BIOFUTUR 310 • MAI 2010 39
L
es premières données concernant les micro-orga-
nismes des grandes profondeurs océaniques ont é
publiées par le microbiologiste français Adolphe
Adrien Certes en 1884
(1)
. Dans les décennies suivantes,
les pionniers de la microbiologie marine (Claude
Zobell, Richard Morita, Holger Jannasch), recher-
chant si la matière organique parvenant au fond des
océans pouvait êtregradée dans les conditions in
situ de faibles températures (2 °C) et de fortes pres-
sions (40 MPa à 4 000 m de profondeur), conclurent
que, dans ces conditions extrêmes, l’activi micro-
bienne est fortement ralentie et quil n’existe
vraisemblablement pas de bactéries libres adaptées aux
conditions abyssales
(2)
. Ce n’est que dans les années
1970 que Robert Schwarz, Rita Colwell, Jody Deming
et surtout Aristides Yayanos démontrèrent l’existence
de bactéries piézophiles
*1
, parfois piézophiles obliga-
toires, associées au tube digestif dinverbs abyssaux
(2)
. Dans tous les cas, les micro-organismes décrits par
ces chercheurs, et plus cemment par des équipes japo-
naises
(3)
, étaient psychrophiles
*2
, hétérotrophes et
appartenaient au domaine des Bacteria.
Des bactéries amatrices de fortes pressions
L
a découverte des sources hydrothermales océaniques
en 1977, et plus particulièrement celle des fumeurs
noirs
(4)
d’où jaillissent des fluides dont la température
peut dépasser 350 °C
*3
, allaient ouvrir de nouveaux
champs de recherche pour les microbiologistes.
L
a plupart des micro-organismes hyperthermophiles
anaérobies stricts (température de croissance égale ou
surieure à 90 °C) isolés de ces écosystèmes parti-
culiers
(encadré p. 42)
furent obtenus en culture pure au
laboratoire, après incubations en milieu liquide, à tem-
pérature élevée et sous une légère pression de gaz
destinée à éviter l’ébullition du milieu aux tempéra-
tures approchant ou passant 100 °C. Aps isolement,
certains de ces organismes appartenant tous au domaine
des Archaea – et plus particulièrement à la lignée des
Thermococcales furent soumis à des pressions hydro-
statiques
*4
élevées. Les expérimentateurs observèrent
alors des comportements de piézotolérance et de piézo
philie dans lesquels la croissance est respectivement
tolérée ou améliorée à de fortes pressions hydrosta-
tiques
(5)
. Ils remarquèrent également que dans le cas
des pzophiles, la pression optimale permettant la
croissance était supérieure à celle existant au lieu de
prélèvement de l’échantillon.
A
insi, une souche thermopiézophile isolée d’un échan-
tillon prélevé à 2 600 mètres de profondeur (pression
de 26 MPa) pouvait présenter une pression optimale de
35 MPa, correspondant à une profondeur de 3500 mètres.
Des expériences similaires furent alisées sur des métha-
nogènes (Methanococcus jannaschii, Methanopyrus sp.),
des archées autotrophes qui croissent sur un mélange
de dihydrogène et de dioxyde de carbone. Cette fois encore,
la pression hydrostatique augmentait le taux de crois-
Les thermopiézophiles
ou la vie dans un autocuiseur !
Parmi les paramètres physiques auxquels sont exposés les organismes
vivants, la pression hydrostatique est probablement le moins étudié.
Pourtant, l’essentiel du volume de la biosphère terrestre est soumis à des
pressions élevées, dans les aquifères profonds, les réservoirs pétroliers, les
couches profondes des sédiments océaniquesLa majorité des procaryotes
terrestres vivrait ainsi en subsurface et serait soumise à des pressions
hydrostatiques ts élees.
Daniel Prieur, Mohamed Jebbar, Jean-Louis Derrien
Laboratoire de microbiologie
des environnements extrêmes,
UMR 6197 (CNRS, Ifremer,
université de Brest),
Technopôle Brest-Iroise,
29270 Plouzané
daniel.prieur@univ-brest.fr
*1 Nécessitant une forte
pression hydrostatique pour
accomplir leur cycle vital.
Selon le niveau d’adaptation
à la pression, on parle
d’organismes piézosensibles,
piézotolérants, piézophiles,
piézophiles stricts ou
piézophiles obligatoires.
*2 Adaptés à des tempéra-
tures froides, par exemple
dans les mers polaires
ou les abysses
*3 Ils demeurent liquides
à ces températures élevées
en raison de la pression
hydrostatique.
(1) Certes A (1884) C R Acad
Sci Paris 98, 690-3
(2) Prieur D, Marteinsson VT
(1998) Adv Biochem Eng
Biotechnol 61, 23-35
(3) Prieur D et al. in Sebert P
(2010) Comparative High Pressure
Biology, Science Publishers,
Enfield (NH), Jersey, Plymouth,
285-322
(4) Corliss JB et al. (1979)
Science 203, 1073-83
(5) Deming JW, JA Baross
(1993) Geochim Cosmochim
Acta 57, 3219-30
39-44PrieurGeslin_Gab dossier 22/04/10 10:32 Page39
males océaniques connues n’exdaient pas 3 600 mètres
de profondeur et n’étaient donc sans doute pas assez pro-
fondes pour que l’on y rencontre des piézophiles stricts,
qui furent en très grande majorité obtenus à partir de
tubes digestifs d’invertébrés abyssaux.
L
ors de la campagne océanographique franco-russe
Serpentine (2007), à bord du navire de l’Ifremer
Pourquoi pas ?, le robot Victor découvrit sur la dorsale
dio-Atlantique le site hydrothermal actif d’Ashadze,
situé à une profondeur de 4 100tres. Selon l’ap-
proche méthodologique décrite plus haut, un fragment
de fumeur noir servit d’inoculat pour une culture en
conditions anrobies incubée à 95 °C et 42 MPa. Cette
culture conduisit à l’isolement par Zeng Xiang, Jean
Louis Birrien et leurs collègues d’un nouveau micro-
organisme appartenant au domaine des arces et
nommé dans un premier temps CH1
(12)
. De morpho-
logie coccoïde, très mobile et fermentant diverses
molécules organiques, ce dernier appartient au genre
Pyrococcus et représente une nouvelle espèce, nommée
P. yayanosii, en hommage à Aristides Yayanaos. Cette
nouvelle espèce croît dans une gamme de températures
allant de 85 à 105 °C avec un optimum à 98 °C et un
temps de doublement de 51 minutes. La pression opti-
male pour la croissance est de 52 Mpa, et une croissance
significative est encore observée sous 120 MPa. Mais
le plus intéressant concernant la physiologie de cette
souche est l’absence de croissance, quelle que soit la
température, pour des pressions inférieures à 20 MPa.
Il s’agit là du premier micro-organisme hyperthermo-
phile, piézophile obligatoire.
Une biosphère des profondeurs
E
n 1993, Jody Deming et John Baross, observant que les
thermopiézophiles ont un optimum de pression supé-
rieur à celle relevée au lieu de collecte de l’échantillon,
écrivaient
(5)
: « les fumeurs noirs seraient-ils des fetres
ouvrant vers une biosphère profonde ? » En d’autres
termes, les pzophiles isolés de fumeurs noirs viendraient-
ils d’un écosystème plus profond, comme une zone de
lange entre l’eau de mer pénétrant dans les fractures
du plancher océanique et les fluides très chauds remon-
tant des profondeurs ? La réponse à cette question n’a
pas encore été apportée mais d’autres éléments renfor-
cent l’idée d’une biosphère profonde, thermophile, et
forcément piézophile.
BIOFUTUR 310 • MAI 201040
Dossier
Les microbes de l’extrême
sance, mais aussi l’activité
méthanogène, par ailleurs
couplée de la croissance aux
temratures les plus élees
(6)
.
Premières
découvertes d’archées
thermopiézophiles
L
utilisation conjointe de
hautes températures et de
hautes pressions lors des
étapes d’enrichissement allait
véler lexistence de micro-
organismes plus étonnants
encore. Ainsi, à partir dun
échantillon de fumeur noir
collecté à 3 500 tres de
profondeur sur la dorsale
médio-Atlantique et conservé
sous pression jusqu’aux premières cultures en labora-
toire, Viggo Marteinsson et ses collègues isolèrent
l’archée thermopiézophile Thermococcus barophilus
(7,8)
. Cet organisme anaérobie strict croît par fermen-
tation de molécules organiques entre 75 et 95 °C, avec
un optimum à 85 °C lorsqu’il est cultivé sous pression
atmosphérique.
S
a culture sous pression hydrostatique se traduit par une
augmentation de la température maximale de croissance
(95 à 100 °C), mais aussi du taux de croissance. La pres-
sion optimale est de 40 MPa, soit plus que la pression
in situ lors de la collecte de l’échantillon. Lanalyse des
protéines totales expries sous diverses conditions de
pression montre que, lorsqu’il est cultivé à la pression
atmosphérique, Th. barophilus exprime une protéine
de stress, ce qui confirme son caractère piézophile.
E
n suivant une approche expérimentale similaire,
l’équipe de Karine Alain isola, à partir d’un échantillon
hydrothermal collecté cette fois à 2 600tres de pro-
fondeur sur la dorsale du Pacifique oriental, un
micro-organisme du domaine des bactéries, décrit
comme nouvelle espèce sous le nom de Marinitoga
piezophila
(9)
. Celle-ci croît par fermentation de 45 à
70 °C, avec un optimum à 65 °C. La pression optimale
est de 40 MPa, alors que l’échantillon vient d’une pro-
fondeur règne une pression de 26 MPa. De nouveau,
la pression hydrostatique améliore nettement la crois-
sance et, dans ces conditions, les cellules ont une
morphologie de bacilles courts et réguliers. Lorsque la
pression diminue, la morphologie est altérée, et, à la
pression atmosphérique, est caractérisée par la pré-
sence de longs filaments irréguliers. Un tel changement
de morphologie avait été observé par Satoshi Ishii et
ses collaborateurs chez Escherichia coli
(10)
, mais les
filaments apparaissaient alors dans les cultures sous
pression hydrostatique élevée.
A
près avoir étudié les bactéries psychrophiles et piézo-
philes des oans pendant de nombreuses années, Aristides
Yayanos conclût que la pzophilie est une caracristique
des bactéries psychrophiles vivant à plus de 2 000 mètres
de profondeur et qu’elle augmente avec cette profondeur
(11)
. Effectivement, les piézophiles obligatoires provenaient
d’échantillons collectés au-delà de 6 000-7 000 mètres,
dans les fosses océaniques comme celle des Mariannes
*5
ou d’Okinawa. Jusqu’en 2007, les sources hydrother-
© UMR 6197
*4 Pression fonction du
poids de liquide au-dessus
d’une surface donnée,
exprimée en diverses
unités : kg/cm2, atmosphère
(atm), bar ou MegaPascal
(MPa) (1 kg/cm2= 1 atm =
1 bar = 0,103 MPa).
La pression s’accroît
de 0,103 MPa
tous les 10 m d’eau.
*5 Dans les océans,
la plus grande profondeur
rencontrée se situe
dans la fosse des
Mariannes (10 790 m,
soit 110 Mpa de pression).
Bioréacteur qui permet
de cultiver des
micro-organismes
thermopiézophiles
(à 100 °C et 80 MPa).
Pyrococcus yayanosii, première archée hyperthermophile
piézophile obligatoire
(6) Miller JF et al. (1988)
Appl Environ Microbiol 54,
3039-42
(7) Marteinsson VT et al.
(1997) Appl Environ
Microbiol 63, 1230-6
(8) Marteinsson VT et al.
(1999) Int J Syst Bact 49,
351-9
(9) Alain K et al. (2002)
Int J Syst Evol Microbiol 52,
1331-9
(10) Ishii A et al. (2004)
Microbiology 150, 1965-72
(11) Yayanos AA (1986)
Proc Natl Acad Sci USA 83,
9542-6
(12) Xiang Z et al. (2009)
ISME J 3, 873-6
© UMR 6197
39-44PrieurGeslin_Gab dossier 22/04/10 10:32 Page40
pression. De nombreuses questions demeurent : quelle
est l’étendue réelle de cette biosphère ? Est-elle peu-
plée seulement d’arces ? Quelles sont les sources
d’énergie et de carbone disponibles pour ces orga-
nismes ? Sont-ils indépendants de l’énergie solaire ?
Quelle est leur activité ? Comment interagissent-ils
avec leur environnement abiotique ? S’agit-il d’adap-
tations récentes ou correspondent-ils à des formes
anciennes de vie ?
A
lors que des missions spatiales ambitieuses à desti-
nation de Mars, Europa ou Titan se profilent, il faut
rappeler que l’exploration de la Terre n’est pas ache-
vée. Les organismes vivant dans ces conditions
extrêmes, dans les profondeurs de notre planète, détien-
nent sans doute quelques-unes des clés nécessaires à
la compréhension de nos origines lointaines.
l
BIOFUTUR 310 • MAI 2010 41
L
’analyse de sédiments et roches collectés en 2003 par
forage, à 1 600 mètres sous le fond de l’océan, dans les
parages de Terre-Neuve lors de la campagne 210 du
programme ODP (Ocean Drilling Program), apporta
des informations intéressantes : à partir de ces échan-
tillons âgés d’environ 110 millions d’anes, ce qui
correspond au début de l’ouverture de l’océan Atlan-
tique, Erwan Roussel et ses collaborateurs ont détecté
par des méthodes moléculaires la présence d’archées
hyperthermophiles de la lige des Thermococcales (celle
des genres Pyrococcus et Thermococcus cités plus haut)
(13)
. Les organismes correspondant aux séquences
d’ADN obtenues n’ont pu être cultivés, mais ils sont
très probablement thermophiles ou hyperthermophiles,
comme toutes les Thermococcales connues, car les tem-
pératures estimées pour ces roches profondes corres-
pondent à la gamme de temratures dans laquelle vivent
ces archées (70 °C et plus). Ces organismes sont éga-
lement piézophiles car provenant d’écosystèmes soumis
à la pression hydrostatique de l’eau de mer au-dessus
du fond de l’océan, à laquelle s’ajoute la pression liée
aux fluides et aux sédiments.
Une exploration inachevée
I
l existe donc très vraisemblablement dans les profon-
deurs de notre planète des communautés microbiennes
adapes aux conditions extrêmes de température et de
Le navire Joides
Resolution fore les
sédiments océaniques,
dans le cadre
du programme IODP
(Integrated Ocean
Drilling Program).
© IODP
(13) Roussel E et al. (2008)
Science 320, 1046
Les virus des écosystèmes
hydrothermaux océaniques profonds
En dépit d’efforts de recherche importants pour crire et exploiter la
biodiversité des micro-organismes des environnements aquatiques, nos
connaissances de l’abondance, la distribution et la diversité des virus
marins demeurent limitées. Ceci est d’autant plus vrai dans les écosystèmes
extrêmes telles les sources hydrothermales océaniques profondes.
Claire Geslin, Aurore Gorlas
Université de Bretagne
occidentale, UMR 6197,
Laboratoire de microbiologie
des environnements extrêmes,
IUEM et Ifremer, Technopôle
Brest-Iroise, 29280 Plouzané
claire.geslin@univ-brest.fr
L
es virus, qui représentent un énorme réservoir de
gènes mobiles, ont certainement participé à l’avè-
nement d’une large diversité au sein des organismes
qu’ils infectent, et ceci au niveau des trois domaines
du vivant : Bacteria, Archaea et Eucarya
(1)
.
L
es virus infectant les procaryotes (bactéries et
archées) constituent le groupe le plus important en
nombre de tous les groupes viraux. Cependant, notre
connaissance sur les virus d’archées reste limitée avec,
à ce jour, moins de cinquante virus bien décrits, ce
qui est loin de refléter la diversité existant naturelle-
ment. Souvent extrêmes, les conditions physico-
chimiques nécessaires aux archées pour se développer
(températures élevées, fortes salinités, pH acides ou
alcalins, fortes pressions hydrostatiques…) incitent
de plus en plus de microbiologistes à rechercher des
virus chez ces micro-organismes, notamment pour
essayer de mieux comprendre leurs mécanismes
(1) Suttle C (2007)
Nat Rev 5, 801-12
39-44PrieurGeslin_Gab dossier 22/04/10 10:32 Page41
BIOFUTUR 310 • MAI 201042
Dossier
Les microbes de l’extrême
dadaptations aux niveaux moléculaire et biochi-
mique. Les virus représentent, par exemple, une source
potentielle d’enzymes et particulièrement d’ADN et
d’ARN polymérases. Or ces enzymes pourraient être
très inressantes en biotechnologie du fait de leur
thermostabilité.
L
es travaux amors aubut des années 1980 par
l’équipe de Wolfram Zillig, en Allemagne, ont montré
que la diversité virale des archées hyperthermophiles
est tout à fait exceptionnelle d’un point de vue morpho-
logique et génomique.
Z
illig et ses collaborateurs ont ainsicrit plusieurs
nouvelles familles virales n’incluant que des virus iso-
lés de Crenarchaea
(figure p. 31) (2)
. Leurs travaux sont
actuellement poursuivis au niveau international et
national par les équipes de Marc Young aux États-Unis
(université du Montana) et de David Prangishvili en
France (Institut Pasteur).
C
es équipes étudient la diversité virale des systèmes
géothermiques continentaux qui comprennent des
sources chaudes situées en Islande, au Japon ou encore
dans le parc de Yellowstone aux États-Unis et concen-
trent leurs recherches sur les archées hyperthermophiles
aérobies
(3)
.
D
e son côté, le Laboratoire de microbiologie des envi-
ronnements extrêmes de Brest étudie des virus infectant
les Euryarchaea hyperthermophiles anaérobies appar-
tenant à l’ordre des Thermococcales présents dans les
sources hydrothermales océaniques profondes.
S
i des virus ont été décrits chez les euryarchées
(figure
p. 31)
sophiles
*1
, comme les méthanones et les halo-
philes extrêmes, de façon surprenante, les recherches
de virus chez ces Euryarchaeota hyperthermophiles
sont beaucoup plus rares, laissant ainsi un vide scien-
tifique dans la taxonomie virale.
Des hyperthermophiles marins
hôtes de virus
L
es Thermococcales, micro-organismes marins et hyper-
thermophiles, constituent une part très importante (en
termes d’abondance et d’activi) et ts diversifiée
(plus de quarante espèces, ordre le plus important) de
la composante hétérotrophe
*2
des écosystèmes micro-
biens hyperthermophiles.
C
es euryarchées ont principalement é isolées de sources
hydrothermales océaniques profondes situées le long
des dorsales océaniques
(encadré ci-dessus)
. Des échan-
tillons hydrothermaux profonds (morceaux de chemi-
es, sédiments, invertébrés) provenant de différents
sites (dorsale du Pacifique oriental, dorsale dio-
Atlantique et dorsale centrale indienne) ont ainsi été
prélevés lors de campagnes océanographiques, notam-
ment grâce au Nautile, le submersible de l’Ifremer
(encadré p. 43)
. Au cours de ces campagnes, de nombreuses
expérimentations peuvent être effectes à bord (cultures
de micro-organismes, extraction d’ADN, mesures d’ac-
tivis…). anmoins, une fraction de l’échantillon brut
est systématiquement conditionnée afin d’être rapportée
et conservée en laboratoire.
A
fin d’obtenir des souches d’archées potentiellement
infectées par des virus, des cultures d’enrichissement
(incubation d’échantillons bruts) puis d’isolement (puri-
fication de souches) sontalisées en condition
anaérobie et à haute température
(photos p. 43)
.
C
es cultures ont permis d’obtenir des Thermococcales,
dont la temrature optimale de croissance se situe entre
75 et 88 °C pour le genre Thermococcus, entre 96 et
100 °C pour le genre Pyrococcus et aux environs de
80°C pour le genre Palaecoccus. Ces micro-organismes
sont neutrophiles avec un pH optimum compris entre
Les sources hydrothermales océaniques
Du point de vue géologique, les sources hydrothermales
sont associées aux zones d’expansion du plancher océa-
nique, au niveau des dorsales, à la limite des plaques tec-
toniques. Leau de mer s’infiltre dans les crevasses du
plancher océanique, sechauffe à l’approche du magma,
lessive les roches traversées, s’enrichit en minéraux et
rejaillit au fond de l’océan.
Leurs écosystèmes particuliers sont caracris par
d’importants gradients physico-chimiques : des tem-
pératures s’échelonnant de 2 °C (température de l’eau
de mer dans les profondeurs) à plus de 350°C (tempé-
rature du fluide hydrothermal), de fortes pressions hydro-
statiques, une exposition aux métaux lourds et aux
radiations ionisantes. Le fluide hydrothermal émis par les
fumeurs noirs
(photo p. 47)
est très chaud, acide et riche
en sulfures métalliques. Il se refroidit rapidement en se
mélangeant à l’eau de mer, ce qui provoque la précipi-
tation des sulfures talliques qui forment un édifice
appelé cheminée, d’où jaillit le fluide.
Dans un site hydrothermal, les organismes se distribuent
en fonction de leurs besoins physico-chimiques. On ob-
serve ainsi une distribution des différentes espèces en
auréoles concentriques autour des sources hydrothermales
qui constituent de véritables oasis de vie sous la mer.
Représentation schématique de sources hydrothermales océaniques
© M. MaDIgan/J. MaRtInkO/BIOlOgIe Des MIcRO-OgRanIsMes/PeaRsOn eDUcatIOn
(2) Zillig W et al. (1998)
Extremophiles 2, 131-40
(3) Prangishvili D et al.
(2006) Nat Rev 4, 837-48
*1 Dont la température
optimale de croissance se
situe entre 20 °C et 45 °C
*2 Nécessitant un ou
plusieurs composés
organiques comme source
de carbone pour synthétiser
de la matière organique
39-44PrieurGeslin_Gab dossier 22/04/10 10:32 Page42
BIOFUTUR 310 • MAI 2010 43
6 et 8. Leur métabolisme repose sur la chimiosynthèse.
Ils fermentent une grande varté de composés organiques.
De plus, le soufre élémentaire stimule significativement
la croissance de nombreuses souches, entraînant une
production de sulfure d’hydrogène (H2S).
Virus d’archées
hyperthermophiles marines
E
n 1999 a été initiée à Brest une étude de la diversité
virale des sources hydrothermales océaniques profondes.
Des cultures d’enrichissement puis d’isolement de micro-
organismes ont été réalisées en conditions anaérobies
et à haute température. À partir de ces cultures, la
recherche de virus repose dans un premier temps essen-
tiellement sur des observations des surnageants de ces
cultures en microscopie électronique à transmission.
P
armi les difrentes morphologies virales obseres (fila-
ment flexueux, bâtonnet rigide et citron), celle en forme
de citron prévaut
(photos p. 44, J et PAV1)
. Des formes ori-
ginales ont également é mises en évidence, en particulier
celle dite en « cuillère », qui présente une tête en fuseau
prolone par une longue queue
(I, K)
, ou encore des par-
ticules virales en forme de fuseau avec des extensions
bipolaires
(L, flèche)
. Cette étude préliminaire a permis
de révéler une diversité morphologique virale tout aussi
riche et exceptionnelle que dans les environnements
hydrothermaux terrestres
(4,5)
et très éloignée de la diver-
sité virale associée aux micro-organismes mésophiles
pour lesquels on retrouve classiquement la morpho-
logie : tête prolongée ou non par une queue.
P
arallèlement à cette étude de la diversité, le premier
et, à ce jour, unique virus hyperthermophile marin a
é isolé et caractérisé à partir d’une culture de
Pyrococcus abyssi. Cette souche est issue d’un site
hydrothermal situé dans le bassin nord-fidjien, au sud-
ouest du Pacifique, à 2 000 m de profondeur. La
particule virale, nommée PAV1, a la forme d’un citron
de 120 nm sur 80 nm
(6) (photo p. 44)
. PAV1 vient donc
s’ajouter aux deux autres exceptions qui n’ont pas la
forme classique tête-queue des virus d’euryarchées,
exceptions qui concernent des virus en forme de citron
isolés d’euryarchées mésophiles et halophiles
(7)
.
P
AV1 n’est pas virulent puisqu’une lyse brutale de son
te n’a jamais é obsere. Des essais d’induction de la
production virale ont été menés par l’application de divers
stress chimiques, physiques ou physiologiques sur lte,
sans jamais conduire à une augmentation du titre viral.
Par ailleurs, il n’y a pas de forme intégrée du génome viral
dans le chromosome de l’te. Lensemble de ces données
illustrent l’état porteur – équilibre entre multiplications
cellulaire et virale –, une situation courante chez les virus
d’archées thermophiles et hyperthermophiles.
L
e génome de PAV1, entièrement séquencé, est consti-
tué d’un ADN circulaire de 18 kb. Son analyse avélé
des caractéristiques uniques aux niveaux nucléique et
proique, indiquant que ce virus devrait être clas
dans une nouvelle famille virale
(8)
.
Point de vue biotechnologique
É
tant récentes, les études génétiques sur les arces hyper-
thermophiles sont limitées par le manque d’outils
tiques disponibles (marqueurs de sélection, vecteurs
de clonage et d’expression, systèmes de transformation).
Cependant, beaucoup de ces archées contiennent des é-
ments extrachromosomiques, tels que les plasmides et
les virus, dont les petits génomes constituent une base
intéressante pour la construction de nouveaux outils
génétiques. Ils peuvent par exemple être utilisés pour
cer des vecteurs navettes, c’est-à-dire des hybrides com-
pos d’une partie plasmidique archéenne et d’une partie
plasmidique bactérienne, permettant ainsi leur multipli-
Les engins de l’Ifremer dédiés à l’exploration des grands fonds
Le Nautile est un sous-marin habité dont l’équi-
page est constitué de deux pilotes et d’un scien-
tifique. Cette sphère en alliage de titane d’un dia-
mètre intérieur de 2,10 mètres a été conçue pour
l’observation et l’intervention jusqu’à des fonds
de 6 000 mètres. Le travail sur le fond dure en
moyenne 5 heures par plongée.
Le Nautile offre de multiples fonctionnalités, dont
une observation directe des fonds grâce trois hublots et six projecteurs, et la prise
de photographies et de vidéos des zones étudiées. Les manipulations scientifiques
et les prélèvements se font grâce à deux bras munis de pinces et d’un panier esca-
motable. Le Nautile peut être embarqué à bord de deux navires océanographiques fran-
çais : le Pourquoi pas ? et l’Atalante, tous deux équipés d’un portique arrière capable
de mettre à l’eau et de récupérer le sous-marin.
Pour l’exploration des grands fonds marins, un robot téléopéré est également utilisé : le
Victor 6000. Il peut effectuer de l’imagerie de haute qualité, emporter et mettre en œuvre
divers équipements scientifiques. Le robot étant directement alimenen énergie par le
bateau, le travail sur le fond peut durer 72 heures lors d’une plongée.
© BInche
Matériels et dispositifs
pour la culture
d’hyperthermophiles
anaérobies
A. Rampe à gaz
pour la culture
en milieu liquide
B. Enceinte anaérobie
© DR
(4) Geslin C et al. (2003)
Res Microbiol 154, 303-7
(5) Rachel R et al. (2002)
Arch Virol 147, 2419-29
(6) Geslin C et al. (2003)
J Bacteriol 185, 3888-94
(7) Bath C et al. (2006)
Virology 350, 228-39
(8) Geslin C et al. (2007)
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*3Cytosine, thymine
et uracile, bases azotées
des acides nucléiques
*4 Incapacité d’un organisme
à synthétiser un composant
organique essentiel à son
développement
*5 Capable d’absorber de
l’ADN et d’être transformée
*6 Topoisomérase
permettant le surenroulement
positif de l’ADN
AB
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