supériorité et de se réjouir de l’innutrition rendue possible par l’interdisciplinarité. Mais cela
ne va pas de soi : à titre d’exemple, l’analyse réflexive sur la philosophie elle-même dévoile les
réticences encore fortes à entendre ce que la sociologie ou l’histoire peuvent avoir à dire sur
l’activité philosophique.
(2) Problème de l’unité : quel critère commun trouvera-t-on pour se reconnaître entre
philosophes ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici : non plus trouver les signes distinctifs par
rapport à un « autre », mais détecter les signes de ralliement dans l’entre soi. Ce second critère
du propre est passionnant en ce qu’il mène vers le territoire de la lutte pour la définition légitime
de la philosophie — qui permet entre autres d’exclure ceux qui ne la satisferaient pas.
Chercher le propre de la philosophie, c’est toujours constituer le filtre qui sélectionnera
les prétendants à philosopher. Par exemple, si je considère que l’usage de la raison appartient à
toutes les productions philosophiques, j’exclurai les philosophies irrationalistes (des mystiques
à Heidegger ou Sartre, souligne ainsi Granger dans son « Que-sais-je ? » sur La Raison) ; si je
considère que suivre les règles logiques est le minimum commun à tous les philosophes,
j’exclurai Hegel dont la dialectique est une aberration logique (puisque de la contradiction
s’ensuit n’importe quoi, insiste Vidal-Rosset dans Qu’est-ce qu’un paradoxe ?) ; si je considère
que tous les philosophes proposent une vision du monde, un système cohérent d’explication du
monde, je bouderai l’ultra-spécialisation et les querelles tatillonnes de la philosophie analytique
et leur refuserai le statut de philosophie véritable. Etc.
Cette deuxième dimension du propre met en avant non plus la stratégie de
positionnement de la philosophie dans le champ du savoir (politique extérieure), mais les
tactiques de pouvoir au sein de la philosophie pour légiférer sur les bons usages et les bonnes
manières (politique intérieure). Faut-il alors refuser de répondre de ce deuxième critère qui
conduit inévitablement à des rapports de force ? Si par « philosophe » il faut entendre un nom
prestigieux auquel certains s’accrochent par « effet de titre », on pourrait être tenté par le geste
plein d’humour de Fichte : « Si l’on ne veut à aucun prix sacrifier le cher nom de philosophie, ou
la réputation d’être un esprit philosophique, un juriste philosophe, un historien philosophe, un
écrivain philosophe, etc., pour nous, qu’il nous soit seulement permis, de par le droit à la liberté,
de ne pas nous engager dans la voie des philosophes ».
(3) Problème de l’homogénéité : peut-on trouver un invariant historique dans la
tradition philosophique ? Appliquer à la recherche du propre d’une discipline, ce troisième critère
revient à produire l’argument de la coutume : « voilà ce que les philosophes ont toujours fait ».
On cherche alors une cohérence transhistorique. En effet, comment revendiquer un propre de
la philosophie si ce dernier ne l’a pas toujours accompagnée par-delà ses atermoiements et ses
métamorphoses ?
Ce dernier critère nous mène du côté de la dimension pratique de la philosophie :
est philosophique l’activité de la pensée qui fonctionne comme exercice sur soi, essai de soi,
transformation de soi. Hadot, Foucault ou Shusterman, par-delà leurs différences, ont contribué
à remettre sur le devant de la scène la nature proprement éthique de la philosophie. Comme