La déflexivité

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Introduction
Didier Bottineau
Langages / Volume 2010 / Issue 178 / June 2010, pp 3 - 10
DOI: 10.3917/lang.178.0003, Published online: 17 March 2013
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Didier Bottineau (2010). Introduction. Langages, 2010, pp 3-10 doi:10.3917/lang.178.0003
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Didier Bottineau
Laboratoire MoDyCo (CNRS UMR 7114) & Université Paris Ouest Nanterre – La Défense
Introduction
La déflexivité est un terme et un concept élaboré par Gustave Guillaume (18831960) dans le cadre de la psychomécanique du langage 1 . Un demi-siècle exactement après sa disparition 2 , l’objet du présent numéro est double : réaliser une
présentation sous un regard actuel de cette notion importante mais relativement
sous-exploitée à ce jour, à la fois comme mécanisme conceptuel typiquement
guillaumien et comme objet de description et d’analyse autonome par rapport
à la théorie qui l’a fait naître, et utilisable en tant que tel sans nécessairement
recourir à l’ensemble de l’architecture de la psychomécanique ; et mettre en
œuvre sa capacité à fournir des outils de description et d’analyse concernant à
la fois la morphologie et la syntaxe, pour une langue singulière comme dans
une approche contrastive ou typologique, en synchronie ou en diachronie, en
micro-diachronie, pour l’étude de la langue parlée et de la variation dialectale et
sociolinguistique.
Jusqu’à présent la notion de déflexivité, régulièrement exposée dans les écrits
guillaumiens et figurant comme entrée dans les deux dictionnaires terminologiques de la psychomécanique (Boone & Joly 1996 ; Douay & Roulland 1990),
a rarement été exposée hors du cadre de la psychomécanique ; on en détecte
peu d’occurrences sur Internet (autres que celles liées au symposium lui-même
organisé en novembre 2009 – cf. note 1), même dans le fonds bibliographique
Gustave Guillaume (Université Laval, Québec). Le terme figure dans le Dictionnaire des sciences du langage (Neveu 2004) :
(1)
Mot formé à partir du verbe latin deflectere, « détourner ». Gustave
Guillaume emploie le terme de déflexivité pour désigner le phénomène,
constant dans l’histoire des langues indo-européennes, selon lequel, en
1. Ce numéro est l’aboutissement d’un ensemble d’opérations de recherches amorcées en 2008 par la JE 2498
SELOEN à Lille 3 (journées d’étude les 29-30 mai 2008, une séance de séminaire animée par F. Tollis et un
symposium international les 19 et 20 novembre 2009). La parution des actes du symposium est programmée
pour 2011 (Presses Universitaires de Rennes).
2. Cf. la note biographique de Guy Cornillac à la suite de cette introduction.
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La déflexivité
raison de l’évolution des morphologies synthétiques en morphologies
analytiques, certains morphèmes flexionnels (ou flexifs) originellement
agglutinés, se sont désolidarisés de leur support lexical pour former un
morphème libre chargé d’exprimer explicitement la relation grammaticale
qu’ils entretiennent avec ce support. Les articles, les prépositions, les
pronoms personnels sujets, par exemple, sont dans de nombreuses langues
indo-européennes des morphèmes « déflexifs ».
Sa réception a fait l’objet de discussions : Gustave Guillaume concevait le
changement des systèmes grammaticaux comme la mise en conformité des soussystèmes morphologiques à un ordre « psycho-systématique » sous-jacent, la
sémiologie étant en perpétuel retard d’adaptation par rapport aux progressions
du niveau cognitif ; le changement linguistique est essentiellement téléologique 3 .
À cet égard, G. Boysen (1967) reprochait à G. Moignet (1965) 4 de rechercher une
cohérence « psychosystématique » aux faits d’évolution des structures linguistiques comme si, par principe, la diachronie était toujours sous-tendue par eux,
et de négliger l’importance intrinsèque du changement phonétique, relégué au
second plan. En matière d’histoire de la pensée linguistique, on a affaire à un
concept historiquement précoce qui se voit reconnaître un statut terminologique
très tardivement : la problématique de la déflexivité émerge dès Le problème
de l’article (1919), mais sa dénomination n’apparaît qu’en 1954 dans les Prolégomènes, de manière presque allusive, pour devenir un terme à part entière à
partir de 1956 (cf. Leçons 5 et 13). Le terme est absent dans les volumes où on
l’attendrait en ignorant ce facteur chronologique (en particulier Leçons 6 de 19451946, consacrées essentiellement à l’article français). Il s’agit donc de l’un de
ces concepts émergents qui a pris le temps d’arriver à maturation avant de se
déclarer à la terminologie (cf. le cas du mot effection, apparu dans la dernière
leçon selon M. Valette (2007), alors même qu’il s’agit d’un concept fondamental
en psychomécanique du langage), ce qui ne l’a pas empêché d’évoluer sémantiquement (comme l’a fait le mot synapse, au demeurant absent comme entrée
des dictionnaires terminologiques cités). Le terme a également évolué dans
sa forme (déflexivité/déflexité) sans contraste sémantique majeur. Il est possible
aujourd’hui de redistribuer les termes dérivés en distinguant des états de langue
(inflexité/déflexité), des processus (inflexivisation/déflexivisation) et des catégories
descriptives pour la typologie (inflexivité, déflexivité) chevauchant les précédents.
3. Deux téléologies en fait : d’une part, le signe grammatical évolue, notamment par le jeu des analogies,
« pour » manifester à l’expression l’ordre du système de représentation ; d’autre part, l’ordre systématique
lui-même évolue en améliorant les solutions trouvées aux problèmes de représentation. Mais il existe également
chez Guillaume une théorie de la plasticité des systèmes (cf. l’entrée psychosémiologie de Joly & Boone 1996) :
une analogie de formes rendue possible par le fait du hasard en diachronie peut induire une réfection
opportuniste et efficace d’un microsystème.
4. La question discutée était : la disparition des flexions verbales du français a-t-elle favorisé l’apparition
compensatoire des pronoms personnels sujets ou celle-ci a-t-elle précédé par déflexivité, rendant inutile le
marquage flexionnel ?
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Introduction
1. DÉFINITION
Les contours de la déflexivité sont donnés dès l’occurrence fondatrice du terme
en 1954 :
(2)
L’extensité est une propriété assignée tardivement au nom. Si on la retire
au nom et qu’on en fasse un désigné à part, il s’ensuit la construction, par
déflexivité, d’un mot grammatical chargé expressément de désigner, en
forme et en grandeur, l’extensité d’un nom à venir et auquel sont assignés
complémentairement, par déflexivité continuée, les attributs structuraux de
ce nom annoncé, mais encore non énoncé. Ce mot, c’est l’article [...]
Autrement dit :
– En diachronie, l’article explicite le traitement de la question de l’extensité nominale
que le nom lui-même traitait implicitement dans des états de langue antérieurs
(perspective diachronique) et, en synchronie, l’article actualise en discours le
traitement de l’extensité, propriété formelle mais puissancielle du nom de
langue. La déflexivité est dite désignative (l’article désigne l’extensité) alors
que l’inflexivité est assignative par implicitation 5 .
– La déflexivité concerne historiquement la théorie du mot : l’apparition d’une nouvelle classe de mot dont la matière notionnelle n’est pas celle des unités lexicales avec le couple matière/forme habituel (cf. la contribution dans ce volume
de Sylvianne Rémi-Giraud et la notion de matière subtile). L’absence de matière
notionnelle est expliquée par le processus diachronique de dématérialisation
à partir des mots latins dont sont issus les articles, comme le démonstratif
pour le défini. L’opportunité ou la manière d’utiliser ce concept fait l’objet
de discussions critiques (cf. les études de Francis Tollis, de Louis Begioni et
Alvaro Rocchetti dans ce volume), d’autant que, dans le cas de l’article, on a
bien apparition d’une classe nouvelle, en principe unifiée 6 , en prenant pour
ressources des mots issus de catégories différentes (démonstratif, numéral), et
en introduisant positivement de nouveaux traits non prévus initialement : l’article « profite » de la déflexivisation de l’extensité pour extraire et expliciter en sa
compagnie le traitement de questions de natures diverses telles que le genre
du substantif de langue (en français du moins) ou 7 le nombre du substantif de
discours (cf. les « attributs structuraux complémentaires »). L’article résulte du
croisement de deux processus : la dématérialisation du mot-support lui-même
5. Le mot « assignés » de la citation supra est employé à contretemps par rapport au sens technique régulier
de assignatif et désignatif en terminologie guillaumienne.
6. Pottier et d’autres contestent l’idée que le système de l’article constitue un microsystème sémantiquement
et formellement unifié.
7. « ou » dans le cas du français, mais « et » dans celui de l’espagnol et de l’italien, avec une morphologie
compositionnelle dans le premier cas et sagittale dans le second (au sens de Hagège (1985) : désignation d’une
double propriété par une marque synthétique).
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La déflexivité
(démonstratif, numéral) et déflexivisation d’un paquet de traits empruntés à
un mot lexical en fonction d’apport (le substantif) 8 .
– La déflexivité s’articule souvent avec la grammaticalisation, mais les deux notions
doivent être clairement distinguées. La grammaticalisation concerne le changement linguistique d’une unité qui évolue du lexème à la disparition en transitant par le mot grammatical et le morphème (Hopper & Traugott 1993). La
déflexivité concerne dans de nombreux cas l’extraction et l’explicitation d’un
paramètre sémantique d’une unité lexicale et sa prise en charge par un marqueur ad hoc. Dans le cas de l’article français, il y a rencontre entre un processus
de grammaticalisation 9 (du démonstratif latin à l’article) et un processus de
déflexivisation (la délocalisation d’un paramètre sémantique implicite du nom
vers son traitement explicite par l’article). Tout phénomène de grammaticalisation ne fait pas d’un marqueur désémantisé le déflexif d’un autre, et toute
déflexivisation ne requiert pas la grammaticalisation d’un lexème annexé. Par
ailleurs, la psychomécanique dispose de son propre appareil conceptuel et terminologique pour la grammaticalisation : Gustave Guillaume nommait dématérialisation le processus de désémantisation par laquelle une unité lexicale
perd son autonomie sémantique et n’accède à la complétude qu’en s’associant
à une autre (par exemple avoir « posséder » verbe > avoir auxiliaire, en combinaison avec le participe passé d’un autre verbe), et subduction la désémantisation permettant à certaines unités lexicales d’accéder à une valeur abstraite,
relationnelle et générale (subduction exotérique, visible, génératrice entre autres
de verbes supports), ou de produire des emplois non autonomes à valeur
abstraite à côté de la valeur lexicale conservée (subduction ésotérique, invisible),
avec perte d’autonomie partielle (auxiliaire : subduction ésotérique immanente)
ou totale (affixation ou flexion dans la terminologie guillaumienne, comme
l’apparition du futur dans les langues romanes par suffixation de l’auxiliaire
avoir : subduction ésotérique transcendante). Un déflexif peut éventuellement
8. Le rapport liant l’article au nom mériterait en soi un développement. Disons simplement que (i) le nom,
d’incidence interne en langue, extériorise son support en discours sous la forme déflexivisée de l’article et
s’actualise donc en déclarant un régime d’incidence externe ; (ii) ce modèle est empiriquement justifié par
le fait que dans les langues romanes le genre du substantif est transféré du nom à l’article, signe tangible du
transfert de traits dans le sens indiqué ; mais (iii) le pluriel manifeste un transfert d’ordre inverse, de l’article au
nom par accord ; et donc, (iv) il y a lieu d’envisager des orientations successives pour la relation sémantique de
l’article au nom, comme le suggère Valin (1981) : le support en syntaxe génétique est utilisé comme amorce en
syntaxe des résultats ; le déterminant contrôle l’engagement énonciatif et interprétatif dans le groupe nominal
en développement et, à ce titre, il est susceptible d’imposer par accord harmonique la catégorie du nombre
en occultant celle du genre issue du nom dans le cas du français (le, la, les). Les autres langues romanes
superposent les marques du genre imposé par le nom et du nombre amorcé par l’article (espagnol el, la, los,
las), cumulant sur l’article déflexif le marquage de traits endogènes (le nombre) et exogènes (le genre) rapporté
par le double mécanisme incidenciel.
9. Précision terminologique : Guillaume utilise parfois le terme grammaticalisation pour désigner le profilage
formel de la matière notionnelle lexicale par les parties de langues dans le cadre de la morphogenèse. Cet
emploi très technique du mot, bien antérieur à l’apparition du terme grammaticalisation au sens actuel,
concerne spécifiquement la théorie du mot en synchronie en psychomécanique du langage, et non les processus
diachroniques. Dans ce numéro, grammaticalisation est utilisé exclusivement en son sens actuel, jamais en son
sens guillaumien.
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être obtenu par subduction immanente (avec préservation d’une autonomie
relative du marqueur, dit stématique) mais en aucun cas par subduction transcendante, génératrice d’un marqueur lié (astématique) en état d’inflexité ; et
pour que le marqueur « subduit » soit considéré comme déflexif, il doit traiter
une question de sémantique grammaticale propre à l’unité lexicale à laquelle
il s’associe (l’extensité ou le cas nominaux, l’aspect verbal, etc.).
– La déflexivité est surtout un fait de syntaxe : elle crée des marqueurs grammaticaux en fonction d’amorçage des syntagmes (cf. « nom à venir » dans la
citation 2), créant des effets d’anticipation et soulevant la question du décalage entre la dynamique cognitive des processus de production et d’énonciation, et celle de l’interprétation par l’allocutaire, donc de l’intersubjectivité et de la mise en œuvre métalinguistique de la théorie de l’esprit 10 . La
déflexivité morphologique a des manifestations syntaxiques 11 : elle modifie
la portée des catégories explicitées (cf. l’étude de Didier Bottineau dans ce
volume), qui se retrouvent tantôt en facteur commun, tantôt distribuées par
des faits d’accord (par exemple adjectival) ; elle prend en charge la répartition
dans la linéarité de marques de catégories décumulées (cf. l’étude de MaryAnnick Morel, et la décondensation en français parlé, et celles de Didier Bottineau, de Louis Begioni et Alvaro Rocchetti sur la variation typologique de
cette gestion : antéposition/postposition) ; et surtout, elle s’inscrit dans le
cadre d’une dynamique systémique générale en diachronie (cf. l’étude de
Louis Begioni et Alvaro Rocchetti : relation entre le changement de position
du verbe et développement de la déflexivité) : la déflexivité est souvent symptomatique de l’existence d’un principe d’ordre syntaxique, et ce, parfois, à
l’échelle propositionnelle ; en vertu de l’ancrage lexical des faits de syntaxe
caractéristique de la psychomécanique, un changement de propriété du mot
peut préfigurer un changement de structure syntaxique conséquent.
– Certaines relations déflexivité/syntaxe semblent se manifester de manière cyclique.
Divers faits de typologie, de diachronie étendue, mais aussi de microdiachronie et de variation en langue parlée, amènent à s’interroger sur
l’existence d’une cyclicité ou pendularité des alternances de déflexivisation et
inflexivisation, et ce sur plusieurs plans distincts : le changement linguistique
comme processus dynamique muni d’une systémique non directement
dépendante de l’activité des sujets, mais aussi l’attitude réformatrice des
sujets parlants en regard de l’état des pratiques langagières auxquelles ils sont
10. La configuration des couplages interlocutifs dans le cadre du traitement de catégories formelles ciblées
par des microsystèmes morphosyntaxiques spécifiques est l’objet de la théorie des relations interlocutives
de Douay & Roulland. Guillaume est, en principe, connu pour la stricte séparation des faits de cognition
individuelle – la représentation en langue et l’expression en discours – des faits de confrontation intersubjective
dans le discours : cf. le « grand face-à-face » et le « petit face-à-face ». Cependant, le potentiel interlocutif
et intersubjectif du modèle se manifeste sporadiquement dans les écrits, par la déflexivité notamment, et
l’explicitation de cette dimension est l’un des enjeux du redéploiement conceptuel que l’on propose.
11. Moignet (1981 : 102) : la déflexivité de la personne du sujet est à l’origine des voix périphrastiques du
français ; en latin, la personne inflexive allait de pair avec la forme synthétique de l’alternance des diathèses
(amo/amor).
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confrontés dans l’expérience des interactions (je ne sais pas / chaipas, breton
m’eus ‘mien est’ (cf. mihi est) « j’ai » devenant meus, verbe kaout « avoir » à
marque de personne préfixée ; cf. également l’étude de Didier Bottineau :
section sur la compression des formes « progressives » en japonais parlé
actuel).
– La déflexivité, qui initialement ne concerne que l’article, est par la suite étendue à
d’autres sous-systèmes : la préposition, l’auxiliaire, le pronom personnel sujet
(cf. l’étude de Francis Tollis sur l’application explicite et implicite de la déflexivité à divers domaines et les développements proposés par Louis Begioni et
Alvaro Rocchetti : négation, etc.) ; la déflexivité, à ce stade, devient un processus général instancié par des manifestations occurrentielles, ce qui permet des
rapprochements :
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Une relation existe entre l’article et la préposition. La racine profonde en est
que tous les deux sont des déflexifs. La préposition est un déflexif du cas
fonction, l’article, un déflexif du cas extensité. (LL 5 : [9-V-57] 217/12 ; voir
encore [11-IV-57] 197)
La déflexivité se présente donc à la fois comme une systémique en diachronie
et, en synchronie, un système qui sous-tendrait des sous-systèmes de natures
diverses, avec des manifestations et propriétés également diverses. Evidemment,
un tel rapprochement soulève plus de questions qu’il n’en résout, il nécessite une
description des plans séparés du phénomène (théorie du mot et des classes de
mots, manifestations morphologiques et syntaxiques, dynamique de la déflexivité sur des catégories “en parallèle” : extensité, genre, nombre, cas pour le
domaine du nom, et autres pour le verbe). Cela rend nécessaire un inventaire
et une analyse de la diversité des faits observés (cf. les études de Louis Begioni
et Alvaro Rocchetti, et de Didier Bottineau) : orientation du processus déflexif,
création d’un marqueur pour une catégorie préalablement implicite ou déplacement d’une flexion lexicale, éventuel changement de portée (flexion lexicale
vs préposition de portée syntagmatique), relation entre phénomènes liés (perte
du cas flexionnel et émergence de la détermination), degré de développement
des phénomènes (cohabitation de la personne pronominale et de la désinence,
ou démission totale de cette dernière), sectorisation des phénomènes dans les
systèmes (français : nous et vous + désinences orales et écrites vs absence de désinence orale aux autres personnes, pour les verbes du premier groupe au présent
du moins), coexistence des dynamiques (préposition et cas lexical en latin et
en allemand ; déclinaison déterminative et non déterminative en allemand). Et
cette diversité se présente diversement selon le type de langue considéré (en
russe, en breton, en basque, en japonais : isomorphisme partiel ou total des
éléments formateurs inflexifs et déflexifs, et coexistence des deux structures en
synchronie). En somme, ce numéro contribue à réaliser avec un regard actuel, cinquante ans après sa disparition, un programme que Gustave Guillaume appelait
explicitement de ses vœux :
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(4)
Le système de la préposition et celui de l’article ont en commun de représenter, celui-ci plus tardivement que celui-là, le très important phénomène de la
déflexité duquel procèdent et résultent la systématique de la préposition et de
l’article issues l’une et l’autre de ce que la Base de mot (notionnelle) s’allège
de formes qui, d’abord attribuées à cette base, sont ensuite nommément désignées. L’histoire formelle de la morphologie des langues indo-européennes
est, pour une grande part, celle de la déflexité, phénomène non mêmement
développé dans l’histoire des langues indo-européennes, mais en développement dans toutes. Quelle belle thèse pour un comparatiste que d’esquisser
une histoire de la déflexité ! D’autant qu’on rencontrerait dans des idiomes
archaïsants le phénomène inverse, préalable, de l’inflexité. Et la théorie générale de la puissance d’accrétion des éléments formateurs. J’ai beaucoup
progressé en la matière : il me manque des appuis parmi les fidèles. 12
Références
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Presses de l’Université Laval, Essais et mémoires de Gustave Guillaume.
12. Lettre de Guillaume à Moignet du 23 septembre 1958, in Malengreau (1995), 209-210.
13. Le détail des informations bibliographiques se trouvera sur le site www.fl.ulaval.ca/fgg/aipl/index.htm.
14. D’après Molho (1969 : 142), puis Joly & Roulland (1980 : 108, n. 1), cet ouvrage semble avoir été en
partie écrit en 1916 – l’année de sortie du Cours de Saussure –, et avoir donc été entamé plus tôt. De son côté,
en 1956, Guillaume a rappelé : « Mes premiers travaux, qui remontent à 1917, ont eu pour objet particulier
l’article [...] » (1982 : [29-XI] 2/3) et, en novembre 1952, il en faisait remonter la rédaction « à trente-six ans
de distance » (2007 : 294/7).
15. Réimpr. en 1975 avec une préface de R. Valin et un compte-rendu de L. Havet.
16. Voir Lowe (2003 : ii et vi), ainsi que Lowe (2006 : x). Les deux « Mémoires Steiger » publiés en 2003
sont probablement eux-mêmes de 1959 (Lowe, 2003 : v-vi).
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La déflexivité
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c’est justement celui-là qui est publié dans ce volume.
18. Réimpr. in Joly & Hirtle (éds) (1980), 537-579 ; ainsi que dans Joly (1987), 11-58.
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