Neuropsycho-immunologie : influence du vieillissement sur les

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Neuropsycho-immunologie : influence du vieillissement
sur les mécanismes biologiques du stress, de l’anxiété
et de la dépression
A. GALINOWSKI (1)
QUEL CADRE
POUR LA NEUROPSYCHO-IMMUNOLOGIE ?
Le système immunitaire, longtemps considéré comme
uniquement dédié à la défense de l’organisme contre des
agressions extérieures, infectieuses en particulier, est
aussi un système de défense contre les agressions au
sens large, notamment internes.
Au cours du vieillissement, l’organisme ne peut plus se
défendre, ou se défend mal, contre les agressions venues
de l’intérieur.
Présentation générale du système immunitaire
Sur le plan anatomique, le système immunitaire n’est
pas isolé.
En effet, les lymphocytes portent des récepteurs aux
catécholamines et aux glucocorticoïdes, le système nerveux sympathique possède des terminaisons dans les
ganglions lymphatiques. Derrière la barrière hématoencéphalique, les cellules gliales représentent le système
immunitaire, au sein-même du système nerveux.
Sur le plan embryologique, système nerveux et système immunitaire ont une origine identique : l’ectoderme.
Sur le plan fonctionnel, il existe une sorte de dialogue
entre système immunitaire et système nerveux central.
Ceci est primordial en ce qui concerne le stress, l’anxiété
et la dépression. Par ailleurs, le système immunitaire est
conditionnable. Ainsi, une crise d’asthme peut être déclenchée par des facteurs non concrets, chez des patients prédisposés. En outre, le système immunitaire exerce deux
fonctions : naturelle ou innée, et acquise. L’immunité naturelle semble jouer un rôle important dans certains phénomènes de tolérance par rapport à soi-même, en particulier
dans l’auto-immunité. C’est le cas pour les groupes sanguins.
Les acteurs du système immunitaire
La lignée lymphoïde, formée à partir de cellules souches totipotentes comprend : les lymphocytes T, cellules
de l’immunité cellulaire, et les lymphocytes B, cellules de
l’immunité humorale, celles qui produisent les anticorps.
Il existe aussi un sous-groupe de cellules non spécifiques,
les cellules NK, intervenant beaucoup au cours des états
dépressifs. Ceci a été montré lors d’études chez l’adulte
non âgé.
Auto-immunité et vieillissement
Le système immunitaire protège contre l’extérieur, mais
aussi contre soi-même. En effet, selon la théorie du répertoire, l’organisme élimine certaines cellules pour ne pas
s’auto-détruire.
Au cours du vieillissement, ces phénomènes d’autoimmunité deviennent plus fréquents et dangereux. Ils
seraient peut-être également mis en jeu lors de certaines
situations de stress.
Auto-immunité et dépression
La dépression s’accompagnerait d’une hyperactivité du
système auto-immun, à l’origine de véritables états
dépressifs endogènes. Les cellules T helper (Th), ou T
auxiliaires, jouent un rôle prépondérant au cours de ce
phénomène. On distingue deux grandes classes : Th 1,
lymphocytes pro-inflammatoires, intervenant surtout dans
les états de stress et de dépression, et Th 2, plutôt dans
les phénomènes d’allergie. Les deux systèmes, Th 1 et
Th 2, sont en équilibre, par le biais des interleukines. Celles-ci sont les moyens de communication du système
immunitaire cellulaire.
(1) Hôpital Sainte-Anne, Paris.
Retranscription par I. Fabre.
S 1112
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1112-4, cahier 4
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1112-4, cahier 4
Neuropsycho-immunologie : influence du vieillissement sur les mécanismes biologiques du stress
Dans les états dépressifs majeurs de l’adulte, les anomalies immunitaires sont bien connues : diminution de la
lymphoprolifération en présence de mitogène, substance
capable d’activer des cultures de lymphocytes, diminution
de l’activité des cellules NK. La lignée blanche subirait
aussi quelques modifications, mais les données dans ce
domaine sont beaucoup moins claires. Chez le sujet âgé
comme chez le sujet plus jeune, les modifications ne sont
ni apparentes, ni significatives, malgré des méta-analyses
portant sur de nombreux sujets.
Auto-immunité et stress
Le stress joue un rôle important (McEwen). Il provoque
soit une migration des lymphocytes sur la paroi des vaisseaux sanguins, soit sur les tissus où ils libèrent des
interleukines. Ce phénomène de margination lymphocytaire diffère selon que le stress est aigu ou chronique. En
aigu, les réponses immunitaires surtout humorales, sont
stimulées, alors qu’en chronique, le phénomène s’inverse,
avec un épuisement des réponses immunitaires.
Hippocampe, stress et vieillissement
L’hippocampe est une structure sous-corticale comprenant deux régions principales : le gyrus dentelé et la région
CA 3. Cette structure est particulièrement impliquée au
cours du vieillissement, car la prolifération cellulaire (neurogenèse), diminue avec l’âge. Les neurones granulaires
du gyrus dentelé peuvent envoyer des projections stimulantes à base d’acides aminés excitateurs tels que le glutamate, ou bien des projections inhibitrices sur les cellules
CA 3 par le biais d’interneurones. C’est l’équilibre entre
ces deux systèmes, excitateur et inhibiteur, qui joue un
rôle sur la longueur des dendrites apicaux des neurones
CA 3.
Au cours de la neurogenèse, des cellules souches prolifèrent, puis se différencient à leur tour en neurones. Il
existe même chez le sujet âgé, un certain pourcentage de
neurones qui semblent ne pas différer des cellules souches (new born). Toutefois, la prolifération cellulaire diminue avec l’âge et les phénomènes de stress. Il y a donc
une interaction entre prolifération et différenciation. C’est
là que réside le nœud du problème. Ainsi, la longueur des
dendrites est modulée par le temps et le phénomène du
stress : les dendrites apicaux des neurones CA 3 peuvent
augmenter ou diminuer de longueur selon le temps et le
stress.
MODÈLES ANIMAUX
Dans un modèle de mammifères insectivores (Tupaia
Belangeri), on mesure l’incorporation de bromodéoxyuridine (BrdU), analogue de la thymidine et marqueur de prolifération cellulaire, en fonction du stress (2). Le stress utilisé est un stress psychosocial aigu répété, lié à la
présence d’un animal dominant.
Le marquage par BrdU montre que la prolifération cellulaire diminue dans l’hippocampe. En situation de stress,
la prolifération cellulaire hippocampique baisse de
manière beaucoup plus marquée chez les animaux âgés
que chez les jeunes (76 % versus 46 %). Il existe donc
une interaction entre stress et âge. Plus l’âge augmente,
plus l’interaction est sensible. Un autre aspect du stress
est son effet sur les surrénales. Le poids des surrénales
augmente notablement après le stress, mais de manière
non significative en fonction de l’âge des animaux. Donc,
à stress probablement égal, on observe une augmentation
de poids des surrénales quel que soit l’âge de l’animal,
mais un effet spécifique sur la neurogenèse chez l’animal
plus âgé.
Dans un autre modèle animal de souris âgées (prematurely aging mice ou PAM) (1), on étudie le comportement,
consistant en une lenteur spontanée dans une épreuve
de labyrinthe en T. Taux de monoamines et immunocompétence sont diminués chez les souris PAM. L’anxiété est
plus importante chez les souris PAM.
Sur le plan comportemental, les souris PAM sont significativement différentes, surtout dans le labyrinthe ouvert
(open arms). Les animaux sont néophobes, c’est-à-dire
qu’ils sont significativement moins présents dans les bras
ouverts du labyrinthe.
Les souris PAM sont moins réactives aux situations de
stress.
Sur le plan biologique, les souris PAM ont un taux de
corticostérone de base, équivalent du cortisol humain,
plus élevé. La réponse à la corticostérone est émoussée,
en cas de stress. Les paramètres immunitaires suivants
sont aussi modifiés : activité NK diminuée, c’est-à-dire
pourcentage de lyse par les cellules NK (protégeant contre
l’environnement extérieur) moins élevé, lymphoprolifération en présence de mitogène (concanavaline, LPS) diminuée.
MODÈLES HUMAINS
Hormones
Chez l’homme, les changements immunitaires sont corrélés à des changements hormonaux. Le cortisol ne diminue pas, au contraire, il tend à augmenter, alors que les
autres hormones diminuent avec l’âge, telles que la déhydroépiandrostènedione (DHEA). En laboratoire, la DHEA
a des effets très marqués, dans le sens d’une activation
du système immunitaire : prolifération lymphocytaire T,
accroissement de cellules pro-inflammatoires.
Immunité humorale
Chez le sujet âgé, le vieillissement touche peu les
mécanismes moléculaires des anticorps, sauf deux
aspects très particuliers : le nombre de nucléotides et la
génétique des anticorps anti-phosphorylcholine, qui
jouent un rôle dans la reconnaissance et le lien aux antiS 1113
A. Galinowski
gènes. En revanche, il existe des modifications des anticorps dans le sang périphérique : baisse de la réaction
antigène-anticorps, augmentation des auto-anticorps,
comme s’il existait des gammapathies monoclonales
spontanées et peut-être non pathologiques. On observe
aussi d’autres modifications plus complexes de l’immunité, notamment du réseau idiotype anti-idiotype.
Immunité cellulaire
Pour ce qui est de l’immunité cellulaire, le nombre total
de lymphocytes semble peu modifié. Toutefois, comme
chez l’animal, la lymphoprolifération diminue. Ainsi, la
quantité d’interleukine IL 2 sécrétée, est diminuée en présence de mitogène, par altération de signaux précoces
d’activation. Macrophages et cellules NK sont apparemment peu modifiées, si ce n’est une baisse de l’interleukine
IL 1, sécrétée par les cellules NK.
CONCLUSION
Chez le sujet âgé, il paraît difficile de maintenir une
homéostasie, surtout en condition de stress : il existe une
dégénérescence et une perte de capacité régénérative.
La fréquence des maladies auto-immunes est là pour
témoigner de ces difficultés.
La dépression, selon le modèle de Maes (3), serait peutêtre liée à une hyperactivité auto-immune et inflammatoire, au cœur du système biologique de la dépression. Si
cette hypothèse est vérifiée, on comprendrait mieux la fréquence de la dépression chez le sujet âgé. On a forgé le
néologisme de « inflammaging », sous-tendant la coexistence de phénomènes inflammatoires à bas bruit dans le
système biologique du sujet âgé.
S 1114
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1112-4, cahier 4
Question (Docteur Th. Gallarda)
Quelles pourraient être les perspectives thérapeutiques, directement liées à l’immunologie, le stress et le système corticoïde ?
Réponse
Chez l’homme, on n’étudie pas le sujet âgé de plus
50 ans, parce que le système immunitaire décline. Ce
déclin est peu connu, et constitue plutôt un facteur de confusion.
Chez l’animal, on sait le rôle joué par certaines interleukines dans les symptômes non spécifiques de la dépression. Ainsi, l’interleukine IL 1 provoque des symptômes
« dépressifs » immédiats, le facteur Tumor Necrosis Factor (TNF) règle l’appétit et le sommeil. On peut reproduire
expérimentalement des symptômes ou les annuler, en utilisant des substances inverses, tels que les inhibiteurs du
système interleukine IL 1. On pourrait imaginer à long
terme des médicaments nouveaux de ce type.
Références
1. PEREZ-ALVAREZ L, BAEZA I, ARRANZ L et al. Behavioral, endocrine and immunological characteristics of a murine model of premature aging. Dev Comp Immunol 2005 ; 29 : 965-76.
2. SIMON M, CZEH B, FUCHS E. Age-dependent susceptibility of adult
hippocampal cell proliferation to chronic psychosocial stress. Brain
Res 2005 ; 1049 : 244-8.
3. VAN WEST D, MAES M. Activation of the inflammatory response
system : A new look at etiopathogenesis of major depression. Neuro
Endocrinol Lett 1999 ; 20 : 11-7.
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