Théories Linguistiques et Syntaxe du Français LG017, 2e semestre 2002-2003
Nora Boneh, norab@mail.com Université Paris 7
http://lg017.free.fr
1
La syntaxe des verbes psychologiques
1. Bibliographie
Belletti, A. & Rizzi, L. 1988. Psych-verbs and -Theory. Natrual Language and Linguistic Theory
6. Kluwer.
Ruwet, N. 1993. Les verbes dits psychologiques : trois théories et quelques questions.
Recherches Linguistiques 22. Presses Universitaires de Vincennes.
2. Présentation
Les verbes psychologiques se divisent en trois classes selon la distribution de
l’argument porteur du rôle thématique Sujet d’Expérience (Experiencer) :
Iaimer, haïr, craindre, respecter, admirer, mépriser, envier
II amuser, dégoûter, effrayer, impressionner, préoccuper, surprendre
III plaire, déplaire, répugner
(1) a. JeanEXPR aime Marie
b. JeanEXPR déteste Marie
(2) a. Le spectacle amuse JeanEXPR
b. Le plat dégoûte MarieEXPR
c. Le son de la cloche a effrayé les enfantsEXPR
d. L’histoire préoccupe JeanEXPR
(3) a. Le gâteau plait àJeanEXPR
b. Ce travail déplait àMarieEXPR
3. Le problème
Les verbes psychologiques assignant des rôles thématiques Sujet d’Expérience
qui subit un état mental et Thème l’objet de l’état mental, il n’est pas claire
pourquoi les arguments porteurs de ces rôles sont projetés dans des positions
différentes dans les trois structures (1)-(3).
Pour comparer, on ne trouve pas cela dans les autres constructions verbales, où
l’argument ayant le rôle d’Agent occupe en position de surface tantôt la position
du sujet, tantôt celle de l’objet (direct ou indirect) :
(4) a. Marie écrit la lettre
b. *La lettre V Marie
c. *La lettre V àMarie
Théories Linguistiques et Syntaxe du Français LG017, 2e semestre 2002-2003
Nora Boneh, norab@mail.com Université Paris 7
http://lg017.free.fr
2
4. L’analyse de Belletti & Rizzi (1988)
Deux configurations pour rendre compte des trois classes des verbes
psychologiques :
(5) V’’ Classe I
ei
Expr V’
ei
Thème
(6) V’’ Classes II et III
g
V’
ei
V’ ExprACC/DAT
ei
Thème
En (5), le Thème demeure dans sa position de génération, le Sujet d’Expérience
se déplace en SpecI’’.
En (6), le Thème se déplace vers la position du spécificateur de I’’ (pour y
recevoir le cas nominatif). Le Sujet d’Expérience demeure dans sa position de
génération, où il reçoit un cas accusatif (classe II) ou datif (classe III).
Le point commun : le Thème est toujours projeté dans la position du complément
de V°.
4.1 Arguments en faveur de la génération du sujet de surface en (2) dans la
position du complément de V°.
Belletti & Rizzi apportent des arguments qui marchent pour l’italien, où le sujet de
surface dans des phrases comme en (2) se comporte comme le sujet des verbes
passifs ou inaccusatifs, et cela contrairement au sujet de surface dans les
structure de type (1). Un grand nombre de ces arguments ne s’appliquent pas
pour le français. Par exemple, en italien la phrase équivalente à (8b) n’est pas
grammaticale, ce qui montre que l’argument le plat n’est pas un argument
externe (projeté dans la position du spécificateur de V’’) :
(7) a. Jean aime Marie
b. Marie a été aimé par Jean
(8) a. Le plat dégoûte Marie
b. Marie a été dégoûté par le plat
Théories Linguistiques et Syntaxe du Français LG017, 2e semestre 2002-2003
Nora Boneh, norab@mail.com Université Paris 7
http://lg017.free.fr
3
Un des seuls tests en français qui montrent que le sujet de surface dans la
classe II provient d’une position de sœur de V° est le suivant :
(9) a. [Ces rumeurs sur luij]iont préoccupé tiJeanj
b. *[Ces rumeurs sur luij]iont décrit tiJeanj
Selon le Principe A de la Théorie du Liage, une anaphore doit être liée dans son
domaine. La bonne formation de (9a) est expliquée par le fait que le Sujet
d’Expérience,Jean,lie l’anaphore lui (en structure profonde) – selon le schéma
en (6), Expr c-commande le Thème. En revanche, en (9b), l’argument ces
rumeurs sur lui provient d’une position qui c-commande l’argument Jean,donc
l’anaphore n’est pas liée (en structure profonde).
La différence provient du fait que le verbe décrire sélectionne un argument
externe (ces rumeurs sur lui)et un argument interne (Jean), tandis qu’un verbe
comme préoccuper est supposé (selon Belletti & Rizzi, au moins) sélectionner
deux arguments internes (6).
4.2 La différence entre les verbes des classes II et III
Selon Belletti & Rizzi, la différence se résume au cas inhérent1qu’assigne V° au
Sujet d’Expérience :l’accusatif pour les verbes de la classe II, et le datif pour le
verbes de la classe III (manifesté par la préposition à).
L’idée est que les verbes psychologiques des classes II et III, qui n’ont pas
d’argument externe (le spécificateur de V’’ n’est pas projeté) n’assignent pas de
cas accusatif structural2.
Àdéfaut de cas accusatif structural,l’argument Thème se déplace dans la
position du spécificateur de I’’ pour y recevoir le cas nominatif (on peut exclure
ainsi des constructions comme « *ilEXPL préoccupe cela Jean »)
5. La critique de Ruwet (1993) envers Belletti & Rizzi (1988)
5.1 L’analyse de B&R ne prend pas en compte le fait qu’un certain nombre de
verbes de la classe II dérivent historiquement des verbes d’action (tourmenter,
frapper, torturer…), et projettent des rôles thématiques différents :
(10) a. JeanAGENT frappe sur la tableTHEME
b. [Le récit d’un fait]THEME frappe [les gens]EXPR plus que son
spectacle
L’argument Thème en (10a) n’occupe pas la même position que l’argument
Thème en (10b).
1Le cas inhérent est un cas qui est spécifié déjà dans le Lexique, de la même manière que les
prépositions sélectionnées par les différents verbes le sont ; par exemple, le verbe rêver qui
sélectionne la préposition àou la préposition de,mais non pas la préposition sur.
2La même corrélation entre la présence de l’argument externe est l’assignation du cas accusatif
structural se rencontre avec les verbes passifs et inaccusatifs : dans ces cas, l’argument externe
n’est pas projeté ou est absent, et V° n’assigne pas de cas accusatif structural à l’argument qui
se trouve dans la position de complément de V°.
Théories Linguistiques et Syntaxe du Français LG017, 2e semestre 2002-2003
Nora Boneh, norab@mail.com Université Paris 7
http://lg017.free.fr
4
5.2 L’analyse de B&R ne prend pas en compte les verbes psychologiques
intransitifs tels que :
(11) a. Jean languit/jubile
b. Marie craque/décompresse
Les verbes psychologiques pronominaux :
(12) a. Jean s’amuse (d’un rien)
b. Paul s’ennuie (de Paris)
c. Marie s’étonne (de la silence de Pierre)
d. Isabelle s’intéresse à cette théorie
Les verbes psychologiques intransitifs qui ont aussi une version transitive :
(13) a. La perspective de passer cet examen angoisse Jean
b. Jean angoisse (à la perspective de passer cet examen)
(14) a. Ce tremblement de terre a paniqué Jean
b. Jean a paniqué
(15) a. Ces grèves dépriment le Premier ministre
b. Le Premier ministre déprime
5.3 Le contexte des constructions dites inaliénables (16) permet de soulever des
asymétries non-attendues entre les trois classes :
(16) a. Jean lui a cassé le bras
b. Marie lui a caressé le bras
Les verbes des classes I et III n’admettent pas ce type de construction :
(17) a. Jean admire son visage Classe I
b. *Jean lui admire le visage
(18) a. Cette idée plait à son esprit Classe III
b. *Cette idée lui plait à l’esprit
Mais, les verbes de la classe II semblent admettre plus facilement cette
structure :
(19) a. Ses lectures lui ont troublé l’esprit
b. Cette bonne nouvelle leur réjouit le cœur
Cela pose un problème à la proposition de B&R que les verbes des classes II et
III partagent la même structure profonde (6).
Théories Linguistiques et Syntaxe du Français LG017, 2e semestre 2002-2003
Nora Boneh, norab@mail.com Université Paris 7
http://lg017.free.fr
5
5.4 B&R font injustice à la classe II en la traitant comme homogène.
6. La critique de Ruwet (1993) envers Pesetsky 1990/1992
6.1 La proposition de Pesetsky (1990/1992)
Pesetsky propose d’affiner le coté sémantique de l’analyse des verbes
psychologiques. Il suggère que ce ne soit pas un rôle thématique de Thème qui
est impliqué mais trois rôles différents : Cause, Cible (Target), Contenu (Subject
Matter) :
(20) a. The articleCAUSE in the Times angered Bill greatly
‘L’article du Times enragea Bill grandement‘
b. Bill was very angry at the articleCIBLE in the Times
‘Bill était très furieux contre l’article du Times
Avec le rôle de Cause,Bill ne doit pas lire l’article du Times pour être enragé ; ce
n’est pas le cas en (20b), où c’est le contenu de l’article qui enrage Bill.
(21) a. John worried about the television setCONTENU
‘John se tracassait à propos de l’appareil de télévision’
b. The television setCAUSE worried John
‘L’appareil de télévision tracassait John’
Il est assez naturel d’attribuer le rôle de Cause à l’objet de l’émotion ou de l’état
psychologique dans lequel se trouve le Sujet d’Expérience :
(22) a. Cette idée fait marrer Paul
b. Ce travail fait peur à Paul
Japonais :
(23) a. Tanaka-ga sono sirase-o kanasim-da
tanaka-NOM cette nouvelle-ACC être-triste-passé
‘Tanaka était triste de cette nouvelle’
b. Sono sirase-ga Tanaka-o kanasim-ase-ta
cette nouvelle-NOM Tanaka-ACC être-triste-CAUSE-passé
‘Cette nouvelle attristait Tanaka’
L’avantage de la proposition de Pesetsky est qu’en concevant l’objet de l’émotion
comme une Cause,cet argument peut être projeté dans une position externe3,
contrairement au schéma (6) proposé par B&R. De cette manière on peut
expliquer pourquoi en français le « Thème » ne se comporte pas comme un
argument interne (voir la discussion en 4.1).
3on suppose une hiérarchie entre les rôle thématiques qui se réflète aussi dans les positions que
les arguments occupent : Cause > Agent > Sujet d’Expérience > Thème > But.
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !