Jean-Paul MESSINA Culture, christianisme et quête d`une identité

Jean-Paul MESSINA
Culture, christianisme et quête
d'une identité africaine
L'Harmattan
Collection EGLISES D'AFRIQUE
Dirigée par François Manga-Akoa
Depuis plus de deux millénaires, le phénomène chrétien s'est inscrit profon-
dément dans la réalité socio-culturelle, économique et politique de l'Occident,
au point d'en être le fil d'Ariane pour qui veut comprendre réellement les
fondements de la civilisation judéo-chrétienne. Grâce aux mouvements d'ex-
plorations scientifiques, suivis d'expansions coloniales et missionnaires, le
christianisme, porté par plusieurs générations d'hommes et de femmes, s'est
répandu, entre autres contrées et à différentes époques, en Afrique. D'où la
naissance de plusieurs communautés ecclésiales qui ont beaucoup contribué,
grâce à leurs œuvres socio-éducatives et hospitalières, à l'avènement de plu-
sieurs cadres, hommes et femmes de valeur. Quel est aujourd'hui, dans les
domaines économiques, politiques et culturels, le rôle de l'Eglise en Afrique
? Face aux défis de la mondialisation, en quoi les Eglises d'Afrique participe-
raient-elles d'une dynamique qui leur serait propre? Autant de questions et de
problématiques que la collection « EGLISES D'AFRIQUE» entend étudier.
Déjà parus
Édouard LIT AMBALA MBULI, Formations théologiques dans
l'Église catholique de la République démocratique du Congo, 2007.
Marcus NDONGMO, Éducation scolaire et lien social en Afrique Noire, 2007.
Silvia RECCHI (sous la direction de), Autonomie finan-
cière et gestion des biens dans les jeunes Églises d'Afrique, 2007.
Nathanaël Yaovi SOEDE, Sens et enjeux de l'éthique, 2007.
Je an- Paul SAGADOU,À la recherche des traces africaines du Dieu- Trinité, 2006.
Lucie BRUNET,Les communautés ecclésia-
les de base. L'exemple de Bangui en Centrafrique, 2006.
Emmanuel BIDZOGO, Églises en Afrique et autofinancement, 2006.
Culture, christianisme et quête d'une identité africaine 7
Introduction
Le 6janvier 1989, en la fête de l'Epiphanie, le pape Jean Paul II annonce
la tenue d'une Assemblée spéciale du synode des évêques pour l'Afrique. Les
réactions immédiates à cette nouvelle, dans l'opinion chrétienne d'Afrique, sont
assez timides. On observe même un manque d'enthousiasme auprès de ceux
qui avaient inauguré la réflexion sur la possibilité et l'opportunité de tenir les
« états généraux du catholicisme africain ». Le pape avait-il donc pris une
mauvaise décision en annonçant la tenue imminente de ces assises tant reven-
diquées au lendemain du concile Vatican II par les intellectuels catholiques
d'Afrique?
La réponse à cette question ne saurait être négative. Car en réalité, la
décision du pape intervient à une période l'Afrique post-coloniale est con-
frontée à une crise sans précédent. C'est une situation très grave qui affecte et
semble remettre en cause l'existence de 1'homme africain sur tous les plans. Si
le secteur économique en est la sphère la plus visible, il faut dire que celle-ci est
aussi et surtout une crise des valeurs dont les conséquences, dramatiquement,
s'étendent sur la vie politique et sociale. En cette fin de décennie (années 1980),
trouver un emploi en Afrique, pour les jeunes, est une exception; le chômage
étant devenu la norme sociale la plus courante. Ne parle-t-on pas déjà en ce
moment de génération sacrifiée? Au plan politique, le peuple africain est pris
en otage par une démocratisation dont les modèles sont imposés de l'extérieur
et un clientélisme intérieur qui ne réussit qu'à réveiller les démons du triba-
lisme. Entre l'inexpérience politique des forces dites d'opposition et l'arrogance
des gouvernements, c'est le sang des innocents qui coule dans les capitales
africaines. En plus, la décision du pape, bien que salutaire, ne semblait pas
répondre aux attentes des théologiens africains qui, depuis 1977, n'avaient cessé
de plaider pour un concile africain. Et cette décision, outre qu'elle annonçait un
synode africain, n'apportait aucune précision qui eût permis de comprendre ses
enjeux. Il faut même admettre que les termes dans lesquels l'événement était
annoncé demeuraient dans l'ensemble inaccessibles au chrétien moyen. Si le
mot concile, très souvent rattaché à Vatican II, est plus ou moins connu de
l'opinion catholique d'Afrique; le terme synode, en revanche, renvoie plus
facilement à l'ecclésiologie protestante! .Le synode africain semblait donc
représenter aux yeux du laïcat moyen une affaire de la hiérarchie catholique,
intéressant particulièrement le pape et les évêques. La hiérarchie catholique
1. En Afrique, il est plus courant d'entendre parler du synode comme instance de décision et de
direction des Églises protestantes.
8Jean-Paul Messina
d'Afrique, pour sa part, ne donnait pas l'impression d'avoir été informée des
intentions du pape. Certes, un débat avait été engagé au sein de l'épiscopat
africain sur l'opportunité de célébrer ou non un concile africain; mais, il n'y
avait jamais eu de consensus autour de cette idée. Il y avait donc aussi, du côté
de l'épiscopat de ce continent, un sentiment de surprise. On comprend alors
que la hiérarchie catholique d'Afrique ait choisi d'attendre du Vatican de plus
amples informations avant d'entreprendre la mobilisation des communautés lo-
cales.
Toutefois, il n'échappait à aucun agent d'évangélisation que les Eglises
d'Afrique étaient en quête d'une identité chrétienne propre. Et compte tenu du
contexte de crise évoqué plus haut, personne ne pouvait dire que le synode était
annoncé au mauvais moment. Bien au contraire, comme nous le verrons dans
les pages qui suivent, une certaine impatience commençait à gagner une frange
importante de l'opinion chrétienne des intellectuels africains. Il était donc temps
de faire quelque chose. De ce point de vue, la décision du pape avait un carac-
tère indubitablement prophétique pour cette Afrique, malade de son développe-
ment, menacée dans son existence par les structures de péché2 aussi bien à
l'échelle nationale qu'internationale, et luttant désespérément pour sa survie.
Une assise synodale, dès lors, se révélait une plate-forme salutaire, dans la
mesure où elle allait permettre de faire le bilan de l'activité évangélisatrice en
Afrique et de rechercher de nouveaux voies et moyens en vue d'y approfondir
le mystère chrétien. Elle était également salutaire parce ce qu'elle était
porteuse d'un nouvel élan de foi et d'engagement, susceptible de mettre la
Bonne Nouvelle de Jésus-Christ au profit de ceux sur qui, au quotidien, s'exer-
cent la violence internationale et le despotisme oppressif des régimes politiques
africains. On ne s'étonnera donc pas que les Pères du synode aient baptisé
l'événement: « Synode de la Résurrection, Synode de l'Espérance », dès la
première séance de travail (11 avril 1994 ).3
Et comme Saint Jean à Patmos, en des temps particulièrement dif-
ficiles, a reçu des prophéties d'espérance pour le peuple de Dieu, nous
aussi annonçons l'espérance. En ce moment tant de haines fratricides
provoquées par des intérêts politiques déchirent nos peuples, au moment
où le poids de la dette internationale ou de la dévaluation les écrase,
nous, Evêques d'Afrique, avec tous les participants à ce Saint Synode,
2. L'expression« structures de péché» est utilisée par le pape Jean Paul II dans son encycli-
que Sollicitudo Rei Socialis, Ed. polyglotte Vaticane, 36, p. 70, pour désigner la respon-
sabilité de l'homme face à l'injustice et la misère.
3. Synodus Episcoporum (Message des évêques), 35-06-05-1994, n02.
Culture, christianisme et quête d'une identité africaine 9
unis au Saint-Père, nous voulons dire un mot d'espérance et de réconfort
à ton adresse, Famille de Dieu qui est en Afrique,. à ton adresse, Famille
de Dieu en rassemblement de par le monde: Christ notre Espérance est
vivant, nous vivrons !4
Le synode africain intervient presque trente ans après la clôture de
Vatican II, et d'une manière générale, il en est l'émanation.5 Il se pose donc à
la fois comme un événement historique et un lieu théologique. Du point de vue
historique, c'est la première fois depuis la disparition du christianisme en Afri-
que du Nord, que la hiérarchie catholique africaine est invitée à faire le point
sur son évangélisation et à formuler des propositions pour un plus grand enraci-
nement de l'Eglise dans ce continent. Il faut par ailleurs souligner que ce
synode est une vraie expression de la dynamique conciliaire, en ce qui con-
cerne la marge d'initiative accordée aux Eglises locales en matière d'évangéli-
sation. En effet, dans Lumen Gentium 13, l'universalité de l'Eglise est
affirmée dans un sens qui engage la responsabilité de tous face à sa mission
évangélisatrice.
Ainsi, l'unique peuple de Dieu est présent à tous les peuples de la
terre, empruntant à tous les peuples ses propres citoyens, citoyens d'un
royaume dont le caractère n'est pas terrestre mais céleste. Tous les fidèles,
en effet, dispersés à travers le monde, sont, dans l'Esprit Saint, en com-
munion avec les autres, et, de la sorte, celui qui réside à Rome sait que
ceux des Indes sont pour lui un membre.6
Les fidèles, bien que dispersés dans le monde, ont tous les mêmes res-
ponsabilités face à ce royaume, qui, sans être de ce monde, prend
«corps» dans notre monde. Aussi est-il absolument nécessaire que chaque
membre du corps, tout en gardant son identité, demeure solidaire de l'ensem-
ble. Cette solidarité ne peut s'exprimer que dans l'exercice de la responsabilité
de chaque membre vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, dans l'unique
destin du Salut, que l'Eglise, à la suite du Christ, s'efforce d'accomplir.
En vertu de cette catholicité, chacune des parties apporte, aux autres
et à l'Eglise tout entière, le bénéfice de ses propres dons, en sorte que le
4. Synodus Episcoporum, n02.
5. Voir J.P. Messina, « l'Eglise d'Afrique au Concile Vatican II : Origines de l'Assemblée
Spéciale du synode des évêques pour l'Afrique}) in Mélanges de science religieuse, T. 51,
n03, pp. 279-295.
6. Lumen Gentium 13, in Concile Oecuménique Vatican IL Constitutions, Décrets, Déclara-
tions. Textes français et latins, Centurion, Paris, 1967, p. 33.
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