3
cette espèce du relativisme et comment peut-on l’éviter à la base de la
reconstruction lockéenne de l’acte du jugement moral? La source principale de
l’ambiguïté dans la morale selon Locke est le concept du « mode mixte », c’est-
à-dire l’idée complexe composée des idées simples d’importance morale. Car,
semblables aux idées complexes de la géometrie , les modes mixtes n’ont aucun
modèle naturel hors de notre esprit : ils sont leurs archétypes même (2,31,3).
Donc même s’ils peuvent en principe être traités dans le cadre d’un système
aussi cohérent et sans contradiction interne qu’est la géometrie – « je ne doute
nullement, dit Locke, qu’on ne puisse déduire, de Propositions évidentes par
elles-mêmes, les véritables mesures du Juste & de l’Injuste par des
conséquences nécessaires, & aussi incontestable que celles qu’on emploie dans
les Mathématiques, »
1
– ils y émergent plusieurs difficultés qui empêchent la
construction d’une morale euclidienne. Car, bien qu’il soit vrai que « le sage
Auteur de notre Etre » nous procurait un système de l’adéquation mutuelle entre
les puissances des choses hors de nous et nos idées simples, les modes mixtes ne
sont formés de ces idées simples que par des hommes. De plus, c’est toujours au
1
„L’idée d’un Etre Suprême, infini en puissance, en bonté & en sagesse, qui nous a fait, & de qui nous
dépendons; & l’idée de Nous-mêmes comme de Créatures intelligentes & raisonnables, ces deux idées, dis-je,
étant une fois clairement dans notre esprit, ensorte que nous les considérassions comme il faut pour en déduire
les conséquences qui en découlent naturellement, nous fourniroient, ‚a mon avis, de tels fondemens de nos
Devoirs, & de telles régles de conduite, que nous pourrions par leur moyen élever la Morale au rang des Sciences
capables de démonstration. … je ne doute nullement qu’on ne puisse déduire, de Propositions évidentes par
elles-mêmes, les véritables mesures du Juste & de l’Injuste par des conséquences nécessaires, & aussi
incontestable que celles qu’on emploie dans les Mathématiques, si l’on veut s’appliquer à ces discussions de
Morale avec la même indifférence & avec autant d’attention qu’on s’attache à suivre des raisonnemens
Mathématiques.“ (4. 3. 18; p. 454) Si l’on prend les propositions „Il ne sauroit y avoir de l’injustice où il n’y a
point de propriété“ ou „Nul Gouvernement n’accorde une absolue liberté“, on peut être aussi certain de leur
vérité „que d’aucune qu’on trouve dans les Mathématiques.“ Donc, d’après Locke il peut y avoir un système de
la raison mathématique de la morale, une éthique définitive soi-disant, dont „le véritable fondement“ „ne peut
être autre chose que la volonté ou la Loi de Dieu, qui voyant toutes les actions des Hommes … tient, pour ansi
dire, entre ses mains les peines & les récompenses, & a assez de pouvoir pour faire venir à compte ceux qui
violent ses ordres avec le plus d’insolence.“ (1. 2. 6.; 27/8)