Sous la direction de Pascal Lardellier Anthropologie & communication L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris (France) L'Harmattan Hongrie Hargitt u. 3 1026 Budapest (Hongrie) L'Harmattan Via Bava, 37 10214 Turin (Italie) Italie ME! (( MÉDIATION Revue internationale & INFDRMATION )). de communication UNE « REVUE-LIVRE ». - Créée en 1993 par Bernard Darras (Université de Paris I) et Marie Thonon (Université de Paris VIII), ME! (( Médiatiolt et Ùiformatioll)) est une revue thématique bi-annuelle présentée sous forme d'ouvrage de référence. La responsabilité éditoriale et scientifique de chaque numéro thématique est confiée à une Direction invitée, qui coordonne les travaux d'une dizaine de chercheurs. Son travail est soutenu par le Comité de rédaction et le Comité de lecture. UNE « REVUE-LIVRE» INTERNATIONALE. - ME! (( Médiation et information)) est une publication internationale destinée à promouvoir et diffuser la recherche en médiation, communication et sciences de l'information. Onze universités françaises, belges, suisses ou canadiennes sont représentées dans le Comité de rédaction et le Comité scientifique. UN DISPOSITIF ÉDITORIAL THÉMATIQUE.- Autour d'un thème ou d'une problématique, chaque numéro de ME! ((Médiation et information)) est composé de trois parties. La première est consacrée à un entretien avec les acteurs du domaine abordé. La seconde est composée d'une dizaine d'articles de recherche. La troisième présente la synthèse des travaux de jeunes chercheurs. Monnaie Kushana, représentation de MtÏro Source: Hinnels, J., 1973. Persian Mythology. Londres: Hamlyn Publishing Group Ltd. Médiation et infOrmation, tel est le titre de notre publication. Un titre dont l'abréviation MÉI correspond aux trois lettres de l'une des plus riches racines des langues indo-européennes. U ne racine si riche qu'elle ne pouvait être que divine. C'est ainsi que le dieu védique Mitra en fut le premier dépositaire. Meitra témoigne de l'alliance conclue entre les hommes et les dieux. Son nom évoque l'alliance fondée sur un contrat. Il est l'ami des hommes et de façon plus générale de toute la création. Dans l'ordre cosmique, il préside au jour en gardant la lumière. Il devient Mithra le garant, divin et solaire pour les Perses et il engendre le Mithraïsme dans le monde grec et romain. Retenir un tel titre pour une revue de communication et de médiation était inévitable. Dans l'univers du verbe, le riche espace sémantique de mei est abondamment exploité par de nombreuses langues fondatrices. En védique, mitra signifie "ami ou contrat". En grec ameibein signifie "échanger" ce qui donne naissance à amoibaioJ "qui change et se répond". En latin, quatre grandes familles seront déclinées: mutare "muter, changer, mutuel.. .", munus "qui appartien t à plusieurs personnes", mais aussi "cadeau" et "communiquer", meare "passer, circuler, permission, perméable, traverser..." et enfin migrare"changer de place". (Q Auteurs & Éditions de l'Harmattan, ISBN: 2-7475-2223-7 2001 Direction de publication Bernard Darras Ridaction en chef Marie Thonon Édition Pascal Froissart Secrétariat de rédaction Gisèle Boulzaguet Comité scientifique Tean Fisette (UQÀM, Québec) Pierre Fresnault-Deruelle (paris I) Geneviève .Jacquinot (paris VIII) Marc Jimenez (paris I) Gérard Loiseau (CNRS,Toulouse) Armand Mattelart (paris VIII) J.-P. Meunier (Louvain-la-Neuve) Bernard Miège (Grenoble) Tean Mouchon (paris x) Comité de rédaction Dominique Chateau (paris I) Bernard Darras (paris I) Gérard Leblanc (paris III) Pierre Moeglin (paris XIII) Alain Mons (Bordeaux III) Jean Mottet (Tours) Marie Thonon (paris VIII) Patricio Tupper (paris VIII) Guy Lochard (paris III) Correspondants Robert Boure cr oulouse III) Alain Payeur (Université du Littoral) Daniel Peraya, Université de Genève Serge Proulx (UQÀM, Québec) M.,-Claude Vettraino-Soward (paris VII) Les articles n'engagent que leurs auteurs; tous droits réservés. Toute reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de son auteur ou de ses ayants droits, est illicite. Université de Paris VIII UFR-SAT de communication, Revue MÉI ((Médiation et information )) 2, rue de la Liberté 93526 Saint-Denis cedex 02 (France) Tél. & fax: 33 (0) 1 49 40 66 57 Courriel: revuemei@univ-paris8. fr I~.«{i \Î]~ e Revue publiée avec le concours du Centre national du livre SOMMAIRE Préambule par Pascal Lardellier 1 Entretien avecMarc Augé, Jacques Pemault et Yves Winkin: Anthropologie et communication par Pascal Lardellier 7 L'échange {Ymbolique et sa temporalité chezJean Baudrillard par Serge Zenkine 17 Une sémio-anthropologie des manières de table par J ean-J acques Boutaud et Pascal Lardellier 25 Un exemple de {Ystème de connaissancesempiriques en SIC: les kata dans les arts martiaux japonais par Pierre Quettier 39 /j.nthropologie du cops communicant. Etat de l'art des recherches sur la communication par Fabienne Martin -Juchat 55 coporelle Les médiations mémorielles des batailles de Spicheren par Vincent Meyer & Jacques Walter 67 La CollégialeSaint-Barnard à Romans. Des pratiques culturelles dans un espacecultuel: re-catégorisationdes espaces,conflits et compromis. par Fabienne Dorey & Jean Davallon 81 Pour une grammaire de la ville. Approche ethnographique des pratiques piétonnières en milieu urbain par Capucine Lebreton ~ L'anthropologie visuelle: un modèle dzalogique par Thierry Roche L'entretien ethnographique, entre information L'inconscient est-il soluble dans la relation informateur/ ethnologue... ? par Richard Lioger 99 111 et contre-transfert. 123 Sommaire Vers une approche ethnographique des représentations des TIC au sein des PME malaisiennes par Jean Lagane 137 Afémoire collective et "existence poétique" en réseaux. Eléments pour la compréhension des rapports entre nouvelles technologies, communautés et mémoire par Federico Casalegtlo 153 5 émiotique et interactivité par François Rastier & Marc Cavazza 169 Contre Internet, l'inquiétante par Christophe Genin 181 extase de Pinkielkraut et Soriano Campus Recherche Sandrine Balade, 2001. La déontologiejournalistique dans la touwente du rycloneMitch. Geoffrey Benoit, 2001. Quelles réceptionspour le corps "ob-scène" en art contemporain ? Nécessité et légitimité de la médiation de l'œuvre d'art "obscène'~ Gaëlle Bohé, 2001. Littérature et communication: les enjeux du marketing appliqué à la production de bestsellers. Michèle GtÙtton, 2001. Des enfants s'adressent à leurspairs: une expérience originale de médiation orale de l'art contemporain. Isabelle Thibault, 2001. Nouvelles technologieset art contemporain: Quels rôles pour quels spectateurs dans les installations interactives? Caroline Varga, 2001. Les musées d'art moderne et contemporain dans le contexte de la mondialisation des industries culturelles. Conditions depublication 194 , Numéros d{;'"àpams Bulletin d'abonnement .183 .185 208 vi Préambule Pascal Lardellier Université de Bourgogne & Laboratoire sur limage, les médiations et le sensible en information-communication (LIMSIC) (( D'autre part, en s'associant de plus en plus étroitement à la linguistique, pour constituer un jour une vaste science de la communication, l'anthropologie sociale peut espérer bénéficier des immenses perspectives ouvertes à la linguis- tique elle-même, par l'application du raisonnement mathématique à l'étude des phénomènes de communication. )) Claude Uvi-S trauss, (1950) 1999. Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss. Paris: Anthropologie Presses universitaires de France. et communication? En quoi peut-on trouver un intérêt à rapprocher aujourd'hui anthropologie et sciences de la communication !? N'est-ce pas iconoclaste ou incongru de bousculer, en quelque sorte, les classifications héritées de l'académisme autant que de décennies de recherches se définissant comme clairement anthropologiques ou communicationnelles, et ne revendiquant à ce titre aucune forme de double appartenance? Et déjà, n'y a-t-il pas quelque chose de trop confortable dans l'onction - certes datée - accordée en exergue par Claude Lévi-Strauss, qui appelait de ses ME! ((_ Médiation_ )), _ _ ____2001 et Ùiformation n° 15, h vœux le rapprochement de ces deux disciplines, et dont c'est la communication, à n'en point douter, qui bénéficie au premier chef? Affirmons-le sans ambages: ces deux disciplines, quelle que soit leur apparente dissemblance, sont en fait proches l'une de l'autre quand on prend le temps d'y regarder de plus près; quand on prend le soin, surtout, d'interroger scrupuleusement leurs objets, autant que les projets des "pères fondateurs". Rapprocher les définitions Marc Augé, (( l'anthropologie à leur existence )), pour Pierre communication, c'est l'étude du tuant l'univers humain )). de l'une et de l'autre est saisissant: si pour traite du sens que les hommes en collectivité donnent Lévy, (( l'objet des Sciences de l'information et de la tissu de rapports entre êtres, signes et choses consti- Bien sûr, c'est une pétition de principe d'affirmer que l'Homme, dès lors qu'il est en société, communique, par ses paroles, mais aussi ses gestes, son regard et ses mimiques, ses vêtements, sa posture générale, et même ses silences 1. Et naturellement, toute anthropologie, étudiant ce quifait lien socialement, interroge, peu ou prou, la communication. Ces deux traditions disciplinaires étudient toutes les deux, sur des terrains certes bien différents, l'homme devant son semblable et la nature du lien social; mais aussi les systèmes de signes, de symboles et cet (( ordre de l'interaction)) (E. Goffman) qui constituent les relations, et pérennisent les communautés de toutes natures, latitudes et époques. Les formes du rite, interpersonnel ou collectif, et la question du don, surtout, constitue un filigrane à leurs études, si souvent communes - le savent-elles seulement? Parlant au cr9isement où se rencontrent ces deux disciplines, il convient d'évoquer l'Ecole de Palo Alto, et le parti pris de ses chercheurs de démontrer la dimension intégrative et orchestrale de tout processus de communication, et de considérer les rites, interpersonnels ou communautaires, comme des phénomènes de communication complexes et complets. Les premiers écrits batesoniens (comme leurs exégèses les plus récentes 2) tendent à prouver que ce sont avant tout les systèmes de relations qui constituent le centre de ces recherches initiées dès les années 1930, a priori ethnologiques. Ceci paraît évident concernant Précisons que notre définition de la communication est celle de l'École de Palo Alto et des interactionnistes, que l'on trouve développée dans La nouvellecommunication(Y. Winkin, [1981] 2000) : loin d'une acception mécaniste et télégraphique, la communication est avant tout un processus se soutenant d'un contexte, dans lequel les acteurs sont tous à la fois joueurs et "joués", partition, instruments et musique. On retrouve ici - librement adaptée -la célèbre M. Houseman d~.nterprétation métaphore et C. Severi, de (( l'orchestre )). 1994. de l'action rituelle. Paris: Naven ou le donner à voir. Essai CNRS & MSH Éditions. 2 (( Préambule )) P. I..arde llier E. Goffman, patient scrutateur des (( rites d'interactions)) et des arcanes non-verbales par lesquelles le lien social se tisse et se perpétue. Quant au projet de Dell Hymes, créateur en 1967 de l'expression (( anthropologie de la communication )), il était d'investir ethnographiquement les comportements, les situations, les objets perçus au sein d'une communauté, et possédant une valeur communicative. D'ailleurs, (( lepari d'une anthropologie de la communication estprécisément celui-là: apprendre à voir la communication dans lesparoles, lesgestes, les regards de la vie quotidienne, afin de reconstituerpeu à peu le ((codesecret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par tous': dont parlait Edward Sapir. )) (Y. Winkin). Certes, anthropologie et communication gardent leur histoire et leurs spécificités, et il ne saurait être question de rendre ici l'une soluble dans l'autre. Cette anthropologie constitue même à notre sens la maison commune de nombre de sciences humaines et sociales, dont la communication. Cependant on discerne sans difficulté qu'il existe un socle commun permettant des passages, autorisant des échanges entre ces deux traditions disciplinaires. Depuis les légendaires terrains des pères fondateurs, l'anthropologie a fait route commune avec l'exotisme et une altérité souvent considérée comme radicale. Cependant, on ne peut plus astreindre cette discipline (( aux mirages de lafuite, de l'exil ou de l'exotisme)) (M. Augé). Alors il faut réaffirmer la possibilité, et sans doute aussi la nécessité épistémologique d'une «anthropologie des mondes contemporains », certes, mais aussi des modes contemporains de représentations, des formes nouvelles de faire lien socialement, au milieu des incertitudes de la postmodernité. Par-delà les chantiers ruralistes et les analyses précieuses des exoticités, c'est aussi l'étude des nouvelles formes d'identités et d'interactions qui est proposée à l'anthropologue, ces nouveaux chantiers émergeant autant des contextes contemporains de l'interculturalité que des médias, des nouvelles technologies 1, et des pratiques sociales qu'ils induisent, toujours empreintes de symbolique. Et l'anthropologie de cette fin de siècle tions des SIC, encore, en les obligeant certaines problématiques en leur sein, « tropisme techniciste » qui les caractérise peut rejoindre les préoccupaà contester l'hégémonisme de pour sortir, par exemple, du trop souvent. Internet et les univers virtuels constituent un objet... concret pour l'anthropologie! Qu'on s'en persuade en lisant Le grand Système, de Georges Balandier (Paris: Fayard, 2001). L'auteur y affirme même que (( le Net est plus qu'une métaphore des Nouveaux mondes du XvlIIe siècle )). 3 ME! (( Médiation __ - - - )), __n_ et information __ __ - - __ n° 15,n____2001 - Du pro/.et de ce numéro à son sommaire Ce court catalogue de convergences et d'affinités se veut programmatique, et non seulement constatif. Le projet de ce numéro de ME!, développé succinctement ici 1, résidera donc dans un rapprochement de ces deux traditions disciplinaires - tout à la fois dialogue entre elles et lecautorisés par des objets tures croisées, aussi - qui nous semblent d'études et des préoccupations communes. Mais plus qu'une alliance ponctuelle, qui pourrait sembler de circonstance, nous souhaiterions que le prisme de chacune de ces disciplines constitue un révélateur à travers lequel interroger l'actualité de l'autre. Le langage, les rites, les techniques, les symboles... autant d'objets communs à ces deux traditions, a priort~ grâce auxquels les chercheurs invités ici, et issus des deux traditions, ont osé dire quelque chose d'autre, et même de nouveau. Ainsi, le numéro s'ouvre par des entretiens qui, selon la tradition heureusement instituée par ME!, posent par notre intermédiaire les quatre mêmes questions à trois "grands témoins" de l'anthropologie et de la communication; trois témoins, Marc Augé, Jacques Perriault et Yves Winkin, que leur cheminement institutionnel, leurs questionnements et leurs travaux ont placé au carrefour où se croisent anthropologie et communication. Tel Janus, chacun considère le chemin parcouru, et celui qui reste encore à accomplir, afin de sceller pour l'anthropologie et la communication des alliances, promesses, aussi, de fertilisations croisées. Suit, pour ouvrir véritablement le numéro, une méditation de Serge Zenkine, qui entre philosophie et épistémologie pure, glose savamment et superbement autour de l'œuvre de quelques "pères fondateurs" de la sociologie et de l'anthropologie modernes et contemporaines, à partir de Jean Baudrillard. Jean-Jacques Boutaud et nous-mêmes tentons une ouverture méthodologique et théorique de l'anthropologie et de la communication vers la sémiotique, à propos d'un objet d'étude quotidien qui n'est jamais commun, et reste toujours auréolé de magie: la table, et les manières qui la constituent en authentique espace de production du lien social. Pierre Quettier et Fabienne Martin-Juchat nous parlent du corps. corps communiquant quelque chose de son essence, de sa culture cément, et de sa nature sensible et sensorielle, aussi. Un corps qui ici et ailleurs, loin d'être enserré dans des séquences formelles, s'y libéré à ci'autres dimensions. Un forsaisi voit Nous nous exprimons suffisamment ici et ailleurs (Théorie du lien n"tuel.Anthropologieet communication,à paraître) pour ne pas alourdir abusivement ce texte de présentation générale. Que la parole soit rendue aux auteurs! 4 (( Préambule )) P. Lardellier Suivent trois textes Oacques Walter et Vincent Meyer, Jean Davallon et Fabienne Dorey, Capucine Lebreton, enfin) qui analysent plusieurs dimensions, tout aussi anthropologiques que communicationnelles, de la vie sociale: la production et la pérennisation de liens de mémoire et d'appartenance ressortissant toujours au symbolique; et qui ne tiennent même qu'à cette instance majeure. Ceci ne va pas sans concessions ni compromis, faits à autrui afin de lui réserver un espace d'expression identitaire et finalement existentiel, et ce tout à la fois dans des cérémonies de commémoration, au sein d'expositions muséographiques cultu(r)elles ; ou tout simplement dans la rue. Derrière les postures institutionnelles, se décèle aussi cette petite mécanique du social, qui nous voit être agis, mus par des logiques profondes, culturelles et symboliques ; donc anthropologiques. Thierry Roche et Richard Lioger nous entretiennent du cinéma ethnographique. Il va sans dire qu'au-delà des préceptes méthodologiques mobilisés par leurs textes affleure une autre dimension, plaçant entre l'ethnologue et l'informateur non une caméra, un simple objet (qui n'est en rien seulement cela, au demeurant), mais une relation, complexe, profonde, insondable même, en ce qu'elle mobilise d'implication symbolique et inconsciente. Car, avant que la caméra ne capte et projette des images, s'y projette, a priori, quelque chose de l'imaginaire des protagonistes. Jean Lagane et Federico Casalegno, enfin, se penchent pratiques sociales induites par les NTIC, mais aussi imaginaires et mémorielles que celles-ci produisent en sant par là même d'autres formes de liens culturels, considérer esthétiquement. sur les nouvelles sur les instances réseaux, produiqui sont aussi à Deux invités « hors-thème» (François Rastier et Marc Cavazza) proposent enfm une lecture sémiotique de l'interactivité. Que l'on ne considère pas le propos comme étant trop décentré: ce sont encore les interdiscipline études en communication - qui se - authentique trouvent enrichies par ce regard. Au sein même d'une anthropologie et d'une communication qui toutes deux sont par essence plurielle, nous avons donc souhaité œuvrer à l'ouverture et au développement des études se situant naturellement aux points cardinaux où elles se rencontrent. Ceci afin de révéler l'anthropologie et la communication aux objets et problématiques qu'ils partagent; et - pourquoi pas? - à un même destin, nourries l'une et l'autre de leur inhérente pluralité, mais enrichies d'un patrimoine épistémologique commun. 5 Anthropologie et communication) 2 selon Marc Augé 1)Jacques Pernault 3 et Yves WZnkz.n Entretiens avec Pascal I..ardellier Université de Bourgogne & Laboratoire sur l'image, les médiations et le sensible en information-communication (LIMSIC) ME!. - ME! est une revue universitaire centréesur les sciences de l'information et de la communication. Dans vos réponses, vouspouvez bien sûr entendre la communication, tout à la fois, commeprocessus interpersonnel et social, et comme ensemble de techniques. Pourriez-vous nous décrire brièvement quels sont votreformation intellectuelle, votre parcours, vos ob~jetsde recherche, et les rencontres, théoriques et humaines, qui ont marqué votre carrière... ? Marc AUGÉ. - J'ai d'abord fait des études de lettres classiques (ÉNS, Agrégation) ; je me suis intéressé parallèlement aux sciences humaines et à l'ethnologie, sous l'i~fluence de Georges Balandier qui a été le directeur de ma thèse d'Etat. Mon premier terrain est l'Afrique de l'Ouest (Côte-d'Ivoire, puis Togo). Dans les années 1960-70, les deux grands paradigmes de référence étaient le marxisme et le structuralisme. Mes interlocuteurs villageois africains, à la fois par leurs relations de pouvoir, leurs rapports de force et leurs interprétations de la maladie et du malheur, m'ont conduit à porter une attention particulière aux événements, au langage et au quotidien. D'un autre côté, les prophètesguérisseurs qui étaient et sont encore très actifs me faisaient mieux comprendre que l'anthropologie comme regard sur le présent est directement concerné par le contexte de ce qu'elle observe: dès la période coloniale, ce contexte n'est plus exclusivement local. Sans doute est-ce la raison pour laquelle je n'ai pas senti comme une rupture l'intérêt que, à partir des années 1980, j'ai porté plus particulièrement à mon environnement direct, mais aussi à divers terrains d'Amérique Latine, sans renoncer pour autant à l"'africanisme". Directeur 2 d'études à l'ÉHÉSS (École des hautes études en sciences Professeur de sciences de l'information de Paris x (<<Nanterre ») Professeur de sciences de l'information normale supérieure de Lyon 7 et de la communication, et de la communication, sociales) Université École ME! (( Médiation et information - )), -- n° 15, 2001 - - - Jacques PERRIAULT. - Dans le temps même de mes études en économie, j'ai travaillé sur des questions de traduction automatique de l'allemand en français G'avais étudié à Berlin et je parlais allemand), puis de russe en français. Je passai ensuite à l'automatique documentaire, sous la direction de Jean-Claude Gardin et intégrai dès sa cr~ation le Centre de calcul de la Maison des sciences de l'Homme, puis l'EHÉSS. L'intérêt très relatif que je portais à l'économie, telle qu'on me l'avait enseignée, s'était vite dissipé au profit d'autres sciences humaines, où l'on expérimentait divers apports de l'ordinateur. De Gardin, je retins l'attitude mesurée à l'égard de l'informatique, à n'appliquer que lorsqu'on dispose d'un modèle formel préalable de l'objet à traiter, ce qui revient au chercheur en sciences, sociales et non pas à l'informaticien. Le livre que je publiai en 1971, Eléments pour un dialogue avec l'informaticien, caractérise ma position: le chercheur en sciences humaines et l'informaticien ont des identités distinctes et coopèrent sur un pied d'égalité. Mais, dans la réalité, l'informatique a joué le rôle du pot de fer. Un pot de fer "aveugle", si j'ose dire, car l'emprise de l'informatique sur les sciences sociales dans les années soixante-dix a relevé d'une logique de domination par les mathématiciens. Les artisans de cette conquête ne tinrent pas compte des abandons, des découragements, des détournements et des substitutions que les chercheurs opéraient dès lors qu'ils ne su~combaient pas au charme de l'analyse en composantes principales. A bien des égards, l'enthousiasme servile de commande à l'époque rappelle les invocations actuelles au cee-quelque chose". Aussi la recherche de repères intellectuels et de milieux échappant à cette emprise fut-elle importante pour moi. Des auteurs déterminants furent pour moi André Leroi-Gourhan, qui alerte dans La mémoire et les rythmes sur les langages formels, l'audiovisuel, qui sont en train de quitter l'Homme, Bertrand Gille, qui mettait la technique à sa juste place dans l'histoire qu'il en publia, Dell Hymes, qui s'interrogeait sur ce qu'est l'usage de l'ordinateur (The use of computer, ouvrage collectif qu'il publia en 1965). Le milieu dont je me, rapprochai fut celui des anthropologues (sociaux), dynamiques à l'EHÉSS. Je rejoignis alors leur séminaire, le GALT, où se trouvaient notamment Gérard Althabe, Marc Augé, Maurice Godelier et Nathan Wachtel. L'étude de la technique en tant que rapport social examiné dans ses pratiques effectives me convenait bien, car la stricte fonctionnalité de l'outil n'y masquait ni son rôle symbolique ni les aléas de ses utilisations. Gérard Althabe s'intéressait à l'industrie et Marc Augé aux médias, domaines très proches du mien. Dans cette ambiance, je conçus que l'usage d'un outil répondait souvent à une logique autre que celles des concepteurs, des réalisateurs et des vendeurs, échappant ainsi à tout déterminisme. Yves WINKIN. - J'ai eu la chance de bénéficie~, dans les années 1970, d'une formation à la fois en Belgique et aux Etats-Unis, à la fois en communication et en anthropologie, à la fois proche de Bourdieu et de Goffman. Les sciences de l'information et de la communication se sont institutionnalisées en Belgique bien avant la France. Après un Premier cycle en philosophie, je suis entré en "Arts de diffusion", comme on 8 Entretien avec _u_ _ Marc Augé, Jacques ___ Pernault et__Yves_ Winkin _____ disait à l'époque à l'Université de Liège. Des copains m'avaient parlé avec admiration de leur maître, le sociologue de la littérature Jacques Dubois. J'ai tout de suite été séduit par sa modernité, à la fois dans ses préoccupations et dans son ton, ses gestes, ses expressions. Il m'a proposé de faire sous sa direction une enquête sur les éditeurs belges de langue française. Ce travail est devenu mon mémoire de fin d'études mais aussi l':amorce d'une série d'études sur ces ((Producteurs{Ymboliques)) bien particuliers. Si je fais allusion à une expression de Bourdieu, c'est que Jacques I?ubois m'a également suggéré d'aller suivre le séminaire du maître à l'EHÉSS. Nous étions en 1975 ; je prenais le train à Liège à 7 heures; j'arrivais à Paris à 11 h 30, le cœur battant. Je me rendais au séminaire de Bourdieu, je n'osais parler à personne, et je rentrais le soir même. J'étais heureux et fier. Je n'ai cessé d'être très impressionné par Bourdieu, autant l'œuvre que la personnalité. Ce n'est pas un hasard si j'ai publié nombre de textes dans Actes de la recherche,si je me suis joint au duo liégeois (Pascal Durand et... Jacques Dubois) qui a organisé en juillet 2001 le « Colloque Bourdieu» à Cerisy, et si j'édite avec Bourdieu un recueil de textes de Cicourel, à paraître au Seuil en 2002. Mais il y a l'autre branche de ma formation, américaine cette fois. À 18 ans, j'étais parti un 5ln dans une famille américaine. Je me suis mis en tête de revenir aux Etats-Unis après mes études universitaires en Belgique. Ce que j'ai fait avec une bourse, qui m'a permis de faire un Master en communication à l'Annenberg Schoolfor Communicationde l'Université de Pennsylvanie, de 1976 à 1978. En faisant mes entretiens avec les éditeurs belges, j'avais été très frappé par la mise en scène de certains d'entre eux, du genre: (( écoutev J"ai dix minutes à vous donner,J'e suis débordé)), alors que mon interlocuteur n'avait pas de montre au bras. La découverte fortuite de La mise en scènede la vie quotidiennede Goffman, qui venait de sortir chez Minuit, m'a emballé: ce sociologue me disait que ce j'avais observé n'était pas juste de l'anecdote amusante mais de l'ordre social en miniature. Je voulais donc suivre les cours de Goffman à Pennsylvania. Mais son séminaire coïncidait avec celui d'une autre figure imposante, Ray Birdwhistell. J'ai opté pour celui-ci, qui est devenu mon directeur de mémoire de maîtrise. L'Université de Pennsylvanie a rassemblé dans les années 1970 un extraordinaire aréopage d'anthropologues, de linguistes, d'ethnolinguistes. Quelques graduate students de l'Annenberg Schoolet du Département de folklore se réunissaient régulièrement pour échanger leurs notes de cours et leurs impressions sur Goffman, Labov, Hymes (dont j'ai suivi tous les cours et séminaires). Fabuleux. C'est de cette formation intensive que j'ai tiré la Nouvelle communication,. c'est encore en grande partie sur cet acquis que je fonctionne aujourd'hui. Rentré en Belgique, j'ai reçu un mandat du Fonds national de la recherche scientifique, grâce à Paul Minon, un sociologue généraliste à l'ancienne mode, qui me "protégera" pendant la phase d'écriture de la thèse et au-delà. Je retournerai régulièrement à Philadelphie, et je suivrai notamment le séminaire de Goffman chaque année au mois de mai. Le 9 (( ME! - Médiation et information - -- )), -- - n° 15, 2001 -- -- reste du parcours est classique: après une carrière de chercheur d'une quinzaine d'années, je serai invité à, pour ne pas dire obligé de, quitter le FNRS pour devenir enseignant à temps complet en "Arts et sciences de la communication" à l'Université de Liège. C'est ainsi qu'au début des années 1990, je lancerai une orientation «Anthropologie de la communication» au niveau du Deuxième cycle, en insistant sur toute l'importance d'un travail de terrain de quelques mois au moins. Les études étaient fmalisées par un mémoire de maîtrise d'une centaine de pages. J'ai été surpris par l'enthousiasme des étudiants, dont nombre ont produit de remarquables travaux, alors que le temps de formation avait été très bref. Mais j'ai été très déçu par l'accueil de certains collègues - au point que j'ai préféré en 1999 réduire mes activités à l'Université de Liège ~trente heures de cours par an et tenter l'aventure de la refondation de l'ENS «Lettres et sciences humaines» à Lyon. ME!. - Communication et anthropologie. .. ? De prime abord, comment qualifieriez-vous le rapprochement de ces deux disciplines? Et comment peut-on à votre sens les articuler, depoints de vue théorique,problématique et méthodologique? Marc AUGÉ. - Pour être franc, je ne me suis jamais posé explicitement la question du rapport entre les deux disciplines. Simplement, il m'est arrivé très naturellement de rencontrer chez les spécialistes de la communication des interlocuteurs privilégiés - et en tout premier lieu des chercheurs comme Jacques Perriault et Yves Winkin (quant aux travaux de Daniel Dayan, que j'ai rencontré plus tard, ils m'intéressent pour des raisons qui constituent ma réponse à la question suivante). Les raisons du rapprochement entre anthropologie et communication me paraissent claires. L'anthropologue étudie, entre autres, des faits particuliers de communication. Plus exactement il étudie d'une part les conditions dans lesquelles les autres (ceux qu'il "observe") communiquent entre eux, la grille symbolique dans laquelle sont pris leurs échanges (grille qui donne également un sens aux relations de pouvoir et aux situations inégales), d'autre part les conditions auxquelles lui-même peut se faire entendre de ces autres et les entendre. Il fournit donc aux spécialistes des études de cas, des exemples. La "désexotisation" de l'objet anthropologique ne peut qu'accélérer le rapprochement entre les deux disciplines: au cœur de l'objet anthropologique, il y a, à mon avis, la relation (entre l'un et l'autre, l'un et les autres, les uns et les autres) telle qu'elle se conçoit et s'institue, se symbolise, si l'on veut. Les sciences de la communication ont le même objet, mais en spécifient les manifestations. La différence est très relative, car les spécialistes de la communication ne se limitent pas aux échanges verbaux et les anthropologues sont parfois obligés de présenter des études de cas qui les font sortir des considérations générales sur le système symbolique de telle ou telle culture pour en apprécier plus concrètement et particulièrement les conditions d'effectuation. Jacques PERRIAULT.- L'anthropologie offre un~ approche particulièrement intéressante des faits de communication. A l'exception de Marc Augé, Marc Abélès, Yves Winkin et quelques autres, les anthropologues 10 Entretien avecMarc Augé, Jacques Pernault et Yves Winkin - - -- - - --- -- abordent toutefois ce domaine avec timidité, laissant ainsi le champ libre aux sciences de l'information et de la communication. Les deux disciplines entretiennent à la fois un rapport de complémentarité et un autre, de substitution. Je m'intéresse plus particulièrement aux faits d'information et de communication qui recourent à des technologies électroniques et informatiques. J'observe la dynamique de l'adoption d'un outil et de son usage sur le terrain avec une méthodologie hybride qui emprunte d'une part à la psychologie cognitive, pour appréhender les mécanismes intellectuels mis en jeu, et d'autre part, à l'ethnologie, car ce processus ne peut ni être isolé du milieu global où il se produit (entreprise, quartier, etc.), ni segmenté dans le temps, sa durée dépendant des utilisateurs et s'imposant au chercheur. L'anthropologie me fournit des apports pour: l'étude de la représentation de l'outil, de ses usages, des projets qui l'impliquant renvoient à la société globale, par ce qui la légitime, par ce qui en définit l'usage sC?cial, par les mythes, croyances et opinions qui la sous tendent. A cet égard, les apports de Pierre Bourdieu dans Un art moyen, la photographie et dans Esquisse d'une théorie de la pratique sont précieux. Mais la distinction que pose Maurice Godelier entre idéel et matériel, ses observations des effets sur leurs rapports sociaux que provoque l'introduction d'outils modernes chez les Baruya, le rapport homme/ femme, par exemple, pour la découpe de la viande, sont d'une grande utilité, précisément en raison de la prise en compte de la société globale. l'observation rapprochée de l'acte technique avec une mise en perspective, qui suppose une information permanente sur la globalité du terrain où il s'exerce. L'acte technique est en partie inracontable, ce qui nuit à la fiabilité des méthodes d'entretiens et d'enquête a posteriori et conduit à l'observation in situ. Seul l'œil exercé de celui qui l'a déjà pratiqué sait alors discerner chez l'acteur, d'une part, les formules stéréotypées qui renvoient à un discours de convention, d'autre part, les pratiques symboliques dans la chaîne opératoire (Haudricourt, Cresswell, Lemonnier). Les modalités d'introduction et d'intervention sur le terrain. L'observateur biaise souvent par sa présence les usages qu'il observe du fait d'un statut et d'un rôle mal déterminés. Les ethnologues ont une longue expérience de négociations préliminaires entre chercheurs et observés, de sorte que soient définies clairement les conditions dans lesquelles ils coopèrent, en pratiquant d'ailleurs d'éventuels dons et contre dons. Yves WINKIN. - Ces deux "disciplines" n'en sont pas au même degré de maturation et ne sont pas donc pas vraiment comparables. Elles ne jouent pas dans la même division. L'anthropologie a plus d'un siècle d'histoire derrière elle; la communication, du moins en Europe, essaie encore de se trouver une légitimité. Tout se passe dès lors comme si l'anthropologie, en vieille discipline noble, ne voulait rien savoir de ce 11 ME! - (( Médiation et information - - )), n° 15, 2(1),1 - --- -'-- qui se passait en dessous d'elle et comme si les sciences de la communication, qui se sont gorgées pendant des années de psychologie sociale et de sociologie, ou encore de linguistique et de sénùologie, ne pouvaient plus rien absorber. Cela dit, il est évident que les deux disciplines ont beaucoup à recevoir l'une de l'autte,. Sans doute d'abord sur le plan méthodologique. La démarche fine de l'anthropologie, fondée sur l'observation participante et l'immersion longue dans un milieu donné, convient très bien aux sciences de la communication, dont les objets, de plus en plus diversifiés, se prêtent de moins en moins aux investigations classiques, fondées sur les enquêtes et les analyses de contenu. Ce qui ne signifie pas qu'il faille faire de l'ethnographie la panacée méthodologique universelle. Ainsi, il n'est vraiment pas aisé de concevoir une approche ethnographique des comportements et des discours sur la "Toile". Ensuite sur le plan théorique. L'anthropologie a produit au fil des années des concepts qui me paraissent toujours très opérationnels. Les sciences de la communication ont là à leur disposition un vivier notionnel important. Je songe en particulier à la construction théorique de "performance" - mais même des notions aussi écrasantes que celles de "culture", de "rituel", de "don, contre-don" peuvent se révéler efficaces, parce qu'elles ont fait l'objet de multiples bains de jouvence au cours des vingt dernières années. Enfin, sur le plan des problématiques que les deux univers disciplinaires peuvent aborder ensemble, en conjuguant leurs efforts. Quand Michèle de la Pradelle étudie les espaces marchands en anthropologue, je me sens tout à fait en harmonie avec les questions qu'elle se pose, parce que la communication interculturelle - interpersonnelle, - est au cœur de son propos. Les anthropologues ont toujours abor4é des questions de communication, mais en les énonçant autrement. A nous de relire leurs travaux et de discuter avec eux, non tant d'ailleurs par publications interposées ou dans des colloques que lors de séminaires, de directions de thèse, d'échanges anùcaux, c'est-à-dire sans qu'il y ait de pression publique de positionnement. L'interdisciplinarité ne peut dépasser le stade du vœu pieux que lorsque l'occasion nous est donnée de baisser la garde. ME!. - Quels obj.ets et quels domaines, quels concepts et quels auteurs de la sphère des sciencessocialespourraient selon vousfavoriser des rapprochementsfertiles entre cesdeux traditions disciplinaires? Marc AUGÉ. - Assez évidemment, les technologies de l'information et de la communication connaissent un développement qui ne peut que rapprocher les traditions disciplinaires. Quand l'anthropologue porte son regard sur le monde contemporain (dont relèvent au même titre des paysans africains, des Indiens déplacés dans les périphéries des métropoles d'Amérique latine ou des citadins européens), il constate que, de façon plus ou moins accentuée, les "cosmotechnologies" se sont substi- 12 _ _ _ _]_al'ques __ _ Pernault _ ___ _ __ Entretien avel'Marl'H_ Augé, et Yves Winkin h tuées aux cosmologies traditionnelles: elles distribuent le sens sur les relations entre individus, ou tout au moins elles y prétendent, et l'analyse de ce phénomène relève aussi bien de l'anthropologie (car elles mettent en cause son analyse des systèmes symboliques) que, bien évidemment, des sciences de la communication. La vieille dualité "rapports de force, rapports de sens" reste utile, indispensable même à une époque où la notion de message aspire à la neutralité. L'anthropologie des mondes contemporains (qui ne doit renier aucun des héritages de la discipline mais qui prétend s'appliquer aux terrains les plus représentatifs de notre modernité), la sociologie de Pierre Bourdieu, qui procède toujours d'une préoccupation d'ordre anthropologique, me paraissent les interlocuteurs privilégiés des sciences de l'information et de la communication. Jacques PERRIAULT. - Si l'apport de l'anthropologie aux sciences de l'information et de la communication est facile à cerner, il n'en va pas de même en sens inverse. Non pas que cet apport n'existe pas, mais un rétablissement de la balance des échanges pourrait bénéficier aux deux disciplines. De façon générale, les SIC sont familières avec les faits sociaux et techniques d'information et de communication, ce qui suggère de possibles couplages d'équipes relevant de l'une et l'autre discipline pour les étudier. Les travaux des SIC sur les usages, les dispositifs, les espaces publics, les systèmes d'information pourraient être exploités davantage paF les anthropologues. Faut-il rappeler qu'en France, aussi bien qu'aux Etats-Unis, la science de l'information a trouvé une de ses origines dans l'exploitation des corpus en archéologie et en anthropologie, ainsi qu'en témoignent les travaux de Jean-Claude Gardin et de Dell Hymes. La notion de machine à communiquer, proposée par Pierre Schaeffer en 1970, est de nature à jeter un pont entre les deux disciplines. Une telle machine, selon sa défmition, produit, stocke et diffuse des simulacres, constitués aujourd'hui de pixels et d'ondes sonores, que l'Homme interprète. Le grand avantage de cette notion, que je préfère à celle d'hyper-réalité, est de découpler la partie strictement technique (production, diffusion, stockage) de la fonction interprétative, propre à l'Homme, qui renvoie à la sémiotique, aux représentations et aux croyances. Yves WINKIN. - Pour que des rapprochements fertiles aient lieu entre deux disciplines, il faut avant tout des "passeurs", c'est-à-dire des chercheurs reconnus par leurs pairs dans l'un et l'autre univers, qui osent proposer des échanges et des hybridations. Claude Lévi-Strauss aurait pu jouer ce rôle en France: on se souvient des quelques pages de l'Anthropologiestructuraleconsacrées à la communication, ((un conceptunificateur grâce auquel on pourra consolideren une seule disciplinedes recherchesconsidérées commetrès différentes)). Mais son appel est venu trop tôt (1958). Quelques rares anthropologues, comme Georges Balandier et Marc Augé, l'ont repris à leur manière: opération courageuse, qui a failli leur coûter très cher au sein de la discipline. En sens inverse, personne en communi- 13 )), ___ (( Médiation____et __ 15, ME! information n_ ___ n° __ __ 2001 _____ cation n'a un prestige tel aujourd'hui qu'il pourrait être entendu par les anthropologues. Est-ce à dire que les "interfécondations" sont impossibles ? Non, mais il faudra se résoudre à travailler dans les marges, sans reconnaissance avant longtemps de la part de l'anthropologie -la communication, quant à elle, ne peut rien légitimer du tout, vu son faible statut symbolique (qu'elle ne renforce d'ailleurs guère en acceptant en son sein des opérations aussi douteuses que la médiologie, la PNL, etc.). Mais reprenons sur un ton moins désabusé. Je pense que la communication doit s'allier à l'anthropologie pour établir ou renforcer des domaines comme la communication interculturelle (aujourd'hui aux mains de la psychologie culturelle et des sciences de l'éducation), la communication pour le développement (aujourd'hui aux mains d'''experts'' qui ont des réponses mais pas de questions), ou encore la communication entre l'homme et l'animal (aujourd'hui aux mains de quelques philosophes et de quelques éthologues). Ce sont des domaines très importants, par les contributions qu'ils pourraient offrir à la Cité, mais encore délaissés. Il y aurait là de superbes opérations intellectuelles, sinon institutionnelles, à mener. Il faudrait quelques jeunes, en anthropologie comme en communication, qui oseraient s'imposer. J'ai bon espoir pour le domaine de la communication entre l'homme et l'animal: les alliances que passent aujourd'hui des anthropologues comme Frédéric Joulian avec des chercheuses en communication comme Véronique Servais sont porteuses d'avenir. . . ME!. - Au tournant des siècles, voyez-vous des challenges sociaux et théoriques qu'anthropologie et communication peuvent ou doivent relever, séparément ou pourquoiPas ensemble? Marc AUGÉ. - Le défi que la recherche peut essayer de relever tient aux contradictions de notre monde lui-même. Les inégalités s'accroissent quand le monde, dit-on, s'uniformise. Ce "dit-on" est un objet privilégié d'analyse. Il prend place dans un monde envahi par les "images", au sens large (ce sens lui-même est un objet d'étude). L'enjeu, c'est la survie des rapports de sens, ni plus, ni moins. des échanges, le développeJacques PERRIAULT. - La mondialisation ment d'Internet mettent en relief la diversité des conceptions du monde et obligent à identifier la pluralité des modèles de connaissance qui coexistent sur la planète. La maîtrise des réseaux numériques sollicite des fonctions intellectuelles spécifiques et accentue la nature procéduraIe du savoir. La communication horizontale que favorise Internet attire l'attention sur l'intervention croissante de la réciprocité dans la construction des savoirs. Celle-ci est autre chose que l'échange auquel on s'est principalement intéressé jusqu'à présent dans la lignée des travaux de Marcel Mauss sur l'esprit du don, conçu comme un rapport de propriétés. La réciprocité implique responsabilité et confi?-nce et entretient des relations encore mal connues avec le lien social. A l'issue d'une construction réciproque de savoirs, les partenaires sont différents, ce 14