anthropologie judiciaire »
Aux États-Unis, on parle de « forensic anthropology »
En Suisse, on utilise un anglicisme « Anthropologie forensique »
En Belgique et en France, on parle « d’Anthropologie médico-légale »
En France, on parle également d’archéologie funéraire avec un aspect légal.
En Angleterre et dans certains États aux États-Unis, on parle également de « forensic osteology »
En France, les anthropologues médico-légaux ont, à la base, une formation académique en médecine.
Pour devenir anthropologue « judiciaire » en France, on doit s’inscrire dans une faculté de médecine
d’où le nom de « anthropologie médico-légale »
En Belgique, il existe un système similaire.
Souvent en France et en Belgique, les médecins légistes sont également des anthropologues médico-légaux.
Au Canada et aux États-Unis, on doit s’inscrire principalement dans un département d’anthropologie.
Il n’y a pas vraiment de différences fondamentales entre les termes précités.
Anthropologie judiciaire, anthropologie médico-légale, anthropologie légiste; anthropologie forensique,
forensic anthropology, archéologie funéraire avec l’aspect légal et ostéologie judiciaire et ou ostéologie
médico-légale sont tous des synonymes.
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