Corps et âme
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physique, ce n’est plus l’être ou la substance première qui cause
formellement l’intellect ou l’entendement, donc qui produit
dans l’entendement une représentation de l’être, mais c’est la
forme intuitive ou la représentation de l’entendement qui cons-
titue elle-même la réalité objective de l’être, de la chose ou de
l’objet. Et là, Descartes n’a rien inventé. Je dirai, par contre, qu’il
a tiré mieux que personne toutes les conséquences métaphy-
siques et morales de ce nouvel horizon de pensée.
À vrai dire, Descartes parle très peu de métaphysique, au sens
strict du terme. Il en parle néanmoins, mais comme
prima Philoso-
phia
. Traditionnellement, avant comme après Duns Scot d’ailleurs,
la métaphysique devait se penser soit à partir de la théologie, c’est-
à-dire du concept de Dieu, soit à partir de l’ontologie, c’est-à-
dire du concept d’être, que cet être soit défini comme substance
ou comme représentation. Or, pour Descartes, la métaphysique
comme philosophie première ne repose ni sur une théologie ni sur
une ontologie, mais sur une épistémologie, ou une théorie de la
connaissance, donc sur l’ordre des représentations et des concepts :
Puis, lors qu’il s’est acquis quelque habitude à trouver la vérité
en ces questions, il doit commencer tout de bon à s’appliquer à la
vraie Philosophie, dont la première partie est la Métaphysique, qui
contient les principes de la connaissance, entre lesquels est l’expli-
cation des principaux attributs de Dieu, de l’immatérialité de nos
âmes, et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous
1
.
1. R. Descartes,
Les Principes de la philosophie
, préface,
AT
, IX, 2, p. 14. Des-
cartes écrit à Mersenne à propos du texte des
Méditations
: « Je vous envoie en-
fin mon écrit de Métaphysique auquel je n’ai point mis de titre, afin de vous en
faire le parrain, et vous laisser la puissance de le baptiser. Je crois qu’on le pour-
ra nommer, ainsi que je l’ai écrit par ma précédente
, Meditationes de prima
Philosophia
; car je n’y traite pas seulement de Dieu et de l’âme, mais en général
de toutes les premières choses qu’on peut connaître en philosophant par ordre. »
Lettre à Mersenne
du 11 novembre 1640,
AT
, III, p. 238-239.
Cf.
J.-L. Marion,
Sur le prisme métaphysique de Descartes
.
Constitution et limites de l’onto-théo-logie
dans la pensée cartésienne
,
PUF
, 1986, en particulier ch.
I
, § 3-4.
p. 157-194 ; A. de Muralt,
L’Enjeu de la philosophie médiévale
.
Études thomis-
tes, scotistes, occamiennes et grégoriennes
, Leiden, Brill, 1993, ch.
III
; et O. Boul-
nois,
Être et représentation
.
Une genèse de la métaphysique moderne à l’époque
de Duns Scot
(
XIII
e
-
XIV
e
siècle)
,
PUF
, 1999, ch.
IX
.
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