4
"
Par
la
suite
nul ne doit s’étonner de ce que cette reine des sciences qui nous est venue sous le nom de philosophie
première
et
qu’Aristote
a
souvent
appelée science désirée, recherchée (ζητούµένη), demeure aujourd’hui au nombre
des sciences à rechercher encore." (Leibniz
18
)
Le constat leibnizien sera réitéré par Kant :
" Jusqu’ici il n’y a pas de philosophie que l’on puisse apprendre ; car où est-elle ? Qui l’a en sa possession,
et à quel caractère la reconnaître ? On ne peut qu’apprendre à philosopher ".
Et que dire aujourd’hui où la discipline philosophique souffre du plus grand des éparpillements ou
morcellements tant des matières envisagées (épistémologie, philosophie politique, esthétique etc. …),
des écoles (matérialisme, idéalisme, scepticisme, déconstructionnisme, empirisme logique, etc. …),
que des maîtres dont on se réclame (Kant, Hegel, Nietzsche, Heidegger, Wittgenstein etc. …) ?
"
Il n’est pas à vrai dire possible de retenir dès maintenant les noms des philosophes modernes considérés comme
remarquables
et
durables,
car
ici
tout
est
pour
ainsi
dire
mouvant.
Ce que l’un construit, l’autre le jette à bas." (idem)
Plutôt que de continuer à se bercer de l’illusion d’une Vérité métaphysique absolue, ne resterait qu’à
se résigner à en abandonner définitivement le projet ou le questionnement, et à apprendre, avec
l’empirisme, le positivisme et/ou le scepticisme, à se contenter des seules interrogations et lois :
vérités-vraisemblances scientifiques et/ou des espérances morales ou religieuses.
Une telle éventualité est cependant exclue, le philosopher étant, nous l’avons dit, consubstantiel à
l’homme et lié à l’insuffisance du savoir scientifique et du sentiment religieux.
" La métaphysique est une connaissance rationnelle spéculative tout à fait à part, qui s’élève entièrement
au-dessus des leçons de l’expérience, en ne s’appuyant que sur de simples concepts (et non en appliquant comme
les mathématiques ces concepts à l’intuition), et où, par conséquent, la raison doit être son propre élève.
Cette
connaissance
n’a pas encore été assez favorisée du sort pour pouvoir entrer dans le sûr chemin de la science,
et pourtant elle est plus vieille que toutes les autres sciences, et elle subsisterait toujours, alors même que
celles-ci disparaîtraient toutes ensemble dans le gouffre d’une barbarie dévastatrice." (idem)
Alors force est de reposer une dernière fois la question de la possibilité du Discours philosophique,
c’est-à-dire du Savoir absolu, soit de l’accès par l’Homme à la Vérité.
Qu’est-ce que l’Absolu / la Sagesse ou la Vérité ? Sont-ils seulement accessibles à l’Homme ?
" Une métaphysique est-elle possible ? " (idem
19
)
Ou devrait-on se résoudre à n’en rien pouvoir «dire» et laisser chacun se prononcer dessus à sa guise,
sans la moindre possibilité d’arbitrer entre des opinions différentes ?
"
La
tâche
que
le
philosophe
s’impose,
le
but
de
sa
vie
en
tant
que
philosophe,
c’est
une science universelle du monde,
un savoir universel, valable de façon ultime, l’universum des vérités en-soi du monde, du monde en-soi.
Qu’en est-il de ce but et de son accessibilité ? " (Husserl
20
)
Bref : la Philosophie existe-t-elle autrement qu’en intention et peut-elle dépasser son nom d’amour
du savoir, pour devenir savoir réel / véritable, comme n’ont cessé de le proclamer les philosophes,
du passé comme du « présent » ?
" Contribuer à rapprocher la philosophie de la forme de la science – pour qu’elle puisse déposer son nom
d’amour du savoir et devenir savoir effectif – c’est là ce que je me suis proposé." (Hegel
21
)
En d'autres termes : le Langage ou le Savoir (philosophique) peut-il se réfléchir totalement lui-même ?
Question à la fois banale ou générale car elle intéresse tout un chacun, nul n’échappant aux
interrogations métaphysiques, et fondamentale ou radicale : d’elle dépend notre « sort » même
d’animal pensant ou « sage ».
" Une vie à laquelle l’examen fait défaut ne mérite pas qu’on la vive " (Platon).
" Mais existe-t-il meilleure récompense que le savoir ?" (Aristote)
" Or, c’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher " (Descartes)
22
.
18
De la réforme de la philo. première et de la notion de substance p. 323 ; cf. égal. N.E. IV. VIII. § 9 p. 381
19
C.R.P. Méthod. tr. chap. III. p. 625 ; Log. Introd. IV p. 34 (cf. égal. Prolég. § 4 p. 27 ; Sol. qu. g
ale
p. 162
et Leç. 1765-6 in O. ph. I. p. 515) ; C.R.P. Préf. 2
nde
éd. pp. 40-41 (cf. égal. Méthod. transc. chap. III. p 627 ;
Prolég. Sol. question g
ale
p. 160) et Prolég. Question g
ale
p. 27
20
La Crise des sc. europ. et la phén. transc. III. B. 73. p. 298 ; cf. égal. Log. for. et log. transc. § 80 p. 270
21
Phén. E. Préface I p. 21 ; cf. égal. Husserl, La philosophie comme science rigoureuse
22
Platon, A.S. 38a, Aristote, Probl. XXX 11 et Descartes, P.P. Let.-Préf. p. 558 ; vide Cours Introd. g
ale
2. p. 21