DU
MÉME
AUTEUR
Lus
degrés du savoir
(Desclée De Brouwer).
Quatre essais sur l'esprit dans sa condition charnelle
(Desclée De Brouwer).
Court traité de i'existence et de l'existant
(Paul Hartniann).
Troir reyormateurs
(Plon).
l'rimauté
du
spirituel
(Pion).
Hz/manisme itrtigral
(Fernand Aubier).
A
travers
le
désastre
(r940,
New York, Maison Française
;
1~46,
Paris, Éd. des
Deux- Rives).
Principer d'une politique humaniste
(Paul Hartmann).
Raison et raisons
(Luf).
Neuf lefons sur les notiotis premidres de la philosophie morale
(Téqui).
Art et scolastique
(Louis Rouart).
Frontières de la poésie
(Louis Rouart).
Sl/tirilion de lapoésie,
en collaboration avec Raissa hiaritain (Desclée De Brouwer)
Cr~atitlr Intuit~on in Art and Poetv
(New York, Pantheon Books).
!
/
BIBLJOTWÈQUE DE LA SCIENCE POLITIQUE
1
dirigée par B. MIRKINE-GUETZÉVITCH et
MARCEL
PRÉLOT
I
DEUXIÈME SÉRIE
LES GRANDES DOCTRINES POLITIQUES
L'HOMME
ET
L'ÉTAT
Jacques
MARITAIN
Traduit de la version originale
en langue anglaise
Par
Robert et France DAVRIL
Préface de
B.
MIRKINE-GUETZÉVITCH et Marcel PRÉLOT
PRESSES UNIVERSITAIRES
DE
FRANCE
108,
Boulevard Saint-Germain, PARIS
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L'HOMME ET
L'ÉTAT
1
ténèbres et de bouleversement général, est de renoncer
à
la
Raison morale. La Raison ne doit jamais abdiquer. L'éthique
accomplit une tâche humble, mais magnanime, en portant l'ap-
<
plication muable d'immuables principes moraux jusqu'au sein
1
des angoisses d'un monde malheureux, aussi longtemps qu'il
garde en lui une lueur d'humanité.
i:
LES DROITS DE L'HOMME
1.
-
DES HOMMES MUTUELLEMENT OPPOSÉS
DANS LEURS CONCEPTIONS
THÉORIQUES
1
PEUVENT ARRIVER
A
UN ACCORD PUREMENT PRATIQUE
SUR UNE
ÉNUMÉRATION DES DROITS HUMAINS
L
Par suite du développement historique de l'humanité, des
l
crises de plus en plus étendues auxquelles le monde moderne
I
a été exposé, et du progrès, si précaire soit-il, de la conscience
et de la réflexion morales, les hommes ont acquis aujourd'hui
i
une connaissance plus complète qu'autrefois, encore qu'impar-
faite, d'un certain nombre de vérités pratiques touchant leur
vie en commun sur lesquelles ils peuvent se mettre d'accord,
mais qui découlent, dans l'esprit de chacun d'entre eux (selon
leurs allégeances idéologiques, leurs traditions philosophiques
et religieuses, leurs arrière-plans culturels et leurs expériences
historiques), de conceptions théoriques extrêmement différentes,
I
voire fondamentalement opposées. Comme l'a clairement
montré la
Déclaration internationale des Droits
publiée par les
1
t
Nations Unies en
1948,
il n'est sans doute pas aisé, mais il est
possible d'établir une formulation commune de telles
conclusions
pratiques
ou, en d'autres termes, des divers droits que l'homme
possède dans son existence individuelle et sociale. Mais il serdit
l
%
très futile de chercher une commune
justifiation rationnelle
dz
ces conclusions pratiques et de ces droits. Si nous le faisions,
nous courrions le risque d'imposer un dogmatisme arbitraire
ou d'être arrêtés net par d'irréconciliables différences. La ques-
70
L'HOMME ET L'ÉTAT LES DROITS DE L'HOMME
71
tion soulevée ici est celle de l'accord pratique entre des hommes
qui sont opposés les uns aux autres sur le plan théorique.
Nous nous trouvons en présence du paradoxe suivant
:
les
justifications rationnelles sont indispensables, et elles sont en
même temps imptlissantes
à
créer un accord entre les hommes.
Elles sont indispensables, parce que chacun de nous croit
instinctivement
à
la vérité et ne veut donner son consentement
qu'à ce qu'il a reconnu comme vrai et rationnellement valide.
Mais les justifications rationnelles sont impuissantes
à
créer un
accord entre les hommes, parce qu'elles sont fondamentalement
différentes, ou même opposées; et faut-il en être surpris
?
Les
problèmes soulevés par les justifications rationnelles sont ardus,
et les traditions philosophiques dont dérivent ces justifications
sont depuis longtemps en conflit.
Pendant l'une des réunions de la Commission national?
française de l'U.N.E.S.C.O., l'on discutait des droits de
l'Homme, quelqu'un manifesta son étonnement de voir que
certains défenseurs d'idéologies violemment opposées s'étaient
mis d'accord pour rédiger une liste de droits.
«
Mais oui, répli-
quèrent-ils, nous sommes d'accord sur ces droits,
à
condition
qti'on ne nous demande pas pourquoi.
»
C'est avec le
«
pourquoi »
que la dispute commence.
La question des Droits de l'Homme nous fournit un
exemple éminent de la situation que j'ai essayé de dépeindre
dans une adresse
à
la seconde Conférence internationale de-
l'U.N.E.S.C.O., et dont je prends la liberté de citer quelques
passages.
«
Comment
»,
demandais-je,
«
un accord de pensée
est-il concevable entre des hommes rassemblés pour une tâche
d'ordre intellectuel
à
accomplir en commun et qui viennent
des quatre coins de l'horizon, et qui n'appartiennent pas seule-
ment
à
des cultures et des civilisations différentes, mais
à
des
familles spirituelles et
à
des écoles de pensée antagonistes
?...
Parce que la finalité de 1'U.N.E.S.C.O. est une finalité pra-
tique, l'accord des esprits peut s'y faire spontanément, non pas
sur une commune pensée spéculative, mais sur une commune
pensée pratique, non pas sur l'affirmation d'une même ccncep-
tion du monde, de l'homme et de la connaissance, mais sur
l'affirmation d'un même ensemble de convictions dirigeant
l'action. Cela est peu sans doute, c'est le dernier réduit de
l'accord des esprits. C'est assez cependant pour entreprendre
une grande œuvre, et ce serait beaucoup de prendre conscience
de cet ensemble de communes convictions pratiques.
«
Je voudrais remarquer ici que le mot idéologie et le mot
principe peuvent être entendus en deux sens très différents. Je
viens de constater que l'état actuel de division des esprits ne
permet pas de s'accorder sur une commune idéologie spéculative,
ni sur de communs principes d'explication. h4ais s'il s'agit, au
contraire, de l'idéologie pratique fondamentale et des pri~cipes
d'action fondamentaux implicitement reconnus aujourd'hui,
à
l'état vital, sinon
à
l'état formulé, par la conscience des peuples
libres, il se trouve qu'ils constituent grosso modo une sorte de
résidu commun, une sorte de commune loi non-écrite, au point
de convergence pratique des idéologies théoriques et des tra-
ditions spirituelles les plus différentes. Il suffit, pour comprendre
cela, de distinguer convenablement les justifications rationnelles
engagées dans le dynamisme spirituel d'une doctrine philo-
sophique
OLT
d'une foi religieuse et les conclusions pratiques
qui, diversement justifiées pour chacun, sont pour les uns et les
autres des principes d'action analogiquement communs. Je suis
bien persuadé que ma manière de justifier la croyance en les
droits de l'homme et l'idéal de liberté, d'égalité, de fraternité,
est la seule qui soit solidement fondée en vérité. Cela ne m'em-
pêche pas d'être d'accord sur ces convictions pratiques avec
ceux qui sont persuadés que leur manière
à
eux de les justifier,
toute différente de la mienne ou opposée
à
la mienne dans son
dynamisme théorique, est pareillement la seule qui soit fondée
en vérité. S'ils croient tous deux en la charte démocratique, un
chrétien et
un
rationaliste en donneront cependant des justifi-
cations incompatibles entre elles, leur âme et leur esprit
et leur sang seront engagés; et là-dessus ils se combattront.
Et Dieu me garde de dire qu'il n'importe pas de savoir
lequel des deux a raison
!
Cela importe essentiellement. Il reste
que sur l'affirmation pratique de cette charte ils se trouvent
d'accord, et peuvent formuler ensemble de communs principes
d'action
»
(1).
(1)
Mexico,
6
novembre
1947 (Noua
et
Vetera,
Fribourg, no
1,
1948).
72
L'HOMME ET L'ÉTAT
1
Sur le plan des interprétations et des j~istifications ration-
nelles, sur le plan spéculatif et théorique, la question des droits
de l'homme met en jeu le système tout entier dcs certitudes
morales et métaphysiques (ou antj-métaphysiques) auxquelles
!
adhère chacun. Aussi longtemps qu'il n'y aura pas d'unité de foi
et d'unité de philosophie dans l'esprit des hommes, les inter-
prétations et les justifications seront en conflit mutuel.
Dans le domaine de l'affirmation pratique, au contraire, un
accord sur une déclaration commune est possible grâce
à
une
approche plus pragmatique que théorique, et par un effort
collectif de comparaison, refonte et perfectionnement des
projets de rédaction afin de les rendre acceptables
à
tous comme
points de convergence pratique, sans égard
à
la divergence des
perspectives théoriques. Ainsi rien n'empêche de parvenir
à
des
fcrmulations qui marqueraient un certain progrès dans le
mouvement vers l'unification du monde. Il n'est pas raisonna-
blement possible d'espérer plus que cette convergence pratique
sur une série d'articles rédigés en commun. Demande-t-on
davantage
-
une réconciliation sur le plan théorique, une
synthèse vraiment philosophique
?
Cela ne pourrait résulter
que d'un vaste travail de vérification, d'approfondissement et
de purification, qui réclamerait des intuitions supérieures, une
nouvelle systématisation, et la critique radicale d'un certain
nombre d'erreurs et d'idées confuses
-
et qui pour ces raisons
précisément, même s'il réussissait
à
exercer une influence impor-
tante sur la culture demeurerait une doctrine parmi les autres,
acceptée par ceux-ci et rejetée par ceux-là, et ne pourrait
prétendre
à
s'assurer de fait un ascendant universel sur les
esprits.
Faut-il nous étonner de voir des systèmes théoriques en
conflit converger dans leurs conclusions pratiques
?
L'histoire
de la philosophie morale présente en général un pareil tableau.
Ce fait prouve simplement que les systèmes de philosophie
morale sont le produit de la réflexion intellectuelle sur des
données éthiques qui les précèdent et les contrôlent, et qui
laissent voir un type très compliqué de géologie de la conscience,
le travail naturel de la raison spontanée, pré-scientifique et
pré-philosophique, est
à
chaque instant conditionné par les
a~q~lisitions, les servitudes, la structure et l'évolution du groupe
LES DROITS DE L'HOMME
7
3
social. Il y a aiclsi une sorte de croissance végétative de la connais-
sance morale et du sentiment moral, une sorte de développement
vital, en lui-même indépendant des systèmes philosophiques,
bien que, secondairement, ceux-ci
à
leur tour entrent en action
réciproque avec ce procès spontané. Il résulte de que ces
systèmes divers, tout en se querellant sur le
«
pourquoi
»,
pres-
crivent dans leurs conclusions pratiques des règles de conduite
qui, dans l'ensemble, apparaissent comme presque les mêmes
pour une période et une culture données. Ainsi, d'un point de
vue sociologique, le facteur le plus important dans le progrès
moral de l'humanité semble-t-il la prise de conscience expérien-
tielle qui se produit en dehors des systèmes et sur une autre base
logique
-
tantôt facilitée par les systèmes quand ils éveillent
la conscience
à
elle-même, tantôt contrariée par eux lorsqu'ils
obscurcissent les perceptions de la raison spontanée, ou qu'ils
mettent en péril une authentique acquisition de l'expérience
morale en la liant
à
quelque erreur théorique ou
à
quelque
fausse philosophie.
11.
-
LE
PROBLÈME
PHILOSOPHIQUE
CONCERNE LE FOhJDEMENT RATIONNEL
DES
DROITS HUMAINS
Pourtant, du point de vue de l'intelligence, ce qui est essentiel
c'est d'avoir une justification véritable des valeurs morales et
des normes morales. En ce qui concerne les Droits humains, ce
qui importe le plus au philosophe est la question de leurs fonde-
.ments rationnels.
Le fondement philosophique des Droits de l'homme est
la Loi naturelle. Je regrette de ne pas trouver d'autre mot.
Pendant l'ère rationaliste les juristes et les philosophes, soit
pour des fins conservatrices, soit pour des fins révolutionnaires,
ont abusé
à
un tel point de la notion de loi naturelle, ils l'ont
invoquée de façon si simpliste et si arbitraire, qu'il est difficile
de l'employer maintenant sans éveiller la méfiance et le soupçon
de beaucoup de nos contemporains. Ils devraient pourtant se
rendre compte que l'histoire des droits de l'homme est liée
à
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