Mise à jour de décembre 2009
Première présentation sur ce site : octobre 2008
Alain SOURNIA
L'un ou l'autre ?
Méfaits de la pensée binaire
Introduction
I - Aux racines du binaire
II - Deux ou trois, après tout...
III - Est-ce le monde qui est binaire, ou bien... ?
IV - De l'opposé au contraire, du contraire à l'exclu
V - Comment découper un poulet à trois pattes
VI - Contestations
VII - Penser autrement
Notes et références
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19
30
41
47
59
68
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Du même auteur
Dix milliards de neurones (Prix Jean-Rostand 1980)
La pensée universelle, 1980
Héraclite ou l'intuition de la science
Chez l'auteur, 1982
Voyage en pays présocratique
Publibook, 2007
Mini-traité du moi
Publibook, 2007
Une courte histoire du réel
Publibook, 2007
L'instant, objet d'étude
Inédit (accessible sur : www.philosophiesauvage.wordpress.com)
Jardin de philosophie sauvage
Inédit (accessible sur : www.philosophiesauvage.wordpress.com)
Fondements d'une philosophie sauvage
Inédit
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Introduction
Réalité et apparence, matière et esprit, pensée et action, bien et mal, connaissance
et doute, signifiant et signifié..., toujours deux machins, c'est curieux. Curieux
aussi que notre vie quotidienne soit scandée par des actes alternatifs, à
commencer par inspiration/expiration, sur une toile de fond tissée de repères
(avant/après...) et de valeurs (bien/mal) également binaires.
S'il y a un principe universel, ou des principes universels, voici un candidat
solide dans toutes les matières, de la physique (comment concevoir positif sans
négatif, action sans réaction ?) à la métaphysique (être sans non-être ?). Reste à
savoir si ce principe loge dans le monde, ou bien dans notre cerveau, ou bien
dans les deux, ou bien ni dans l'un ni dans l'autre mais dans la pensée, ou
encore..., quoi encore ?
Je gamberge là-dessus depuis mon enfance, soit dit sans me vanter d'une
précocité exceptionnelle mais parce que tous les enfants sont géniaux. Parvenu à
l'âge des grands, les grands enfants, ceux qui sont irrécupérables... voilà qu'un
beau matin mais allez donc savoir pourquoi une idée vous saisit et, à la
différence de mille autres, ne veut plus vous lâcher ! La veille, j'avais lu, dans la
plus grande encyclopédie francophone moderne, le substantiel article "Vie" (1) :
six grandes pages en trois colonnes ; successivement, la vie comme concept,
comme animation, comme mécanisme, comme organisation, comme information,
enfin comme antithèse de la mort. Vers la fin de l'article, en évoquant l'idée
d'ordre à partir du bruit, l'auteur laisse échapper comme un aveu d'impuissance
devant une connaissance décidément inaccessible c'est un peu émouvant dans
un ouvrage académique :
Mais pourquoi toujours deux sens inverses ?
C'était tout, seulement ces six mots. Sur le coup, rien n'a bronché en moi mais,
sans le savoir, j'avais attrapé un microbe, comme dans le métro. La preuve en est
que peu après, tombant par inadvertance sur le "Concept d'opposition" dans la
même encyclopédie, je me jette dessus. Cette fois, ce ne fut pas anodin.
Anaphylaxie, vous connaissez le truc ? L'histoire se passe sur le navire
océanographique du prince Albert Ier. Les filets ont ramené une méduse sur le
pont, le chien du bord vient la flairer de trop près et s'écarte en jappant. Quelques
jours après, autre méduse, le chien oublieux ou curieux veut en savoir plus, il y
- 4 -
met la patte sans doute ou le museau, et il tombe raide. Prix Nobel (1913) au
médecin de l'expédition, Charles Richet. Mais revenons à ce "concept
d'opposition" :
L'idée d'une structuration binaire de la démarche de la pensée a été perçue dès les
origines les plus reculées de la pensée (notamment chez les Présocratiques) jusqu'aux
grands systèmes de la philosophie classique (le dualisme cartésien). Une analyse de
cette longue tradition n'eût pas été possible dans le cadre de cet article. (2).
Pas possible, cette analyse ? Bien dommage ! Mais alors, où la trouver ? qui va la
faire ? Car le besoin est là, on ne peut entrevoir un si gros morceau sans chercher
un peu à savoir de quoi il est fait, comment on s'en sert. Et voilà exposés du
même coup la genèse, la folle présomption et l'objectif de ce qui suit. Précisons
seulement que l'approche est celle de la philosophie sauvage (3), c'est-à-dire que,
sans vergogne, on osera associer Aristote ou d'autres monstres sacrés à cette
aventure, le plus démocratiquement du monde, "sans violence et sans haine"
disait un célèbre perceur de coffres-forts.
Au fil de cet essai, on fera beaucoup parler les anciens penseurs grecs. Il
sera aussi question des philosophies orientales anciennes, ce qui est plus
inhabituel (de ces dernières, toutefois, plus brièvement afin d'éviter les répétitions
avec ma récente "Histoire du réel"). D'où le double risque de paraître ennuyeux
pour les non philosophes et franc-tireur pour les professionnels. Tant pis, c'est-
dire tant mieux pour le message qui est, sans nulle provocation : l'espèce Homme
pensant (Homo sapiens) a joué gros autour des sixième et cinquième siècles de
l'ère désignée comme pré-chrétienne, ceci aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est. Elle a
joué gros, les avis étaient partagés sur la manière de voir le monde, un des deux
camps a perdu à si plates coutures... qu'il n'est plus considéré aujourd'hui que par
politesse, déférence peut-être à des prédécesseurs méritants alors que les
enjeux demeurent.
Maintenant, si vous le voulez bien, au travail !
A propos de "binarité". Ce mot n'est pas joli mais nous en avons besoin. Il existe depuis
Lautréamont, pour le moins, d'après le "Trésor de la langue française (4) qui donne : "Qualité
de ce qui est binaire". Binari sera entendu dans cet essai comme la prise en considération de
deux entités plus ou moins opposées ou complémentaires, entretenant entre elles divers modes
d'affinités et de relations.
On pourrait dire, bien sûr, duali et quelquefois dualisme mais ces mots sont devenus
ambigus et tendancieux. On ne devrait les employer (suggestion !) que pour deux principes
indépendants, irréductibles à tout autre, comme une automobile (dernier modèle) peut avoir
deux moteurs, l'un thermique et l'autre électrique.
Nous pensons en "binaire" depuis le paléolithique, sans doute. Récemment sur cette
échelle de temps, Aristote entrepris de codifier les choses. Plus récemment encore, l'homme a
inventé un langage dit binaire pour traiter de la transmission de l'information sous son aspect le
plus technique.
- 5 -
I
Aux racines du binaire
Pythagore vouait un culte particulier au nombre Deux, on le sait de mille sources
indirectes. Un de ses émules (qui tout jeune a pu connaître le mage-philosophe),
Alcméon de Crotone, n'a rien écrit non plus qui eût été conservé mais des relais
ont été assurés, par Aristote notamment. Alcméon professait que les opposés sont
les principes des êtres. "Il y a deux qualités dans toutes les choses humaines" (5).
Dans ses Antithèses, perdues comme tout le reste, il donnait une liste de dix
principes, qui, elle, a été retranscrite par la postérité :
limité et illimité
impair et pair
un et multiple
droite et gauche
mâle et femelle
repos et mouvement
droit et courbe
lumière et ténèbres
bon et mauvais
carré et oblong (6)
Récemment, soit 2 500 ans après, J.-M. Lévy-Leblond a établi un nouvel
inventaire, qu'il donne bien comme non limitatif, des "couples conceptuels
antinomiques qui, nolens volens, structurent presque tout réflexion" (7). Au
demeurant, l'objet de ce travail de physicien est l'analyse épistémologique de
chacun des couples en autant de chapitres.
Mon essai à moi manquerait à tous ses devoirs si, à son tour, il ne tentait
pas de mettre la liste à jour. Bien r, toute tentative de ce genre frise le ridicule,
tout comme ferait sourire, par exemple, une démonstration de l'omniprésence de
la force gravitationnelle sur la planète Terre. Soit dit incidemment : l'intérêt
majeur de ces exercices pourrait résider dans l'observation ce qui se passe dans la
tête du sujet quand il remplit les colonnes du tableau une expérimentation tout
à fait réalisable par les techniques neurobiologiques actuelles. Ainsi, d'après mon
"vécu" personnel de l'exercice, la manière de remplir une case et le sens attribué
aux mots dans cette case restent lourdement tributaires de ce que l'on a mis dans
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