CDs et DVDs
Ludwig van BEETHOVEN : Concerto pour violon, Symphonie n°1, Ouverture de
Coriolan. Isaac Stern, violon. Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips.
Cascavelle : VEL 3154. TT : 76’03.
Franz SCHUBERT : Symphonie n°9. Carl Maria von WEBER : Ouverture d’Oberon.
Orchestre national de la RTF, dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3155. TT : 57’43.
Wolfgang Amadeus MOZART : Requiem, Ave Verum. Orchestre national de la RTF,
dir. Josef Krips. Cascavelle : VEL 3156.
Coup sur coup paraissent trois disques rappelant la bienheureuse rencontre de l’immense chef
autrichien Josef Krips (1902-1974) et de l’Orchestre national de la RTF, au cours de la
décennie 1954-1965. Beethovénien hors pair (mais ne donna-t-il pas avec le même bonheur
tout Haydn, tout Mozart et tout Schubert ?), Krips se signale surtout, dans cette interprétation
de la Première Symphonie, par une apaisante humanisation du discours du grand sourd. Rien
ne manque, aucun pupitre n’est négligé, chaque partie est ciselée et pourtant la passion
demeure, aussi foudroyante que celle d’un Munch ou d’un Furtwängler, mais tellement plus
viennoise, plus optimiste. Dans les passages les plus complexes, demeure ainsi cette lumière
immatérielle qui reste la marque d’un chef aussi virtuose qu’inspiré, équilibrant avec le même
bonheur les tempi, les intensités et les contrastes de timbre. Qualités que l’on retrouve au
même niveau dans le Concerto pour violon, avec des moments d’une surnaturelle légèreté et
une complicité bouleversante entre le soliste, la phalange qui le porte et le chef qui les soude.
Chez Mozart, le miracle est d’une autre nature, Krips invitant les auditoires contemporains à
redécouvrir un Mozart tendre et radieux, doux sans mièvrerie, lyrique sans fadeur. Dès les
premières mesures du Requiem, l’auditeur éprouve le sentiment, déroutant et stimulant, de
redécouvrir une partition dont il avait cru jusque-là posséder toutes les clefs, les divers
pupitres brossant une mosaïque sonore dont la variété dynamique n’a d’égale que la
merveilleuse plénitude sonore. Dépouillement dramatique – dans cet enregistrement, la mise
en exergue des silences relève du tour de force - et lecture scrupuleuse de la partition restent
les maîtres mots. Rien de plus démonstratif en ce sens que l’Ave Verum, au sein duquel
percent les échos de cette étrange inclination lyrique qui colora la musique religieuse des
temps prérévolutionnaires. Occasion de rappeler qu’un compositeur, s’appelât-il Mozart, reste
toujours l’héritier d’une longue tradition et le chantre de son époque. Car ici, plus encore que
le maître de Salzburg, c’est tout le siècle des Lumières qui chante, un siècle qui, porteur des
plus belles préméditations lyriques du théâtre musical, n’a pas oublié la grande leçon
contrapuntique dispensée en son matin par Jean-Sébastien Bach et Haendel.
Schubert et Weber, enfin. Toujours au même niveau sommital. Dès l’introduction de la
Symphonie, l’orchestre sonne avec cette vigueur roborative qui signale toujours le grand chef
autrichien, et toute la suite illustre l’étonnante palette, chatoyante mais unitaire, des choix
d’interprétation qu’il opère pour ce sommet de la musique romantique. Ainsi, sous sa
direction, l’orchestre passe-t-il, avec une foudroyante soudaineté, de fragments d’un profond
lyrisme à des épisodes de facture infiniment plus tourmentée. Même prodige avec l’ouverture
de Weber : quel est donc le secret de Josef Krips pour alterner avec tant de bonheur les
instants de pure sonorité si recherchée, si délicate, et les épisodes d’une telle intensité
dramatique ? Il y a quelque chose d’infaillible chez lui, à mi-chemin entre instinct sensible et
maîtrise virtuose. Sous sa direction, l’orchestre de la RTF enchante et satisfait avec le même
bonheur le mélomane le plus blasé et le musicologue le moins indulgent. Trois disques, au
total, qui réconcilient avec une esthétique qu’un certain fanatisme baroquisant avait tenté de
disqualifier, mais dont tout dit maintenant qu’elle fut, et demeure, porteuse de la plus haute
des vérités musicales.