Etiquetage des produits alimentaires : Un label environnemental

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Etiquetage des produits alimentaires : Un label environnemental pourrait-il
trouver sa place à côté du label bio ?
Mohamed Akli ACHABOU
Enseignant-chercheur, IPAG Paris
180 Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
Téléphone: 06 12 07 07 88 ; E-mail : [email protected]
Sihem DEKHILI
Maître de conférences, HuManiS (EA 1347), Humans and Management in Society
Ecole de Management de Strasbourg -Université de Strasbourg61, Avenue de la Forêt-Noire, 67085 Strasbourg Cedex, France
Téléphone: 03 68 85 83 91 ; E-mail : [email protected]
Résumé
Dans cet article, nous nous proposons de déterminer si, dans le secteur agroalimentaire, le
label bio est suffisant pour répondre aux attentes des consommateurs préoccupés par le
développement durable et d’explorer la pertinence de la mise en place d’un écolabel. À partir
d’une étude qualitative auprès de 71 répondants, nous mettons en avant les divergences en
termes de contenus entre les deux notions « biologique » et « écologique ». Et soulignons que
les motivations d’achat des produits écologiques alimentaires ne se limitent pas aux variables
tournées vers soi (santé, qualité) et sont fortement associées à des variables sociales et
environnementales. Nos conclusions vont dans le sens de légitimer l’écolabellisation dans le
domaine agroalimentaire.
Mots clés : Produit écologique, écolabel, label bio, motivations, secteur agroalimentaire.
Labeling of food products: An ecolabel could replace the organic label?
Abstract
In this paper, we propose to determine if, in the food products’ case, the organic label can
satisfy green consumers, and to investigate the efficiency of an ecolabelling strategy. From a
qualitative study conducted with 71 respondents we define the differences between the two
notions: organic and ecological. And highlight that the consumers’ motivations are not
limited to health and quality compounds, but cover social and environmental dimensions.
Our conclusions support the idea of the building of an ecolabelling strategy in the
agribusiness.
Keywords: Eco-product, ecolabel, organic label, motivations, agribusiness.
Nomenclature du JEL: Q13 - Agricultural Markets and Marketing; Cooperatives;
Agribusiness
1
Introduction
De plus en plus de consommateurs expriment aujourd’hui une préoccupation pour la question
du développement durable. Pour répondre à ces nouvelles attentes, on constate depuis le début
des années 90, une multiplication des dispositifs d’étiquetage de la qualité environnementale
et sociale des produits au niveau mondial (Nadai, 1998). Ces dispositifs sont pour les autorités
règlementaires
un
moyen
d’inciter
les
firmes
à
entreprendre
des
innovations
environnementales sur leurs produits. Ils offrent aussi aux firmes l’occasion de différencier
leurs produits selon leurs performances écologiques.
Marguerat et Cestre (2003) soulignent la multiplication des classifications des écolabels : la
classification du Comité Interdépartemental de Rio qui distingue entre l'étiquetage obligatoire
(indications spécifiques imposées par l’Etat) et l’étiquetage à bien plaire ou labels (librement
apposés à un produit ou un service : labels étatiques ou labels privés); la classification de
l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) qui différencie entre des produits ou
services bénéficiant d’un label écologique au sens strict du terme, des produits autoproclamés
écologiques, et des informations standardisées sur les produits.
Dans ce contexte de renforcement du processus d’écolabélisation, le secteur agroalimentaire
fait exception. À l’échelle européenne, les produits agroalimentaires ont été exclus de la
plupart des écolabels officiels1, sauf dans le cas de l’écolabel Milieukeur au Pays-Bas
(Bouguerara et al. 2003). Le label bio reste ainsi le plus couramment utilisé pour la
valorisation de ces produits.
En France, l’agriculture biologique continue de se développer de manière importante. Le
nombre de fermes bios a augmenté de 25% en 2010 pour atteindre 836 000 hectares, soit
2,9% de la superficie agricole totale (Direct Matin, 2010). En revanche, la consommation
montre un signe d’essoufflement. En effet, si les ventes de ces produits continuent de croître à
un bon rythme (10% en 2010)2, le nombre de consommateurs a reculé. Seulement 43% des
Français ont consommé au moins une fois des produits biologiques en 2010 contre 46% en
2009. Une enquête de l’Agence bio révèle que 79% des non-acheteurs jugent leurs prix trop
élevés (Direct Matin, 2010).
1
En France, les produits alimentaires ont été écartés lors de l’élaboration législative de l’écolabel NF
Environnement.
2
Ce chiffre peut en grande partie être attribué aux ventes de boissons (+26%) et des produits frais (+16%)
(Direct Matin, 2010).
2
Dans un tel contexte, on pourrait penser que l’ajout d’un éco-étiquetage permettrait de
diversifier l’offre sur le marché et de conquérir de nouveaux consommateurs. Mais les
produits alimentaires se prêtent-ils vraiment à ce type de certification ? La multiplication des
critiques contre l’exclusion des produits agroalimentaires du processus de l’écolabélisation
(Lefferts et Heinicke, 1996 ; Van Ravenswaay et Blend, 1997 ; Bougherara et al., 2003) rend
cette question d’autant plus pertinente.
Afin de déterminer si l’éco-label pourrait trouver sa place sur le marché agroalimentaire
français, caractérisé par la présence de plusieurs labels de qualité notamment le label bio,
nous nous proposons de mener une recherche exploratoire. Notre ambition est de cerner les
proximités ou divergences perçues entre les deux notions « écologique » et « biologique ».
Pour ce faire, nous allons procéder en quatre sections. Tout d’abord, nous examinerons les
raisons de l’exclusion des produits agroalimentaires du processus de l’écolabélisation, ainsi
que les insuffisances du label bio pour répondre aux attentes des consommateurs préoccupés
par la problématique du développement durable. Nous explorerons également dans cette
section la littérature sur les motivations d’achat des produits bios. Nous présentons dans une
troisième section la démarche méthodologique adoptée. Les troisième et quatrième sections
seront consacrées respectivement à la présentation des résultats et à leur discussion. Nous
terminerons par quelques recommandations et pistes de recherche.
1. L’étiquetage environnemental des produits alimentaires : un cas à part !
Très souvent les attributs environnementaux qui différencient les produits n’ont aucun effet
détectable par le consommateur, la différenciation des produits relève donc d’une
différenciation informationnelle qui se concrétise sur le marché par l’étiquetage (Bouguerara
et al. 2003).
L’éco-étiquetage vise deux objectifs importants (Gallastegui, 2002) : informer les
consommateurs sur les effets environnementaux des produits qu’ils consomment et ainsi les
orienter vers les produits les plus écologiques ; encourager les producteurs, les gouvernements
et autres agences environnementales à renforcer les normes environnementales.
3
1.1. Les raisons d’exclusion des produits agroalimentaires du processus de
l’écolabélisation
Dans le secteur agroalimentaire français, l’Association Nationale des Industries Agricoles et
Alimentaires (ANIA) estimait le nombre de sites agroalimentaires certifiés ISO 14001 à
seulement 159 en 2005 (Lanoie et Llerena, 2009). Les auteurs soulignent que cette pénétration
est davantage plus faible pour la norme EMAS3. En effet, sur les 17 entreprises certifiées
EMAS en 2008, aucune ne relève du secteur agricole ou agro-alimentaire. Cette situation peut
être attribuée à l’existence d’autres signes de qualité notamment le label de l’agriculture
biologique, c’est d’ailleurs l’un des principaux arguments avancés pour l’exclusion des
produits agroalimentaires lors de l’élaboration législative de l’écolabel NF Environnement
(Bouguerara et al. 2003). Les politiques estimaient que l’ajout d’un signe de qualité
supplémentaire risquait de concurrencer des signes préexistants. D’autres facteurs ont été
également soulevés par les auteurs pour expliquer cette exclusion, il s’agit notamment :
-
du risque de confusion par le consommateur entre la protection de sa santé (bien privé)
et la protection de l’environnement (bien collectif) ;
-
de la volonté politique de ne pas créer une confusion quantitative (excès
d’informations) et qualitative (mauvaise compréhension) dans un univers très riche et
fragile de signes de qualités privés et officiels. Pour Mathe (2009), l’hyperchoix et les
nombreux discours contradictoires engendrent une grande méconnaissance des
produits, que la multiplication des labels, certifications et autres signes de qualité ne
contribue pas à faciliter.
Cette exclusion des produits agroalimentaires du processus de l’écolabélisation a été remise
en cause ces dernières années. Grolleau (2000) note que les cahiers des charges de l’AB ne
mentionnent pas des critères environnementaux explicites, ni même certains principes chers
aux normes de management environnemental comme l’amélioration continue des
performances environnementales. Bouguerara et al. (2003) reconnaissent les éventuels effets
positifs des agricultures alternatives sur l’environnement, mais précisent que les points relatifs
à l’environnement y relèvent plus de recommandations générales que d’une véritable stratégie
ou d’obligations de moyens ou de résultats. Par conséquent, même si l’agriculture biologique
est environnementalement préférable à l’agriculture conventionnelle, son objectif prioritaire
3
L'EMAS (Eco-management and audit scheme), établi en 2001, est un outil de gestion volontaire qui permet aux
sociétés et aux autres organisations d'évaluer leurs performances environnementales, d'en rendre compte et de les
améliorer.
4
n’est pas la préservation de l’environnement, mais plutôt une promesse perçue d’une
meilleure qualité sanitaire. Les auteurs concluent que l’existence de la labellisation biologique
n’est pas une raison suffisante pour exclure les produits alimentaires de l’éco-labellisation.
Dans le même sens, Mathe (2009) postule que l’agriculture biologique n’est pas synonyme
d’une agriculture durable, elle en est l’une des composantes. L’auteur donne notamment
l’exemple de produits de contre-saison importés ou ceux issus des serres chauffées, qui
peuvent être biologiques mais non durables.
1.2. Consommation des produits bios : la dimension environnementale est-elle une
vraie motivation ?
De plus en plus de consommateurs ont aujourd’hui une relative connaissance du recours
massif des agriculteurs aux produits phytosanitaires et des pollutions qui en résultent. Ces
éléments les ont poussés à se tourner vers les produits de l’agriculture biologique. Cette
mouvance s’est traduite par une multiplication des recherches sur ce sujet. Depuis 1995, on
recense dans la littérature internationale plus de 40 études sur la consommation des produits
biologiques. La plupart d’entre elles montrent que la principale motivation de l’achat de
produits bios est la préservation de la santé (Krystallis et al., 2006). En revanche, des
divergences surgissent quant à l’importance de la composante environnementale. Certaines
études montrent que cette préoccupation reste marginale chez les consommateurs de produits
alimentaires bios, qui sont plus sensibles à la qualité et à la sécurité alimentaire (Laroche et
al., 2001). Bascoul et Moutot (2009) soulignent que les bénéfices attendus du choix des
produits bios relèvent du souci des consommateurs de prendre soin de leur santé. Quah et Tan
(2010) ont comparé les motivations d’achat des produits bios entre les consommateurs
malaysiens, chinois et indiens. Leurs conclusions ont montré le rôle déterminant de l’aspect
santé dans la décision d’achat. Les auteurs ont constaté dans le cas des consommateurs
malaysiens, que le recours aux produits bios est davantage important dans les foyers dont l’un
des membres est atteint d’une grave maladie.
Dans une synthèse d’études réalisée par Marguerat et Cestre (2003) sur les raisons de
consommation des produits bios, il ressortait clairement que la santé est la principale
motivation loin devant la protection de l’environnement. L’évolution des motivations sur 10
ans (1989-1999) montre une faible variation des pourcentages d’importance et aucune
différence dans l’ordre de priorité des consommateurs.
5
Par opposition, d’autres recherches mettent en avant l’importance grandissante de la
dimension environnementale dans la décision d’achat des produits alimentaires bios.
Quelques auteurs (Baltas, 2001 ; Fotopoulos et Krystallis, 2002) expliquent la montée de
l’intérêt des consommateurs pour les produits biologiques par la croissance de la demande
pour une agriculture durable offrant des produits sans pesticides ni résidus chimiques. Lanoie
et Llerena (2009) affirment que les principales motivations des consommateurs de produits
biologiques sont directement liées aux caractéristiques environnementales des processus de
production : recours à des techniques agricoles respectueuses de l’environnement, utilisations
de matières premières saines, prise en compte du bien être animal.
Tsakiridou et al. (2008) ont souligné, à travers une étude conduite auprès de consommateurs
grecs, que la santé et l’environnement sont les deux principales motivations pour la
consommation des produits bios. 94,5% des consommateurs interrogés ont évoqué la question
de la sécurité alimentaire, 87,6% ont estimé que les produits biologiques sont plus sains que
les produits conventionnels, et 74,1% ont considéré que la consommation des produits bios
constitue un moyen pour protéger l’environnement.
L’étude de Cicia et al. (2009), menée auprès de consommateurs italiens, apporte un éclairage
sur le poids de chacune des deux composantes (santé, environnement) dans la décision
d’achat d’un produit alimentaire bio. Les auteurs évaluent la disposition à payer pour 1 kilo de
tomates bio à 0.86€/kg par rapport aux tomates conventionnelles. La valeur attribuée à la
composante santé est de l’ordre de 0.46€/kg et celle associée à la composante
environnementale est de 0.40€/kg.
Les études sur les motivations de la consommation des produits alimentaires bios que nous
avons examinées divergent quant à l’importance de la composante environnementale. Il est
important de noter que plusieurs facteurs liés aux caractéristiques mêmes des études (produits
testés, méthodologies d’enquêtes, origine des répondants, etc.) peuvent être responsables de
ces divergences. Ainsi, le pays d’origine des consommateurs semble influencer fortement
leurs perceptions. Cerjak et al. (2010) ont conduit une étude auprès de 200 consommateurs de
produits bios dans les capitales de trois pays : Croatie, Bosnie-Herzégovine et Slovénie. Les
résultats montrent que la santé et la protection de l’environnement sont les principales
motivations dans le cas des consommateurs croates et slovènes, alors que le consommateur
bosniaque recherche plutôt le retour au naturel, la santé et la sécurité des produits
alimentaires.
6
La littérature explorée ne permet pas donc de confirmer que le label bio est suffisant pour
répondre complètement aux attentes des consommateurs préoccupés par la problématique du
développement durable. D’un point de vue législatif, l’objet principal de la mise en place du
label bio a été d’offrir aux consommateurs des produits sains. Par ailleurs, la caractéristique
environnementale des produits bios n’est pas souvent perçue comme étant importante chez le
consommateur. Ce constat légitimerait une réflexion sur la mise en place d’un label
environnemental, à part entière, pour les produits agroalimentaires.
2. Méthodologie
Une enquête qualitative a été conduite en juillet 2009 auprès d’un échantillon de 71
répondants. Elle a été réalisée lors d’un forum sur le Design organisé par la CCI (Chambre de
Commerce et d’Industrie) de Strasbourg. Lors de cette enquête, nous nous sommes basés sur
un guide d’entretien qui a pour objectif de déterminer les éventuelles proximités en termes de
perceptions entre les deux notions (produits écologiques et produits biologiques) et d’explorer
dans quelle mesure les consommateurs valorisent les éco-labels et leur font confiance. Dans
cette démarche qualitative, nous avons privilégié les questions ouvertes.
Nous présentons dans le tableau 2 la composition de notre échantillon.
Tableau 2 : Caractéristiques socio-démographiques des répondants
Variables
Sexe
Age
Profession
Total répondants
Hommes
Femmes
< 25 ans
25-45 ans
45-65 a
> 65 ans
Employés
Cadres
Retraités
Etudiants
Autres
Effectif
39
32
15
18
25
13
15
17
15
11
13
71
Les entretiens, d’une durée de vingt cinq minutes, ont été enregistrés à l’aide d’un
magnétophone et intégralement retranscrits, puis un travail d’analyse thématique des discours
a été effectué à l’aide du logiciel Nvivo. Les résultats obtenus sont synthétisés dans les
paragraphes qui vont suivre.
7
3. Résultats
3.1. L’ « Ecologique » : une notion large qui englobe la dimension « Biologique »
Dans un objectif de découvrir les idées spontanées qui viennent à l’esprit des consommateurs
lorsqu’on évoque le mot « produit écologique » et de déterminer s’il existe un rapprochement
avec la notion de « produit biologique », nous avons posé la question suivante : « Selon vous,
qu’est-ce qu’un produit écologique ? ». L’analyse catégorielle a fait ressortir quatre thèmes
avec des poids différents, comme le montre le tableau 3.
Tableau 3 : Les évocations d’un produit écologique selon les consommateurs (en % par rapport à la
masse totale des idées)
Thèmes (en % par rapport à la masse totale des idées)
Le respect de la planète
Le caractère biologique et naturel
Le caractère durable
Les attributs de qualité du produit
45.5
23
19.5
8
Total des idées
267
Le respect de l’environnement, le caractère biologique/naturel et le caractère durable sont les
trois thèmes les plus représentatifs du discours évoqué par les consommateurs. Ils totalisent à
eux seuls 88% de la masse totale des idées.
Les résultats révèlent que les répondants associent fortement les produits écologiques au
respect de la planète (près de la moitié de la masse totale des idées). Ce thème comprend
d’une part le respect de l’environnement (68% du poids du thème) : le produit écologique est
un « produit respectueux de l’environnement », « qui ne pollue pas ». Et d’autre part le
respect de la nature et du vivant (32% du poids du thème). La notion du respect de la vie est
très prégnante dans la représentation d’un produit écologique, c’est « un produit qui respecte
l’équilibre de la nature», « bon pour la terre ».
Le caractère biologique semble une composante des produits écologiques (près de 1/4 de la
masse totale des idées). Premièrement, nous notons la récurrence du terme « bio » qui a été
cité spontanément autours de 26 fois. Deuxièmement, nous soulignons une certaine proximité
perçue entre « produit bio » et « produit écologique » « il y a l'écologie et le bio aussi qui est
8
proche, alors ce n'est pas parce que quelque chose est écologique elle est bio. Mais quand
c'est bio, c'est d'office qu'on tient compte de l'écologie ».
Dans le même sens, le caractère « naturel » a été évoqué par les répondants. Le produit
écologique « renvoi à l'imaginaire de la nature », « fait appel aux essences naturelles », «
c’est quelque chose de naturel ».
Enfin, pour quelques répondants, les deux notions « biologique » et « écologique » divergent
fortement, elles semblent leur fournir des informations différentes « Biologique et écologique
ce n'est pas la même chose ! ».
3.2. Le label « bio » : entre un bon ancrage et une faible crédibilité
Même si le label bio représente une référence pour le consommateur des produits
alimentaires, il n’a pas été épargné par certaines critiques.
3.2.1. Le label « bio » : une référence dans le domaine alimentaire
En interrogeant les répondants sur leurs habitudes d’achat en matière de produits écologiques,
l’exemple des produits alimentaires a été très fortement cité, et souvent limité aux produits
biologiques « En ce qui concerne l'alimentaire, l’écologique c’est le bio ». Parmi les 71
interviewés, seulement 21 individus n’achètent que des produits non alimentaires en termes
d’achats écologiques (produits de nettoyage et d’entretien, produits ménagers, meubles,
vêtements,..). Pour les autres répondants, il s’agit de consommateurs exclusifs de produits
alimentaires (28 individus) ou de consommateurs « mixtes » qui achètent à la fois des
produits alimentaires et non alimentaires écologiques (15 individus).
Même si les répondants ont cité quelques fois l’exemple de commerce équitable et celui du
label Ecocert, la majorité ont spontanément évoqué le label bio. Ce dernier reste une référence
bien établie sur le marché « la manière dont je pourrais reconnaître (le produit) sur un rayon,
c’est avec le sigle Agriculture Biologique », «ça fait déjà des années oui, 20 ans, que nous
achetons des produits alimentaires bios », et qui semble être préféré à d’autres signes de
qualité « quand j'ai le choix entre un label bio et un autre label ben je prends bio si c'est le
même rapport qualité prix ».
Le choix du bio semble encore plus pertinent pour le consommateur dans le cas de certaines
catégories de produits dites « sensibles » comme les œufs, la viande, le lait, ou encore l’huile
pour lesquels la préoccupation pour la santé semble forte « Les œufs je fais attention car je
9
pense que c'est important qu'ils soient bios», « moi je ne suis pas une adepte, je ne suis pas de
ceux qui font du tout bio mais par exemple en poulet je prends que des produits bios », « moi
je sais que pour l'alimentaire je fais vachement gaffe à l'huile, le riz », « toutes les huiles
industrielles, c'est vraiment pourri ! ». Dans le même sens que des recherches antérieures
(Krystallis et al., 2006 ; Tsakiridou et al., 2008), l’exemple des fruits et légumes a été
largement associé à la consommation biologique, pour ces produits le consommateur est
attentif à sa santé mais il est aussi à la recherche d’un bon goût. D’ailleurs, ces deux facteurs
« santé » et « qualité » constituent les deux motivations principales qui poussent les
consommateurs à acheter des produits alimentaires écologiques (en grande partie des produits
bios) (Voir tableau n°4).
Tableau 4: Les motivations d’achat des produits écologiques alimentaires
% par rapport à la masse totale des idées
Préoccupations environnementales
Santé/bien-être
Qualité
Préoccupations sociales
Total
17
31,5
28,5
23
100
En dehors de l’importance des motivations égoïstes ; santé/bien-être et qualité (60% de la
masse totale des idées), les acheteurs des produits alimentaires écologiques sont souvent
poussés par des préoccupations altruistes (40% de la masse totale des idées). Ces dernières
couvrent d’une part la dimension éthique et sociale (23% de la masse totale des idées), il
s’agit surtout de la défense des agriculteurs et du travail de la terre ainsi que le respect du
bien-être animal « pour moi c'est important de savoir que les poules sont en plein air même si
ce n'est pas bio ». Et d’autre part, la dimension environnementale liée à la protection de la
planète (17% de la masse totale des idées).
3.2.2. Le label « bio » : des insuffisances persistent
Une partie des consommateurs exprime une grande méfiance envers les produits biologiques.
Elle remet en cause la crédibilité du label « bio » « Ce qui me gène c'est qu'il y a des produits
qui sont lancés avec le terme bio pour tromper les gens et quand on lit les étiquettes en fait on
retrouve des produits nocifs, dont on a d'ailleurs parlé dans des documentaires de
vulgarisation », et estime que les procédures de contrôle ne sont pas strictes « Il y a des
produits qui sont bio qui sont chers parce qu'ils sont réellement bio et il y en a d'autres qui
vont mettre le label bio mais qui ne sont pas réellement bio», « d'un point de vue agriculture
10
par exemple, vous avez un éco-label sur la parcelle X on vous dit que c'est bio, d'accord c'est
bio sur la parcelle X mais sur la parcelle X2 il y a un qui fait de l'étendage donc la parcelle X
n'est plus bio ».
En dehors de la question de la crédibilité des labels bio, ces produits semblent inaccessibles
en termes de prix à certains consommateurs « sur l'alimentaire dès qu'on passe sur quelque
chose qui est bio qui ne veut pas dire écologique, mais enfin qui est bio, c'est plus cher ».
4. Discussion
Les résultats de cette étude mettent clairement en relief les différences perçues par les
consommateurs entre les deux notions « écologique » et « biologique ». Nous notons que le
caractère biologique et naturel a été largement évoqué dans les discours des consommateurs
pour définir un produit écologique, il s’agit pour la plupart des répondants d’une dimension
qui compose l’éco-produit. Notre étude montre également que ces deux notions sont perçues
par certains consommateurs comme étant totalement différentes. Ainsi, nous soulignons que
les deux concepts ne se superposent pas complètement et semblent fournir aux
consommateurs des informations différentes. L’éco-produit est une notion plus large que la
notion « biologique », définie surtout par la dimension environnementale liée à la protection
de la planète. Ce résultat va dans le même sens que les travaux de Mathe (2009), et vient
fragiliser la décision politique d’écarter les produits agroalimentaires du processus de l’écolabellisation à cause de l’existence des labels bios et par crainte de développer une certaine
confusion dans l’esprit du consommateur.
Concernant les motivations d’achat des produits écologiques alimentaires, notre étude met en
avant l’importance des variables tournées vers soi : santé/bien-être et qualité. Les variables
altruistes (sociale et environnementale) viennent en second lieu mais restent importantes.
Nous retenons à la fois l’importance de la variable environnementale (accessoirement
considérée dans la démarche bio) et celle de la variable sociale (qui est le cœur de la
certification « équitable » par exemple mais qui ne rentre pas du tout dans la labellisation bio).
Ce résultat montre la nécessité de la mise en place d’un écolabel dans le domaine
agroalimentaire qui pourrait prendre en compte à la fois les préoccupations environnementales
et sociales des consommateurs. Nous rejoignons ainsi les auteurs qui mettent en avant les
limites de la décision politique d’exclure les produits agroalimentaires du processus de
l’écolabellisation.
11
Par ailleurs, comme souligné par Grolleau (2000), la réussite d’une stratégie de
différenciation environnementale des produits agro-alimentaires est conditionnée par la
garantie d’un produit de haute qualité sur le plan sanitaire. Limiter les actions de l’entreprise
aux caractéristiques environnementales réduirait fortement la taille du segment de
consommateurs, avec un risque important de décrédibiliser la démarche. À titre d’exemple, si
les produits issus des boues de stations d’épuration correspondent pour les spécialistes à une
bonne pratique d’un point de vue environnemental, les consommateurs risquent de les voir
comme sales et pollués (Lapeyre, 2008).
Enfin, nos résultats montrent que malgré l’ancienneté du label bio, il n’est pas exempt de limites
qui sont liées essentiellement à son manque de crédibilité et à son coût relativement élevé. Ces
résultats sont conformes avec certains travaux similaires portant sur les produits bios et
équitables (Tagbata, 2006).
Conclusion
La quantité de produits « verts » mise sur le marché ne cesse de croître ces dernières années,
ce qui complique les décisions des consommateurs préoccupés par le développement durable.
Les éco-labels peuvent les aider à repérer les produits les plus respectueux de l’environnement
et qui tiennent compte de la préoccupation éthique. Dans le cas des produits agroalimentaires,
et compte tenu de leur exclusion du processus d’écolabélisation, le label bio reste la référence.
L’objectif de cette recherche a été de déterminer si le label bio est suffisant pour répondre aux
attentes des consommateurs et d’explorer la pertinence de la mise en place d’un écolabel dans
le secteur agroalimentaire.
Nos résultats ont permis de comprendre le contenu qu’un consommateur attribue à un produit
écologique et de déterminer les divergences entre les deux concepts « biologique » et
« écologique ». Nous retenons que la dimension biologique n’est qu’une composante parmi
d’autres du produit écologique. Les deux concepts « écologique » et « biologique » sont loin
de se superposer. Par ailleurs, l’étude des motivations de l’achat de produits alimentaires
écologiques a soulevé, en plus de la prédominance de la dimension santé et qualité,
l’importance de la composante sociale et environnementale.
12
Ces résultats mettent en avant la pertinence de la notion écologique dans le domaine
alimentaire qui dépasse la notion bio, et qui permet de couvrir les dimensions sociales et
environnementales, les principaux piliers du développement durable. Ils vont ainsi dans le
sens de légitimer l’éco-labellisation de cette catégorie de produits.
Ces conclusions ouvrent une voie intéressante de recherche qui consiste à déterminer d’une
façon quantitative dans quelle mesure l’écolabel, associé au label bio, influencerait le
comportement du choix des consommateurs des produits alimentaires. Nous nous
interrogerons dans une recherche future sur la place que pourrait avoir l’écolabel sur le
marché agroalimentaire. Est-ce qu’il viendrait compléter le label bio ou le remplacer ? L’idée
de la double labellisation nous poussera à explorer la question de la quantité d’informations
optimale à fournir au consommateur pour un signalement efficace (Wynne, 1994).
13
Références
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