males océaniques connues n’excédaient pas 3 600 mètres
de profondeur et n’étaient donc sans doute pas assez pro-
fondes pour que l’on y rencontre des piézophiles stricts,
qui furent en très grande majorité obtenus à partir de
tubes digestifs d’invertébrés abyssaux.
L
ors de la campagne océanographique franco-russe
Serpentine (2007), à bord du navire de l’Ifremer
Pourquoi pas ?, le robot Victor découvrit sur la dorsale
médio-Atlantique le site hydrothermal actif d’Ashadze,
situé à une profondeur de 4 100 mètres. Selon l’ap-
proche méthodologique décrite plus haut, un fragment
de fumeur noir servit d’inoculat pour une culture en
conditions anaérobies incubée à 95 °C et 42 MPa. Cette
culture conduisit à l’isolement par Zeng Xiang, Jean
Louis Birrien et leurs collègues d’un nouveau micro-
organisme appartenant au domaine des archées et
nommé dans un premier temps CH1
(12)
. De morpho-
logie coccoïde, très mobile et fermentant diverses
molécules organiques, ce dernier appartient au genre
Pyrococcus et représente une nouvelle espèce, nommée
P. yayanosii, en hommage à Aristides Yayanaos. Cette
nouvelle espèce croît dans une gamme de températures
allant de 85 à 105 °C avec un optimum à 98 °C et un
temps de doublement de 51 minutes. La pression opti-
male pour la croissance est de 52 Mpa, et une croissance
significative est encore observée sous 120 MPa. Mais
le plus intéressant concernant la physiologie de cette
souche est l’absence de croissance, quelle que soit la
température, pour des pressions inférieures à 20 MPa.
Il s’agit là du premier micro-organisme hyperthermo-
phile, piézophile obligatoire.
Une biosphère des profondeurs
E
n 1993, Jody Deming et John Baross, observant que les
thermopiézophiles ont un optimum de pression supé-
rieur à celle relevée au lieu de collecte de l’échantillon,
écrivaient
(5)
: « les fumeurs noirs seraient-ils des fenêtres
ouvrant vers une biosphère profonde ? » En d’autres
termes, les piézophiles isolés de fumeurs noirs viendraient-
ils d’un écosystème plus profond, comme une zone de
mélange entre l’eau de mer pénétrant dans les fractures
du plancher océanique et les fluides très chauds remon-
tant des profondeurs ? La réponse à cette question n’a
pas encore été apportée mais d’autres éléments renfor-
cent l’idée d’une biosphère profonde, thermophile, et
forcément piézophile.
BIOFUTUR 310 • MAI 201040
Dossier
Les microbes de l’extrême
sance, mais aussi l’activité
méthanogène, par ailleurs
découplée de la croissance aux
températures les plus élevées
(6)
.
Premières
découvertes d’archées
thermopiézophiles
L
’utilisation conjointe de
hautes températures et de
hautes pressions lors des
étapes d’enrichissement allait
révéler l’existence de micro-
organismes plus étonnants
encore. Ainsi, à partir d’un
échantillon de fumeur noir
collecté à 3 500 mètres de
profondeur sur la dorsale
médio-Atlantique et conservé
sous pression jusqu’aux premières cultures en labora-
toire, Viggo Marteinsson et ses collègues isolèrent
l’archée thermopiézophile Thermococcus barophilus
(7,8)
. Cet organisme anaérobie strict croît par fermen-
tation de molécules organiques entre 75 et 95 °C, avec
un optimum à 85 °C lorsqu’il est cultivé sous pression
atmosphérique.
S
a culture sous pression hydrostatique se traduit par une
augmentation de la température maximale de croissance
(95 à 100 °C), mais aussi du taux de croissance. La pres-
sion optimale est de 40 MPa, soit plus que la pression
in situ lors de la collecte de l’échantillon. L’analyse des
protéines totales exprimées sous diverses conditions de
pression montre que, lorsqu’il est cultivé à la pression
atmosphérique, Th. barophilus exprime une protéine
de stress, ce qui confirme son caractère piézophile.
E
n suivant une approche expérimentale similaire,
l’équipe de Karine Alain isola, à partir d’un échantillon
hydrothermal collecté cette fois à 2 600 mètres de pro-
fondeur sur la dorsale du Pacifique oriental, un
micro-organisme du domaine des bactéries, décrit
comme nouvelle espèce sous le nom de Marinitoga
piezophila
(9)
. Celle-ci croît par fermentation de 45 à
70 °C, avec un optimum à 65 °C. La pression optimale
est de 40 MPa, alors que l’échantillon vient d’une pro-
fondeur où règne une pression de 26 MPa. De nouveau,
la pression hydrostatique améliore nettement la crois-
sance et, dans ces conditions, les cellules ont une
morphologie de bacilles courts et réguliers. Lorsque la
pression diminue, la morphologie est altérée, et, à la
pression atmosphérique, est caractérisée par la pré-
sence de longs filaments irréguliers. Un tel changement
de morphologie avait été observé par Satoshi Ishii et
ses collaborateurs chez Escherichia coli
(10)
, mais les
filaments apparaissaient alors dans les cultures sous
pression hydrostatique élevée.
A
près avoir étudié les bactéries psychrophiles et piézo-
philes des océans pendant de nombreuses années, Aristides
Yayanos conclût que la piézophilie est une caractéristique
des bactéries psychrophiles vivant à plus de 2 000 mètres
de profondeur et qu’elle augmente avec cette profondeur
(11)
. Effectivement, les piézophiles obligatoires provenaient
d’échantillons collectés au-delà de 6 000-7 000 mètres,
dans les fosses océaniques comme celle des Mariannes
*5
ou d’Okinawa. Jusqu’en 2007, les sources hydrother-
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*4 Pression fonction du
poids de liquide au-dessus
d’une surface donnée,
exprimée en diverses
unités : kg/cm2, atmosphère
(atm), bar ou MegaPascal
(MPa) (1 kg/cm2= 1 atm =
1 bar = 0,103 MPa).
La pression s’accroît
de 0,103 MPa
tous les 10 m d’eau.
*5 Dans les océans,
la plus grande profondeur
rencontrée se situe
dans la fosse des
Mariannes (10 790 m,
soit 110 Mpa de pression).
Bioréacteur qui permet
de cultiver des
micro-organismes
thermopiézophiles
(à 100 °C et 80 MPa).
Pyrococcus yayanosii, première archée hyperthermophile
piézophile obligatoire
(6) Miller JF et al. (1988)
Appl Environ Microbiol 54,
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(7) Marteinsson VT et al.
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Microbiol 63, 1230-6
(8) Marteinsson VT et al.
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(9) Alain K et al. (2002)
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(10) Ishii A et al. (2004)
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(12) Xiang Z et al. (2009)
ISME J 3, 873-6
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