vigilant à la fois, traduit, comme nous le verrons, l’essence même de la
sagesse cynique. Or, le symbole du chien n’en demeure pas moins
polymorphe : colérique mais capable d’une fidélité durable envers les
siens, le chien permet de concilier des traits à première vue inconci-
liables. On se souviendra à ce sujet que, au livre II de sa République,
Platon met en avant une analogie entre le naturel du chien de race et
celui du gardien (375a-376c) : le chien, comme le philosophe, peut dis-
tinguer l’ami de l’ennemi, en étant doux à l’égard du premier et hostile
vis-à-vis du second (375e), c’est-à-dire que le chien possède un naturel
qui intègre en lui « ces contraires »3(375d) que sont la douceur et
l’hostilité.
Faut-il voir, dans cet usage de l’analogie chez Platon, une simple
boutade, voire une provocation ? D’aucuns considèrent que l’analogie
du chien, telle qu’elle apparaît au livre II de la République, ne doit pas
être prise au sérieux, soit parce que la réplique socratique ne serait
qu’une sorte de plaisanterie4, soit parce qu’elle ne serait qu’un renvoi
ironique au cynisme, ce qui apparaît pourtant problématique du point
de vue de la chronologie5. Une analyse détaillée de l’usage de l’analo-
DU CHIEN AU PHILOSOPHE
3Trad. Leroux. Toute citation française de la République dans la présente
étude renvoie à cette traduction. Cf. G. Leroux, Platon : La République, Paris,
Flammarion, 2004.
4Cf. J. Adam, The Republic of Plato, Cambridge, Cambridge University
Press, 1902, p. 106 ; R.L. Nettleship, The Theory of Education in the Republic
of Plato, New York, Teachers College Press, 1906, p. 14 ; M. Dixsaut, Le natu-
rel philosophe. Essai sur les dialogues de Platon, 3eédition, Paris, Vrin, 2001,
p. 77 ; S. Rosen, « Notes en vue d’une interprétation de la République », dans
M. Dixsaut (éd.), Études sur la République de Platon. Tome 1 : De la justice,
éducation, psychologie et politique, Paris, Vrin, 2005, p. 14.
5Concernant l’hypothèse selon laquelle la référence platonicienne serait
un renvoi ironique au cynisme, cf. J. Adam, op. cit., p. 108 ; G. Leroux, op. cit.,
p. 559. Le problème chronologique est quant à lui lié à la question de savoir
qui, entre Antisthène et Diogène, est le fondateur du cynisme : car, si nous
admettons, notamment avec Dudley (cf.infra, p. 15-16), que Diogène est le
fondateur du cynisme, il est pour le moins difficile de voir comment Platon
pourrait, dans la République, référer au cynisme.
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