Sphère financière contre économie réelle. Le cas de la crise

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iuédgenève
institut universitaire
graduate institute
d’études du développement
of development studies
Itinéraires
Sphère financière
contre économie réelle
Sculpture en céramique et photos de Claude Albana Presset, Rivière, 2004.
Le cas de la crise financière thaïlandaise
Olivier CASSARD
Etudes du développement no 14
ITINÉRAIRES
Etudes du développement
nº 14
SPHÈRE FINANCIÈRE
CONTRE ÉCONOMIE RÉELLE
Le cas de la crise financière thaïlandaise
Olivier CASSARD
© IUED, juin 2001
FS 12.–
INSTITUT UNIVERSITAIRE D’ÉTUDES DU DÉVELOPPEMENT
Service des publications
Case postale 136 – CH-1211 GENÈVE 21
www.iued.unige.ch – [email protected]
Mémoire de diplôme d’études supérieures (DES), présenté en juin 2000
Directeur de mémoire : Christian COMELIAU
Jury : Jean-Luc MAURER
Avertissement
L’auteur tient à préciser que la dernière version de ce travail date de l’automne 2000.
Les éventuels développements sociaux de la crise qui se sont produits en Thaïlande
depuis lors n’ont pas été pris en compte dans ce texte.
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE
7
AVANT-PROPOS
9
INTRODUCTION
Présentation et critique des concepts de mondialisation financière
et de libéralisation financière
13
La mondialisation financière
Présentation
Définition et genèse
Les dangers de la mondialisation financière
Pour un avenir financier plus stable
13
13
13
14
15
La libéralisation financière
Présentation et définition
Critique
19
19
20
PREMIÈRE PARTIE – Le financier :
crise de la mondialisation financière ou crise du capitalisme asiatique ?
23
CHAPITRE I – Evolution et mutation du système financier thaïlandais
25
De 1972 à 1986
Un système financier dominé par les banques commerciales et contrôlé par l’Etat
Crises et recherche de la stabilité financière
La réforme tranquille
25
25
27
28
De 1987 à 1996
Cadre général
L’acceptation des obligations de l’article VIII des statuts du FMI
L’établissement des Bangkok International Banking Facilities (BIBF)
29
29
30
31
CHAPITRE II – La crise financière thaïlandaise
37
Une crise « contagieuse »
37
Une crise de la mondialisation et de la libéralisation financière
39
Le FMI : diagnostic et remèdes
Un diagnostic sans surprise
Des remèdes habituels
Des critiques virulentes
42
42
43
44
Vers une réforme du système monétaire et financier international ?
45
SECONDE PARTIE – Le réel :
l’impact de la crise financière sur la société thaïlandaise
51
CHAPITRE III – Les mécanismes de transmission de la crise
ou lorsque le financier se marie au réel pour le pire
53
CHAPITRE IV – Les déterminants de la pauvreté
59
L’impact de la crise sur l’emploi
L’impact de la crise sur les revenus
L’impact de la crise sur les prix
59
62
64
5
CHAPITRE V – Le naufrage des secteurs sociaux
67
L’éducation
La santé
67
68
CHAPITRE VI – La croissance des inégalités sociales
71
L’impact de la crise en fonction du niveau d’éducation
L’impact de la crise en fonction du genre
L’impact de la crise en fonction de l’âge
L’impact de la crise en fonction de la taille des ménages
L’impact de la crise en fonction de la division rural/urbain
71
71
72
73
73
CONCLUSION
75
BIBLIOGRAPHIE
79
6
PRÉFACE
Le concept de « mondialisation financière » (ou de « globalisation financière »)
est à la mode, mais il n’est pas sûr que les observateurs puissent se mettre entièrement
d’accord sur la signification, les composantes, et surtout les implications de ce concept.
Pour avoir abordé la crise asiatique de la fin des années 1990 dans cette
perspective, un triple mérite peut être reconnu au travail d’Olivier Cassard qu’on lira
ci-dessous : celui de s’être lancé audacieusement dans un domaine particulièrement
difficile et controversé ; celui d’avoir dépassé les généralités pour essayer d’analyser
concrètement les composantes et les conséquences de la mondialisation financière,
dans l’un des pays qui fut au cœur de la récente crise asiatique, à savoir la Thaïlande ;
celui enfin d’avoir identifié, et commencé à analyser, ce qui constitue peut-être l’une
des difficultés majeures de l’interprétation de cette crise, à savoir l’opposition entre la
sphère réelle et la sphére financière de l’économie, qui fournit le titre même de ce
mémoire.
L’entreprise était ambitieuse, certes, et donc elle demeure inévitablement
imparfaite, parce qu’elle ne propose encore qu’une vue d’ensemble très globale, parfois
même imprécise, et parce qu’elle laisse ouvertes d’innombrables questions.
Mais j’affirme que nous avons besoin de beaucoup de travaux « imparfaits » de
ce genre. Parce que au-delà des interprétations idéologiques ou journalistiques dont
nous avons été inondés, au-delà de l’insistance facile sur certains épisodes
spectaculaires, de tels travaux tentent, justement, de retrouver les questions
essentielles : quels sont les avantages et les coûts de la libéralisation financière ? Dans
quelle mesure les structures économiques et financières d’un pays tel que la Thaïlande
étaient-elles capables de supporter de telles pressions de l’économie mondiale ?
Comment s’articulent ces caractéristiques nationales internes et ces pressions
internationales, celles des organisations financières multilatérales en particulier, et
comment se diffusent-elles d’un pays à l’autre ? Quelles sont, surtout, les conséquences
majeures de pareilles crises, non seulement en termes de macroéconomie mondiale,
mais surtout en ce qui concerne « les gens » – éternels oubliés des gestionnaires du
développement –, les groupes sociaux, leurs conditions de vie, leurs perspectives de
progrès social ?
Ce devrait être le rôle – et la fierté – de l’IUED de rassembler de multiples pierres
telles que celle-ci, pour permettre peu à peu la construction d’une conception plus
humaine du développement.
Christian COMELIAU
Professeur à l'IUED
7
8
AVANT-PROPOS
« Economique, politique, idéologique, stratégique, la première crise sérieuse de
l’après-communisme semble remettre en cause, mais cette fois à l’échelle planétaire,
l’ensemble des postulats assénés depuis dix ans en guise de modernité. Marchés,
ouverture, mobilité, transparence, instantanéité, commerce : toutes ces valeurs
inculquées par un gigantesque dispositif éducatif et médiatique sont battues en
brèche. » C’est en ces termes que Serge Halimi1 nous décrit les implications globales de
la crise financière en Asie. Force est de constater que l’exaltation des vertus du
libéralisme et de son lot de déréglementations déversées tel un raz-de-marée par les
organisations internationales (FMI, Banque mondiale, OMC et OCDE), relayées à la
perfection par les gouvernements des grandes puissances industrielles et par les plus
puissants groupes de communication mondiaux, commence sérieusement à s’effriter.
De l’aveu même du directeur du World Economic Forum, Claude Smadja, « il est
désormais nécessaire d’établir des réglementations si l’on veut répondre à la
globalisation »2. Honni hier par les libéraux, le contrôle du mouvement des capitaux
paraît être aujourd’hui un instrument utile pour contenir les flux spéculatifs en
régulant leurs entrée et sortie d’un pays. Plus généralement, de l’avis de nombreux
observateurs, une réforme en profondeur du système monétaire international est
devenue indispensable.
Mais comment en est-on arrivé là ? Depuis une vingtaine d’années, on assiste à
un nombre croissant de crises financières à travers le monde, touchant principalement
les régions des pays en voie de développement3. La dernière en date, probablement la
plus spectaculaire et la pire 4, éclata le 2 juillet 1997 en Thaïlande et se propagea
rapidement à l’ensemble de la région du Sud-Est asiatique avec les conséquences
économiques et sociales que l’on sait. Elle plongea une région entière dans une zone de
très fortes turbulences et de récession économique sans précédent. De nombreuses voix
s’élevèrent alors pour contester la dérive spéculative d’un système financier
international « victime » de sa croissance vertigineuse.
Néanmoins, au-delà de cette contestation qui, en dépit des apparences, reste
fragile, l’irréversibilité de certains aspects de ce processus de mondialisation et de
libéralisation financière semble inéluctable, sans vouloir faire preuve de fatalisme
économiste pour faire apparaître cette évolution comme une nécessité naturelle.
Cependant, au préalable, sans doute n’est-il pas inutile, afin de bien
comprendre le contexte actuel, de préciser et de définir dans notre introduction les
concepts de mondialisation financière et de libéralisation financière puis, dans la
première partie de notre travail, leurs implications. Il s’agit, entre autres, de remonter
aux premières tentatives d’une littérature économique dans les années 70, qui, d’une
part, souligna l’importance du système financier dans le développement d’un pays et,
d’autre part, l’intérêt de ce système à être libéralisé afin de soutenir de manière plus
efficace l’évolution économique du pays en question à travers une croissance plus
rapide.
1
HALIMI S., « Les naufrages des dogmes libéraux », Le Monde diplomatique, octobre 1998, p. 1.
2
La Tribune de Genève, 28 janvier 1999, p. 3.
3
Uruguay, Argentine, Chili, Mexique, Asie du Sud-Est, Russie... mais aussi choc boursier de 1987, crise
du SME en 1992-1993.
4
« Nous vivons la pire crise financière depuis un demi-siècle », affirmait le président américain Bill
Clinton en octobre 1998 lors de l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale.
9
Ensuite, il s’agira, dans la première partie du travail, d’étudier l’évolution du
système financier thaïlandais et d’analyser ces réformes. En d’autres mots, nous
analyserons les changements et les efforts effectués par le gouvernement thaïlandais
afin de libéraliser son système financier sous la pression internationale.
Cette analyse devrait nous permettre de remonter jusqu’à la crise financière qui
débuta en 1997. Nous étudierons les causes de cette crise en mettant en exergue les
risques et les dangers insensés d’une libéralisation financière trop rapide, soutenant
l’hypothèse qu’elle est en grande partie responsable du désastre qui en découla.
D’autre part, nous commenterons, dans le même chapitre, le rôle critiquable joué par le
Fonds monétaire international venu à la rescousse de la Thaïlande en imposant ses
« remèdes » habituels.
Enfin, nous démontrerons, dans la seconde partie du travail, les conséquences
sociales d’une telle crise. Notre constat, précédemment établi, ne fait que renforcer
l’idée selon laquelle cette succession de crises financières depuis une vingtaine
d’années provoque des dégâts irréparables dans le tissu social de nombreux pays. La
crise financière en Thaïlande est directement responsable de la crise sociale. Toujours
est-il que nous ne faisons que combattre les symptômes sans jamais nous attaquer aux
causes. Pour la seule Thaïlande, la Banque mondiale a évalué à 800’000 les pertes
d’emplois depuis le début de la crise. En Corée du Sud, le chômage grimpait à plus de
1 million de personnes, soit 4,5% de la population active, à comparer avec les 2,6% de
janvier 19975, alors qu’en Indonésie le chômage était passé de 2,5 millions au milieu de
l’année 1997 à 8 millions en février 1998. Ceux qui souffrent le plus d’une crise
financière, quelle qu’elle soit, ne sont pas les spéculateurs, ni les élites politiques, ni les
investisseurs des pays industrialisés : ce sont les populations de cadres et de
travailleurs du pays qui en subissent le véritable impact.
En résumé, ce travail doit nous fournir l’occasion de débattre plus largement
sur la nature hypertrophiée de la sphère financière pour tenter, d’une part, de mieux
comprendre ce secteur économique essentiellement basé sur une logique de
spéculation et, d’autre part, de mesurer tous les dangers inhérents à son caractère
fondamentalement instable. L’expression est sur toutes les lèvres : « économie
financière contre économie réelle ». Nous partageons ce point de vue à regret, la
première ne se subordonnant plus aux considérations de la réalité économique mais
s’adaptant uniquement aux anticipations des opérateurs boursiers et des impératifs de
stabilité monétaire des banques centrales. Mais comment expliquer ces développements
récents ? Où trouver, comment identifier les points d’impact, les engrenages qui relient sphère
financière et sphère réelle ?
La théorie se voulait rassurante et rationnelle : les cours devraient être ceux qui
ajustent les offres et les demandes de fonds et au-delà, reflètent les données de
l’économie réelle, surtout dans un monde de mieux en mieux relié par l’ordinateur et
les satellites. La réalité l’est moins aujourd’hui. Le déséquilibre semble consommé. Les
valeurs boursières ne reflètent plus les données de l’économie réelle. Les bourses
flambent, sublimées par les perspectives alléchantes de la « nouvelle économie »,
jusqu’à la prochaine « correction ». Pas grave, nous dit-on, il ne s’agit que
d’ajustements techniques et d’appréciations différentes des acteurs financiers sur
l’avenir de la « nouvelle économie ». Aucun souci à se faire. Certes, mais comment
peut-on encore sérieusement nous parler de rationalité et nous rassurer en matière
d’anticipation et de prévision boursière puisque tout le problème réside pour chaque
opérateur dans la question de savoir justement comment les autres intervenants vont
se positionner ? On aboutit à une cascade d’anticipations croisées du style « je pense
qu’ils pensent que je pense qu’ils pensent », qui ne se caractérise que par une
5
10
« South Korea’s Production Tumbles, Unemployment Soars », Reuters, 27 février 1998.
incertitude radicale et un comportement mimétique. La succession de bulles
spéculatives n’est-elle pas le témoin de dérapages d’un monde financier mondialisé à
l’affût du moindre profit, mais tout sauf sécurisant et raisonnable ?
11
12
INTRODUCTION
Présentation et critique des concepts de mondialisation financière et de
libéralisation financière
Il nous est apparu indispensable, dans le cadre d’un travail de ce type, de faire en
guise d’introduction à la problématique générale quelques considérations et
clarifications terminologiques relatives à des concepts que nous allons souvent utiliser.
En plus de cette utilisation fréquente, il faut bien avouer qu’une certaine confusion
règne autour de ces concepts et qu’il est important de tenter, même modestement, de
bien démêler les différentes idées en la matière.
La mondialisation financière
Présentation
En premier lieu, il nous faut présenter, avec quelques chiffres à l’appui, le
concept de mondialisation financière pour pouvoir se rendre compte des enjeux
considérables du phénomène puisqu’il s’agit là d’un aspect fondamental du caractère
mondialisé de l’économie actuelle, comme l’affirme François Chesnais : « La sphère
financière représente en effet la pointe avancée du mouvement de mondialisation de
l’économie ; celle où les opérations du capital portent sur les montants les plus élevés ;
celle où sa mobilité est la plus grande ; celle où les intérêts privés paraissent avoir le
plus complètement repris l’initiative face aux Etats. » 6 Le rôle crucial que jouent les
fonds de pension et autres investisseurs institutionnels privés, acteurs récents sur la
scène de la finance internationale, ne fait que renforcer l’état de fait relaté par l’auteur
puisque ces institutions contrôlent la somme de 21’000 milliards de dollars, soit plus
que le produit national brut de tous les pays industrialisés réunis7. Les transactions sur
les marchés des changes étaient estimées, en 1997, à environ 1500 milliards de dollars
par jour, contre 18 milliards au début des années 70 et 200 milliards en 1986. Ces
sommes représentent plus de 50 fois le montant des échanges de biens et de services.
Cela ne fait que traduire un rapport de force qui tend à être de plus en plus
déséquilibré entre une sphère financière hypertrophiée, privée de toute régulation, qui
tend essentiellement à développer la spéculation comme principale méthode de profit
à court terme8, et une économie réelle impuissante, soumise. En d’autres mots, le
gonflement de la sphère financière n’a plus de rapport direct avec les échanges
internationaux et le financement de la production.
Définition et genèse
Il paraît essentiel de définir plus précisément ce concept et d’expliquer la genèse
de ce phénomène de financiarisation de l’économie. L’expression « mondialisation
financière » désigne « les interconnexions très étroites entre les systèmes monétaires et
les marchés financiers nationaux, qui ont résulté des mesures de libéralisation et de
6
CHESNAIS F. (dir.), La mondialisation financière. Genèse, coûts et enjeux, Syros, Paris, 1996, p. 10.
7
BANQUE DES REGLEMENTS INTERNATIONAUX, 68e rapport annuel, Bâle, juin 1998.
8
Cela au détriment d’investissements de nature productive à plus long terme.
13
déréglementation adoptées d’abord par les Etats-Unis et le Royaume-Uni entre 1979 et
1982, et par les autres principaux pays industrialisés dans les années suivantes. Le
décloisonnement externe et interne des systèmes nationaux, précédemment fermés et
compartimentés, a permis l’émergence d’un espace financier mondial » 9.
On doit remonter aux années 1960 pour constater les premières manifestations
du phénomène à travers la formation du marché des eurodollars, dans lequel furent
transférés les profits non rapatriés et non investis dans la production par les firmes
transnationales américaines. L’autre fait marquant de cette première phase fut la
désagrégation et la liquidation du système de Bretton Woods (1971) et l’abandon du
régime de taux de change fixe substitué par un système de taux de change flexible,
point de départ d’une instabilité monétaire chronique depuis lors.
La deuxième phase du processus marque une étape décisive dans l’avancement
d’une finance mondialisée sans frontières à la fin des années 70 et au début des années
80, avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher et de leur
« révolution conservatrice ». Dérégulation et libéralisation financière sont au
programme. C’est la fin du contrôle des mouvements de capitaux avec l’étranger dans
l’optique de libéraliser et de décloisonner les systèmes financiers nationaux.
La dernière phase débute avec le « big bang » de la City à Londres, en 1986, où
l’on assiste à la déréglementation des marchés des actions. Il est important de noter
également l’intégration des marchés obligataires et boursiers des pays émergents (Asie
du Sud-Est/Amérique du Sud) à partir du début des années 90. Cette période
coïncidera également avec l’intensification d’une série de chocs financiers qui
démarrera avec le krach boursier de Wall Street en 1987 pour aboutir finalement en
1997 à la plus grave crise financière de la seconde moitié du XXe siècle : la crise
financière asiatique et sa propagation en Russie (1998) et finalement au Brésil (1999).
Les dangers de la mondialisation financière
Sa définition et sa genèse brièvement rappelées, il s’agit maintenant de préciser
les risques inhérents liés au phénomène de la mondialisation financière. A notre avis,
cette globalisation a fortement fragilisé le système financier international qui semble
essentiellement caractérisé par une instabilité chronique ou « risque systémique »,
termes utilisés pour définir « des “chocs” sur les marchés financiers, entraînant des
changements imprévus dans les prix et les volumes sur les marchés de crédit ou
d’actifs, qui conduisent à des dangers de faillite de firmes financières, lesquels
menacent à leur tour de s’étendre de façon à disloquer les mécanismes de paiement
ainsi que la capacité du système financier à allouer du capital » 10. D’autres préfèrent
mettre l’accent sur l’hypertrophie et la complexité du système pour expliquer cette
« fragilité systémique » et parlent de « risque de système » comme l’« éventualité
qu’apparaissent des états économiques dans lesquels les réponses rationnelles des
agents individuels aux risques qu’ils perçoivent, loin de conduire à une meilleure
répartition des risques par diversification, amènent à élever l’insécurité générale » 11.
Même si, par définition, un système financier ne peut être qu’instable, cette
intensification globale des flux de capitaux n’a fait que renforcer ce phénomène.
L’exacerbation de cette instabilité financière internationale semble avoir pour origine
d’une part l’instabilité des changes et d’autre part la libéralisation des mouvements de
9
CHESNAIS F. (dir.), op. cit., p. 10.
10
DAVIS E.P., Debt, Financial Fragility and Systemic Risk, Clarendon Press, Oxford, 1992, p. 117.
11
AGLIETTA M., « Ordre et désordre, l’expression universelle du capital argent », Futur antérieur, nº 27,
L’Harmattan, Paris, 1995, p. 72.
14
capitaux. Avec l’effondrement du système de Bretton Woods, caractérisé par la fin de
la convertibilité du dollar en or en 1971 et 1a dévaluation du dollar en 1973, c’est la
porte ouverte à la spéculation et à la hausse des taux d’intérêt réel. Les transactions de
change qui s’élevaient à 1500 milliards par jour en 1997 sont principalement dues aux
réactions des traders en fonction des variations des taux de change nourrissant par là
même la spéculation. Cependant, le véritable point d’impact négatif avec l’économie réelle
réside dans le fait que cette instabilité des taux de change est l’une des causes majeures de la
hausse des taux d’intérêt réel car ceux-ci doivent désormais intégrer des primes de risque de
change. Cette hausse répercute ses effets négatifs dans toute l’économie en freinant les
investissements, en dissuadant les ménages de s’endetter pour consommer et en
creusant les déficits publics. L’instabilité des changes et par conséquent la hausse des
taux d’intérêt réel ont également beaucoup contribué à la situation d’affaiblissement
continu de la situation des salariés dans les pays industrialisés, comme le confirme J.-P.
Fitoussi : « Lorsque le taux d’intérêt réel passe durablement, disons de 0% à 5%, les
entreprises doivent, pour rester rentables, accroître leur marge de profit, mais elles ne
peuvent le faire qu’en réduisant la part de leurs recettes qu’elles consacraient au
paiement des salaires. [...] Cette déformation va engendrer, dans un premier temps,
une aggravation du chômage [...] La tentation est alors grande de baisser davantage les
salaires. » 12
La libéralisation des mouvements de capitaux va intervenir plus tard13 mais elle
n’en est pas moins génératrice d’instabilité. Il suffit de prendre l’exemple de la crise
financière asiatique pour s’en persuader. On estime, généralement, que la propagation
de la crise est principalement due à des mouvements de panique importants nourris
par les comportements grégaires des investisseurs. Il est certain que ces mouvements
ne se manifestaient pas au niveau international lorsque la circulation des capitaux était
sous contrôle alors qu’aujourd’hui, nous avons d’un côté des non-résidents qui
peuvent venir investir dans le pays et retirer leurs capitaux sans effort et d’un autre
côté des résidents qui peuvent investir à l’étranger, favorisant la fuite de capitaux. En
d’autres termes, la mobilité totale des capitaux encourage les comportements instables
des acteurs sur les marchés financiers et peut par conséquent déséquilibrer très
fortement l’économie des pays concernés par ces mouvements brusques de capitaux.
Pour un avenir financier plus stable
Si l’on admet sans peine l’impact social désastreux que peut avoir cette
instabilité financière lorsqu’elle débouche sur des crises, pourquoi ne pas tendre vers
une plus grande stabilité financière ? Cette stabilité n’est-elle pas un problème d’intérêt
général pour la collectivité mondiale au même titre que l’eau, l’alimentation, le sida,
etc. ? Une réponse affirmative ne fait aucun doute. Cependant, le problème est plus
compliqué qu’il n’y paraît.
Dans la continuation logique de cette interrogation, on peut également se
demander qui décide quoi et à quel niveau si l’on s’accorde pour défendre une plus
grande stabilité dans l’ordre financier mondial. Cependant, même si l’on défend ce
principe, il faut reconnaître que dans un monde où tout se globalise sauf la politique,
toute tentative politique de régulation de l’économie mondiale pour obtenir davantage
de stabilité reste un objectif délicat tant les intérêts entre les différents acteurs
économiques sont divergents et leurs rapports de force inégaux.
Remettre la finance dans son rôle de moyen et non plus de finalité suppose que
l’on agisse dans plusieurs directions et à plusieurs niveaux.
12
FITOUSSI J.-P., Le débat interdit, Arléa, Paris, 1995, pp. 56-58.
13
Début des années 1990 pour de nombreux pays asiatiques (Thaïlande, Corée du Sud, Indonésie...).
15
Au niveau international, le comité de Bâle, institué en 1975 par les gouverneurs
des banques centrales des pays du G7, agit comme un forum de coopération régulière
en matière de contrôle bancaire. Il réunit les autorités bancaires de plus de 130 pays. Il
tente aujourd’hui d’établir des normes minimales de contrôle bancaire communes à
tous les pays. Il vient ainsi de repréciser le ratio Cooke, défini en 1988, qui imposait aux
banques de veiller à ce que leurs fonds propres couvrent au moins 8% de leurs
engagements. Le renforcement des dispositifs de contrôle est indispensable et le ratio
Cooke est pertinent en la matière, mais ne pourrait-on pas aussi imposer aux
investisseurs des dépôts de garanties sur les opérations à terme, particulièrement sur
celles à court terme ?
Au niveau national, il existe également des organismes indépendants chargés
de contrôler les investisseurs et les marchés financiers ainsi que de réglementer et de
sanctionner, le cas échéant. Aux Etats-Unis, c’est la SEC (Securities Exchange Act) qui est
investie de ces pouvoirs. En Grande-Bretagne, le Securities and Investments Board, créé
en 1986, édicte des règles pour les autorités de marchés et les sociétés de Bourse. En
Allemagne et en Suisse, l’autorité professionnelle assure sa propre régulation dans le
cadre d’une législation de caractère général.
Force est de constater que, tant au niveau national qu’au niveau international,
des institutions de contrôle existent. Elles existent pour réglementer, contrôler et
sanctionner lorsque des fautes sont commises, mais sont-elles réellement efficaces ?
Théoriquement, elles devraient être en mesure, depuis le krach d’octobre 1987, de
suspendre le fonctionnement des programmes automatisés de négociation et
d’interrompre toute transaction sur un marché dès lors qu’un certain seuil d’échanges
boursiers est franchi. Néanmoins, les crises financières ne font que se succéder à un
rythme infernal sans que l’une de ces organisations ait donné l’impression d’intervenir
vigoureusement et efficacement. A la décharge des institutions décrites ci-dessus, il
faut admettre qu’elles ne peuvent être considérées que comme des « garde-fous » avec
les limites que cela suppose. Un sentiment d’impuissance domine.
Cependant, elles ne constituent pas les seules institutions dans le secteur ;
d’autres acteurs interviennent mais dans des rôles différents. Ces dernières années,
leur multiplication n’a fait d’ailleurs que compliquer la résolution du problème.
Les banques centrales, dont le rôle est de veiller à la stabilité interne et
internationale de la monnaie nationale, ont vu l’efficacité de leur intervention de plus
en plus remise en cause par la disproportion toujours plus grande entre leurs réserves
monétaires et le gigantesque volume des capitaux en circulation sur le marché des
changes.
Récemment, les organisations internationales ne se sont pas non plus
distinguées de manière très favorable et n’ont pas fait preuve d’une grande efficacité
en la matière. Le FMI s’est totalement fourvoyé lors de la crise asiatique en prônant des
remèdes allant à l’encontre même du bon sens14. Il a d’ailleurs fait l’objet de très
nombreuses critiques, parfois très virulentes. Ces dernières années, alors que son rôle
était de promouvoir la stabilité et l’ordre dans les relations monétaires internationales,
il s’est essentiellement fait l’avocat du credo néolibéral en défendant la libéralisation
financière plus que de raison. Le rôle de prêteur en dernier ressort que la communauté
internationale lui fait jouer est l’ultime preuve d’un certain fatalisme qui règne dans les
milieux économiques, ceux-ci estimant qu’il est plus facile d’accepter l’instabilité
financière comme un fait établi et d’apprendre à gérer les crises lorsqu’elles se
produisent plutôt que de s’attaquer aux véritables causes du problème.
14
16
Son rôle sera examiné plus attentivement dans le chapitre II.
Il est un acteur incontournable dans l’essor de la finance mondialisée, et nous
ne saurions conclure cette présentation sans en dire quelques mots : ce sont les fonds
de pension et autres investisseurs institutionnels anglo-saxons dont la montée en
puissance, grâce à la révolution financière des années 90, leur a permis d’avoir une
position dominante sur le monde financier. Lorsqu’on étudie les spécificités et les
dynamiques de croissance de ces institutions à travers l’examen de leurs portefeuilles
d’actifs, on aperçoit clairement leurs motivations.
Tout d’abord, leur préférence en matière de politique d’investissement pour la
forme titrisée (actions surtout et obligations) favorise toutes les formes de spéculation 15
(tableau 1).
Tableau 1– Distribution des portefeuilles des fonds de pension en 1990
(%)
Pays
Grande-Bretagne
Etats-Unis
Allemagne
Japon
Suisse
Suède
Danemark
Liquidités
Obligations
Prêts
7
9
2
3
12
3
1
14
36
25
47
29
84
67
0
0
36
13
14
10
1
Biens,
propriétés
9
—
6
2
17
1
—
Actions
63
46
18
27
16
1
7
Source : D AVIS E.P., Pension Funds. Retirement-Income Security, and Capital Markets : An
International Perspective, Clarendon Press, Oxford, 1995, p. 161.
Ensuite, on a pu constater, ces dernières années, une tendance très marquée de
la part de ces institutions à se risquer dans des opérations de spéculation sur les
devises et sur les matières premières ainsi que l’utilisation de plus en plus fréquente
d’instruments financiers tels que les produits dérivés, générateurs de profits énormes
mais aussi de pertes considérables lorsque les anticipations et prévisions s’avèrent
erronées. Une seule logique : le court terme ; un seul objectif : le profit à tout prix. Mais à qui
le système profite-t-il réellement ? aux retraités ? Il n’en est rien, à en croire
R. Guttmann : « Si l’on considère les instances décisionnaires des investissements
réalisés ainsi que les montants des revenus profitant de manière prioritaire à la couche
sociale associée le plus directement à la gestion de ces placements, force est de
constater qu’il est impossible de considérer les retraités comme les vrais propriétaires
et les véritables décideurs des différents fonds où leur épargne est centralisée. En
revanche, la nouvelle couche de gestionnaires, ultraminoritaire numériquement, mérite
d’être désignée comme matérialisant la principale forme contemporaine du capital
rentier. » 16 Ont-ils réellement intérêt à voir une économie mondiale mieux régulée avec
davantage de restrictions en termes de mobilité de capital alors que précisément les
prédictions montrent que ces fonds investissent de plus en plus sur les marchés
émergents17, attirés par la perspective de profits faciles et rapides (tableau 2) ?
15
Il est intéressant de noter que les fonds de pension anglo-saxons investissent davantage en actions que
les autres fonds de pension présentés. Cela témoigne d’une prise de risque plus élevée mais avec la
perspective de profits plus conséquents.
16
GUTTMANN R., « Le rôle des fonds de pension et d’investissements collectifs anglo-saxons dans l’essor
de la finance globalisée », in CHESNAIS F. (dir.), op. cit., p. 207.
17
Le terme « marché émergent » peut s’appliquer à un processus en cours. Il peut également se référer
dans un sens plus large à toute économie en développement, avec pour corollaire que tout marché
dispose d’un potentiel de croissance. In « Les marchés de capitaux émergents », Le système financier
17
Tableau 2
Projection de l’investissement des fonds de pension sur les marchés émergents à l’horizon 2000
(milliards de dollars)
Année
1992
2000
Actifs totaux des fonds de retraite de l’OCDE
Investis sur les marchés émergents
dont :
Asie
Amérique latine
Autres marchés émergents
5 750
12
6
4
2
12 000
353
235
101
17
Source : OECD, Pension Funds, Capital Controls and Macroeconomic
Stability, Technical Papers, nº 98, OECD, Paris, 1994, p. 62.
A la lumière de cette courte introduction sur quelques acteurs18 de la finance
mondialisée, on s’aperçoit des nombreux obstacles qui pointent à l’horizon pour
atteindre un éventuel consensus sur le besoin de davantage de stabilité.
Cependant, il existe des marges de manœuvre au niveau national et c’est peutêtre à ce niveau qu’il faut tenter de faire appliquer des solutions efficaces ; le Chili, par
exemple, a prouvé qu’un pays pouvait rétablir seul et avec succès une surveillance sur
les mouvements de capitaux pour décourager les entrées de capitaux à court terme de
nature spéculative. Le gouvernement chilien a ainsi imposé des réserves obligatoires
de 30% sur tous les dépôts en dollars dans le système bancaire, ce qui a eu pour effet de
réduire la rentabilité des placements à court terme et de détourner les investisseurs
étrangers de ce type de placements. Toutefois, cette approche nationale revient à faire
peser le fardeau du contrôle uniquement sur les pays emprunteurs alors que les pays
créanciers, à travers leurs investisseurs, sont autant responsables de la volatilité des
flux financiers internationaux et des mouvements de nature spéculative.
Malheureusement, la concertation internationale reste primordiale pour obtenir
des résultats valables ; or il faut constater qu’aucun consensus ne semble se dégager
sur l’ambition, d’une part, de mieux réguler les mouvements de capitaux à travers le
renforcement des dispositifs de contrôle et la mise en place de taxation des transactions
financières et, d’autre part, de pouvoir soumettre le problème aux exigences de l’intérêt
général. Il est évident que tant qu’aucun réel accord politique au niveau mondial ne se
sera dégagé, d’un côté, sur l’acceptation d’une plus grande stabilité et, de l’autre, sur
les solutions à mettre en place pour atteindre l’objectif, il y a peu de chance de voir le
problème évoluer dans une direction positive. Ni les pays industrialisés ni les pays en
voie de développement ne semblent réellement vouloir une meilleure régulation et un
contrôle plus efficace des mouvements de capitaux. La situation est paradoxale mais
les pays en voie de développement sont dans une position de faiblesse : celle du
débiteur. Ils ont besoin de capitaux étrangers pour continuer leur progression
économique. Même les dégâts récents en Asie du Sud-Est lors de la dernière crise n’ont
pas infirmé leur position : tout capital qui rentre dans le pays est bon à prendre, quelle
que soit sa nature. Dans ce cas, faudra-t-il attendre qu’une crise financière de plus
grande ampleur encore touche les pays industrialisés pour voir enfin les Etats du Nord
et du Sud prendre leurs responsabilités ?
international : économie financière contre économie réelle, Problèmes économiques, La Documentation
française, nº 2541-2542, novembre 1997, p. 15.
18
18
La liste n’est de loin pas exhaustive. Nous n’avons pas cité les Etats, les entreprises, les particuliers, les
banques, etc.
La libéralisation financière
Présentation et définition
C’est à l’école monétariste de Standford, représentée par les auteurs McKinnon
et Shaw, que l’on doit, au début des années 1970, une première tentative de
théorisation du concept. Ce n’est que quelques années plus tard, au début des années
1980, que l’on observera une application de la théorie à la pratique lors de la mise en
place de politiques économiques ultralibérales dans le monde anglo-saxon par
Mme Thatcher et M. Reagan.
Tout d’abord, ils ont caractérisé un système financier « répressif » en opposition
à un système financier « libéralisé ». Il s’agit d’un système dans lequel le gouvernement
détermine qui donne et qui obtient les crédits nécessaires au développement
économique et à quel prix. Plus précisément, un gouvernement peut effectuer un
contrôle ou le renforcer en
– régulant les institutions financières qui pourront agir et en leur imposant une
manière d’opérer ;
– possédant lui-même les institutions bancaires et autres intermédiaires financiers ;
– exerçant un contrôle sur les mouvements de capitaux.
Plus précisément, on retrouve dans de nombreux pays en voie de développement
quelques éléments caractéristiques par rapport à l’encadrement étatique du système
financier :
– le taux d’intérêt ; habituellement plafonné sur les prêts et dépôts afin d’éviter aux
grands dirigeants des institutions financières importantes d’un pays d’abuser de
taux d’intérêt débridés ;
– la constitution d’un portefeuille ; les restrictions imposées à la constitution d’un
portefeuille permettent à l’Etat d’agir sur l’affectation des ressources gérées par le
secteur financier organisé, comme le financement de ses déficits par exemple ;
– les impôts et impératifs de réserve ; à travers l’existence obligée de ratios élevés de
liquidités et de réserves obligatoires assurant à l’Etat le financement de son déficit
budgétaire ;
– l’accès à d’autres marchés financiers ; contrôle étatique sur les rentrées et sorties de
capitaux afin de sauvegarder des recettes fiscales en évitant la fuite massive de
capitaux ;
– le degré de concentration bancaire ; degré de concentration très fort car un nombre
restreint de banques détiennent la totalité des dépôts, accompagné d’une limitation
d’accès à ces dépôts qui favorise certains groupes industriels plutôt que d’autres.
Les auteurs de cette typologie nous expliquent les raisons d’une telle situation :
« Dans les pays en développement, les autorités sont souvent favorables à un système
financier encadré parce que celui-ci leur permet d’exercer un contrôle sur l’affectation
des ressources et de taxer l’intermédiation financière. Les autorités n’en ont pas
toujours souhaité les retombées, mais les coûts qu’un tel système impose au secteur
privé, même s’ils sont moins évidents, n’en sont pas moins considérables. » 19
En opposition à ce système-là, la libéralisation du système financier peut être
comprise comme le processus consistant à donner au marché l’autorité de déterminer
qui accorde et qui obtient les crédits et à quel prix. La libéralisation financière invoque
19
DOOLEY M.P., MATHIESON D.J., « Libéralisation financière dans les pays en développement », Finances et
Développement, septembre 1987, pp. 31-32.
19
donc un désengagement maximal de l’Etat dans les affaires financières en laissant se
développer seules les institutions financières. Elle implique également son retrait dans
la participation au capital de ces institutions grâce au processus de privatisation et à
l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux.
McKinnon et Shaw se sont efforcés de démontrer que le maintien
artificiellement bas du niveau des taux d’intérêt ainsi que plus généralement toutes les
interventions étatiques d’une part limitent toute liberté de mouvement du secteur
financier et d’autre part ne permettent pas la meilleure allocation possible des
ressources.
Plus précisément, ils estiment que la fixation des taux d’intérêt réel au-dessous
de leurs valeurs d’équilibre de marché
– réduit la quantité de fonds disponibles pour l’investissement (réduction de
l’épargne/baisse des dépôts bancaires), donc fixe ce dernier au-dessous de son
niveau idéal ;
– détériore également la qualité de l’investissement effectué dans le sens où les
banques sont obligées par le gouvernement de financer des projets à faible
rendement (production agricole) car la baisse des taux intensifie la préférence pour
la liquidité des intermédiaires et l’aversion pour le risque. Les banques ne sont pas
intéressées par l’exploration d’opportunités de prêts nouveaux et plus risqués.
En d’autres termes, un système financier « répressif » ne permet pas d’atteindre
un taux de croissance maximal de l’économie.
A l’opposé, un système financier « libéralisé » permettrait une stimulation et
une augmentation du niveau de l’épargne grâce à l’accroissement des taux d’intérêt
réel et une croissance de l’investissement ainsi qu’une meilleure utilisation des
ressources disponibles à travers une meilleure diversification du risque et un accès
facilité des emprunteurs aux fonds.
La libéralisation financière comprend six dimensions20 :
– la dérégulation des taux d’intérêt, auparavant sous le contrôle de l’Etat ;
– l’élimination du contrôle étatique des crédits ;
– l’entrée libre aux diverses sociétés dans le secteur bancaire et plus généralement
dans le domaine des services financiers ;
– la libéralisation des mouvements de capitaux internationaux ;
– l’autonomie des banques ;
– la propriété privée des banques (privatisation).
En conclusion, dans cette vision libérale du système financier, le rôle de l’Etat
ne semble avoir qu’une fonction précise : il doit principalement s’abstenir d’interférer
défavorablement avec les règles du marché. C’est la proclamation de la suprématie
totale du marché, qui relègue l’Etat à un unique rôle de faire-valoir subordonné.
Critique
Le système financier est un enjeu crucial au centre de la problématique du
développement économique, comme le fait justement remarquer l’économiste indien
R.N. Agarwal : « The process of economic development requires the development of an
20
20
WILLIAMSON J., MAHAR M., A Survey of Financial Liberalization, Essay in International Finance, nº 211,
Princeton University Press, Princeton, 1998, p. 2.
efficient financial system to provide an adequate and properly distributed supply of
funds to the entrepreneurs [...] Finance is the life blood of the process of economic
growth and industrialization. » 21
L’enjeu est de taille et il faut bien admettre qu’au-delà du modèle simple et
séduisant qu’elle représente, la libéralisation financière n’est pas sans danger et son
approche théorique soulève quelques problèmes. En effet, comme le souligne Baptiste
Venet dans son étude de la littérature critique sur le sujet22, l’approche de McKinnon et
Shaw nécessite quelques commentaires sur certaines de ses limites.
Tout d’abord, les auteurs supposent une relation croissante entre taux d’intérêt
et épargne. Si les taux d’intérêt réel augmentent au niveau de l’équilibre du marché, les
ménages seront amenés à épargner plus : plus d’épargne, plus de dépôts bancaires,
donc plus de fonds disponibles pour l’investissement. Cependant, si l’effet de
substitution implique un accroissement de l’épargne lorsque sa rémunération s’accroît,
l’effet de revenu implique une relation inverse décroissante entre taux d’intérêt réel et
épargne. La relation est donc ambiguë et rien ne peut être affirmé avec certitude.
Ensuite, leur approche est fondée sur l’hypothèse implicite que le marché
financier est un marché parfait. C’est ne pas tenir compte des rationnements du crédit
qu’il peut y avoir, même sur les marchés les plus compétitifs. A l’origine de ceux-ci se
trouve le problème de l’information ou plus exactement de l’« information
imparfaite » 23. Il est indispensable de ne pas négliger l’importance des problèmes
d’information qui peuvent conduire à des processus d’antisélection : « “Adverse
selection” occurs in financial markets when, for example, following an increase in
interest rate, the credit market dries up because lenders refuse to lend, fearing that only
desesperate borrowers are willing to take up expensive loans. » 24 En résumé, si les taux
d’intérêt du marché sont suffisamment entraînés à la hausse, la probabilité que les
prêteurs prêtent à des emprunteurs présentant de mauvais risques de crédit augmente
du fait que ceux qui présentent des bons risques de crédit sont moins à même
d’emprunter à ces taux plus élevés, contrairement aux premiers. Le problème des
imperfections du marché du crédit implique donc que la libéralisation financière peut
s’avérer, par définition, totalement inefficace.
Cependant, il faut reconnaître que même le seul bon sens nous aurait permis
d’affirmer qu’un marché financier est tout sauf un marché parfait : n’importe quel livre
d’économie financière nous rappelle qu’il y a toujours un risque irréductible sur ce
type de marché.
Une autre série de problèmes est liée à la hausse des taux d’intérêt induite par
la libéralisation financière. En effet, une hausse des taux d’intérêt se répercutera sur le
déficit budgétaire puisque celui-ci va probablement augmenter, sachant que le service
de la dette publique s’alourdit. D’autre part, un problème de transition peut se
produire. En général, une banque accorde de façon structurelle des prêts à une
échéance en moyenne plus longue que les dépôts qu’elle collecte. Si les taux d’intérêt
augmentent sur les dépôts, comme le suggère la théorie, et que les prêts restent à un
21
AGARWAL R.N., Financial Liberalization in India : A Study of Banking System and Stock Markets, B.R.
Publishing Corporation, Delhi, 1996, p. 8.
22
VENET B., « Libéralisation financière et développement économique : une revue critique de la
littérature », Revue d’économie financière, été 1994, nº 29, pp. 87-111.
23
Lire STIGLITZ J.E., WEISS A., « Credit Rationing in Markets with Imperfect Information », American
Economic Review, vol. 71, nº 3, 1981, pp. 393-410.
24
WYPLOSZ C., « International Financial Instability », in K AUL I., STERN M., GRUNBERG I. (eds.),
International Development Cooperation and Global Public Goods : Towards Sustainable Development in the 21st
Century, Oxford University Press, New York, 1999, p. 160.
21
taux fixe, l’institution bancaire va devoir faire face à une situation de fragilité certes
transitoire mais qui pourrait déboucher sur d’importants problèmes de liquidité.
Finalement, il faut admettre que cette approche ne tient absolument pas compte
d’un secteur financier fondamental dans les économies des pays en voie de
développement : le secteur informel. L’école néostructuraliste 25 a mis en évidence cette
lacune en démontrant l’efficacité des marchés financiers informels en termes
d’allocations des ressources.
Quoi qu’il en soit, toute la question est de savoir s’il est bénéfique de réserver à
l’Etat une place aussi mince que celle que lui impose la pensée néolibérale,
particulièrement dans un domaine comme la finance, caractérisé par l’instabilité,
l’irrationalité et les excès en tous genres. Cette interrogation relève autant de la
politique que de modèles économétriques ou d’équations mathématiques. On se doit
de juger la libéralisation financière non pas seulement sur ses limites et ses
contradictions théoriques, mais aussi à l’épreuve de la réalité empirique. Ces vingt
dernières années, de nombreux pays développés et pays en voie de développement ont
mis en pratique cette libéralisation financière, fortement influencés et soutenus par les
deux poids lourds de Bretton Woods : la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international. L’objectif général de ces réformes était de réduire les ressources dues à
l’intervention de l’Etat et de provoquer une augmentation simultanée des ressources
fournies par le marché, de contrôler l’inflation et, en même temps, de développer les
liens avec le marché international. L’équation est limpide : moins d’Etat, plus de
marché – la croissance économique redémarre.
Les premières expériences dans les pays en voie de développement furent
entreprises dans le cône Sud (Chili, Argentine, Uruguay). Elles ne répondirent en rien
aux espérances mêmes des pionniers de la libéralisation financière dans les pays en
voie de développement et ne se sont pas traduites par une efficacité et une stabilité
plus grandes du système financier, bien au contraire. Les chiffres sont édifiants : en
Uruguay, l’endettement brut du secteur public va passer de 899,5 millions de dollars
dans les années 1974-78 (moyenne annuelle) à 2687,6 millions de dollars en 1982. Même
schéma pour le secteur privé où l’on passe de 236,7 millions de dollars à 1550,2
millions de dollars en 1982. Le chômage en pour-cent de la population active passe
d’une moyenne de 9,9% entre 1974 et 1978 à plus de 15% en 1983.
Le bilan est négatif, aussi bien au niveau des effets économiques que des effets
sociaux. Etonnamment, la grande majorité de la littérature sur le sujet ne remet pas en cause
les fondements d’une telle politique mais plutôt ses aspects formels (rythme, séquence,
régulation, contrôle, etc.), en particulier l’absence de conditions préalables indispensables à leur
réussite26. Ces dernières années, l’approche libérale a donc tranquillement pu continuer
à progresser à l’aide de nouveaux apports théoriques. Profitant des faveurs toutes
acquises des milieux économiques internationaux, de nouvelles vagues de
libéralisation se sont succédé, principalement dans la région du Sud-Est asiatique au
début des années 80 (Corée du Sud, Taiwan...) ainsi qu’à la fin des années 80
(Thaïlande, Indonésie...).
Le chapitre suivant nous donnera l’occasion de nous concentrer sur les efforts
fournis en Thaïlande. Ont-ils débouché sur de meilleurs résultats, sur des
performances plus probantes qu’en Amérique latine ? Faut-il remettre en cause ce
processus quant à ses fondements ou n’aurait-il besoin que de quelques
transformations esthétiques pour le voir réussir sans accroc son examen de passage ?
25
TAYLOR L., Structuralist Macroeconomics : Applicable Models for the Third World, Basic Books, New York,
1983 ; VAN WIJNBERGEN S., « Interest Rate Management in LDC’s », Journal of Monetary Economics,
vol. 12, nº 3, 1983, pp. 433-452.
26
Une surveillance efficace des institutions financières et un environnement macroéconomique stable.
22
PREMIÈRE PARTIE
Le financier :
crise de la mondialisation financière ou crise du capitalisme asiatique ?
23
24
CHAPITRE I
Evolution et mutation du système financier thaïlandais
Ce chapitre nous donnera l’occasion d’étudier comment le système financier
thaïlandais a évolué et s’est transformé au cours de ces vingt dernières années, en
observant les réformes financières majeures. Nous distinguerons deux phases
essentielles dans ce processus de libéralisation : une première phase où l’ajustement
s’est effectué graduellement, entre 1972 et 1986 ; une deuxième phase plus active
parsemée de réformes importantes, à partir de 1987.
De 1972 à 1986
Un système financier dominé par les banques commerciales et contrôlé par l’Etat
Pendant les deux décennies 1970 et 1980, le système financier thaïlandais était
dominé par un petit nombre de banques commerciales de grande taille, dont les
activités étaient regroupées et dirigées de façon centralisée ainsi que partiellement
contrôlées par l’Etat (tableau 3).
Tableau 3 – Parts des actifs des diverses institutions financières
dans le système financier thaïlandais (1981 et 1990)
(%)
1981
1990
Institutions financières gouvernementales
Banque de Thaïlande
Banques d’épargne
Banques de développement
21.4
4.2
12.4
10.4
4.3
3.7
Institutions financières privées
Banques commerciales
Sociétés financières
Caisses d’épargne privées
Autres intermédiaires financiers
47.7
10.4
1.7
2.2
65.00
13.3
1.6
1.8
100.00
100.00
Total
Source : Banque de Thaïlande.
Au début des années 1980, en dehors d’une forte surveillance des banques
commerciales27, le gouvernement thaïlandais contrôle directement ou indirectement
une part importante du système financier. Les autorités contrôlent directement la
Banque de Thaïlande (Banque centrale), les banques d’épargne et les quatre institutions
de développement, c’est-à-dire 38% des actifs totaux du système financier. Ces
institutions étaient utilisées pour financer les dettes étatiques ainsi que pour des
27
Fin 1981, le gouvernement thaïlandais possédait plus de 90% de l’actionnariat de la Krung Thai Bank
(deuxième banque commerciale du pays) ainsi que des participations minoritaires dans d’autres
institutions privées.
25
programmes de crédits prioritairement dirigés vers les secteurs que l’Etat estimait
essentiels au développement économique.
Comme l’indique le tableau 3, les banques commerciales possèdent déjà en 1981
plus de 47% des actifs totaux dans le système financier. Elles constituent donc le type
d’institutions financières dominant dans le pays. En 1981, les trois banques les plus
importantes contrôlaient plus de 60% des actifs totaux des banques commerciales alors
qu’elles en contrôlaient moins de 50% en 1971. Elles jouent un rôle essentiel en
favorisant la croissance et le développement rapide du pays, comme le montre le
tableau 4, qui met en évidence le fait que ces institutions captent plus de 73% de
l’épargne des ménages sur les deux dernières décennies.
Tableau 4
Parts d’épargne des ménages détenues par les diverses sociétés financières (1972-1986)
(%)
1972
1973
1974
1975
1976
1982
1983
1984
1985
1986
Banques commerciales
Sociétés financières
Assurances vie
Coopératives agricoles
Caisses d’épargne
75.2
3.7
2.4
0.2
1.7
72.8
5.5
2.4
0.2
1.7
72.2
8.4
2.1
0.3
1.5
74.1
8.2
2.1
0.3
1.6
74.0
9.0
2.1
0.4
1.3
70.8
13.9
2.5
0.4
1.7
73.2
12.1
2.5
0.3
1.8
75.4
9.3
2.6
0.3
1.9
73.9
10.1
2.6
0.3
2.0
72.1
9.2
2.5
0.3
2.3
Sociétés crédit foncier
Banques d’Etat
d’épargne
Banques agricoles
Banques d’Etat
immobilières
—
17.5
0.5
16.3
0.7
16.4
0.6
14.0
0.5
12.1
1.0
8.9
0.7
8.7
0.4
8.8
0.3
9.1
0.3
11.6
0.4
—
0.5
0.2
05
0.1
0.7
0.2
0.5
0.4
0.4
0.4
0.4
0.4
0.4
1.0
0.4
1.2
0.5
1.2
Source : Banque de Thaïlande.
Le système bancaire thaïlandais était donc de type oligopolistique. La plupart
des licences bancaires furent accordées au début des années 60 et les possibilités
d’entrée dans cette industrie étaient très réduites. Une seule licence fut acceptée entre
1966 et 1981.
Une autre caractéristique majeure de cette structure particulière du système
bancaire thaïlandais fut la prédominance des grandes et puissantes familles d’affaires
sino-thaïlandaises qui fondèrent ces institutions par l’intermédiaire de leurs
compagnies commerciales. On peut penser qu’un réseau de liens économiques de type
clientéliste, typique des systèmes politiques des pays en voie de développement, se
tissait entre le privé et le public à travers les différentes institutions financières. Il est
possible d’imaginer que l’intervention de l’Etat dans le secteur financier n’ait pas été
seulement un choix des élites gouvernementales, mais aussi la conséquence d’intérêts
privés, de stratégies économiques et de demandes diverses. Une interdépendance
semble s’être créée entre les différents objectifs et intérêts privés et publics, cela en tout
cas jusqu’à la mise en œuvre de l’Acte bancaire commercial en 1979 : « The state was
the dominant actor in the economy, with the Sino-Thai bourgeoisie allowed to make
money but clearly at the sufferance of the state bureaucracy and the military. As
protection, the emerging capitalist groups incorporated high military and bureaucratic
figures into their boards of directors. » 28
28
26
BELLO W., CUNNINGHAM S., KHENG POH L., A Siamese Tragedy : Development & Disintegration in Modern
Thailand, Zed Books Ltd., London, 1998, p. 11.
En dépit de la présence de 14 banques étrangères contre 16 banques
domestiques en 1981, les premières ne détenaient que 5,3% des actifs bancaires totaux
alors qu’elle en détenaient encore 10,1% en 1971. En 1982, les 16 banques thaïlandaises
comptaient 1579 succursales dans le pays contre seulement 20 pour les banques
étrangères29. A la fin de 1992, les banques commerciales thaïlandaises contrôlent encore
97% du marché contre seulement 3% pour les banques étrangères30. Celles-ci ne
jouaient donc qu’un rôle minime dans certains secteurs bien définis, et les transferts
internationaux de fonds étaient limités et contrôlés. Les taux d’intérêt sur les dépôts et
les prêts étaient plafonnés par les autorités centrales. Le marché informel fonctionnait à
plein régime.
Crises et recherche de la stabilité financière
Malgré un environnement international favorable 31, le gouvernement thaïlandais
préférait donner la priorité à la restauration des performances économiques et de la
stabilité financière plutôt que de concentrer ses efforts pour libéraliser son système
financier. Avant 1979, le développement des sociétés financières (finance and securities
companies) s’est fait très rapidement, peut-être même trop précipitamment car la qualité
de leurs performances fut remise en question.
Ces firmes financières ayant émergé à la fin des années 60, leur immaturité et leur
mauvaise gestion étaient compréhensibles. Entre 1978 et 1979, l’insuffisance de
liquidités se trouva exacerbée par une spéculation excessive, aggravée par des taux
d’intérêt élevés dans le monde. Craignant les répercussions qui pourraient affecter la
stabilité financière du pays, les autorités décidèrent finalement d’intervenir et d’offrir
leur assistance au marché. Cependant, en dépit de cette intervention, certaines sociétés
financières souffrirent des suites de cette première crise. De plus, l’économie
thaïlandaise fut affaiblie, durant cette période (1981-1983), par des changements
importants au niveau de l’économie mondiale : un ralentissement de la demande
globale, une augmentation des taux d’intérêt étrangers en rapport aux taux
domestiques et une volatilité des taux de change plus ample. Ces mêmes sociétés
commettent alors l’erreur, en essayant d’améliorer leur situation dans ce climat
défavorable, d’étendre leurs crédits à des sommes trop conséquentes sans prendre de
précautions suffisantes, de sorte qu’on aboutit à une deuxième crise en 1983.
Cependant, cette crise 32 se révèle d’une autre ampleur et va provoquer de
multiples faillites et fusions dans le monde financier. Le nombre de sociétés diminue,
passant de 127 en 1982 à 107 en 198733. Les faillites augmentèrent de presque 27% dans
les premiers neuf mois de 1985 et le Ministère du commerce annonça 100’000
licenciements. Dans ce contexte, on comprend que les autorités se soient préoccupées
d’intervenir prioritairement pour préserver la stabilité financière dans le pays au
détriment d’actions allant dans le sens d’une plus grande libéralisation.
29
CHOON BENG D.L., « Gradual Financial Reform in Action : The Case of Thailand, 1979-92 », Asean
Economic Bulletin, vol. 10, nº 3, March 1994, p. 302.
30
VICHYANOND P., Thailand’s Financial System : Structure and Liberalization, Research Monograph nº 11,
Thailand Development Research Institute, 1994, p. 3.
31
La mode est à la libéralisation tous azimuts (négociations de l’Uruguay Round/libéralisation
commerciale des biens et des services). Le développement fulgurant des technologies de
communication et des transports favorise également ce processus.
32
Elle fut exacerbée par les effets conjoints du deuxième choc pétrolier (1979), de la chute des prix des
matières premières et de la crise de la dette sur la scène internationale.
33
VICHYANOND P., op. cit., p. XV.
27
La réforme tranquille
Néanmoins, le gouvernement lança certains changements qui, même s’ils ne
représentaient pas un tournant radical, avaient leur importance.
La « déréglementation financière » est habituellement utilisée pour désigner le
fait de laisser jouer les mécanismes du marché plus librement en réduisant ou en
supprimant les règles, limitations et interventions publiques. En bref, il s’agit
d’assouplir les contraintes de supervision de l’Etat : « Financial deregulation is
normally related to the relaxation of supervisory constraints or the intervention of the
authorities. » 34 En Thaïlande, ce processus se fit de manière graduelle et débuta par la
réforme des taux d’intérêt suite au second choc pétrolier (1979-80). Ces taux étaient
régis par l’Etat, qui en fixait les limites plafonds et planchers. Malheureusement, les
taux prêteurs étant élevés, le différentiel avec la rétribution de l’épargne (dépôts) peu
élevée permettait aux banques de réaliser de substantiels bénéfices, ce qui eut pour
conséquence de voir une part importante de l’épargne se diriger vers le secteur
informel. Finalement, les taux d’intérêt plafonds sur les prêts et l’épargne
qu’imputaient les banques commerciales et les sociétés financières furent libérés de la
limite de marge de variation de 15% imposée par le code civil et commercial en 1924.
Cette mesure, qui déboucha sur la promulgation du Financial Institutions Lending Rate
Act en 1980, était censée
– répondre aux larges variations des taux au niveau international entre 1979 et 1980 ;
– fournir à la Banque de Thaïlande plus de flexibilité dans l’ajustement des taux
d’intérêt en lien avec la position de leur politique monétaire ;
– favoriser les investissements ainsi qu’augmenter la quantité d’épargne attirée dans
le secteur bancaire formel.
Un marché de renouvellement des obligations (bond repurchase market) fut établi
par la Banque de Thaïlande en 1979 pour ses propres transactions afin d’agir sur la
masse monétaire et de stabiliser le niveau des taux d’intérêt en vendant et en achetant
des titres à court terme (bons du trésor, obligations, etc.) ainsi que pour servir de plateforme afin d’aider les institutions financières à gérer leurs liquidités, par exemple à
travers leurs activités sur le marché monétaire à court terme 35.
De janvier 1980 à octobre 1984, la Thaïlande continua à maintenir un taux de
change fixe par rapport au dollar tout en essayant de mettre en place un système de
taux de change plus flexible. Deux dévaluations successives se produisirent en juin
1981 et en novembre 1984 : le baht fut tout d’abord dévalué de 12% par rapport au
dollar (de 20,4 à 23 bahts pour 1 dollar), puis de 15% (de 23 à 27 bahts pour 1 dollar).
Faisant suite à cette seconde dévaluation, le régime officiel du taux de change fut
finalement modifié afin de faciliter le commerce avec l’étranger, d’améliorer la balance
du compte courant et d’éviter ces dévaluations. D’un système de taux de change fixe
par rapport au dollar on passa à un système de taux de change « flottant », établi en
fonction d’un panier de monnaies constitué par les principaux partenaires
commerciaux de la Thaïlande mais toujours dominé par le dollar américain.
Les autorités virent dans le besoin d’atténuer la forte concentration de banques
aux mains d’un nombre réduit de propriétaires une étape urgente et nécessaire à la fin
des années 70. La première tentative fut la promulgation du Commercial Banking Act en
1979. Cet acte, qui donnait au système bancaire cinq ans pour s’y conformer, stipulait
qu’un individu actionnaire d’une banque commerciale ne pouvait posséder plus de 5%
34
Ibid., p. 72.
35
Marché où les établissements financiers empruntent ou prêtent des fonds à court terme (généralement
à douze mois au maximum).
28
des parts. Comme l’affirme D. Lian Choon Beng, « the aim of the Act is to turn Thai
commercial banks from family-controlled institutions into investor-controlled
entities » 36 ; cette étape marqua en effet une première faille dans le rapport clientéliste
entre Etat et puissantes familles d’affaires ainsi que l’avènement d’une nouvelle
technocratie : « The reforms promoted the influence of an identifiable new group of
influentials connected with the state, the technocracy. Technocrats, who combined
expertise in conservative economics with administrative skills, came to dominate the
key agencies of macroeconomic management. » 37 Des technocrates formés dans les
grandes écoles américaines qui furent totalement acquis, faut-il le préciser, à la cause
des théories économiques néoclassiques et qui s’intègrent donc à la perfection dans la
logique économiciste dominante.
De 1987 à 1996
Cadre général
En réponse aux différentes difficultés que connut le pays au début des années
80, le gouvernement thaïlandais, avec le soutien de la Banque mondiale, décida de
réorienter sa politique de développement économique vers une stratégie
d’industrialisation axée sur l’exportation : « Thailand became the recipient of structural
adjustment loans from the IMF and the World Bank, which sought not only to stabilize
the economy in the short term but also to orient it in a more open direction by bringing
down tariffs, reducing the rôle of state enterprises, removing price controls and
instituting a more flexible exchange rate. » 38
Il abandonna le modèle d’industrialisation par substitution d’importations qui
permit malgré tout au pays de connaître une croissance moyenne de 8% dans les
années 1960, de 7% dans les années 1970 et de 4% à 6% au début des années 1980,
lorsqu’il fut touché par la récession. Un ralentissement de la croissance expliqué à la
fois par un climat international particulièrement défavorable dont nous avons déjà
parlé et par les faiblesses structurelles du système financier, ainsi que par l’étroitesse
du marché domestique et des limites du protectionnisme, selon la Banque mondiale.
Cette dernière attira l’attention sur ce changement d’orientation nécessaire : « The need
to open the economy, privatize state enterprises, and perhaps surprisingly, given the
debate on foreign debt, reaffirm the importance of international capital flows in
development. » 39
Entre 1991 et 1994, sous l’impulsion en premier lieu du gouvernement libéral
technocratique de Anand Panyarachun, bien relayé par la suite (septembre 1992) par le
gouvernement de Chuan Leepkai, une série de mesures fut instaurée afin d’accentuer
et d’accélérer le processus de libéralisation dans le but d’attirer les capitaux étrangers
dans le pays : « To bridge the projected savings-investment gap of a continuing high
growth strategy, Thai technocrats eyed global capital markets, where trillions of dollars
of personal savings, pension funds, government funds, corporate funds and other
funds were deposited in mutual funds and other investment mechanisms that were
designed to maximize their value [...] cornering these funds became a prime object of
national economic policy making among the Southeast Asian government. »40 Du côté
36
CHOON BENG D.L., op. cit., p. 304.
37
BELLO W., CUNNINGHAM S., KHENG POH L., op. cit., p. 11.
38
HEWINSON K., « Power and Politics in Thailand », Journal of Contemporary Asia, 1989, cité dans
BELLO W., CUNNINGHAM S., KHENG POH L., op. cit., p. 12.
39
Ibid.
40
BELLO W., CUNNINGHAM S., KHENG POH L., op. cit., p. 18.
29
des investisseurs des pays industrialisés, le ralentissement de l’activité économique
(diminution des taux d’intérêt mondiaux et des bénéfices boursiers) les incita à
chercher des investissements plus rémunérateurs sur d’autres marchés, en l’occurrence
ceux d’Asie du Sud-Est et en particulier la Thaïlande (tableaux 5 et 6) ; en effet, ils ne
pouvaient être que rassurés et confiants devant l’attitude favorable d’un gouvernement
qui mettait tout en œuvre pour encourager l’arrivée de fonds étrangers grâce à une
stratégie basée sur le maintien de taux d’intérêt élevés, la fixité de la monnaie nationale
par rapport au dollar américain et surtout une politique de libéralisation financière.
Tableau 5 – Flux de capitaux nets dans les pays en voie de développement (1991-1996)
(milliards de dollars)
Pays en voie de développement,
parmi lesquels :
Asie
Moyen-Orient et Europe de l’Est
Amérique latine et Caraïbes
Afrique
1991
1992
1993
1994
1995
1996
131.3
118.7
140.9
117.4
147.3
207.4
32.3
70.1
25.0
4.0
20.9
42.8
54.8
0.2
53.2
22.6
62.9
2.3
62.3
–1.0
46.4
9.6
88.8
12.1
35.8
10.6
98.4
18.5
79.7
10.7
Source : FMI.
Tableau 6 – Flux de capitaux nets vers la Thaïlande (1987-1995)
(milliards de dollars)
Flux nets
% du PNB
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
0.8
1
2.9
5
6.6
9
7.2
8
10.6
11
8.1
7
12.6
1
15.8
13
22.8
14
Source : Banque de Thaïlande.
L’acceptation des obligations de l’article VIII des statuts du FMI
Cette politique se traduisit en premier lieu par l’acceptation par la Thaïlande
des obligations de l’article VIII des statuts du FMI, le 21 mai 1990 ; elle accepta ainsi la
libre convertibilité des opérations courantes pour les résidents, avec néanmoins
quelques restrictions pour les transactions des résidents thaïlandais vers l’étranger
(investissements en portefeuille et en biens immobiliers) ainsi que pour les
investissements directs étrangers (IDE)41, qui ne devaient pas dépasser le montant de
10 millions de dollars par personne pour une année. Cependant, en dépit de ces
restrictions, il s’agit probablement là d’un avancement essentiel dans la direction
souhaitée. Cette acceptation eut pour effet de relâcher les contrôles sur tous les
paiements et transferts en monnaie étrangère dans les transactions du compte courant
41
30
L’IDE correspond à l’engagement de capitaux en vue d’acquérir un intérêt durable, voire une prise de
contrôle, dans une entreprise exerçant ses activités à l’étranger. Un autre type d’investissement est
l’investissement en portefeuille, de nature plus volatile et plus spéculative, qui correspond à une
stratégie de placement de capitaux domestiques à l’étranger (exportations de capitaux) tenant compte
des facteurs rendement et risque sans caractère participatif. Le dernier type d’investissement est le prêt
bancaire international. Dans le cas thaïlandais, ce sont les prêts bancaires internationaux qui se
révélèrent les plus déstabilisants car ils constituèrent une accumulation de dettes à court terme libellées
en devises étrangères sans couverture du risque de change pour les investisseurs thaïs.
(exportation/importation). Ce premier pas important fut établi dans le cadre du
premier plan de réforme (1990-1992) du système financier, avec pour objectif principal
l’amélioration de l’efficacité du système et de l’allocation des ressources financières.
Il faut également préciser que malgré les nombreux obstacles qui prévalaient
auparavant, les capitaux étrangers affluèrent, en particulier en provenance du Japon,
déjà à partir du millieu des années 1980. Entre 1985 et 1990, les IDE en direction de la
Thaïlande ont passé de 165,2 millions de dollars à 2,5 milliards de dollars. Preuve en
est que malgré l’attitude officielle restrictive des autorités thaïlandaises, la porte était
déjà grande ouverte aux IDE (tableau 7).
Tableau 7 – Evolution des IDE en Thaïlande (1985-1993)
(millions de dollars)
1985
165.2
1986
264.4
1987
351.9
1988
1107.9
1989
1778.8
1990
2558.1
1991
2032.8
1992
2103.9
1993
1715.4
Source : Banque de Thaïlande.
Durant la même période, les investissements japonais passèrent de 124 millions
de dollars à 1,2 milliard de dollars. Au début des années 1990, ils s’élevaient à plus de 5
milliards de dollars, dont 85% à partir de 198642 ; le Japon était le principal investisseur
en Thaïlande (tableau 8)43.
Tableau 8 – Les investisseurs étrangers en Thaïlande
(%)
1991-1995
Cumul 1960-1992
Japon
Hongkong
Taiwan
Etats-Unis
Singapour
20.8
44.4
19.7
12.4
4.6
9.6
15.0
7.2
9.9
2.3
Source : IMF Staff Country Report nº 96/83, Thailand Statistical Appendix.
L’établissement des Bangkok International Banking Facilities (BIBF)
Cependant, le véritable signal qui traduisit la volonté délibérée des autorités
thaïlandaises de faciliter les entrées de capitaux étrangers fut l’établissement des
Bangkok International Banking Facilities (BIBF) en mars 1993. Ce dispositif fut mis en
place lors du second plan de réforme du système financier (1993-1995). L’objectif était
de transformer la Thaïlande en un important centre financier régional, afin de pouvoir
rivaliser avec Singapour d’une part et d’attirer des capitaux étrangers pour soutenir le
développement économique du pays d’autre part. Les BIBF constituent un système
dans lequel autant les banques étrangères que les banques domestiques sont autorisées
à engager des dollars américains et autres devises dans des activités financières offshore
(out-out) et onshore (out-in)44. En bref, la détention de licences BIBF autorisait les
42
Chiffres provenant du Ministère des finances du Japon, cité dans BELLO W., CUNNINGHAM S., K HENG
POH L., op. cit., p. 17.
43
Le Japon investissait en Thaïlande car elle représentait un lieu de production plus avantageux, en
particulier concernant la main-d’œuvre, abondante et bon marché.
44
Les opérations out-out sont des prêts accordés à des non-résidents, alors que les transactions out-in sont
des prêts accordés en devises étrangères à des résidents.
31
banques à la fois à accepter des dépôts en devises et à prêter des sommes en devises,
aussi bien aux résidents qu’aux non-résidents, pour des investissements domestiques
et étrangers. Quarante-six licences furent accordées à 15 banques thaïlandaises, 11
banques étrangères qui possédaient déjà des filiales dans le pays et 20 nouvelles
banques étrangères.
En 1995, les prêts du BIBF atteignirent le montant de 41,1 milliards, puis 49,1
milliards en janvier 1997. Plus de 10 milliards de dollars sont ainsi entrés annuellement
en Thaïlande depuis 1993, soit l’équivalent de plus de 10% du PIB du pays. Les flux de
capitaux transitant par les BIBF ont atteint jusqu’à 84% des flux de capitaux privés à
destination. En trois ans (1994-1997), les prêts des BIBF augmentèrent de 0% à 26% des
prêts des banques commerciales. On peut s’apercevoir que lors des deux premières
années du fonctionnement des BIBF, la grande majorité des opérations effectuées dans
son cadre par les banques accréditées était constituée de prêts en devises accordés à
des résidents thaïlandais (out-in) (graphique 1).
Graphique 1 – Opérations via les BIBF (1993-1997)
Source : Banque de Thaïlande, cité dans Crise
mondiale et marchés financiers, Cahiers français,
nº 289, La Documentation française, janvier-février
1999, p. 6.
Ces transactions out-in furent le principal conduit pour l’arrivée massive de
capitaux étrangers sous la forme de crédits qui déstabilisèrent les comptes du pays.
Dans le cas thaïlandais, les flux nets de capitaux étrangers agrandirent le déficit du
compte courant (graphique 2) : « Inflow of foreign capital, if excessive and not
sterilized by the central bank, can engender both superfluous spending or investment
and debt services that lead to future current account deficits » 45, alors que le volume
important de ces flux, spécialement à court terme, fragilisa la vulnérabilité de la
balance des paiements.
Et l’auteur de renforcer son argumentation et d’affirmer, toujours sur les
capitaux étrangers : « Its high mobility, volatility, and large volumes have made it
overwhelmingly powerful. Developing countries should be forewarned about reliance
upon foreign capitals funds : too little may bring about today’s pain, but too much may
nullify tomorrow’s gain. » 46
45
VICHYANOND P., VAJRAGUPTA Y., Thailand’s Financial Evolution and the 1997 Crisis, Thailand
Development Research Institute, December 1998, p. 20.
46
Ibid.
32
Graphique 2 – Déficit du compte courant et flux nets de capitaux (1990-1996)
Source : Banque de Thaïlande, cité dans VICHYANOND P.,VAJRAGUPTA Y., Thailand’s Financial
Evolution and the 1997 Crisis, Thailand Development Research Institute, Bangkok, December
1998, p. 19.
Les entrées de capitaux étrangers ont atteint 82 milliards de dollars sur la
période 1991-1996, alors que l’écart épargne-investissement n’était que de 47 milliards
de dollars47. La poursuite de ces afflux massifs a probablement été au-delà de ce qui
était raisonnable et est en partie responsable de la crise financière de juin 1997, ce que
nous tenterons de mettre en évidence dans notre troisième chapitre. C’est pour ces
raisons qu’au détriment d’autres mesures, nous avons préféré distinguer les deux
réformes que nous venons de décrire dans les pages précédentes. Elles ont joué, à notre
avis, un rôle considérable et décisif dans le processus de libéralisation financière ainsi
que dans les problèmes qui vont surgir en Thaïlande début 1997.
Cependant, d’autres évolutions et changements intervinrent. Les taux d’intérêt
plafonds et planchers sur l’épargne et les prêts furent finalement totalement abolis en
l’espace de trois ans (1989-1992) afin, là encore, d’encourager l’épargne domestique et
de rendre le système financier plus flexible.
Le marché boursier, quant à lui, a connu également un développement
considérable à partir de la fin 1987 jusqu’au début 1988 alors qu’il existait depuis 1975.
La capitalisation boursière du Stock Exchange of Thailand (SET), profitant des apports de
capitaux étrangers, a augmenté de 17,5 milliards de bahts en 1990 à 55 milliards de
bahts par an en 1991-1993 et à 130 milliards par an en 1994-1995. La capitalisation
boursière a passé de 29,4% du PIB en 1990 à 85,9% en 1995. L’index du SET a augmenté
de 612,9 points en 1990 à un sommet historique de 1753,73 points le 4 janvier 1994 et
s’est établi à 1280,8 points en 1995, en ligne avec le rythme de l’activité économique de
l’époque.
Néanmoins, suite à la crise financière, l’index redescendit à 372,69 points, soit
23,47% du PIB, fin 1997 (tableau 9).
47
NICOLAS F., « Les crises en Asie », Crise mondiale et marchés financiers, La Documentation française,
no 289, janvier-février 1999, p. 7.
33
Tableau 9 – Evolution du Stock Exchange of Thailand (SET) (1993-1997)
SET Index (fin de l’année)
Croissance (%)
Capitalisation boursière (milliards de bahts)
Croissance (%)
Capitalisation boursière (% PIB)
1993
1994
1995
1996
1997
1682.85
88.36
3325.39
123.93
105.10
1360.09
– 19.18
3300.75
– 0.74
91.67
1280.81
– 5.83
3564.57
7.99
85.42
31.57
– 35.07
2559.58
– 28.19
54.86
372.69
– 55.18
1133.34
– 55.72
23.47
Source : Banque de Thaïlande.
Nous avons tenté, dans ce chapitre, de mettre en évidence les rouages d’un
processus de libéralisation financière et par quelles étapes l’Etat thaïlandais a
progressivement démantelé ses propres prérogatives en matière de politique
financière. Un certain nombre de constatations s’impose.
Tout d’abord, on peut constater qu’on est passé d’un système financier
« répressif » caractérisé à la fois par un système bancaire de type oligopolistique et par
un fort contrôle de l’Etat, à un système largement « libéralisé » en un laps de temps très
court : une dizaine d’années si l’on fait démarrer le processus thaïlandais au milieu des
années 80. Dans la région, seuls Hongkong et Singapour possédaient un système
financier plus libéralisé que la Thaïlande. La Corée du Sud, la Malaisie, l’Indonésie et
même Taiwan n’étaient pas allés aussi loin dans ce processus48.
Ensuite, ce processus fut conduit par un gouvernement totalement acquis à la
cause des bienfaits théoriques d’une plus grande ouverture du système financier et
d’un Etat relâchant ses contrôles et pressions. Il fut parfaitement soutenu et encouragé
par la Banque mondiale et le FMI, tout heureux en la circonstance de trouver un pays
convaincu des avantages futurs dont il bénéficierait à libéraliser tout un pan de son
économie : « By the early 1990’s, strong pressures for deregulation and liberalization
were coming from the World Bank and the IMF, as well as foreign financial
institutions, particularly US banks… » 49
Enfin, nous avons distingué deux périodes de réformes : une première menée à
un rythme correct, dans laquelle certaines interventions50 ne sont pas dénuées de bon
sens, et une seconde menée à un rythme effréné, où toute réforme, quelle qu’elle soit,
trouvait sa justification à être implantée. Un commentateur ira même jusqu’à affirmer
que « in relative terms, Thailand is even more generous than Japan, an economic
superpower, in the liberalization of its financial sector » 51 alors que la politique
commerciale ou toute autre politique hors du domaine financier continuaient à être
caractérisées par la prudence et un certain degré de protectionnisme.
Finalement, tout porte à croire que la rapidité excessive avec laquelle le pays a
procédé à la libéralisation financière ainsi que certaines mesures mises en place,
comme l’établissement d’un système bancaire offshore (BIBF) ou l’acceptation de
l’article VIII des statuts du FMI, ont favorisé l’afflux trop considérable de capitaux
étrangers peu productifs. Ces états de fait ont sans aucun doute constitué les prémices
de la crise financière qui éclata en juin 1997. Loin de nous l’idée de vouloir diaboliser
les investissements étrangers, et nous ne mettons pas en cause la nécessité pour la
Thaïlande de faire venir des capitaux étrangers dans le pays puisque le besoin était réel
48
Lire l’étude empirique de WILLIAMSON J ., MAHAR M., op. cit.
49
BELLO W., CUNNINGHAM S., KHENG POH L., op. cit., p. 19.
50
Commercial Banking Act (1979).
51
CHAROONSANTIKUL V., KHANTONG T., « BIBF’s Map Unchartered Territory », The Nation, February 1997,
p. B10.
34
et justifié.Cependant, il se trouve que la Thaïlande, consciemment ou non, ne s’est
peut-être pas rendu compte dans l’immédiat que ses besoins ont satisfait très (trop)
largement aux souhaits et intérêts des pays industrialisés. En effet, ces derniers, tout
heureux de bénéficier de débouchés pour l’exportation de leurs capitaux afin de
s’éloigner le plus possible du climat économique maussade de l’époque, se sont
précipités sur ces marchés émergents pour voir leurs bénéfices boursiers augmenter
grâce à des investissements plus rémunérateurs qu’ils ne l’eussent été en Europe ou
aux Etats-Unis.
35
36
CHAPITRE II
La crise financière thaïlandaise
Tout d’abord, nous tenterons de rappeler les événements marquants qui ont
jalonné cette crise et de présenter les causes à l’origine de ce véritable cataclysme qui
plongea l’Asie orientale dans une récession sans précédent. Ensuite, il s’agira
d’analyser plus précisément le diagnostic et l’intervention du FMI en Thaïlande en
mettant en avant la série de critiques provoquée par son action. Finalement, nous
tenterons, au-delà de l’analyse de la crise et de l’action du FMI, d’aborder les questions
annexes que la crise financière a fait surgir. Il semble qu’il soit devenu indispensable
aujourd’hui de réformer le système monétaire et financier international (SMFI) afin
d’empêcher ou tout au moins de prévenir ces crises financières dont l’intensification est
évidente depuis une vingtaine d’années.
Une crise « contagieuse »
C’est en Thaïlande que la crise éclata, le 2 juillet 1997. Suite aux attaques
spéculatives contre le baht et à la perte de confiance du marché par rapport à
l’économie du pays, les autorités thaïlandaises se sont vues dans l’obligation
d’abandonner la parité fixe avec le dollar. Le 20 août, le Conseil d’administration du
FMI approuva, pour une période de trente-quatre mois, un soutien financier à hauteur
de 2,9 milliards de DTS 52, soit l’équivalent de 505% de la quote-part du pays. Le 17
octobre, le conseil examine l’accord de confirmation en suivant la procédure établie
dans le cadre du mécanisme de financement d’urgence. Le 25 novembre, la Thaïlande
envoie une lettre d’intention53 exposant des mesures supplémentaires. Le 8 décembre,
le conseil achève le premier examen de l’accord de confirmation et le FMI décaisse 600
millions de DTS. Le 24 février 1998, la Thaïlande envoie une lettre d’intention énonçant
des mesures complémentaires.
Le 4 mars 1998, le conseil achève le deuxième examen de l’accord de
confirmation et le FMI décaisse 200 millions de DTS. Le 26 mai, la Thaïlande envoie
une nouvelle lettre d’intention. Le 10 juin, le conseil termine le troisième examen de
l’accord de confirmation, approuve un décaissement de 100 millions de DTS et conclut
les consultations de 1998-99 au titre de l’article IV.
52
Droits de tirage spéciaux. Il s’agit d’une créance qui n’est en principe pas remboursée, sauf si le Fonds
décide d’annuler les DTS alloués. Le DTS est composé d’un panier de cinq monnaies auxquelles une
pondération est affectée. Les monnaies qui composent le DTS sont le dollar (40% du total), le deutsche
Mark (21%), le yen japonais (17%), le franc français (11%) et la livre sterling (11%). Le DTS valait
environ 1,40 dollar en avril 1993.
53
Une lettre d’intention décrit le programme économique que le gouvernement entend mettre en œuvre
et pour lequel il sollicite le soutien du Fonds monétaire. Comme ces lettres contiennent des
engagements précis de la part du gouvernement, le Fonds est en mesure par la suite de vérifier si ces
engagements ont effectivement été pris.
37
Tableau 10 – Engagements de la communauté internationale et décaissements du FMI
1
en réaction à la crise asiatique (au 23 juillet 1998)
(milliards de dollars)
Engagements de la communauté internationale
Pays
FMI
Indonésie
Corée
Thaïlande
Total
11,2
20,9
4,0
36,1
1
2
3
4
Sources
2
multilatérales
10,0
14,0
2,7
26,7
Sources
3
bilatérales
21,1
23,3
10,5
4
54,9
Décaissements du FMI
Total
42,3
58,2
17,2
117,7
5,0
17,0
2,8
24,8
Les engagements du FMI en faveur des Philippines ne sont pas inclus dans ces chiffres.
Banque mondiale et BAsD.
Les contributions bilatérales en faveur de l’Indonésie et de la Corée représentaient une deuxième ligne
de défense éventuelle.
Estimations ; au 23 juillet 1998, le montant des nouveaux engagements n’avait pas encore été
communiqué.
Source : FMI, Rapport annuel 1998, Washington D.C., 1998, p. 26.
Il est encore bon de noter que la crise financière ne s’est pas limitée à la seule
Thaïlande, bien au contraire. La crise s’est propagée comme une traînée de poudre à
toute la région avec une force et une rapidité qui ont surpris bon nombre
d’observateurs. On est d’ailleurs en droit de se demander par quel vecteur de
contagion ces chocs se sont propagés ; un mécanisme de succession de dévaluations
compétitives, des mouvements de panique, des économies vulnérables ? Certains
auteurs, dont nous partageons l’avis, ont privilégié l’explication par les phénomènes de
panique en mettant en cause, entre autres, le rôle du FMI : « Although at times the IMF
can help restore confidence in battered economies, it can also send a signal to creditors
of impending crisis, leading to an accelerated outflow of foreign funds. This depends
especially on the specific measures that the IMF recommends. In the case of the Asian
programs, the IMF recommended immediate suspensions or closures of financial
institutions, measures which actually helped to incite panic. » 54
Le mythe du « miracle » asiatique et de ses valeurs communes a
vraisemblablement exercé un effet pervers en ce sens que les économies voisines
étaient perçues comme ayant des caractéristiques très proches de celles de la
Thaïlande. Cette dernière une fois touchée, la probabilité que d’autres le soient
augmenta aux yeux des observateurs et cela explique peut-être le désengagement en
masse des investisseurs étrangers des autres marchés de la région. L’intégration
régionale, même imparfaite, peut être à double tranchant : soit elle débouche sur des
actes de solidarité 55, soit l’interdépendance supposée des pays conduit à des
comportements grégaires qui font que la dévaluation d’une monnaie se répercute sur
d’autres en accélérant la spirale dévaluationniste que personne ne peut maîtriser.
Cependant, la contagion n’a pas frappé les pays de la région d’une manière identique.
Singapour et Taiwan, par exemple, n’ont connu, en comparaison, qu’une faible
54
RADELET S., SACHS J., The Onset of the East Asian Financial Crisis, Working Paper, nº 6680, NBER, August
1998, p. 19.
55
Dans le plan de sauvetage de la Thaïlande, la Corée et l’Indonésie ont été mises à contribution.
Cependant, elles n’allaient pas tarder à faire appel elles-mêmes au FMI.
38
dévaluation, cela s’expliquant sans doute par une situation plus solide des balances
courantes56 ainsi qu’une meilleure gestion bancaire.
Une crise de la mondialisation et de la libéralisation financière
Chaque fois qu’une crise éclate, surtout lorsqu’elle prend une ampleur aussi
considérable, on cherche des coupables. Les pays asiatiques sont-ils victimes des
mécanismes implacables de la spéculation internationale et des mouvements
contagieux de panique lorsqu’un pessimisme excessif est de mise ? La communauté
financière internationale est-elle responsable ? Dans l’affirmative, est-il nécessaire de
modifier le système financier international, de mieux réguler les flux de capitaux et de
revoir le rôle des institutions monétaires internationales afin d’assurer à l’avenir une
meilleure efficacité dans les préventions des crises et dans les interventions effectuées ?
Et si les responsables n’étaient autres que les pays asiatiques eux-mêmes ? Pour
rejoindre l’avis du FMI, la crise trouve-t-elle son origine dans une politique
économique inadaptée (manque de règles prudentielles, capitalisation insuffisante,
taux de change fixe maintenu trop longtemps, système de gouvernance corrompu) et
dans un déficit de transparence et d’information ? En d’autres mots, il s’agirait d’une
crise du capitalisme asiatique, interprétation qui se focalise sur les situations internes
des pays en crise sans jamais remettre en cause les bienfaits de la mondialisation
financière.
L’opinion du FMI, séduisante, voire même arrangeante sous certains de ses
aspects, ne convainc pas. Certes, nous n’allons pas jusqu’à remettre en cause tous les
facteurs invoqués – certains sont parfois pertinents – mais les origines domestiques ne
sont pas, à notre sens, les vrais responsables de la crise ; elles ont plutôt été révélées par
cette dernière. Les facteurs externes nous semblent davantage être à l’origine de la
crise. Cette crise est une crise de la mondialisation financière : les économies asiatiques
ont été victimes de leur succès, de leurs bonnes performances macroéconomiques et de
l’afflux de capitaux qu’ils ont engendré. Le mécanisme simplifié fut le suivant :
l’ampleur des capitaux (graphique 3)57 originaires des pays industrialisés, investis dans
des pays à la capacité structurelle financière trop fragile, a provoqué une surchauffe de
l’économie. Il en est résulté de nombreuses bulles spéculatives58, dont l’éclatement a
provoqué la fuite massive des capitaux, la faillite d’entreprises et d’institutions
bancaires ainsi que l’effondrement de la parité monétaire. Ce n’est qu’à cet instant
précis que l’on a constaté que les banques occidentales avaient prêté des sommes
considérables et que les emprunteurs asiatiques ne pouvaient pas rembourser.
Finalement, on a demandé l’aide des institutions monétaires internationales (FMI et
Banque mondiale), dont la préoccupation essentielle fut de s’assurer que les créanciers
allaient être remboursés.
Si cette crise est une crise de la mondialisation, elle n’en est pas moins non plus
une crise de la libéralisation financière et de l’affaiblissement de la gestion monétaire et
financière qu’elle engendra. En effet, la libéralisation a elle aussi contribué à l’afflux de
capitaux étrangers : « The financial liberalization directly contributed to the buildup in
foreign capital flows, since much of the domestic credit expansion was financed by
domestic banks and other financial institutions borrowing offshore. In Thailand, for
56
Excédentaires.
57
Plus particulièrement les investissements en portefeuille et tout autre investissement à court terme.
58
En particulier sur le marché des actions et le marché de l’immobilier.
39
example, the foreign liabilities of banks and financial institutions rose from 5% of GDP
in 1990 to 28% of GDP in 1995. » 59
Graphique 3 – Types de capitaux étrangers investis en Thaïlande (1986-1996)
Source : ASIAN DEVELOPMENT BANK, Key Indicators of Developing Asia
and Pacific Countries, Asian Development Bank/Oxford University
Press, 1997, cité dans BELLO W., CUNNINGHAM S., KHENG POH L., A
Siamese Tragedy : Development & Disintegration in Modern Thailand,
Zed Books Ltd., London, 1998, p. 22.
Comme nous l’avons démontré dans notre chapitre II, un processus de
libéralisation financière s’est instauré en Thaïlande à partir de la moitié des années 80 ;
une période qui correspond d’ailleurs à des processus semblables dans d’autres pays
émergents, que ce soit en Asie ou sur d’autres continents. Pour éviter de reprendre
notre propos, déjà élaboré dans le chapitre précédent, ce processus peut être résumé de
la façon suivante. Il fut caractérisé par des réformes sur la plupart des domaines
constitutifs du système financier thaïlandais :
– les taux d’intérêt ;
– l’introduction de nouveaux outils monétaires et le développement d’un marché
monétaire ;
– les taux de change ;
– le système bancaire :
– la possibilité que les banques soient aussi contrôlées par des entités
d’investisseurs, non plus seulement par quelques grandes familles ;
– le rabaissement des barrières d’entrée pour les banques étrangères ;
– la diversification et l’élargissement des activités des banques commerciales et
des compagnies financières (intermédiation sur le marché boursier, activité de
conseil dans les acquisitions et fusions...) ;
– l’amélioration de la supervision des instances financières ;
– le développement du marché des capitaux.
59
40
RADELET S., SACHS J., What Have We Learned, So Far, from the Asian Financial Crisis ?, Mimeo, January 4th
1999.
Il est indispensable de faire quelques remarques au sujet de la libéralisation
financière pour mieux comprendre en quoi elle est en partie responsable de la crise.
Tout d’abord, comme le relève Manuel Montes60, on peut estimer que les institutions
financières nationales, en obtenant une plus grande flexibilité, sont devenues moins
dépendantes des prêts du gouvernement tout en constatant une réduction des
réglementations prudentielles. Non seulement ces institutions ont obtenu plus de
flexibilité, mais elles ont aussi vu leur nombre augmenter en flèche, ce qui n’alla pas
sans provoquer une concurrence nationale accrue qui exacerba la prise de risque,
souvent aux dépens de la prudence.
En parallèle, la libéralisation du mouvement des capitaux a garanti aux
résidents nationaux moins de contraintes à l’égard de leurs avoirs à l’étranger ainsi
qu’aux non-résidents la facilité de sortie des capitaux. La porte fut alors grande ouverte
pour la fuite des capitaux en cas de crise soudaine.
Le passage aussi brutal d’une économie dont le régime de finance était contrôlé
quantitativement par l’Etat à une économie libéralisée caractérisée par la disparition du
contrôle sur le système de crédit ne peut se faire dans un laps de temps aussi court :
« As is so often the case with rapid financial sector liberalization, the governments
capacity to regulate and supervise these transactions did not keep pace. » 61 Cet
empressement a ouvert la voie au financement d’activités à la rentabilité douteuse,
particulièrement dans le secteur immobilier : « Fin 1996, la part moyenne des crédits
immobiliers dans le total des prêts des banques commerciales peut ainsi être estimée à
10%. Elle est de 25% dans le cas des compagnies financières. Pour certaines d’entre
elles, parfois la moitié des crédits accordés étaient entièrement consacrés à des projets
immobiliers. » 62 Or, on sait pertinemment que la rentabilité des investissements
immobiliers est loin d’être garantie. Ces marchés engendrent très facilement des bulles
spéculatives même s’ils peuvent aussi avoir un impact favorable sur le niveau de vie et
la productivité des agents économiques. De 1990 à 1993, la Thaïlande a même réussi à
connaître une progression record de 396% des valeurs boursières du secteur
immobilier dans toute la région asiatique (Hongkong : 346% ; Malaisie : 227% ;
Philippines : 153% ; Singapour : 135% ; Taiwan : 125%)63.
Finalement, cette situation a généré des excédents d’offres de logements. En
effet, selon la plupart des estimations, sur un total de 800’000 logements offerts à
Bangkok en 1996, seuls 400’000 ont trouvé preneurs64.
Le marché financier n’a pas la capacité de s’autoréguler de manière spontanée
sans déséquilibres et sans risques. De plus, il a tendance à développer la spéculation
comme unique méthode de profit. Négliger le profit facile et rapide pour donner
priorité à des investissements réellement productifs, tel est le rôle essentiel que seul
l’Etat est en mesure de jouer en tant que régulateur du marché. Les économies
nationales ont besoin de mesures régulatrices.
60
MONTES Manuel F., The Currency Crisis in Southeast Asia, Institute of Southeast Asian Studies,
Singapore, 1998.
61
RADELET S., SACHS J., op. cit., p. 4.
62
LAKHOUA F., « La crise financière thaïlandaise », Revue TFD, nº 46, mars/avril 1997, p. 62.
63
Ces données sont extraites
Homepage.html>.
64
LAKHOUA F., op. cit., p. 63.
de la
page Internet <www.stern.nye.edu/-nroubini/asia/Asia-
41
Le FMI : diagnostic et remèdes
Un diagnostic sans surprise
En résumé, le diagnostic du FMI est le suivant : la crise trouve essentiellement
son origine dans des politiques inadaptées (supervisions financières, change,
gouvernance...) et dans un manque d’information et de transparence. Le FMI ne remet
aucunement en cause la globalisation financière et le rôle des marchés financiers.
L’orthodoxie économique et financière qu’il représente rejette toute idée selon laquelle
l’économie réelle ait pu être mise à mal par la sphère financière 65, cela malgré la
violence et les effets amplificateurs des mouvements de capitaux et de la spéculation.
Non, l’origine de la crise est ailleurs. Tout d’abord, les signes de surchauffe de
l’économie thaïlandaise étaient de plus en plus manifestes à la veille de la crise et se
traduisaient par l’ampleur des déficits courants et les bulles spéculatives sur les
marchés boursiers et immobiliers : « the failure to dampen overheating pressures that
had become increasingly evident in Thailand and many other countries in the region
and were manifested in large external deficits and property and stock market
bubbles » 66. S. Fischer considère également que les régimes de taux de change fixe
avaient été maintenus trop longtemps, encourageant ainsi le mouvement
d’endettement en devises, synonyme de surexposition au risque de change pour les
entreprises et les institutions financières : « the maintenance of pegged exchange rate
regimes for too long, which encouraged external borrowing and led to excessive
exposure to foreign exchange risk in both the financial and corporate sectors » 67.
D’autre part, il estime que la qualité des portefeuilles de prêts des institutions
financières domestiques s’est détériorée en raison d’une supervision et de mesures
prudentielles beaucoup trop laxistes : « lax prudential rules and financial oversight,
which led to a sharp deterioration in the quality of banks’ loan portfolios » 68.
Finalement, il remarque que les incertitudes et hésitations des autorités ainsi que
certains doutes sur leurs engagements et capacités à entreprendre les réformes
nécessaires ont exacerbé les pressions extérieures sur les monnaies et les marchés des
actions : « As the crises unfolded, political uncertainties and doubts about the
authorities’ commitment and ability to implement the necessary adjustment and
reforms exacerbated pressures on currencies and stock markets. » 69
Carl-Johan Lindgren confirma ces propos lors d’un forum économique
organisé par le FMI à son siège, le 21 avril 1998 : la crise ne tient pas seulement au
manque de réglementation prudentielle ou de dispositif de contrôle, mais aussi aux
carences du gouvernement d’entreprise, à l’insuffisance des données disponibles ou
communiquées, à la déficience du cadre juridique et institutionnel, à l’usage abusif des
garanties de l’Etat et de ses fonctions de prêteur en dernier ressort, et aux déséquilibres
macroéconomiques70.
Sans voix discordante en son sein, le FMI fit preuve, lors de l’examen des
origines de la crise, tout à la fois d’une homogénéité remarquable et d’un discours
convenu d’avance, sans surprise.
65
Lire CHOSSUDOVSKY M., « Une frénésie spéculative qui ébranle les économies réelles », Le Monde
diplomatique, décembre 1997.
66
FISCHER S., « The Asian Crisis : A View from the IMF », Washington D.C., January 22, 1998, p. 2.
67
Ibid.
68
Ibid.
69
Ibid.
70
Carl-Johan Lindgren est sous-directeur de la Division de la réglementation et du contrôle des banques
du Département de la monnaie et des changes au sein du FMI. Ces propos sont résumés dans la revue
Développement et Coopération, nº 5, 1998, p. 10.
42
Des remèdes habituels
Le Fonds n’a pas non plus, dans les remèdes proposés, fait preuve d’une
originalité débordante. Il s’est contenté de focaliser son programme d’aide sur les
situations internes des pays en crise sans jamais prendre en compte le fonctionnement
imparfait des marchés financiers internationaux. Son programme initial de réforme
économique comprenait :
– une restructuration du secteur financier, visant dans un premier temps à identifier
et à fermer les établissements financiers non viables, une intervention dans les
banques les plus fragiles et la recapitalisation du système bancaire ;
– des mesures budgétaires pour transformer le déficit du secteur public en excédent et
pour appuyer l’amélioration du déficit extérieur courant ainsi que pour couvrir les
charges d’intérêts imputables à la restructuration financière ;
– un nouveau cadre de politique monétaire (rigoureuse), conforme au nouveau
régime de flottement dirigé, afin de défendre la stabilité du taux de change ;
– des initiatives structurelles afin de rendre le secteur privé plus efficace en l’ouvrant
sur l’extérieur pour attirer des capitaux étrangers (privatisations, réforme de la
fonction publique...)
En d’autres termes, on peut résumer ce programme en deux éléments
essentiels :
– un ajustement macroéconomique par le biais d’une politique monétaire rigoureuse,
principalement afin de contenir les spirales inflationnistes et dévaluationnistes, et
d’une politique budgétaire et fiscale dont le but était de fournir un support pour les
coûts des divers ajustements à effectuer. Les objectifs macroéconomiques étaient les
suivants : créer les conditions d’une croissance de 2,5% en 1997 et 3,5% en 1998
(montants révisés en décembre 1997 à 0,6% et 0-1%), réduire le taux d’inflation à 45% après une montée initiale jusqu’à 9-10%, réduire le déficit courant à 3% du PIB,
reconstituer les réserves des changes à hauteur de 23 milliards de dollars à la fin
1997 et 30 milliards en 1998 et, finalement, ramener le déficit budgétaire à 1,5% du
PIB ;
– une série de réformes, sous forme d’ajustements structurels principalement dans le
domaine financier, dans le but de restaurer la confiance des marchés financiers et
ralentir, voire stopper la fuite des capitaux.
Le programme initial a été modifié par la suite. Cependant, les changements
effectués ne modifièrent en aucun cas les objectifs généraux fixés au préalable puisqu’il
s’agissait de donner la priorité à la stabilisation du taux de change et de préparer le
retour de la Thaïlande sur les marchés financiers internationaux. Le FMI n’a donc pas
su profiter de l’occasion pour faire preuve de courage politique et s’est contenté d’un
discours attendu. Pourtant, l’occasion était parfaite. Tout indiquait qu’il ne s’agissait
pas là d’une crise du capitalisme asiatique 71, mais bien d’une crise dont il faut trouver
les vraies origines dans les méfaits et les excès d’une mondialisation financière
incontrôlée et d’un processus de libéralisation financière mené de façon trop rapide et
dont certaines mesures n’ont fait que mettre en danger les équilibres internes du pays.
71
Caractérisé par certaines vulnérabilités de ses économies comme la faiblesse des secteurs financiers, un
endettement élevé des entreprises et une transparence insuffisante. Nous ne remettons pas en question
ces critères mais ils ne sont en rien responsables de la crise, ayant plutôt été révélés par elle.
43
Des critiques virulentes
Faisant suite au diagnostic et au programme établi par le Fonds, ce dernier fut
assailli par des critiques de tous bords, émanant aussi bien d’hommes politiques et
d’opinions publiques que d’universitaires proposant des analyses alternatives, voire
dissidentes, de la crise, qui portent tout aussi bien sur le diagnostic que sur les actions
menées.
Une première série de critiques a remis en cause l’analyse du FMI en mettant
en exergue le fait qu’elle contient, certes, une part de vérité en reconnaissant les
vulnérabilités des économies asiatiques : « The weaknesses in the Asian economies
were real but far from fatal » 72, mais qu’elle est d’une part partielle et d’autre part
difficilement compatible avec certains aspects de la crise :
– les économies asiatiques avaient enregistré une forte croissance depuis de
nombreuses années. Cela remet en question l’existence prétendue de graves
dysfonctionnements. Le Fonds n’affirmait-il pas dans son rapport en 1997 :
« Directors strongly praised Thailand’s remarkable economic performance and the
autorities’s consistent record of sound macroeconomic policies » ? 73
– si ces dysfonctionnements étaient si graves, comment se fait-il que la crise n’ait pas
été anticipée ? Soit les dysfonctionnements ne furent pas aussi importants que le
Fonds a bien voulu nous le faire croire, soit on a la preuve tangible de l’échec du
mécanisme de prévention des crises, en particulier du rôle des informations qui
s’est avéré insuffisant pour éviter la crise. Le FMI n’a pas su prévenir la crise alors
qu’il avait prévu, après la crise du peso mexicain (1994-95), « de fournir au marché
en temps utile des informations complètes sur les variables économiques
essentielles » 74. Au-delà de l’importance des informations, les indicateurs
macroéconomiques traditionnels (taux d’inflation, croissance, agrégats monétaires,
solde de la balance des paiements) ne sauraient être suffisants pour donner une idée
précise de la situation d’un pays ;
– enfin, si ces problèmes étaient connus, on peut se demander comment l’Asie a été
capable d’attirer autant de capitaux : « Without question there were macroeconomic
imbalances […] However, most of these problems had been well-known for years,
and the Asian-5 countries were able to attract $211 billion of capital inflows between
1994 and 1996, under widely known conditions of Asian capitalism. » 75
Une seconde série de critiques porte sur la nature et le contenu du programme
d’action du FMI, qui découle bien évidemment de son analyse de la crise. L’impact
récessif des politiques proposées (politique monétaire restrictive, contraction de la
demande intérieure, augmentation des recettes fiscales...) ne fait aucun doute et on
peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de telles politiques pour un pays qui
fait face à une implosion de son système bancaire : « The currency crisis is not the
result of Asian government profligacy. This is a crisis made mainly in the private,
albeit under-regulated, financial markets. » 76 Eu égard à la situation économique
relativement saine de la Thaïlande précédant la crise – le PIB réel avait augmenté de
9% en 1996, un excédent budgétaire de 1,6%, un taux d’inflation réduit de 5,9% –, on a
du mal à comprendre pourquoi le FMI lui imposa une telle politique restrictive, en
72
SACHS J. , « The Wrong Medicine for Asia », New York Times, November 3, 1997.
73
FMI, Annual Report, 1997.
74
CAMDESSUS M., « La crise financière mexicaine, ses origines, la réponse du FMI et les enseignements à
en tirer », Revue d’économie financière, vol. 33, p. 42.
75
RADELET S., SACHS J., op. cit., p. 30.
76
SACHS J., op. cit., p. 2.
44
particulier dans le domaine budgétaire : « While the Fund argued that fiscal
contraction was necessary to reduce the current account deficit, there was no clear
rationale provided for why additional contraction was necessary on top of the massive
contraction that was already automatically taking place in the region. »77
On peut également douter de la pertinence des mesures prises dans le
domaine de la politique monétaire, dont l’intention première fut de stabiliser la
monnaie. Elles se traduisirent par une augmentation des taux d’intérêt avec pour
objectif de regagner la confiance des marchés financiers internationaux et de mettre un
terme à la fuite de capitaux en inversant les flux. Cependant, cette politique a un
inconvénient majeur : elle maintient la pression sur les entreprises endettées parce
qu’elles doivent supporter des frais plus élevés pour leur emprunt en devises
étrangères78 et qu’elles sont de surcroît confrontées à des taux d’intérêt plus élevés sur
le marché intérieur79.
Une troisième série de critiques porte sur l’éternel problème de l’aléa moral et
par conséquent du rôle du FMI en tant que prêteur en dernier ressort. Ce problème
existe lorsque la fourniture d’une garantie contre un risque encourage un
comportement plus risqué. Il existe à deux niveaux : au niveau des décideurs d’un
pays, qui prendront plus de risques sachant que le FMI sera présent si leur politique
économique échoue, et au niveau des prêteurs, qui prendront des risques excessifs
basés sur la croyance que les aides du Fonds seront ensuite disponibles pour permettre
aux gouvernements et aux banques de rembourser leur dette si le pays devait se
trouver dans une situation financière insoluble. Le principe de conditionnalité a pour
but de résoudre ce problème d’aléa moral en contraignant les bénéficiaires de
l’opération de sauvetage, en principe les Etats, à une certaine discipline économique.
Cependant, le principe de conditionnalité pose deux problèmes : d’une part, si
la conditionnalité est trop stricte, l’Etat va retarder le plus possible le moment où il
devra s’adresser au FMI, et d’autre part, ce principe n’a aucune prise sur les
investisseurs extérieurs alors qu’ils portent souvent une grande part de responsabilité
dans ce type de crises. Au contraire, ces investisseurs peuvent n’être que trop désireux
de prêter à un pays s’ils savent que celui-ci fera appel au FMI au lieu de se trouver
dans l’incapacité d’honorer ses dettes.
Vers une réforme du système monétaire et financier international ?
Le bilan de l’action du FMI dans la crise financière asiatique n’est guère
brillant. Le moment semble venu de redéfinir son rôle et son mandat, même si une
nouvelle donne idéologique reste peu probable. Selon l’opinion libérale, il s’agirait de
surveiller davantage les politiques économiques menées par les pays qui utilisent les
capitaux internationaux (surveillance effectuée par le FMI) et d’améliorer la
transparence en exigeant des institutions financières qu’elles produisent plus
d’informations sur leur véritable situation. Néanmoins, sur ce dernier point, comme
l’affirme M. Aglietta, « dès lors que les crises financières sont de nature systémique, il
existe en effet un niveau d’incertitude qui ne peut être a priori pris en compte et intégré
dans des modèles probabilistes d’évaluation des risques. Les crises financières
internationales ne sont pas des événements reproductibles selon des lois de probabilité
77
RADELET S., SACHS J., op. cit., p. 30.
78
A cause de la dévaluation de leur monnaie.
79
Pour plus de précisions sur la question, lire KINDLEBERGER C., Manias, Panics, and Crashes : A History of
Financial Crises, Third Edition, John Wiley and Sons, New York, 1996.
45
connues » 80. Cela même en établissant les dispositifs prudentiels les plus efficaces qui
soient. Y. Akyüz confirme ces propos en mettant en évidence les problèmes
conceptuels et structurels que posent la transparence et le rôle joué par l’information :
« It is generally agreed that public disclosure of information submitted to supervisors
could in some circumstances enhance rather than diminish instability. Nor is it clear
what constitutes relevant information, since there is considerable variation among
industrial countries in both the quantity and form of publicly disclosed information. » 81
Mais alors, que faire ? Laisser faire et affirmer, avec C. Wyplosz : « We have to
accept financial instability as a fact and learn how to deal with crises when they
occur » ?82 On mesure sans peine la gravité de tels propos. Cela signifie tout
simplement que si on accepte la libéralisation financière comme le principe de gestion
majeur du système financier international, l’instabilité devient une fatalité, inévitable.
Certes, les marchés financiers sont par définition instables, et même si l’instabilité est
devenue plus difficile à gérer du fait des changements structurels qui ont accompagné
la déréglementation financière, il reste une étape que nous peinons à franchir pour
définir l’instabilité comme un fait établi contre lequel il n’y a pas grand-chose à faire
sinon l’accepter. Pourquoi ? Essentiellement parce que la dimension fatale de
l’instabilité nous semble fortement liée à la nature politique du système. La
libéralisation financière est issue d’un choix politique. Si l’on accepte ce choix, il est
certain que l’instabilité est une fatalité mais il est alors indispensable de prendre
également en compte les impacts sociaux néfastes que peut engendrer cette instabilité
lorsqu’elle débouche sur une crise ; des impacts que certains ont facilement tendance à
oublier. Cependant, en fonction de l’option politique adoptée, il nous semble évident
que cette dimension de fatalité peut disparaître. La libéralisation financière ne doit pas
continuer à rester la seule option envisageable. D’autres principes de gestion existent.
Il faut reconnaître que l’échec des interventions du FMI est aussi imputable à
l’inadéquation de son cadre institutionnel, conçu dans les années 40 dans un
environnement économique international très différent de celui d’aujourd’hui, dans
lequel les marchés financiers fonctionnent à l’échelle mondiale et le rôle du secteur
privé croît sans cesse. De l’essor des marchés des capitaux et de la déréglementation
généralisée a découlé la parfaite mobilité des capitaux, aidée en cela par l’apparition de
nouvelles technologies bancaires et financières telles qu’Internet, l’électronisation des
flux monétaires, etc. Peut-être est-il nécessaire de doter le FMI d’instruments nouveaux
et de le faire collaborer avec d’autres institutions comme la Banque des règlements
internationaux (BRI) par exemple. Cette dernière a les compétences nécessaires pour
coordonner l’action des superviseurs bancaires nationaux rassemblés dans le Comité
de Bâle. Le Club des grandes banques centrales localisées à la BRI est en mesure de
renforcer la fourniture d’informations par les grandes banques internationales afin
d’établir une réelle supervision sur ces conglomérats financiers et ces banques
universelles mondialisées, même si, comme nous l’avons vu ci-dessus, ces mesures
prudentielles ne peuvent tout résoudre à elles seules ; elles restent une solution
intéressante à condition d’être uniformément appliquées à toutes les institutions
financières, non pas seulement à celles originaires des pays émergents.
Quant à l’idée de placer les politiques économiques des Etats sous la
surveillance du FMI, cela implique une restriction de leur souveraineté. Il serait
surprenant que tous les Etats soient prêts à cette éventualité. D’autre part, cela nous
80
AGLIETTA M., « Comment réguler les crises financières internationales ? », Sciences humaines, hors-série,
nº 22, septembre/octobre 1998, p. 40.
81
AKYUZ Y., « The Debate on the International Financial Architecture : Reforming the Reformers »,
Discussion Papers, nº 148, UNCTAD, April 2000, p. 5.
82
WYPLOSZ C., « International Financial Instability », in KAUL I., STERN M., GRUNBERG I. (eds.), op. cit.,
p. 186.
46
rappelle étrangement le très controversé droit d’ingérence humanitaire. Se dirige-t-on
vers un nouveau droit d’ingérence économique sous prétexte que le FMI détiendrait le
savoir suprême dans un domaine où la vérité d’un jour est rarement celle du
lendemain ?
Lorsqu’on parle de réformer le système monétaire et financier international
(SMFI), les aspects institutionnels (rôle du FMI, de la BRI, de la Banque mondiale...) ne
sont pas les seuls à prendre en compte. En effet, il est indispensable d’aborder un autre
dossier au moins aussi important et tout aussi délicat : la libéralisation financière et ses
effets.
En résumé, la libéralisation financière est supposée conduire à une
accélération de la croissance économique 83. Notre objectif n’est pas de rediscuter la
validité du concept, mais plutôt de soulever quelques remarques sur les effets
provoqués par l’idéologie des marchés financiers libres de toute entrave dans le
contexte de la crise asiatique. Lors d’une conférence à Chicago le 27 février 1998, un
observateur et non des moindres, puisqu’il s’agit de Joseph Stiglitz 84, a remis en cause
certains postulats des bienfaits de la libéralisation financière. Il estime que « les pays
asiatiques, avec leurs taux d’épargne élevés, ont probablement bénéficié d’un
supplément de croissance très limité du fait des entrées de capitaux. Lorsque les taux
d’épargne excèdent un tiers du PIB, le supplément d’investissement qui peut être
financé par un afflux de capitaux contribue vraisemblablement peu à l’ensemble de
l’économie » 85.
Il ajoute plus loin que contrairement à l’idée que la libéralisation des systèmes
financiers est favorable à la croissance en ce qu’elle réduit les distorsions de
concurrence, une libéralisation trop rapide peut fragiliser un système financier, et par
là même réduire la croissance. C’est exactement ce qui s’est produit en Asie.
Même s’il reprend certaines idées du FMI, il estime que « le temps est venu
pour ouvrir un débat sur les avantages et les limites de différentes approches, y
compris certaines formes de taxation, régulation ou limitation des flux internationaux
de capitaux » 86. Il pense à la fameuse et très controversée taxe Tobin, du nom de
l’économiste américain James Tobin, qui en 1978 proposa de taxer les mouvements de
capitaux afin de « mettre du sable dans les rouages trop bien graissés de la finance
internationale ». Le montant de cette taxe serait proportionnel à la durée des
transactions. De cette façon, les opérations à court terme, généralement les plus
spéculatives, seraient pénalisées par rapport aux placements à long terme. Cependant,
même si cette proposition est intéressante, d’une part, les oppositions sont nombreuses
à l’établissement d’une telle taxe 87 et, d’autre part, son dispositif ne permettrait pas
d’empêcher les crises de se produire quand les fondamentaux macroéconomiques sont
mauvais ou lorsque les anticipations sont très défavorables, quand bien même il
83
Voir chapitre II.
84
Ancien économiste en chef de la Banque mondiale. Son discours était intitulé « Le rôle des institutions
financières dans l’économie globale actuelle ».
85
Ses propos sont repris dans JOLY H., « Crise asiatique et architecture du système monétaire et financier
international : le point sur la réflexion aux Etats-Unis », Revue d’économie financière, nº 48, juillet 1998,
pp. 182-183.
86
Ibid.
87
En effet, les sommes en jeu sont considérables. Selon des évaluations effectuées par la CNUCED, à la
fois sur le rendement de la taxe Tobin et sur la manière dont elle pourrait être utilisée, en tablant sur
1000 milliards de dollars par jour imposés à 1%, la CNUCED arrive à des recettes de 720 milliards de
dollars par an. On imagine aisément, en fonction de tels enjeux, que les critiques innombrables jugeant
la taxe séduisante mais impraticable n’ont eu aucune peine à se faire jour...
47
permettrait un ralentissement de leur développement et par là même plus de temps
pour trouver des solutions88.
Finalement, le FMI a réussi, à travers son diagnostic et son action, à
contourner le problème essentiel apparu lors de la crise asiatique : les vulnérabilités
intrinsèques de la sphère financière. En confondant causes circonstancielles et causes
profondes, le Fonds s’est concentré sur les situations internes des pays asiatiques alors
qu’il aurait fallu mettre en avant les responsabilités et caractéristiques des marchés
financiers internationaux privés de toute régulation et tendant à distraire le capital de
son investissement productif en faveur d’une logique de profit à court terme.
On le constate aisément lorsqu’on étudie les possibilités de réforme du SMFI :
ne manquent ni les solutions, ni les divergences à leur propos. Les débats sont
nombreux et les enjeux de taille : il s’agit ni plus ni moins d’une « remise en cause » de
la nature hypertrophiée et instable de la sphère financière. Néanmoins, les
observateurs semblent d’accord sur un point : il faut améliorer le système. La question
essentielle est de savoir comment. C’est principalement sur ce dernier point que les
opinions s’opposent. Surveiller davantage les politiques économiques des Etats,
améliorer les mesures de contrôle des institutions financières ou réglementer les
mouvements de capitaux par diverses taxations et, au niveau national, permettre à
l’Etat de jouer un rôle de modérateur et de régulateur du système ? Au risque
d’autonomisation de la sphère financière il faut répondre par des solutions fortes et
efficaces pour tenter de reconnecter positivement finance et économie réelle. Cet
objectif est essentiel car l’équilibre est précaire et rien ne dit, malheureusement, que la
crise asiatique ait réellement servi de leçon en dépit des graves conséquences sociales
qu’elle a engendrées. Tel est donc l’un des objectifs du chapitre suivant : identifier et
présenter les engrenages qui font que la crise de nature financière s’est transformée en
une crise sociale bien réelle, ainsi que les divers impacts provoqués.
Cela dit, s’il fallait retenir dans ce chapitre un ou deux éléments
d’interprétation pour approfondir l’analyse, nous nous tournerions vers la
problématique de l’intégration régionale. Cette intégration, véritable facteur
d’homogénéisation grâce au mythe du « miracle » asiatique et de ses valeurs
communes, a probablement exercé un effet pervers sur les pays de la région perçus de
l’extérieur par les investisseurs internationaux comme appartenant à la même classe de
risques. Selon l’école de pensée régionaliste 89, ces pays se sont développés les uns avec
les autres, amenant à imaginer que les économies de ces pays sont imbriquées et très
complémentaires. Cependant, même si l’on peut parler d’une certaine
homogénéisation, d’éléments que ces pays ont en commun, comme par exemple un
processus de transformation structurelle fondamental de l’économie sur ces trente
dernières années, il n’en demeure pas moins des éléments de distinction. Tout d’abord,
si l’on examine la dimension géographique, on constate que ces pays n’ont pas la
même superficie et un nombre d’habitants parfois très différent. Ils ont également une
histoire précoloniale très différente avec deux grandes zones : la zone sinisée (Chine),
comprenant le Japon, la Corée, le Vietnam, Hongkong, Taiwan et Singapour, et la zone
indianisée (Inde), avec l’Indonésie, la Malaisie, le Laos et le Cambodge. Il existe donc
une grande différence culturelle entre tous ces pays. La colonisation a d’ailleurs
renforcé ce phénomène de différenciation puisque certains pays furent colonisés,
d’autres non ; certains plus tôt, d’autres plus tard, etc. Les colonisateurs furent
différents (portugais, espagnols, anglais, hollandais, français... ), et apportèrent avec
eux leur propre méthode de colonisation. La décolonisation a également constitué un
88
WYPLOSZ C., Globalized Financial Markets and Financial Crisis, IUHEI, Genève, mars 1998.
89
Elle constitue l’une des quatre écoles de pensée qui ont tenté d’expliquer le processus de
transformation et de développement économique des pays d’Asie du Sud-Est, avec l’école libérale
(Banque mondiale, Friedmann, Balassa), l’école institutionnelle (Wade, Amsden) et l’école culturaliste.
48
facteur de différenciation puisqu’elle s’est produite soit de manière pacifique
(Malaisie), soit de manière guerrière (Vietnam), et qu’elle a abouti à la constitution de
régimes politiques différents (dictature, régime autoritaire, régime communiste...) dont
le seul point commun reste la dimension paternaliste, l’autoritarisme éclairé qui justifie
sa légitimité par le développement économique. C’est pourquoi, lorsque nous
affirmons que la crise financière est essentiellement d’origine externe, il faut aussi
ajouter qu’elle a pris une proportion plus ou moins grande d’un pays de la région à
l’autre en fonction des facteurs de fragilité endogènes rattachés aux caractéristiques
internes de chacun.
49
50
SECONDE PARTIE
Le réel : l’impact de la crise financière sur la société thaïlandaise
51
52
CHAPITRE III
Les mécanismes de transmission de la crise
ou lorsque le financier se marie au réel pour le pire
Comme l’affirmait le Dr Jung Soo Lee, économiste en chef à la Banque
asiatique de développement : « The social impact of the crisis is still unfolding. The
social crisis is likely to be deeper and can be expected to persist long after economies
have returned to solid positive growth. » 90 C’est pourquoi la prudence est de rigueur
dans cette seconde partie de notre travail. En effet, la proximité de la date de
déclenchement de la crise financière nous incite à adopter une certaine retenue dans
nos commentaires. D’une part, les chiffres et statistiques utilisés s’étalent jusqu’à 1999
et, d’autre part, certaines données sont incomplètes. De plus, les stratégies de
débrouillardise (coping mecanisms) mises en place par les ménages (souvent les plus
pauvres) pour maintenir le niveau de consommation habituel afin de faire face aux
baisses de revenus auront probablement des conséquences négatives dans le futur
difficilement mesurables. Alors que certains effets se sont déjà fait sentir, d’autres
agiront sur une durée plus longue. Loin de nous donc l’idée de vouloir tirer des
conclusions hâtives et définitives, ce qui ne devrait pas non plus nous empêcher de
dresser un premier bilan circonstancié des impacts sociaux provoqués par la crise.
Nous désirons également garder à l’esprit une perspective comparative avec
d’autres pays de la région qui peut s’avérer intéressante si on la met en relation avec
notre dernier paragraphe du chapitre précédent. C’est pourquoi certains graphiques
comporteront des indicateurs économiques de plusieurs pays, et non uniquement ceux
de la Thaïlande.
En premier lieu, nous tâcherons de comprendre par quels mécanismes de
transmission la crise financière s’est transformée en crise sociale ; puis nous tenterons
d’identifier les impacts de la crise dans divers domaines :
– l’emploi, les revenus et les prix ;
– l’éducation et la santé ;
– les groupes spécifiques (niveau d’éducation, genre, âge, taille des ménages, etc.).
On peut estimer qu’il existe quatre principaux conduits de transmission de la
crise : le niveau des prix, le marché de l’emploi, le budget du gouvernement et les
crédits.
La forte dépréciation du baht durant les premiers mois de la crise provoqua
une augmentation générale du niveau des prix, en particulier pour les biens importés
ainsi que pour les biens fabriqués avec une forte proportion de matériaux importés, tels
que les produits pharmaceutiques, les produits alimentaires ou encore l’essence.
Cependant, même si l’inflation augmenta de 1996 à 199891, elle ne le fit pas dans les
mêmes proportions dramatiques qu’au Laos ou en Indonésie (graphique 4).
90
Cité par SYMONDS P., « No End to the Social Crisis in Asia in Sight », 24 juin 1999, disponible sur le
World Socialist Web Site : <www.wsws.org>.
91
L’inflation augmenta de 5,3% en 1996 à 11% en 1998.
53
Graphique 4 – Niveau de l’inflation dans les pays touchés par la crise (1996-1998)
(% par année)
Source : ASIAN DEVELOPMENT BANK, Asian Development Outlook 1999, Oxford University
Press for the Asian Development Bank, Hong Kong, repris dans KNOWLES J.C., P ERNIA
E.M., RACELIS M., Social Consequences of the Financial Crisis in Asia, Economic Staff
Paper, nº 60, Asian Development Bank, Manila, November 1999, p. 6.
La contraction du PIB et la récession économique se traduisirent par une
baisse de la demande de main-d’œuvre et par conséquent une augmentation du taux
de chômage (graphique 5). Cette demande réduite est reflétée par les faillites
d’entreprises, les coupes dans les salaires ou le nombre restreint d’heures de travail. La
crise a également entraîné une baisse dans la demande de main-d’œuvre de
travailleurs immigrés, voire même dans certains cas des renvois de travailleurs dans
leurs pays respectifs92. Il faut reconnaître que le taux de chômage est malgré tout
relativement faible si on le compare aux taux européens par exemple. Il reste donc
difficile à interpréter. De plus, il est nécessaire de tenir compte également du sousemploi, de la diminution des heures de travail ainsi que du fait que la Thaïlande ne
possède pas de système de sécurité sociale pour atténuer les effets néfastes du
chômage.
92
54
Il s’agissait essentiellement de travailleurs birmans et cambodgiens.
Graphique 5 – Taux de chômage (1997-1998)
(%)
* Saison des pluies (août).
Sources : Indonésie : SIGIT H., SURBAKTI S., Social Impact of the Economic Crisis in
Indonesia ; Corée : MOON H., LEE H., YOO G., Social Impact of the Financial Crisis in
Korea : Economic Framework ; Malaysia : PIEI M.H., JOHAN M.bt., ABUKABAR S.Y., The
Social Impact of the Asian Crisis : Malaysian Country Paper ; Philippines : R EYES C.M. et
al., Social Impact of the Regional Financial Crisis in the Philippines ; Thaïlande :
PONSAPICH A., BRIMBLE P., Assessing the Social Impacts of the Financial Crisis in
Thailand, Papers prepared for RETA 5799, Asian Development Bank, Manila, 1999,
repris dans KNOWLES J.C., PERNIA E.M., R ACELIS M., op. cit., p. 7.
La crise a également provoqué des baisses de revenus au niveau du
gouvernement, alors que des sommes importantes ont été consacrées à restructurer les
institutions financières et au service de la dette. Habituellement, la règle est de
maintenir les dépenses prévues, particulièrement dans les services sociaux essentiels
que sont l’éducation et la santé. Reste qu’en cas de crise sévère, il est parfois difficile
d’éviter de couper dans les budgets leur étant attribués. Nous prêterons une attention
particulière à ces secteurs afin de voir si la règle s’est vérifiée.
En plus d’une baisse générale de leurs salaires (graphique 6), de nombreux
ménages ont perdu des sommes importantes épargnées dans des banques en faillite ou
investies sur le marché boursier. La diminution des prêts avec garantie et la hausse des
taux d’intérêt ont considérablement réduit l’accès aux crédits pour la consommation ou
l’investissement. Les ménages sont donc forcés de s’en remettre au marché informel du
crédit, qui impose également des taux d’intérêt élevés.
55
Graphique 6 – Changement du salaire réel par travailleur (1997-1998)
(%)
Sources : Indonésie : SIGIT H., SURBAKTI S., op. cit. ; Corée : MOON H., LEE H., YOO G., op.
cit. ; Thaïlande : PONSAPICH A., BRIMBLE P., op. cit., repris dans KNOWLES J.C., PERNIA E.M.,
RACELIS M., op. cit., p. 8.
Sans devoir revenir sur les causes de la crise financière, on peut
principalement la définir comme une crise de change caractérisée par la dévaluation de
sa monnaie. La dévaluation du baht eut des conséquences directes : l’augmentation des
taux d’intérêt afin de stabiliser la monnaie avec pour objectif de regagner la confiance
des marchés financiers internationaux, la contraction du PIB, l’augmentation du prix
des biens importés et les nombreuses faillites d’entreprises qui ne purent plus
rembourser leurs dettes. Chacune de ces conséquences eut à son tour, par
l’intermédiaire de conduits de transmission, des effets directs sur la population
thaïlandaise : diminution de la consommation et des investissements, coupes
budgétaires dans les domaines de l’éducation et de la santé, augmentation du prix de
la nourriture et du coût de la vie et finalement, baisse des revenus, augmentation des
inégalités et de la pauvreté (schéma 1).
56
57
Source : établi par l’auteur.
Schéma 1 – Mécanismes de transmission de la crise financière à la crise sociale
58
CHAPITRE IV
Les déterminants de la pauvreté
L’impact de la crise sur l’emploi
Les changements structurels provoqués par la crise dans le marché de l’emploi
peuvent être résumés comme suit : déplacement géographique des travailleurs et
changement à la baisse des salaires et/ou des heures de travail.
Cependant, pour lutter contre ces effets négatifs, la population a mis en place
des stratégies leur permettant, dans certains cas, d’éviter le pire. Premièrement, les
travailleurs pas ou peu qualifiés ont pu pour certains, au vu de la nature de leur
qualification, changer de place de travail suivant les besoins, allant d’une industrie à
l’autre. Deuxièmement, les travailleurs ont été capables de varier leurs heures de
travail en travaillant moins pour garder leur emploi. Troisièmement, certaines familles
se sont regroupées afin d’économiser de l’argent et de mettre en commun leurs
ressources. Finalement, les gens ont aussi décidé de dépenser moins d’argent. Au
début de l’année 1999, on peut affirmer que la situation de l’emploi s’est améliorée
dans de nombreux secteurs même si les salaires et les heures de travail effectuées
fluctuent encore beaucoup. Néanmoins, le chômage a continué à empirer,
principalement à cause des effets résiduels du secteur de la construction, très touché
par la crise.
En effet, comme on peut le constater sur le graphique 7, le secteur de la
construction est la grande victime de la crise en Thaïlande, dans des proportions
beaucoup plus impressionnantes que celles de ses voisins. Il perdit 942’000 personnes
(32%) à la saison sèche (février) de 1998, malgré le fait qu’il avait commencé à décliner
avant la crise (34% d’emplois en moins entre 1996-1997)93. Finalement, l’emploi dans le
domaine de la construction diminua de 34% en août 1998 (saison des pluies), une
année après le début de la crise. L’emploi dans les domaines commerciaux et
industriels a souffert de pertes nettement moins sévères. En août 1998, les pertes
d’emplois dans le secteur commercial s’élevaient à 137’000 (3%) et dans l’industrie à
73’000 (2,4%).
93
La plupart des chiffres donnés dans cette seconde partie sont issus de l’étude suivante : B RIMBLE P.,
PONGSAPICH A., Assessing the Social Impacts of the Financial Crisis in Thailand, Paper prepared for RETA
5799, Asian Development Bank, Manila, 1999. P. Brimble dirige un groupe de consultants spécialisés
dans les questions sociales, le Brooker Group.
59
Graphique 7 – Changement du niveau de l’emploi
dans la construction et l’industrie manufacturière (1997-1998)
(%)
Sources : Indonésie : SIGIT H., SURBAKTI S., op. cit. ; Corée : MOON H., LEE H., YOO G., op.
cit. ; Malaysia : PIEI M.H., JOHAN M.bt., ABUKABAR S.Y., op. cit. ; Philippines : REYES C.M. et
al. ; Thaïlande : PONSAPICH A., BRIMBLE P., op. cit., repris dans KNOWLES J.C., P ERNIA E.M.,
RACELIS M., op. cit., p. 9.
Tableau 11 – Emploi par secteur (1996-1998)
(milliers)
Février
Agriculture
Industrie
Construction
Commerce
Services
Autres
Août
1996
1997
1998
1996
1997
1998
12 146
4 967
3 125
4 452
4 100
1 308
11 938
4 996
2 984
4 603
4 400
1 346
11 640
4 923
2 042
4 742
4 728
1 338
16 127
4 334
2 172
4 342
4 094
1 163
16 691
4 292
2 021
4 601
4 342
1 215
16 472
4 189
1 280
4 464
4 584
1 141
Source : site Internet <www.sspl.org/ssropen/SSR-SYNTHESIS.htm>, p. 5.
Comme le montre le tableau 11, le secteur des services a, quant à lui, généré
un certain nombre d’emplois depuis le début de la crise. En août 1998, les emplois dans
ce secteur ont augmenté de 5,6% (242’000 personnes). Pour mieux comprendre
l’importance soudaine de ce secteur dans cette période difficile, on peut estimer qu’il a
absorbé approximativement 19% des pertes totales d’emplois des autres secteurs une
année après le début de la crise.
60
A l’automne 1998, le nombre de chômeurs avait presque quadruplé par
rapport à la même période de l’année précédente pour atteindre 1,1 million de
personnes ou 3,4% de la population active (comparé à 293’000 personnes ou 0,9% en
août de la même année). Lors du premier trimestre de 1999, le chômage atteignit 1,7
million de personnes alors qu’il n’en concernait que 641’000 trois ans plus tôt.
En dépit des statistiques effectuées, l’emploi urbain fut davantage affecté que
l’emploi en zone rurale. L’exode urbain vers les campagnes déplaça un nombre
considérable de travailleurs sans emploi. Il est donc essentiel de prendre en compte cet
exode lors de l’interprétation des chiffres proposés qui tendent, à tort, à prouver le
contraire puisque, en août 1998, le niveau de l’emploi en zone rurale aurait diminué de
3,2% contre 2,6% en zone urbaine.
La région du nord-est, déjà relativement pauvre, est la plus touchée avec plus
de 63% des pertes d’emplois ; viennent ensuite Bangkok avec 14%, le nord avec 11%, le
centre avec 9% et le sud, relativement épargné, avec 2%.
Certains travailleurs, même s’ils ne perdirent pas leur emploi, ont pu souffrir
du sous-emploi en étant obligés de travailler moins d’heures qu’ils ne l’auraient voulu.
Il est évident que le sous-emploi a fortement augmenté durant la crise.
Le niveau de qualification des travailleurs a également joué un rôle important.
Les travailleurs qualifiés ont été moins affectés par la crise que les travailleurs peu
qualifiés ou sans qualification. L’emploi au sein des travailleurs n’ayant suivi que des
études primaires a diminué de 8% entre août 1997 et août 1998 alors que ceux qui ont
suivi des études secondaires, voire universitaires, ont vu le niveau de l’emploi
augmenter de 12,2%.
Les jeunes constituent la catégorie d’âge la plus affectée. On a pu constater
une forte augmentation du chômage au sein des universitaires diplômés en août 1998
lorsqu’ils entraient sur le marché du travail. L’impact de la crise sur l’emploi s’est
particulièrement concentré sur les jeunes qui arrivaient nouvellement au niveau des
statistiques dans la catégorie de la population active (13-14/15-29 ans)94. Le chômage a
augmenté de 60% pour les jeunes en dessous de 30 ans (un tiers de la population
active) durant 1998. Par contraste, les personnes âgées de 50 ou plus n’ont connu
qu’une légère augmentation du chômage.
Par contre, l’impact de la crise selon les catégories de sexe (homme/femme)
au niveau de l’emploi et des salaires reste beaucoup plus difficile à établir. L’emploi
chez les femmes a diminué de 3,8% entre août 1997 et août 1998 alors qu’il n’a diminué
que de 2,5% chez les hommes. Néanmoins, il n’y a pas vraiment de différence au
niveau de l’augmentation du taux de chômage car le déclin du pourcentage des
femmes dans la population active est plus important que celui des hommes et le déclin
du salaire réel chez la femme est moins fort que chez l’homme (la différence entre le
salaire réel de l’homme et de la femme s’est réduite de 5,5%).
En résumé, on peut estimer que
– le secteur de la construction fut le plus gravement touché, contrairement au secteur
des services, épargné par la crise ;
– l’emploi en zone urbaine fut davantage affecté que l’emploi dans les campagnes ;
– la région du nord-est est la plus touchée alors que le sud est relativement épargné ;
94
Bien que le Labor Force Surveys inclue les jeunes de 13-14 ans dans la catégorie de la population active,
les statistiques sont difficiles à établir car même s’ils ne travaillent qu’une heure par semaine, ils sont
classés dans la population active, en dépit du fait qu’ils puissent continuer à aller à l’école.
61
– les travailleurs peu qualifiés, voire sans qualification, ont été plus affectés par la
crise que les travailleurs qualifiés ;
– les jeunes constituent la catégorie d’âge qui souffrit le plus de la crise (13-14/15-29
ans), contrairement aux plus de 50 ans ;
– l’impact ne semble pas particulièrement se différencier selon le genre.
L’impact de la crise sur les revenus
Malheureusement, les statistiques concernant les revenus des ménages sont
établies tous les deux ans en Thaïlande. Les dernières séries datent de 1996 et 1998. Il
faut donc attendre 2001 pour obtenir les données de l’année 2000, probablement plus
révélatrices de la situation. Cependant, il est possible de donner quelques chiffres
intéressants tout en évitant de conclure trop hâtivement sur le sujet.
Le revenu total par personne pour le pays a augmenté, aussi bien en terme
réel qu’en terme nominal, de la première moitié de 1996 à la première moitié de 1998.
En terme réel, le revenu a augmenté de 3,3%. Il est probable que la hausse s’est
essentiellement produite entre 1996 et 1997, à la fois dans les régions rurales et
urbaines, alors que le fort déclin du PIB en 1998 s’est vraisemblablement traduit par
une baisse des salaires entre 1997 et 1998. En moyenne, les revenus par ménage ont
augmenté dans toutes les régions et communautés du pays. Le revenu nominal par
habitant a augmenté au niveau national entre 1996 et 1998 de 24%, même taux que
pour la période s’étalant de 1994 à 1996. Néanmoins, le taux est plus élevé à Bangkok et
ses alentours puisqu’il atteint 33% (tableau 12).
Tableau 12 – Revenu par ménage par région
(bahts)
Région
Le Royaume entier
Bangkok
Bangkok (environs)
Centre
Nord-Est
Nord
Sud
1996
er
(1 semestre)
2731.26
6171.34
4927.9
2902.75
1827.33
2347.98
2517.04
1998
er
(1 semestre)
% change
3377.17
8216.7
6463.45
3499.57
2088.90
2735.11
2910.92
23.6
33.1
31.2
20.6
14.3
16.5
15.6
Source : site Internet <www.sspl.org/ssropen/SSR-SYNTHESIS.htm>, p. 7.
Malgré le fait que les revenus en terme nominal ont augmenté au sein de la
plupart des ménages entre 1996 et 1998, certains ont vu le leur diminuer : les ménages
tenus par de jeunes personnes, des personnes divorcées ou des veuves ainsi que les
ménages au sein desquels vivent un grand nombre de personne. En outre, le nombre
de Thaïlandais vivant dans des ménages endettés s’est accru de manière dramatique en
1998. En effet, la population vivant dans ce cas de figure a augmenté de 52% à 60,3%
(tableau 13).
62
Tableau 13 – Pourcentage des ménages endettés
1996
er
(1 semestre)
Endettés
Sans dettes
Total
52.0
48.0
100.0
1998
er
(1 semestre)
60.3
39.7
100.0
Source : site Internet <www.sspl.org/ssropen/SSRSYNTHESIS.htm>, p. 9.
Cet endettement accru s’explique par le besoin d’emprunter pour maintenir le
niveau de dépenses et pour faire face aux incertitudes du marché de l’emploi. Les
ménages pauvres en zone rurale ont été forcés par la crise à emprunter sur le marché
monétaire informel car il était devenu impossible pour eux de le faire sur le marché
formel au vu de la situation catastrophique des institutions bancaires, peu enclines à
prendre de nouveaux risques. Le coût de l’emprunt sur ce marché informel s’est très
fortement accentué dans l’année qui suivit la crise. Les prêteurs ont augmenté leur
charge de 7%, un pourcentage supérieur à l’augmentation du niveau de l’inflation (5%)
sur la même période (mi-1997/mi-1998).
Par ailleurs, les revenus des ménages pauvres en zone rurale ont diminué
entre fin 1997 et fin 1998. Fin 1997, le revenu moyen mensuel d’un ménage s’élevait à
11’340 bahts. Un an plus tard, ce revenu avait diminué de 13% pour atteindre 9840
bahts. En tenant compte de l’inflation, la perte au niveau du salaire réel est de 18%. Le
schéma est identique pour les ménages pauvres en zone urbaine. La diminution
moyenne s’élève à 3871 bahts par mois, soit une baisse du niveau du salaire réel de
14%.
Si l’on se base sur l’indice de Gini95, l’inégalité par rapport à la distribution des
revenus a baissé de 0,53 en 1992 à 0,52 en 1994 et 0,51 en 1996. Si l’on prend la première
moitié de 1996 et la première moitié de 1998, l’inégalité a augmenté, passant de 0,49 à
0,51 (tableau 14).
Tableau 14 – Evolution de l’inégalité dans la distribution des revenus (1992-1998)
Période
1992
er
1994 (1 semestre)
1994
er
1996 (1 semestre)
1996
er
1998 (1 semestre)
Indice de Gini
0.5313
0.5207
0.5179
0.4977
0.5114
0.5136
Source : site Internet
<www.sspl.org/ssropen/SSR-SYNTHESIS.htm>,
p. 12.
95
Dans le cas présent, cet indice mesure le degré d’inégalité par rapport à la distribution du salaire. Il
s’étale de zéro (parfaite égalité) à 1 (parfaite inégalité). Plus l’indice est élevé, plus le niveau d’inégalité
est grand.
63
Toujours sur le thème de l’inégalité mais cette fois-ci par rapport aux dépenses,
on obtient des résultats intéressants, à savoir que seul le cinquième le plus riche en
zone urbaine a vu ses dépenses augmenter de 1996 à 1998 (+ 10,1%), alors que les
autres cinquièmes ont vu leur niveau de dépenses diminuer. En zone rurale, aucune
partie de la population n’a vu le niveau de ses dépenses augmenter ; bien au contraire,
le niveau moyen des dépenses a diminué de 3% (tableau 15).
Tableau 15 – Changement de la distribution des dépenses par ménage (1996-1998)
Groupe de dépenses
Urbain
I*
II
III
IV
V
Sous-total
Rural
I
II
III
IV
V
Sous-total
Total
Changement de %
entre 1996 et 1998
1996
1998
2.6
4.6
6.8
10.0
20.5
44.4
2.5
4.6
6.7
9.7
22.5
46.1
– 1.2
– 0.2
– 1.4
– 2.7
10.1
3.8
3.9
6.1
8.3
11.8
25.4
55.6
100.0
3.8
5.9
8.0
11.3
24.9
53.9
100.0
– 2.2
– 4.2
– 4.4
– 1.8
– 1.8
– 3.0
—
* Les zones rurales et urbaines sont divisées en cinq catégories, la
catégorie I étant la plus pauvre et la V la plus riche.
Source : KNOWLES J.C., P ERNIA E.M., R ACELIS M., op. cit., p. 17.
L’impact de la crise sur les prix
La dévaluation du baht, qui signala le démarrage de la crise, exerça
immédiatement une pression à la hausse des prix des biens importés ainsi que des
biens fabriqués avec une forte proportion de matériaux importés, même si l’inflation
fut modérée dans certains cas par des subventions gouvernementales ou par des
contrôles de prix.
De 1996 à 1998, le niveau des prix a considérablement varié, dépendant du
bien en question, de la région et de la zone (rurale/urbaine). Sur plus de 17 types de
biens de consommation, le niveau a augmenté entre la première moitié de 1996 et celle
de 1998 (tableau 16).
64
er
er
Tableau 16 – Evolution des prix entre 1996 (1 semestre) et 1998 (1 semestre),
par bien de consommation et par région
(%)
Bien
Riz
Viande
Poisson
Légumes
Fruits
Autres aliments
Boissons non
alcoolisées
Habits
Maison
Lumière et eau
Santé
Divertissements
Communications
Education
Cigarette
Boissons
alcoolisées
Autres (non
alimentaire)
Zone urbaine
Bangkok Centre Nord-Est
Zone rurale
Nord
Sud
Centre
Nord-Est
Nord
Sud
97.46
6.59
6.36
19.73
18.88
27.55
19.09
97.83
8.12
12.69
19.22
31.45
32.73
14.74
89.34
9.82
4.48
21.69
19.22
40.08
19.07
98.37
13.75
11.16
13.07
25.59
36.57
14.71
100.46
9.99
1.53
13.91
21.43
32.76
14.02
57.00
2.89
3.36
21.92
48.48
17.53
22.37
72.66
6.55
4.98
18.33
32.11
33.66
19.05
58.03
7.49
12.25
10.65
39.31
31.43
10.96
43.01
4.92
0.02
0.84
44.00
26.23
– 5.76
20.79
43.96
30.22
20.78
39.89
0.00
17.37
49.02
16.79
19.53
12.67
21.73
26.29
22.49
0.75
14.90
49.12
15.34
17.05
20.75
23.90
17.63
33.11
0.83
21.63
49.40
14.24
19.88
18.31
24.87
22.08
31.30
1.46
23.04
54.32
12.08
22.46
16.63
26.98
23.26
13.82
– 0.01
16.10
47.79
13.38
22.67
0.19
23.66
14.55
– 11.18
– 0.38
33.24
47.13
15.68
13.67
7.98
28.08
10.47
33.19
0.00
12.24
56.17
23.94
12.98
6.67
22.90
3.93
43.30
0.00
1.56
57.83
11.07
13.96
3.91
28.43
11.21
21.16
– 0.09
13.39
50.60
20.13
19.96
19.96
19.96
19.96
19.96
19.96
19.96
19.96
19.96
Source : Socio-Economic Survey.
Comme l’indique le tableau 16, les prix ont dans l’ensemble augmenté de
manière importante, en particulier le prix du riz, nourriture de base en Thaïlande. A
Bangkok, il passa du simple au double (97,4%) entre 1996 et 1998. Il augmenta
également en zone urbaine au nord-est, au centre et au nord, respectivement de 89,3%,
97,8% et 98,3%, alors que le sud connut la plus forte augmentation (100,5%). En zone
rurale, l’augmentation du prix du riz a été sensiblement plus haute que la moyenne
pour le nord-est, sensiblement plus basse que la moyenne dans le sud et proche de la
moyenne dans le nord et le centre. Finalement, on peut constater que l’impact s’est plus
fortement répercuté sur les ménages urbains que sur les ménages ruraux, en particulier
au sein des ménages les plus appauvris par la crise.
Cependant, alors que le sud (urbain) a connu la plus forte augmentation du
prix du riz, il eut droit à la plus faible augmentation du prix du poisson (1,5%) alors
que les zones urbaines de Bangkok, du nord-est, du nord et du centre ont vu le prix du
poisson augmenter respectivement de 6,4%, 4,5%, 11,2% et 12,7%. Au niveau national,
le prix du poisson (+ 6%) ainsi que celui de la viande (+ 8%) ont, en moyenne, peu
augmenté en comparaison de celui du riz (+ 79%).
Les prix des légumes (+ 15%) et des fruits (+ 31%) ont augmenté de manière
similaire, plus que le poisson et la viande mais moins que le riz. A Bangkok, les
légumes ont augmenté de 19,7% et dans les zones urbaines du nord, du sud, du centre
et du nord-est respectivement de 13,1%, 13,9%, 19,2% et 21,7%. Les régions rurales
semblent moins affectées puisque les prix ont globalement moins augmenté : 0,8% au
sud, 10,6% au nord, 18,3% au nord-est et 21,9% au centre. Cependant, le schéma
s’inverse pour le prix des fruits qui a plus augmenté dans les zones rurales (+ 41%) que
dans les zones urbaines (+ 23%).
65
Finalement, les communications sont le seul type de biens qui soit resté plus
ou moins au même niveau d’avant la crise. A Bangkok, le prix des communications est
resté inchangé ; en zones urbaines, il a augmenté de manière négligeable au centre
(+ 0,7%), au nord-est (+ 0,8%) et au nord (+ 1,5%) et a baissé de 0,01% dans le sud. Le
schéma est presque identique dans les zones rurales puisque aucune des régions n’a
connu de hausse : deux régions (nord/nord-est) n’ont connu aucun changement alors
que les deux autres (centre/sud) ont chacune constaté une diminution très faible.
L’inflation concernant les domaines de l’éducation et de la santé a affecté de
nombreux ménages. En matière d’éducation, des régions les plus touchées par la
hausse des coûts d’écolage, le centre (rural) est celle qui fut largement le plus atteinte
par la crise (+ 33,2%), contrairement au nord (rural) qui ne connut qu’une très légère
augmentation (+ 1,6%). Pour la santé, c’est le centre (urbain) qui connut la hausse la
plus importante (+ 26,3%), alors que le nord (rural) a, encore une fois, vécu une hausse
modeste de 3,9%.
Il est également intéressant de voir les incidences de cette hausse générale des
prix des biens sur le comportement des ménages en termes de dépenses (tableau 17).
Tableau 17 – Changement des dépenses des ménages dans le domaine alimentaire (1996-1998)
(%)
Zone urbaine
Zone rurale
Moyenne
Riz
Viande
Poisson
Fruits
Légumes
Boissons
non alc.
Autres
– 31.4%
– 11.6%
– 16.6%
4.4%
21.2%
16.0%
6.0%
27.2%
20.7%
– 25.5%
– 38.6%
– 31.6%
21.3%
67.0%
51.9%
– 15.2%
– 7.8%
– 10.6%
– 11.4%
– 2.2%
– 5.9%
Source : Socio-Economic Survey.
Le constat est simple : les ménages ont adapté leurs habitudes de
consommation en fonction de la situation créée par la crise. Ils ont consommé
beaucoup moins de biens dont le prix a connu la plus forte augmentation (riz et fruits)
et plus de biens dont la hausse des prix a connu une augmentation moins forte
(légumes, poisson et viande). Ainsi l’augmentation du prix du riz s’est traduite par une
diminution des dépenses de 16,6%, alors que la hausse moins forte du prix des
légumes a suscité une augmentation des dépenses de 51,9%. Cependant, la diminution
la plus forte des dépenses concerne les fruits (– 31.6%), aliment peut-être moins
essentiel aux yeux des Thaïlandais que le riz.
66
CHAPITRE V
Le naufrage des secteurs sociaux
L’éducation
Le budget de l’éducation connut une croissance rapide au début des années 1990.
Il atteignit 214 milliards de bahts pour l’année fiscale 1996-1997, correspondant à 22%
des dépenses budgétaires totales. Cependant, il tomba à 202 milliards de bahts pour
l’année fiscale suivante lorsque, sous l’influence du programme d’austérité mis en
place par le FMI, le gouvernement thaïlandais décida de réduire le budget. Les coupes
les plus importantes se firent au niveau des frais et des provisions (stock) qui
diminuèrent de 30% (de 17,4 milliards de bahts à 12,1 milliards) ainsi qu’au niveau des
équipements, des biens immobiliers et de la construction, qui diminuèrent de 46% (de
53,5 milliards de bahts à 28,7 milliards). Néanmoins, le budget pour les bourses d’école
et les salaires de la profession augmenta de 5%.
Le niveau du budget pour l’année fiscale 1998-1999 a connu une augmentation
sensible puisqu’il passa de 202 milliards à 207 milliards de bahts (+ 2,6%)96 mais il reste
malgré tout éloigné du niveau atteint en 1996-1997. Sur une étude de plus de 220
écoles97, plus de 80 ont mentionné une baisse du budget de 27% alors que les budgets
non gouvernementaux98 ont décliné de 35% entre 1997 et 1998. Plus de 130 écoles ont
évoqué des coupes de budget ainsi que des retards dans les déboursements dus en
particulier au manque de matériel d’enseignement. Les écoles se trouvant à Bangkok
semblent avoir moins souffert de coupes budgétaires que dans d’autres régions
puisque plus de 80 institutions scolaires ont annoncé des coupes budgétaires dans la
construction et dans la maintenance entre 1997 et 1998 alors qu’aucune école de
Bangkok99 ne s’est plainte d’avoir vécu ce type de problèmes.
On peut noter d’autres préoccupations dans le domaine éducatif que celles
liées aux coupes budgétaires. En effet, l’impact à court et à moyen terme de la
diminution du pouvoir d’achat et de l’augmentation du niveau de chômage sur la
capacité des parents à garder leurs enfants à l’école est un sujet tout aussi crucial. Les
statistiques indiquent que le nombre total d’abandons à tous les niveaux (primaire et
secondaire) a augmenté entre 1998 et 1999. Le nombre d’abandons au niveau de l’école
primaire s’est accru de 5000 enfants, alors que le nombre d’étudiants qui ne font pas la
transition entre primaire et secondaire a subi une hausse de 11,7%, soit 110’000
étudiants (1998). Cette augmentation contraste avec le déclin des abandons entre 1990
(50% d’abandons avant la transition) et 1997 (seulement 9% d’abandons). Après une
élévation sensible du nombre d’étudiants (12’000) entre 1997 et 1998, le retrait
d’étudiants au niveau secondaire inférieur a augmenté de 15’000. Le nombre
d’étudiants n’ayant pas fait la transition au niveau secondaire supérieur (ou écoles
spécialisées) a connu une hausse dramatique de presque 55’000 étudiants (1997-98),
puis de 32’000 étudiants (1998-99). Si l’on compare 1995-96 à 1998-99, les abandons
entre le niveau primaire et le niveau secondaire supérieur ont augmenté de 5,5% à
17,9%, traduisant par là même à la fois l’inflation des coûts d’écolage et le besoin des
96
Cette hausse de 2,6% est trop modeste pour compenser l’augmentation de l’inflation (~10%).
97
Etude menée par le Brooker Group.
98
Donations des parents et des communautés locales.
99
Neuf écoles de Bangkok ont fait partie de cette étude.
67
parents de pouvoir compter sur un revenu supplémentaire amené par l’enfant qui
n’étudie plus, mais travaille.
Au niveau secondaire supérieur, le nombre d’abandons augmenta
modestement, passant de 117’000 en 1996-97 à 118’991 en 1997-98. Cependant, il fit un
bond dramatique l’année suivante puisque les chiffres s’accrurent de presque 50’000
étudiants. Cette forte hausse est due davantage aux coûts supérieurs des écoles
spécialisées qu’aux écoles académiques.
Il reste à étudier le dernier type d’impact possible, celui sur la qualité de
l’éducation. Il est assez difficile à mesurer même si l’on peut aisément imaginer qu’il
n’a pu être que négatif. En effet, l’insuffisance du matériel d’enseignement, des
équipements inadéquats et des enseignants moins bien formés ne plaident pas en
faveur d’un système éducatif de qualité. Cependant, même si en raison des coupes
budgétaires la qualité de la formation et le développement des ressources humaines
s’en sont ressentis, le ratio étudiants/enseignants est resté relativement stable.
La santé
L’impact sur le secteur de la santé peut se mesurer grâce à une série
d’indicateurs : les coupes budgétaires, le changement des dépenses des ménages et
l’augmentation des prix des médicaments provoquée par la dévaluation du baht.
Le budget du Ministère de la santé publique pour l’année 1998 était de 64
milliards de bahts, en baisse de 9% par rapport à l’année précédente. Le budget pour
1999 s’élevait à 62,5 milliards, en baisse nominale de 2,2% mais en terme réel de plus de
8%. En terme réel, le budget 1999 est de 23% plus bas que celui de 1997. Cette baisse
importante du budget de la santé publique pose de sérieux problèmes comme la
qualité, l’équité et l’adéquation des soins pour la population. Dans une étude 100 menée
par le Brooker Group, plus de deux tiers des institutions ont reconnu avoir des
difficultés à satisfaire les besoins en augmentation de la population car les budgets
pour les médicaments avaient été soit coupés, soit retardés ou encore étaient
insuffisants. Plus de 140 d’entre elles ont également estimé que la pénurie de
médicaments avait engendré une baisse dans la qualité des soins. Ces institutions ont
dû mettre en place des stratégies de substitution pour faire face aux insuffisances
budgétaires. Elles s’en sont remises aux donations privées et aux recettes amenées par
les patients pour tenter de pallier le manque de moyens financiers. Cependant, ce type
de ressource a également diminué, respectivement de 36% (donations privées) et de
21% (recettes provenant des patients). Elles ont donc aussi dû diminuer la variété et le
nombre de médicaments proposés aux patients, préférant n’en remettre qu’un nombre
restreint mais parmi les plus essentiels. Les centres de soins à Bangkok ont, semble-t-il,
connu moins de coupes budgétaires que ceux des autres régions du pays. En effet, 60%
des centres interrogés ont estimé avoir constaté une baisse des budgets ou un retard
pour l’obtention de médicaments entre 1997 et 1998 alors que seulement 22 des centres
interrogés à Bangkok ont reconnu avoir eu les mêmes problèmes.
Les dépenses des ménages pour les soins médicaux ont diminué de 41% en
moyenne dans le pays, 35% dans les zones urbaines et 46% dans les zones rurales.
L’utilisation de centres publics de santé a augmenté au détriment d’institutions
privées. Leur fréquentation a connu une hausse de 15% de nouveaux patients, en
particulier plus de 22% d’enfants âgés de moins de 5 ans. On attribue cette hausse
d’une part au coût restreint des soins dans une institution publique, d’autre part à
l’augmentation de l’utilisation d’une carte de santé gratuite pour les ménages à bas
100
68
Etude menée sur 162 centres de santé et 18 hôpitaux de district, dont les résultats figurent dans
BRIMBLE P., PONGSAPICH A., op. cit.
revenu – le nombre de cartes a augmenté de 44’143 à 164’294 depuis le début de la
crise 101, et le nombre de visites médicales de détenteurs de cette carte s’est accru de 17%
entre 1997 et 1998. Certains ménages ont même décidé de se soigner par leurs propres
moyens (self-medication) pour éviter de se rendre dans des centres de santé, qu’ils soient
publics ou privés.
L’enquête a établi une augmentation de 22% de cas d’anémie parmi les
femmes enceintes, ce qui semble refléter une qualité nutritionnelle moins bonne depuis
le début de la crise. Cependant, il n’y a pas eu de hausse de cas de malnutrition parmi
les enfants mais seulement une légère augmentation des bébés dont le poids est
insuffisant à la naissance (4%).
On a pu noter quelques cas supplémentaires de stress au sein de la
population. En effet, plus de deux tiers des centres interrogés ont reconnu une hausse
de patients requérant des consultations psychologiques. En outre, une proportion
semblable (deux tiers) d’institutions affirment que l’utilisation de drogues a augmenté
de manière significative depuis le début de la crise.
101
Il est évident que cette formule de soins gratuits ne donne plus la même signification aux chiffres des
revenus des ménages et à leur interprétation.
69
70
CHAPITRE VI
La croissance des inégalités sociales
L’objectif de ce dernier chapitre est de préciser certains commentaires déjà
effectués plus haut lorsque nous avons parlé de l’impact sur l’emploi, les salaires et les
prix. Après avoir tracé les lignes générales, ces précisions devraient nous permettre de
mieux situer les vraies victimes de la crise.
L’impact de la crise en fonction du niveau d’éducation
La crise a frappé durement les personnes qui n’ont pas fait d’études au-delà
du niveau de l’école primaire. Plus de 2 millions de personnes se situant dans cette
catégorie ont perdu leur emploi durant la période s’étalant d’août 1997 à août 1998. En
raison des fortes fluctuations sur le marché de l’emploi, les personnes qui ont pu
garder leur emploi craignaient de le perdre. Un climat malsain d’insécurité régnait. De
plus, elles ont dû faire face à une baisse des heures de travail. Quant à celles qui
avaient un niveau d’éducation plus élevé (école secondaire, école spécialisée,
université), elles virent leur nombre augmenter parmi les gens employés (+ 12,2%) à
l’été 1998.
Pour les étudiants qui venaient d’obtenir leur diplôme, le marché de l’emploi
fut quasiment inaccessible. Il y eut donc une forte hausse du chômage parmi les
licenciés universitaires qui arrivaient sur le marché du travail en août 1998. Le pays se
vit ainsi confronté à une concurrence plutôt surprenante sur le marché de l’emploi avec
de nombreux collégiens et universitaires fraîchement diplômés et une main-d’œuvre
de travailleurs peu qualifiés, tous désespérément à la recherche d’un emploi.
L’impact de la crise en fonction du genre
Comme nous l’avons déjà dit dans le chapitre IV, on ne peut vraiment
différencier l’impact de la crise selon les catégories homme/femme. Il semble
qu’hommes et femmes aient été affectés de manière « équitable » par la crise ; les deux
groupes ont souffert d’une perte d’emploi de 2,8% lors de la saison sèche en 1998
(février). Néanmoins, lors de la saison des pluies (août), les femmes ont connu une
baisse d’emploi (– 3,8%) plus importante que les hommes (– 2,5%). Cependant, le taux
de chômage a augmenté de façon identique chez les hommes et les femmes au cours de
l’année suivant le déclenchement de la crise. En 1998, 500’000 hommes
supplémentaires et 300’000 femmes se retrouvèrent sans emploi mais en termes de
pourcentage, le niveau de chômage est resté presque identique.
71
Graphiques 8 et 9 – Taux de chômage des femmes et des hommes (février 1996-1999)
Femmes
Hommes
Source : BRIMBLE P., PONGSAPICH A., Assessing the Social Impacts of the Financial Crisis in Thailand,
Paper prepared for RETA 5799, Asian Development Bank, Manila, 1999, chapter III, p. 4.
Les graphiques 8 et 9 montrent une différence intéressante entre les hommes
et les femmes : même si la crise a affecté les hommes et les femmes de manière
sensiblement identique, il n’en a pas été de même si l’on se focalise sur les catégories
d’âge. Entre février 1996 et février 1999, le chômage chez les femmes de 13-14 ans a
augmenté de 4,4% à 9% alors que chez les hommes de la même catégorie d’âge, il est
passé de 2,4% à 7,4%. Dans la catégorie d’âge 15-29 ans, le chômage a augmenté de
façon moindre (+ 8,8%) chez les femmes que chez les hommes (+ 10,2%). Les plus
affectés par le chômage ont été les hommes de 15-29 ans et les femmes de 13-14 ans.
Le taux de participation102 au marché de l’emploi n’a cessé de décroître depuis
le début des années 90. Ce taux a chuté plus régulièrement pour les femmes que pour
les hommes depuis 1990 même si la crise n’a eu aucune incidence significative : en août
1991, il est passé de 84,3% à 78,7% pour les hommes et de 72,3% à 64,8% pour les
femmes. L’examen du taux de participation est peut-être plus révélateur si l’on prend
en compte les différences d’âge. En effet, le taux de participation pour les hommes de
30 à 49 ans atteint, entre 1996 et 1999, 97% alors que chez les femmes il chute de 84 à
78%. Pour les gens de plus de 60 ans, le taux de participation chez les hommes atteint
46% et chez les femmes 23%. Chez les travailleurs plus jeunes, âgés de 13 à 14 ans, la
crise a provoqué peu de différence entre hommes et femmes. La différence dans cette
catégorie varie autour de 2%. Par contre, la crise a eu un impact plus sévère sur la
catégorie d’âge des 15-29 ans. En effet, le taux pour les hommes se situe à 70,8% et pour
les femmes à seulement 56,9%, soit un écart de 14%.
L’impact de la crise en fonction de l’âge
Ce sont les jeunes qui ont été le plus affectés par la crise, plus précisément
ceux âgés de moins de 30 ans. En 1998, durant la saison sèche, on enregistra une baisse
de 800’000 travailleurs dans ce groupe d’âge en comparaison avec la situation avant la
crise. La situation ne s’améliora pas avec la saison des pluies. Pour cette catégorie, qui
représente quand même le tiers de la population active, le nombre de personnes sans
102
72
Il se calcule de la façon suivante : on considèrela population totale en âge de travailler (13 ans et plus)
et parmi celle-ci on compte le nombre de personnes actives, au chômage et inactives suivant les
saisons. En fait, il s’agit d’un pourcentage représentant le total de la population potentiellement active
par rapport à la population totale du pays (à partir de 13 ans et plus).
emploi augmenta de 506’000 après le début de la crise alors que pour la population
active âgée de plus de 30 ans (deux tiers de la population active), le nombre de
chômeurs s’accrut de 339’000 personnes. Ceux qui avaient 50 ans ou plus lors du
déclenchement de la crise ne connurent que peu de chômage. Dans les zones urbaines,
72% des chômeurs avaient 40 ans ou moins, avec un taux de chômage très élevé pour
ceux âgés de 13 à 20 ans.
L’impact de la crise en fonction de la taille des ménages
Une des solutions pour éviter de trop souffrir de la crise fut pour les familles
et amis de tenter de se regrouper. L’augmentation de la taille des ménages (de 3,65 à
3,74 membres) permit de ne subir qu’une modeste baisse (– 4%) du revenu nominal par
personne.
Ce sont les ménages de petite taille qui restèrent les plus vulnérables à la perte
de leur bien-être économique 103 : 58% des ménages ne comptant qu’un seul membre ont
connu une perte de leur bien-être économique pour seulement 32% des ménages
comptant 5 personnes. Si l’on se base sur le revenu, un célibataire vivant seul a perdu
1192 bahts par mois alors qu’un ménage de 5 personnes a perdu 998 bahts par
personne. Néanmoins, même si les ménages comptant plus de membres ont été moins
vulnérables à la perte de leur bien-être, ceux qui en ont souffert ont vécu des pertes
plus conséquentes. C’est ainsi que les ménages contenant le plus de personnes ont
connu les pertes les plus importantes de bien-être, allant jusqu’à 5065 bahts par mois,
soit 60% de plus que la moyenne nationale.
L’impact de la crise en fonction de la division rural/urbain
La zone rurale du nord-est fut la plus affectée par la crise : des dix provinces
les plus touchées par la crise, neuf se situent du nord-est. Il faut préciser cependant que
cette région est la plus pauvre du pays. Elle est habituellement caractérisée par un fort
exode rural, principalement vers Bangkok. A la suite de la crise, cet exode s’est inversé.
En effet, même si les chiffres montrent qu’une année après la crise, les emplois
en zone rurale ont été plus touchés qu’en zone urbaine, il faut se garder d’oublier
l’exode urbain en direction des campagnes. De nombreuses personnes ayant perdu
leur emploi dans les villes sont retournées dans leur village d’origine pour tenter
d’améliorer leur situation. Cependant, les décomptes effectués lors de l’établissement
des statistiques sur le chômage ne tiennent pas compte de cet état de fait essentiel. On
peut donc affirmer qu’en dépit des statistiques, les villes ont été plus gravement
atteintes que les campagnes. Pour confirmer notre propos, on peut en outre constater
que les ménages urbains ont vu leur situation empirer dans des proportions plus
importantes que les ménages ruraux. Plus de la moitié des ménages urbains (52%) ont
vu leur bien-être économique se dégrader, pour seulement 36% des ménages en zone
rurale. La diminution du bien-être économique en zone urbaine atteint en moyenne
4016 bahts par mois, soit 30% de plus que la moyenne en zone rurale.
Les disparités régionales en matière d’emploi sont par ailleurs assez
marquées. Néanmoins, ces chiffres restent difficiles à interpréter. En effet, une
interprétation solide requerrait une analyse plus précise des différences structurelles et
des particularités économiques de chaque région. Malheureusement, les limites de
notre travail ne nous permettent pas d’effectuer un approfondissement de la question.
103
Le bien-être économique (economic welfare) se mesure en comparant l’évolution des revenus avec
l’évolution des prix (inflation).
73
Les diminutions de revenus les plus nettes concernent le sud urbain, le centre
urbain et le nord-est rural ; en terme réel, elles ont atteint respectivement 18%, 10%
et 7%.
On peut également remarquer que les dépenses en alimentation ont augmenté
au détriment des dépenses non alimentaires dans les régions rurales. Le schéma
s’inverse totalement pour les régions urbaines, dans lesquelles les gens ont diminué
leurs dépenses aussi bien en nourriture que pour d’autres types de biens.
En conclusion de cette seconde partie, dont chiffres et statistiques ont
constitué l’essentiel de la matière, il est indispensable de garder une certaine prudence
et de relativiser l’interprétation limitée qu’on peut en faire, d’autant plus qu’aucune
étude approfondie sur le terrain n’a pu être menée par nos soins. En effet, une hausse
modeste de budget peut toujours être largement compensée par un taux d’inflation
élevé ; la mise en place de formules de soins gratuits peut changer la signification et
l’interprétation des revenus et de l’utilisation des dépenses des ménages. Il manque
également à cette partie une perspective à plus long terme qu’il est évidemment
difficile d’esquisser sans risque de se tromper. Comme nous le disions plus haut, les
impacts sociaux de la crise sont encore loin d’avoir été tous révélés et il est, de ce fait,
nécessaire de rester attentif aux prochains déroulements de la crise.
Il faut reconnaître également que les premières études sur le sujet sont
relativement confuses et ne permettent en aucun cas une interprétation claire de
chaque développement de la problématique (chômage, revenu, inflation...). La
récupération idéologique d’un tel débat est inévitable tant l’enjeu est crucial et elle ne
fait qu’ajouter à la confusion et au flou régnants, proposant chiffres, statistiques et
analyses totalement contradictoires.
Cela dit, on peut raisonnablement affirmer que les impacts sociaux de la crise
financière sont sévères et qu’il faudra du temps à la Thaïlande pour s’en remettre
complètement. Les plus optimistes rétorqueront que la crise est derrière, que le pays
retrouve un taux de croissance réjouissant et qu’il vient d’annoncer sa sortie du
programme du FMI. Certes, si seulement la bonne santé d’un pays devait se résumer à
ce type de constatation…
74
CONCLUSION
Le fait d’avoir débuté ce travail par une réflexion sur les concepts de
mondialisation et de libéralisation financière nous a permis de clarifier et de distinguer
ces deux processus en examinant l’évolution et la situation du système financier
international à travers ses caractéristiques actuelles et l’une des phases essentielles de
ce processus de globalisation financière. Même si cette intensification des flux de
capitaux a connu trois phases bien distinctes, il faut reconnaître que le processus de
mondialisation financière n’a pris son réel essor qu’à la fin des années 1970 et au début
des années 1980, date à laquelle correspondent les premières véritables mesures de
libéralisation et de déréglementation financières dans les pays anglo-saxons.
Comme nous l’avons démontré, ce phénomène de globalisation s’est
malheureusement accompagné d’une plus grande instabilité financière aussi bien aux
niveaux national qu’international et d’une plus grande internationalisation des crises
financières. De plus, en dépit de la présence de « roues de secours » 104 et de « gardefous » 105, un avenir plus stable semble difficilement envisageable. L’Etat ayant renoncé
à son rôle de régulateur et d’intervenant actif – au détriment des mécanismes du
marché – dans les décisions du secteur financier, le marché est à l’heure actuelle
l’unique décideur des taux d’intérêt et de l’affectation des crédits, les derniers obstacles
à ce processus étant en voie de résorption sous les efforts incessants du FMI.
C’est d’ailleurs l’objet de notre deuxième chapitre que d’examiner le processus
volontaire de l’Etat thaïlandais consistant à démanteler ses prérogatives en matière de
politique financière, en cela encouragé et soutenu par le FMI et la Banque mondiale.
Grâce à une stratégie basée sur la fixité de la monnaie nationale par rapport au dollar
américain106, le maintien de taux d’intérêt élevés et une politique de libéralisation
financière, les autorités thaïlandaises ont favorisé l’arrivée en masse de capitaux
étrangers. Plus précisément, ce sont des mesures telles que l’acceptation des obligations
de l’article 8 des statuts du FMI et la création du BIBF qui ont permis de faciliter
l’entrée de ces capitaux. Cependant, la rapidité excessive du processus de
déréglementation financière ainsi que l’afflux trop considérable de capitaux étrangers
peu productifs ont sans aucun doute constitué les prémices de la crise financière qui
éclata en juin 1997. Sans crier au complot, le cas présent insinue inévitablement un
doute sur les bienfaits empiriques de l’idéologie néolibérale en matière de libéralisation
financière. En l’occurrence, la clairvoyance des autorités locales, portées par le dogme
du laisser-faire, ne peut être que remise en question alors que la responsabilité des
institutions financières internationales est évidente, une responsabilité établie sur la
base de plusieurs critères :
– l’encouragement constant et un soutien sans faille offerts aux autorités thaïlandaises
pour l’ouverture de leurs frontières sans restriction aux capitaux étrangers
(FMI/BM) ;
– des actions (diagnostic et remèdes) en l’occurrence peu judicieuses lors de la crise
asiatique (FMI) ;
104
Les banques centrales, le FMI, la Banque mondiale, la Banque des règlements internationaux.
105
Institutions de contrôle aux niveaux national et international (le Comité de Bâle).
106
Le problème est qu’en donnant l’impression tant aux emprunteurs qu’aux prêteurs que le risque de
change était neutralisé, la Thaïlande a d’une part favorisé l’endettement à l’étranger et d’autre part
découragé le recours aux opérations de couverture de change censées amoindrir le risque de change.
75
– un discours « autoritaire » et dogmatique ainsi que des certitudes parfois très
contradictoires. En effet, le FMI, à travers certaines de ses déclarations, a semé le
doute sur ses réelles capacités à analyser correctement des situations économiques
qui paraissent varier de jour en jour. Sinon, comment expliquer le fait qu’il ait
encensé la situation économique de la Thaïlande l’année même où ce pays allait
connaître la plus grave crise de son histoire ?
L’objectif de la seconde partie constitue justement l’occasion d’examiner cette
crise financière en rappelant les événements qui l’ont jalonnée et en insistant sur ses
causes. Tout d’abord, on peut constater que cette crise fut contagieuse. Après la
Thaïlande, les attaques spéculatives se sont reportées sur les monnaies d’autres pays de
la région : Malaisie, Philippines et Indonésie dans un premier temps, puis Hongkong et
la Corée du Sud dans un deuxième temps. Nous avons privilégié deux éléments
d’interprétation pour expliquer ce mécanisme de transmission de la crise d’un pays à
un autre. Premièrement, il semblerait que les mesures recommandées par le FMI
(fermeture ou suspension d’institutions financières) n’aient fait qu’empirer la situation
et amplifier les mouvements de panique en accélérant les retraits de capitaux.
Deuxièmement, le fait que les économies voisines étaient perçues comme possédant
des caractéristiques communes et donc des faiblesses semblables a probablement incité
les investisseurs étrangers à se désengager en grand nombre des autres marchés
asiatiques. Cette perception des investisseurs étrangers a donc pris le dessus sur une
analyse davantage ancrée sur les réalités politiques, culturelles et économiques de ces
pays. Ensuite, en différenciant causes profondes et causes circonstancielles, on est
arrivé à déterminer qu’il s’agissait davantage d’une crise due aux effets néfastes de la
mondialisation et de la libéralisation financière que d’une crise du capitalisme
asiatique. En effet, le contexte de globalisation financière et le processus de
libéralisation financière engagé de manière importante à partir de la fin des années
1980 ont déstabilisé un régime de finance qui fonctionnait suivant une logique bien
particulière. Cette logique disparut en un laps de temps très court en raison de
– la suppression du contrôle sur le système de crédit ;
– l’accumulation de crédits accordés à court terme ;
– l’ouverture des frontières, qui augmente la tendance des banques locales à
emprunter en devises étrangères pour ensuite prêter en monnaie nationale.
Finalement, ce processus de libéralisation a fortement fragilisé le système
financier en faisant des banques thaïlandaises le maillon faible du système avec les
conséquences que l’on connaît. Cependant, l’analyse de la crise selon la version du FMI
fut bien différente puisque l’institution mit davantage l’accent sur les causes
circonstancielles, en se focalisant sur les situations internes des pays en crise et sur
leurs politiques inadaptées (absence de supervision, manque de transparence et
d’information, corruption, mauvaise gouvernance...). De son analyse ont découlé ses
remèdes. Le Fonds s’est ainsi contenté d’axer son programme d’aide sur les situations
internes des pays sans jamais faire allusion aux excès de la globalisation financière ni
au rôle des marchés financiers. En conséquence, il s’est exposé à toute une série de
critiques virulentes remettant en cause aussi bien son diagnostic que ses programmes
d’aide, ce qui nous incite à terminer le chapitre II sur une interrogation quant à l’avenir
du système monétaire et financier international et à son éventuelle réforme.
La seconde partie de notre étude se penche sur les conséquences sociales de la
crise. A l’heure du bilan, quelques constatations s’imposent :
– on remarque une augmentation générale du niveau des prix, en particulier ceux des
biens importés ou des biens fabriqués avec une forte proportion de matériaux
importés, tels que les produits pharmaceutiques, les produits alimentaires ou encore
l’essence. Le taux global de l’inflation augmenta de 5,3% en 1996 à 11% en 1998 ;
76
– la contraction du PIB et la récession économique se sont traduites par une baisse de
la demande de main-d’œuvre et par conséquent un taux de chômage en
augmentation, de 2% en 1996 à 5,2% en 1999 ;
– malgré le fait que les revenus en terme nominal ont augmenté au sein de la plupart
des ménages entre 1996 et 1998, certaines catégories défavorisées ont vu leur revenu
diminuer. D’autre part, il semble que la hausse s’est essentiellement produite entre
1996 et 1997, alors que le fort déclin du PIB en 1998 s’est probablement traduit par
une baisse des salaires entre 1997 et 1998. Il serait intéressant d’obtenir les chiffres
pour l’année 2000 afin de pouvoir établir une interprétation plus fiable ;
– le budget de l’éducation, qui atteignait 214 milliards de bahts pour l’année fiscale
1996-1997, tomba à 202 milliards de bahts pour l’année fiscale 1997-1998 lorsque le
Gouvernement thaïlandais décida de réduire le budget, influencé par le programme
d’austérité mis en place par le FMI. Les chiffres montrent également que le nombre
total d’abandons scolaires aux niveaux primaire et secondaire a augmenté entre
1998 et 1999, ce qui semble confirmer une certaine difficulté pour les parents de
garder leurs enfants à l’école en raison de la diminution de leur pouvoir d’achat et
de l’augmentation du niveau de chômage ;
– en terme réel, le budget de la santé 1999 diminue de 23% par rapport à celui de 1997
et les dépenses des ménages pour les soins médicaux ont diminué de 41% en
moyenne dans le pays ;
– les travailleurs peu qualifiés, voire sans qualification, ont été plus affectés par la
crise que les travailleurs qualifiés ;
– les jeunes constituent la catégorie d’âge qui souffrit le plus de la crise (13-14/15-29
ans) ;
– la différenciation de l’impact sur les hommes et les femmes ne semble pas
particulièrement importante ;
– ce sont les villes qui ont été le plus touchées par la crise, qui a provoqué un exode
des personnes ayant perdu leur emploi, de retour dans leur village d’origine.
Le constat est édifiant. Les chiffres sont là pour le prouver : la crise financière
s’est transformée en crise sociale avec une série d’impacts bien réels. Certains, jamais à
court d’arguments, rétorqueront que l’impact aurait pu être pire. Certes, le pire reste
toujours une éventualité facilement envisageable mais le fait est que l’impact est sévère
et les conséquences parfois dramatiques. Cette sphère financière que l’on dit souvent
déconnectée de l’économie réelle tant elle semble n’avoir aucune commune mesure
avec les valeurs de la réalité économique n’en est pas moins implacablement liée à la
société civile à travers des canaux de transmission qui produisent des effets positifs ou
négatifs suivant les cas. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes lorsque
cette sphère éclate de santé, provoquant effet de richesse 107 et croissance. Cependant,
lorsque les marchés financiers, par définition instables et fragiles, s’effondrent, c’est la
régression sociale assurée. De plus, les dégâts se font davantage sentir dans les pays
qui ont avant tout pensé à développer leur économie plutôt que leurs programmes
d’aide sociale 108.
107
Reste encore la difficulté de voir sur qui ces effets sont redistribués.
108
C’est particulièrement le cas dans les pays d’Asie du Sud-Est, où les systèmes de protection sociale
sont très peu développés, pour ne pas dire inexistants.
77
Il y a nécessité urgente à retrouver le (bon) sens et les valeurs de solidarité, à
s’éloigner vigoureusement du virtuel, caractéristique actuelle de certains marchés
financiers loin de toute réalité, illusoires, qui tiennent des jeux de casino ou du
parapsychisme 109 plutôt qu’ils ne débouchent sur de réelles créations de richesses.
L’enjeu est considérable. Il en va de la cohésion sociale, indispensable à tout
développement humain.
109
78
Dernière trouvaille miraculeuse de la Banque ANB Amro : la création d’un nouveau fonds
d’investissement, le Behavourial Finance Fund, qui prend en compte les réactions émotionnelles et
attitudes des acteurs financiers (euphorie, affolement, désintérêt) pour sélectionner ses titres...
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précisions sur les institutions financières et marchés financiers en Thaïlande ainsi que
toute une série de textes économiques : <www.bot.org>.
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COLLECTION ITINÉRAIRES
Notes et travaux
Nº 58 Prétextes anthropologiques IV
Textes réunis et édités par
Y. DROZ, A. M ONSUTTI et G. RIST (2001, 91 p.)
Nº 57 Le défi social du développement. Notes critiques
Christian COMELIAU (2000, 32 p.)
Nº 56 Modernisation agraire, oligarchies et mouvements paysans au Brésil.
Une évaluation historique
Jacky BUFFET (2000, 34 p.)
Nº 55 Prétextes anthropologiques III
Textes réunis et édités par Y. DROZ et G. RIST (2000, 119 p.)
Nº 54 Propriété intellectuelle. Quels enjeux pour les pays en développement ? (...)
Dossier de l’Annuaire Suisse-Tiers Monde 1998 (1999, 116 p.)
Nº 53 Prétextes anthropologiques II
Textes réunis et édités par Y. DROZ et G. RIST (1999, 97 p.)
Nº 52 De la monoculture de la vache à l’autoexploitation.
Quelle économie pour quelle agriculture ?
Yvan DROZ (1998, 63 p.)
Nº 51 Prétextes anthropologiques
Textes réunis par Gilbert RIST et Yvan DROZ (1998, 91 p.)
Nº 50 Investissements éthiques et solidaires – Le cas de la Suisse
Kristin BARSTAD (1998, 75 p.)
Nº 49 Socio-anthropologie de la décentralisation en milieu rural africain.
Bibliographie sélective et commentée
Jean-Pierre JACOB, Giorgio BLUNDO (1997, 118 p.)
Nº 48 L’apport de la diaspora au renouveau vietnamien. Les Vietnamiens de Suisse
Bertrand LAMON (1997, 102 p.)
Nº 47 Démocratie et nouvelles formes de légitimation en Afrique.
Les Conférences nationales du Bénin et du Togo
Sous la direction de Jean ZIEGLER (1997, 50 p.)
Nº 46 Feeding Asia in the next century
C. AUBERT, G. ETIENNE, J.-L. MAURER (1996, 72 p.)
Nº 45 Développement rural et libéralisation économique en Inde.
Le cas de l’Etat d’Orissa
Marie THORNDAHL (1996, 89 p.)
Nº 44 Comment mieux coopérer avec le Brésil ?
Aide des ONG et relations économiques de la Suisse
Gérard PERROULAZ, Serge GHINET (1995, 58 p)
Nº 43 From Bonafide Citizens to Unwanted Clandestines.
Nepali Refugees from Bhutan
Rebeka MARTENSEN (1995, 76 p.)
Nº 42 Réseaux et stratégies migratoires entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.
Histoire de vie d’un migrant
Prosper KAMBIRE (1994, 82 p.)
CHF 12.–
CHF 5.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 12.–
CHF 15.–
CHF 12.–
83
Nº 41 Questions de « genre » ? Réflexions autour des rapports sociaux de sexe
dans l’emploi et dans l’institution
Yvonne PREISWERK et al. (1994, 98 p.)
Nº 40 Guide d’approche des institutions locales (GAIL). Méthodologie d’étude
des acteurs locaux dans le monde rural
Jean-Pierre JACOB et al. (1994, 40 p.)
Nº 39 El rol de las mujeres en las estrategias de subsistencia: el caso del Ecuador
Jessica LOPEZ PINTO (1993, 63 p.)
CHF 8.–
CHF 10.–
CHF 8.–
Etudes du développement
Nº 13 Une greffe de l’Etat inédite. Le clan corse, de la segmentarité
à la décentralisation
Charaf ABDESSEMED (2000, 55 p.)
CHF 12.–
Nº 12 « Ecotourisme » ou « tourisme durable » entre la théorie et la pratique.
Principes déclarés et arguments publiciaires en Amazonie
Dorothy Jula PREZZA (2000, 86 p.)
CHF 12.–
Nº 11 Género, ajuste estructural y trabajo: Análisis a través del Banco Mundial
y del caso del Perú, Lima 1986-1993
Roxana ORUE (1998, 115 p.)
CHF 12.–
Nº 10 The Andean Cocaine Industry: A Maze with no Way out? Failures of the U.S.’ « War
on Drugs »
Vanessa PEAT (1998, 77 p.)
CHF 12.–
Nº 9 Secteur informel et politiques publiques en Afrique. Acteurs et conceptions
Marie-Joséphine NSENGIYUMVA (1996, 73 p.)
CHF 12.–
Nº 8 Les éleveurs, l’Etat et les agriculteurs au Burkina Faso. L’exemple de la région
du centre-ouest
Yves DELISLE (1996, 79 p.)
CHF 12.–
Nº 7 Niños y jóvenes en situación de calle espacio y campo social.
Ciudad de Córdoba, Argentina
Patricia M AZZINI (1996, 178 p.)
CHF 12.–
Nº 6 Le secret de l’unité de santé. Les agents de santé de base et les matrones
en Guinée-Bissau
Mary-Josée BURNIER (1993, 109 p.)
CHF 12.–
Nº 5 Agriculture de subsistance et technologie appropriée.
Impact de l’ICTA à Quesada, Guatemala
Ileana VALENZUELA (1991, 180 p.)
CHF 12.–
Nº 4 Les jardins de la sécheresse. Tamazalak versant ouest de l’Aïr
Ulrike MIX (1988, 135 p.)
CHF 5.–
Pratique et réflexion
Nº 9
Nº 8
Nº 7
84
La démarche d’appui institutionnel au secteur de la santé.
Programme médico-sanitaire bénino-suisse
Valérie BOULOUDANI (1998, 77 p.)
CHF 12.–
L’entreprise coopérative et de type coopératif : pour une analyse économique hétérodoxe
Souleymane SOULAMA (1997, 36 p.)
CHF 10.–
Le système de Programmation – Suivi – Evaluation (PSE) dans une démarche
d’appui institutionnel
D. FINO, S. GUINET, C. DUNAND , P. UVIN (1996, 77 p.)
CHF 12.–
Nº 6
Nº 5
Démarche d’appui institutionnel. De l’analyse des acteurs à un processus
de renforcement institutionnel
D. FINO et S. GHINET (1995, 57 p.)
L’appui institutionnel au Niger. Résultats d’un atelier de réflexion
Peter UVIN et al. (1994, 60 p.)
CHF 8.–
CHF 8.–
Leçons inaugurales
Nº 8
Nº 7
Nº 6
Nº 5
Nº 4
Nº 3
Nº 2
Nº 1
Croissance, mondialisation et pauvreté. Eléments du débat et perspectives d’avenir
Kemal DERVIS (2000, 9 p.)
CHF 2.–
Chine trois fois muette. De la place de la Chine dans le monde d’aujourd’hui
Jean François BILLETER (2000, 36 p.)
CHF 5.–
Les droits de l’homme : frein ou moteur au développement ?
François A. DE VARGAS (1999, 23 p.)
CHF 5.–
Enjeux de la mondialisation à la veille du IIIe millénaire
Rubens RICUPERO (1998, 12 p.)
CHF 5.–
La pratique de la gouvernance pour un monde responsable et solidaire (...)
Pierre CALAME (1996, 17 p.)
CHF 5.–
« Refonder » l’économie politique
George CORM (1995, 23 p.)
CHF 5.–
Les défis conceptuels de la mondialisation
Maurice BERTRAND (1994, 14 p.)
CHF 5.–
Développement et environnement. Humaniser l’homme ou répudier le soleil
Joseph KI-ZERBO (1994, 17 p.)
CHF 5.–
85
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