L`Islam est-il bien une religion de paix?

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L'Islam est-il bien une religion de paix?
Posez la question à n'importe quel musulman et il vous dira que oui. Mais de
nombreux terroristes se réclament de l'Islam. Alors, il est où le problème?
Cet article a pour objectif la réflexion et le débat. Surtout pas la provocation ni la
stigmatisation.
Les terroristes activent un corpus traditionnel violent qui était valable à une
époque donnée, mais qui n'a plus sa place aujourd'hui. Voici comment on peut
faire de l'islam une religion de paix, par exemple en mettant en lumière sa
dimension humaniste, son histoire de tolérance et de coexistence, ses lumières,
son ouverture, son éthique...
Il convient aussi de rappeler que plusieurs enseignements sont à tirer de l'histoire
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des différentes civilisations musulmanes. Celui qu'on pourrait appeler siècle des
lumières musulman a bel et bien existé. L'âge d'or de l'islam, incarné par la
civilisation andalouse du XIe et XIIe siècle a produit de nombreux penseurs qui ont
influencé le monde par leur savoir et leurs écrits. Des pensées humanistes qui
trouvent leur origine aussi bien dans les versets coraniques que dans la
philosophie grecque. D'ailleurs, l'un des commentateurs les plus reconnus de
l'œuvre d'Aristote n'est autre que le savant andalou Ibn Rochd.
Une autre lecture de la religion, incarnée par le soufisme, subtil mélange entre
l'humanisme et la spiritualité, peut également être un vecteur important de
l'ouverture vers le monde. Différentes « Tariqah » (courant soufi) existent, et pas
seulement dans le monde arabe. Ces écoles prônent le djihad de l'âme, plutôt que
le djihad des armes. En d'autres termes, le soufi cherche, avant tout, à améliorer
ses rapports avec lui-même, son créateur et son prochain. Un mode de pensée
résolument tourné vers l'humain.
Notre responsabilité à nous tous consiste à ce que l'enseignement et les médias
officiels véhiculent le bon corpus et enseignent toute cette élévation qui fait partie
intégrante de l'isam.
u lendemain de l'attentat meurtrier contre Charlie Hebdo, une radio de Da'ech a
A
qualifié les auteurs de l'attaque de «héros». La branche nord-africaine d'Al Qaida a posté
à son tour sur Twitter plusieurs messages vantant les actions du commando responsable
de la tuerie. Les tueurs sont désignés comme des «chevaliers de la vérité». ur le web djihadiste, les réactions vont de la glorification extatique à la menace de
S
nouveaux attentats. Les sympathisants ou activistes de la galaxie djihadiste ont baptisé
l'attentat de Paris «Ghazouat Bariz» (razzia ou raid de Paris), et comparent allègrement
cette tuerie à "Ghazouat Manhattan", expression utilisée pour glorifier les attentats du 11
septembre.
u delà de la glorification de l'attentat contre l'hebdomadaire satirique français, d'autres
A
sympathisants de la nébuleuse djihadiste évoquent la vengeance et promettent des
actions similaires, à "Rome, Londres ou New York".
Ces quidams promettent que les instructions de Baghdadi, consistant à égorger les
infidèles sur leurs propres terres, seront respectées à la lettre. En Libye, loin des terres
des «mécréants», les sanguinaires de Da'ech sont déjà passés à l'acte: les deux
journalistes tunisiens Sofiene Chourabi et Nadhir Guetari, détenus en Libye depuis
plusieurs semaines, ont été «exécutés» par la branche locale de Daech, si l'on en croit
une annonce officielle de cette organisation terroriste.
n double meurtre justifié par le fait qu'ils travaillaient pour "une chaîne de télévision
U
satellitaire qui ne respecte pas Dieu ni l'Islam", selon les termes du communiqué de
Daech.
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Plus inquiétant peut-être: la réjouissance collective trouve également écho chez des
citoyens qui n'ont pas de proximité avec la nébuleuse fondamentaliste... du moins en
apparence. Sur la toile, des internautes musulmans ne cachent pas leur satisfaction :
«Bien fait pour Charlie Hebdo», «Charlie l'a cherché», etc.
Un corpus à sens multiples
e nombreux musulmans se sont levés après les carnages de Paris pour dénoncer ces
D
actes et souligner que ce n'est pas l'Islam.
De nombreux jihadistes agissent en justifiant leurs actes par l'islam. 'Tuez, Dieu vous le
commande!', c'est un peu l'injonction de Ben Laden, de Baghdadi, de Zawahiri.
Farid Benyettou, prédicateur notoire responsable de l'endoctrinement des Frères
Kouachi et de Amedy Coulibaly (auteurs des actes terroristes perpétrés à Paris), était
connu auprès de ses proches pour sa «connaissance du Coran».
Le problème, c'est que chacun interprète l'Islam à sa manière. Il existe bien dans
l'Islam, comme dans les autres religions du livre, un corpus violent. Selon qu'il est
interprété par les uns ou par les autres, il n'aura pas le même sens. Certains diront qu'il
est contextualisé, historicisé, et d'autres qu'il est valable en tous lieux et toutes époques.
lors, l'islam est-il une religion de paix et de tolérance, comme l'affirme une grande
A
majorité des musulmans, ou au contraire une religion sanguinaire comme l'affirment ses
détracteurs ainsi que les terroristes qui s'en réclament? Cette violence est-elle légitime,
licite? Est-elle un devoir? Où se situe la vérité? Pourquoi une interprétation unique ne
s'est-elle pas imposée?
Dans Sourate at-Tawbah (9, Le Repentir)-29: «Combattez ceux qui ne croient ni en
Allah ni au Jour dernier, qui n'interdisent pas ce qu'Allah et Son messager ont interdit et
qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu'à ce
qu'ils versent la capitation par leurs propres mains, après s'être humiliés.»
ais dans une autre sourate: «Celui qui tuerait un homme non coupable d'un meurtre
M
ou un délit sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les hommes. Et quiconque fait don
de la vie à un homme, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les hommes.»
(Coran:5/32).
a Tradition elle-même ouvre la voie à d'innombrables interprétations. La jurisprudence
L
musulmane, communément appelée «ijtihad», est abondamment alimentée par l'école
religieuse du Madhab Hanbalite, en référence à l'imam Ahmad Ibn Hanbal (né à Bagdad
en l'an 780). Ce référentiel a servi de base à l'élaboration de ce qu'on appelle le droit
musulman dans plusieurs pays de la péninsule arabique.
ontrairement aux trois autres courants Malikite, Chaféite et Hanafite, le hanbalisme
C
prône une lecture rigoriste des textes coraniques et du Hadith. Et c'est là tout le problème
de l'intégrisme: une approche puritaine, textuelle, non historicisée, non contextualisée, de
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la religion au détriment de la raison, du droit et des valeurs humanistes.
Au IXe siècle, le rationalisme musulman a été contesté
Pour en comprendre l'origine, un bref détour historique s'impose. Le fossé entre les
préceptes religieux et la raison trouve ses origines au VIIIe siècle, époque où le
mutazilisme, école de pensée rationaliste musulmane voit le jour.
Ce courant met au cœur de sa doctrine la raison (aql) et non l'imitation (naql)
comme source de législation. La théologie mutazilite se développe alors sur la logique et
le rationalisme, inspirés de la philosophie grecque, qu'elle cherche à combiner avec les
règles islamiques.
Autrement dit, ses partisans mettent ce qui relève du domaine religieux à l'épreuve du
rationnel, et n'adoptent que les enseignements qui s'y conforment. Or, l'orthodoxie
musulmane, incarnée par le courant de l'école acharite apparu au IXe siècle, est sans
équivoque: le texte religieux doit primer sur la raison; le droit est, selon les défenseurs de
cette thèse, d'inspiration exclusivement divine. De ce fait, seule une lecture littérale est
permise. Cette phase de l'histoire de l'islam a abrité de nombreuses polémiques et
courants de pensée divergents.
lusieurs siècles plus tard, le mutazilisme a été anéanti par les adeptes de l'école
P
hanbalite. Cette dernière a donné naissance à un nouveau courant de pensée religieux;
le Wahabisme, en référence à Mohammed Ibn Abdelwahab qui pactisera avec la famille
Saoud, à la fin du 18è siècle, pour la création du royaume d'Arabie Saoudite.
Depuis cette date, au gré des alliances tribales (ou des accords stratégiques), les
groupes radicaux adeptes d'un discours takfiriste et ambassadeurs d'un islam totalitaire
n'ont cessé de se multiplier. Et toute jurisprudence qui s'éloigne, un tant soit peu, du sens
premier des Hadiths ou des versets coraniques est unanimement décriée, qualifiée de
«Bida'a» (innovation, égarement par rapport aux textes fondamentaux), et condamnée.
Une pensée religieuse figée dans le temps
'approche wahhabite actuelle ne fait que perpétuer les modèles du passé plutôt que de
L
se tourner vers l'avenir. Comme l'explique l'écrivain et islamologue syrien Muhammad
Shahrour, «cette culture induit un important déséquilibre par rapport à deux notions clés:
la liberté - la valeur la plus importante qui soit - et la justice. Toutes les grandes
révolutions de l'histoire universelle se sont faites au nom de ces deux valeurs.» our l'auteur, «ces deux notions sont également présentes dans les textes de notre
P
histoire arabo-musulmane, à commencer par le Coran. Mais il convient d'examiner
comment ces deux valeurs ont été mises en œuvre dans la réalité. La conscience
collective arabo-musulmane a toujours valorisé, jusqu'à aujourd'hui, la notion de justice et
s'est désintéressée de celle de liberté».
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Les libertés, parmi lesquelles figure la liberté d'expression, sont combattues corps et
âme par les fondamentalistes religieux.
t à l'ère des nouvelles technologies, la multiplication des canaux de transmission de la
E
pensée radicale et les outils mis en œuvre pour la diffusion de la propagande
idéologique, contribuent à alimenter la surenchère djihadiste, ou du moins, la permissivité
voire la sympathie avec les actes terroristes perpétrés au nom de l'intégrité de la religion.
Bien évidemment, il ne faut pas amalgamer. Tous les musulmans ne justifient pas les
attaques menées contre les journalistes de Charlie Hebdo, mais il faut être conscient
d'une chose: s'obstiner à dire que l'islam est une religion qui ne prône que la paix et
le vivre-ensemble, c'est entretenir un cache-misère dans lequel les mouvements
radicaux trouvent leur terreau.
es fondamentalistes religieux obéissent à une obédience différente d'une seule et
L
même religion. Aujourd'hui, il est évident que pour redonner vie à un islam éclairé, rationaliste et
humain, les musulmans n'ont d'autres choix que de tourner la page du
fondamentalisme religieux, incarné par l'islam wahhabite rampant. Et de n'adopter,
dans la pratique quotidienne, que les textes religieux qui ne défient ni la raison, ni le bon
sens. Et d'adapter leurs législations à cela, ainsi que les discours des médias officiels.
Barrer donc la route, par la législation, par les lois 'posées', par le droit positif, par les
programmes scolaires, par les médias officiels, par ceux qui gèrent le champ religieux, et
définitivement, à toutes les interprétations qui cherchent à mettre en œuvre
un corpus violent qui correspond à une époque révolue.
Cette approche n'est pas contraire aux enseignements religieux. Au contraire. En
effet, le deuxième calife islamique Omar Ibn Alkhattab avait décrété, lors d'une année de
maigres moissons, la suspension de l'application du châtiment corporel à l'encontre des
voleurs. Cette sentence est pourtant tirée du coran, mais le contexte dans lequel était
plongée la péninsule arabique imposait à l'ancien compagnon du prophète d'outrepasser
la règle coranique. Si ce changement s'est passé quelques années à peine après la mort
du Prophète, comment peut-on soutenir, 14 siècles après l'apparition de l'islam, l'idée
saugrenue d'une vie calquée sur le modèle de l'époque?... les plus effrontés diront que
les mentalités n'ont pas évolué depuis. Les plus osés en feront une caricature.
t si le titre de cet article vous a interpelés ou choqués, faites en sorte que ce genre de
E
questions ne puissent plus jamais être posées, en barrant définitivement la route à
toputes les interprétations violentes et perverties de l'Islam. Car ça, c'est notre
responsabilité à tous.
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