Syncrétisme De Huyền-Quang Ou L`Esprit Zen Vietnamien Du XIII

LE SYNCRETISME DE HUYN-QUANG
OU L'ESPRIT ZEN VIETNAMIEN
DU XIIIè SIECLE
A-t-il une philosophie Vietnamienne ? On s'en doute. Mais on s'en doute
encore plus de l'existence des philosophes vietnamiens. A mon sens, cela
dépend de la façon d'entendre les termes de " philosophie " et de
" philosophes ". Si la philosophie ne consiste pas seulement à systématiser
les idées abstraites et générales et les philosophes à passer leurs temps à
raisonner sur les concepts des choses humaines et naturelles, et qu'au
contraire si la philosophie est avant tout l'effort de saisir la réalité
spirituelle vivante et les philosophes ceux qui se consacrent à vivre l'idée,
à réaliser un idéal auquel on s'attache de toute son âme, je pense qu'il y a
bien eu une philosophie et des philosophes dans le Vietnam d'autrefois .
Il est vrai que l'intellectuel Vietnamien est peu enclin à la spéculation
abstraite .
Cependant, l'illustre philosophe Français Bergson a montré lumineusement
dans son ouvrage " La Pensée et Le Mouvant " " qu'il faut pour que la
philosophie ne soit plus purement conceptuelle, et qu'à cause de
l'insuffisance de la perception naturelle qui a poussé les philosophes à
compléter la perception de la conception, celle-ci devant combler les
intervalles entre les données des sens ou de la conscience et, par là, unifier
et systématiser notre connaissance des choses ". Ce fait, les philosophes
s'éloignent de la réalité concrète vivante, mouvant, créatrice, et passent
leur temps " à interpréter le monde chacun à sa manière " comme l'a
reproché Marx, il faut donc " élargir sans cesse la perception ". Et si l'on
croit jusqu'ici que " l'attention peut préciser, éclairer, interpréter : elle ne
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fait pas surgir dans le champ de la perception, ce qui ne s'y trouvait pas
d'abord ", à cette objection logique, Bergson répondrait qu'il y a bien, en
effet depuis des siècles, des hommes dont la fonction est justement de voir
et de nous faire voir ce que nous n'apercevons pas naturellement. Ce sont
les artistes ". _ ( p. 149 ) .
Et Bergson a raison, surtout en ce qui concerne la philosophie Orientale en
générale et la pensée Vietnamienne en particulier, par ce qu'ici toute la
culture appartient à une longue tradition, plusieurs fois millénaire, qui
accorde une place privilégiée aux " Sinh nhi tri " ( ) c'est à
dire aux hommes ou aux surhommes nés "voyants ", qui ont l'expérience
directe de la vérité éternelle. Viennent ensuite le " Hc nhi tri "
( ) ou " Khôn nhi tri " ( ) ceux qui par un effort
continu de réflexion et l'étude, ont atteint cette vérité. C'est pourquoi ici le
terme de " philosophie " ne consiste pas seulement à raisonner sur des
concepts, mais bien à faire l'expérience de la vérité spirituelle vivante. En
effet, les philosophes vietnamiens s'il y en a, sont comme leurs Maîtres
Chinois ou Hindous, à la fois des sages et des artistes. Ils ont consacrèrent
leur vie à réaliser un sens auquel ils attachaient une foi sincère et intense,
un idéal moral et esthétique .
Pour illustrer ce que je viens de dire il me suffit de citer comme exemple
parmi tant d'autres la vie d'un de nos sages, connu sous le pseudonyme de
Huyn-Quang ( Lumière-Mystérieuse ) avec son poème célèbre sur la
Pagode à pilier unique ou " Mt-Ct " qui se dresse sur un énorme pilier
de pierre cylindrique et sans décor au centre d'un bassin carré, près des
terrains de la citadelle de Hà-Ni actuel .
Huyn-Quang, de la famille des Lý, de son vrai nom Lý-Đạo-Tài, est
originaire du village de Van-Thai de la province de Bc-Giang actuel. Son
père du nom de Tu-T, fut renommé par ses promesses de lutte contre les
Chams mais refusa la fonction de mandarin. Huyn-Quang a une
physionomie plutôt laide mais une intelligence extraordinaire. A vingt ans,
il fut reçu premier au Concours National des Trois Systèmes
Confucianisme, Taoïsme et Bouddhisme .
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Avant son concours sa mère avait voulu le voir marié, mais elle n'avait pas
réussi à lui trouver un parti. Après qu'il fut reçu premier au concours,
toutes les familles nobles du pays se firent concurrence pour offrir leur
fille. Même le Roi voulut faire de lui son gendre, mais il refusa toutes ces
propositions avantageuses, s'étant dégoûté de l'instabilité des sentiments
humains. Il exprima son amertume dans ces vers :
" Quand on est pauvre, personne ne daigne le regarder
Des milliers s'empressent autour de lui quand il est premier au concours. "
Son amertume fut si profonde qu'il pensa se réfugier à l'ombre du
Bouddha. Il fut nommé au grade de Président de l'Académie Nationale et
rédigea de sa plume toutes les lettres d'échanges diplomatiques entre la
Cour du Vietnam et la Chine de son temps. Un jour, il accompagna le Roi
dans une excursion à la Pagode de Vĩnh-Nghiêm, et eut connaissance
( rencontra ) le bronze Pháp-Loa, qui prêchait le Zen. Il fut illuminé et
prononça ces vers :
" Vinh quang đăng Bng đảo
Đắc đạo đáo Ph-Đà
Châu-thượng nhân gian Tiên dã
Tây-thiên cnh gii Pht da
Phú quí vinh thích
Đãi nhược thu thiên hng dip
H nht bch vân
An đắc cu m luyến da ? "
" Etant mandarin, j'aspire arriver à l'Ile enchanteresse patrie des immortels.
Réalisant la Vérité j'atteins le pays des Bouddhas
Dans la société des hommes du delta on est l'ange
Au monde nirvanique de l'Ouest, on devient Bouddha
Honneur et richesse qui m'arrivent, je les considère comme éphémères tels
le feuillage qui rougit à l'automne
Ou le flocon de nuage qui flotte en été
Ainsi dans ce monde transitoire pourrait-on s'attacher longtemps à ce qu'on
aime ? "
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A ces réflexions, il présenta par trois fois sa requête au Roi de se retirer de
la vie mondaine pour se faire disciple de Pháp-Loa ( Colimaçon de
Dharma ), le second illustre patriarche du Bouddhisme Zen Vietnamien,
duquel il reçu le nom de baptême de Huyn-Quang. Avec sa vaste
érudition, sa profonde connaissance métaphysique, il eut vite des milliers
de disciples. A partir de ce jour il s'attacha pas à pas au deux Maîtres Zen
de l'époque, le Roi Trn-Nhân-Tông vainqueur des Mongols qui lui aussi
se fit bronze avec le titre de " Điu Ng Hoàng Đế " ( Le Roi qui se
maîtrise et s'équilibre ), Premier Patriarche .
Huyn-Quang mourut octogénaire en 1364 et porta à la suite le titre
posthume de Troisième Patriarche que la tradition du Bouddhisme
Vietnamienne a rangé avec les deux précédents au rang de " Trois
Patriarches de la Forêt de Bambou " .
_ ( D'après la " Textes Bouddhiques Annamites " E.F.O. ed. 1943 )
En ce qui concerne ses écrits assez abondants semble-t-il, il ne nous resta
pas grande chose, sauf quelques poèmes par-ci par-là dont voici l'un, riche
en enseignements philosophiques. C'est un huitain de métrique Tang,
évoquant le processus de l'illumination intérieure progressive au moment
où l'auteur use son esprit pour faire l'expérience de l'esprit dans l'attitude
Dhyanique. Le poème est en caractères chinois, écriture essentiellement
idiographique qui est le mode d'expression polyscopique, le seul qui
convienne à traduire les expériences métapsychiques de ce genre où l'objet
et le sujet évoluent en un flux mouvant et continu de matière spirituelle. Le
caractère idéographique est une peinture qui nous suggère par
l'imagination la simultanéité des aspects dynamiques des phénomènes de
l'esprit s'efforçant de se concentrer pour produire l'intuition de l'absolu. En
récitant en bonne règle le poème, tout en lisant si l'on n'a pas l'imagination
rapide des caractères chinois, on contemple leurs images mentales qui se
succèdent et se fondent ensemble et l'on aura une version de l'unité
spirituelle qui se concrétise derrière ces multiples ondulations .
J'essais ci-dessous de traduire en langage logique ce qui pourrait être fait
d'un mouvement dialectique. Pour que nos lecteurs aient quelques
sensations imagées, je voudrais mettre devant leurs yeux ce texte en
caractères chinois :
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" Thượng phương thu d nht trung lan
Nguyt sc thu ba phong th đan
Chi vn đảo miên phường kính lãnh
Tháp quang song trĩ ngc tiêm hàn
Vn duyên bt nhiu thành gìa tc
Bán đim vô ưu nht phong khoan
Tham thu th phi bình đẳng tướng
Ma cung Pht quc hiếu sinh quan . "
Traduction :
( Au carré supérieur, dans la chambre de méditation, le dernier son de
cloche se meurt dans une nuit d'automne.
Au dehors le clair de lune scintille sur le feuillage rougi des badamiers
Le bec d'un oiseau emblème qu'on a incrusté au coin recourbé de la toiture
se reflète dans l'étang en un oiseau endormi comme dans un miroir carré
Les deux stupas debout parallèles devant la pagode rayonnent de leur
sommet de jade tout imprégné de brouillard glacial
La multiplicité des conditions extérieures ne trouble plus l'intérieur
spirituel de la citadelle que gardent les murs de la forteresse contre toute
impureté terrestre.
Pas de moindre souci ne voile plus l'oeil spirituel qui regarde tout avec
tolérance
Et pénètre jusqu'à l'égalité phénoménale du vrai et du faux
Une vision d'amour béatifique éclaire ensemble et " l'enfer et le paradis " ).
_ ( Tiré du " Vit m Thi Tp " _ ligne 1 - 4 p. 20 livre III conservé par
E.F.E.O. )
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