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Le public du XVIIIe se passionnait également pour les problèmes moraux. S’il est
un point qui t l’unanimité des dramaturges, c’est la défense de la vertu ; que l’on
se tourne vers la tragédie, la comédie de caractères ou de mœurs, a fortiori le drame,
partout il est question d’elle sous toutes ses formes : vertu-chasteté, vertu-héroïsme,
vertu-sacrice…, et de plus en plus, quand on avance dans le siècle, vertu civique.
[…] les thèmes du bon père et de la bonne mère se révèlent inépuisables ; Marivaux,
Destouches, Nivelle de La Chaussée, Voltaire lui-même, avec L’Enfant prodigue,
ouvrent la voie au Père de Famille de Diderot 5 […].
Cependant, de son côté, Gabriel Conesa souligne les limites d’un tel théâtre :
Quant à la comédie moralisante, elle constitue une réaction morale souvent gauche,
sur le plan esthétique, au relâchement des mœurs qui aecte la société, car elle
prêche naïvement la vertu, ignorant que le théâtre perd toute portée dès qu’il se
transforme en tribune. Des œuvres comme Le Médisant (1715) de Destouches, qui
illustre bien cette intention de faire du théâtre avec de bons sentiments, ne seront
jamais reprises au théâtre 6 .
Certes, bon nombre de comédies de Destouches ne connaissent pas le succès,
et certaines ne sont pas représentées. Pourtant, d’autres connaissent aussi un véri-
table triomphe, comme le souligne Françoise Rubellin dans sa Présentation des
Philosophes amoureux, preuve que malgré sa méance vis-à-vis de l’esprit et de
l’imagination 7 , Destouches était parvenu à échafauder des intrigues pleines de vie
de théâtre et sur les sources de ses pièces demeure d’ailleurs essentielle. L’auteur place son analyse
sous le sceau de la morale en ces termes : « La morale était le souci constant de l’auteur, et l’inten-
tion de moraliser caractérise toute son œuvre. » p. 7. Elle rattache ce souci constant à l’évolution
des mœurs : « La littérature classique se voulait morale, c’est-à-dire qu’elle donnait une morale très
générale, universelle et abstraite. La littérature du XVIIIe siècle prétend être moralisatrice, ce qui
n’est pas la même chose. Elle adapte ses leçons au public qui les écoute, surtout à la bourgeoisie qui
forme de plus en plus la masse des lecteurs. La meilleure manière d’améliorer les hommes et de leur
faire aimer la vertu, c’est de la leur montrer dans des situations qui se répètent tous les jours. C’est
ainsi qu’on félicite Destouches et La Chaussée d’avoir inspiré aux hommes le goût d’une morale
bienfaisante. » p. 12-13. Aleksandra Homann-Liponska s’appuie d’ailleurs sur les textes mêmes
de Destouches pour en prouver la visée morale, notamment sur « l’épître qui précède L’Obstacle
imprévu, dédiée au Régent », où « Destouches n’hésite à comparer la tâche de l’auteur comique
à celle du Prince régnant », p. 23, mais également sur ses Préfaces, celle bien entendu du Curieux
Impertinent, mais également celle du Glorieux ou de La Force du Naturel, “[…] lorsqu’il avoue que
la Comédie peut corrompre les mœurs quand sa gaieté dégénère en licence, ce qui ne lui est arrivé
que trop souvent” », p. 24.
5. J. TRUCHET, Introduction au éâtre du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », XL.
6. La comédie de l’âge classique 1630-1715, Paris, Le Seuil, 1995, p. 227.
7. Voir A. HOFFMANNLIPONSKA, Philippe Néricault Destouches et la comédie moralisatrice, op.
cit., p. 28 : « Destouches ne cesse de mettre en garde les écrivains contre l’écueil de l’imagination.
[« Destouches », Karine Benac-Giroux]
[ISBN 978-2-7535-1473-7 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]