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identité à construire, faite de renoncements et d’adhésions, et 
qui suppose que nous nous connaissions mieux les uns et les 
autres, et que nous nous connaissions mieux aussi nous-mêmes 
à travers le regard des autres – ce qui sonne déjà comme une 
vocation pour le Théâtre de l’Europe. 
Si le théâtre européen, avec toutes ses traditions et ses racines 
diverses, donne pourtant l’image d’un ensemble cohérent et 
ouvert – comme on l’a éprouvé à l’Odéon depuis Giorgio Strehler 
jusqu’à Luc Bondy en passant par Lluís Pasqual, Georges 
Lavaudant et Olivier Py –, c’est bien le signe que nous partageons 
en Europe une histoire, des valeurs, des modes de vie, qui valent 
bien que l’on se batte pour que cet espace transnational perdure 
et continue de garantir paix et dialogues entre nous. N’est-ce 
pas enthousiasmant de voir, d’un pays à l’autre, les spectateurs 
non seulement curieux mais réellement réceptifs aux esthétiques 
les plus variées, et les artistes heureux de subir les influences 
des autres au point de penser que le métissage peut être source 
d’une explosion de leur singularité ?
*
Depuis la fondation du Théâtre de l’Europe et déjà même avant, 
du temps du « Théâtre des Nations », l’Odéon a joué un rôle 
déterminant et pour ainsi dire militant dans la défense d’une 
certaine Europe culturelle. Une Europe toujours ancrée dans 
son héritage de valeurs issues pour une grande part des idéaux 
des Lumières et de la Révolution Française, etqui continue de 
considérer comme un socle la liberté de penser et de croire  
– mais une Europe aujourd’hui « traversée » par un présent qui 
l’oblige à questionner sa place dans le monde, à se repenser, 
et peut-être à se dépasser. Le Théâtre de l’Europe doit être 
plus que jamais ouvert sur le reste dumonde. Certains artistes 
d’Amérique latine, par exemple, travaillant souvent avec peu 
de moyens mais avec l’urgence d’une nécessité stimulante, et 
tissant un dialogue continu avec l’histoire du théâtre européen, 
ou d’autres du Moyen-Orient ou d’Afrique qui tentent de saisir la 
réalité mouvante de leurs pays aux frontières de l’Europe, doivent 
nous intéresser au même titre que les grands maîtres du théâtre 
européen – et nous décentrer. 
Les artistes sont particulièrement sensibles à ces mouvements 
de l’histoire où tanguent les certitudes et les identités, et c’est 
leur rôle de partager – sensiblement – leurs interrogations, leurs 
doutes, leurs visions et leurs émotions face à ce qui arrive au 
présent. Quiconque est retourné au théâtre dans les jours qui 
ont suivi les attaques terroristes du 13 novembre a pu éprouver 
la force que peuvent donner ce partage sensible et le fait de 
vivre ensemble –tout en les ressentant selon nos différences – 
ces moments particulièrement vifs. Le théâtre n’est sans doute 
pas là pour donner des réponses à tout, mais il nous permet 
de mettre en commun des expériences et des vacillements, 
et d’éprouver comme une richesse et comme une précieuse 
dynamique cette diversité émotionnelle qui tisse une société à 
la fois une et multiple –et rien que cela peut donner de la force 
et de l’espoir, et du bonheur aux spectateurs.
Nous partageons une Europe traversée par les mêmes questions : 
la planète, la croissance, la peur de l’avenir, les replis nationalistes, 
la xénophobie et les haines intercommunautaires, le terrorisme… 
À quoi ressemblera ce monde que nous préparons pour les 
générations futures ? Parce qu’ils sont les premiers concernés, 
les jeunes artistes sont ceux qui ressentent ces questions avec 
le plus d’acuité, sans pour autant qu’il s’agisse là de questions 
générationnelles. Au contraire elles nous concernent tous, et 
nous avons profondément besoin de regarder le monde à travers 
les yeux de ces jeunes gens.
 
*
Dans tous les théâtres que j’ai dirigés, je n’ai eu de cesse de vouloir 
croiser les regards et de confronter les générations. Bien sûr le 
Théâtre de l’Europe doit continuer de présenter les spectacles des 
grandes signatures du théâtre européen. Ce sera le cas cette saison 
avec Ivo van Hove, Krystian Lupa, Georges Lavaudant, Deborah 
Warner et Thomas Ostermeier. Mais il doit aussi s’ouvrir à toute 
une nouvelle génération de femmes et d’hommes, qui sont déjà 
pour certains les metteur(e)s en scène et les auteur(e)s les plus 
intéressant(e)s d’aujourd’hui. Les Italiens Daria Deflorian et Antonio 
Tagliarini présenteront ainsi pour la première fois deux spectacles 
au Théâtre de l’Europe. J’ai aussi souhaité que l’Odéon puisse 
s’associer avec quatre artistes de cette nouvelle génération que 
nous retrouverons de saison en saison. Dès novembre, vous pourrez 
découvrir une installation-performance lointainement inspirée de 
Macbeth de la Brésilienne Christiane Jatahy, et en juin une Médée 
d’Euripide revisitée par l’Australien Simon Stone. Ils créeront la 
saison suivante des spectacles en français, aux côtés de Caroline 
Guiela Nguyen et Sylvain Creuzevault, également associés.